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Christophe Vandromme

Impliquer le public dans le processus de médiation : focus sur le concours « STIC Jam » du Musée L

(Hors-série n° 1 — Regard des étudiants)
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1Dans cet article, je propose un regard sur la conférence de la directrice du Musée L, Anne Querinjean. Je vais en particulier décortiquer l’initiative concernant le concours « STIC Jam », à la lumière du travail de spécialistes comme Bourdieu, Allard ou encore Shall et Villate.

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3Lors de sa conférence, Anne Querinjean a présenté l’initiative « STIC Jam ». Il s’agit d’un concours annuel proposé aux étudiants de master de l’UCL, tous cursus confondus, ayant pour objectif la création d’un dispositif original de découverte du Musée L, depuis la conception jusqu’à l’étape de prototypage, afin de les impliquer réellement en cas de succès. Ainsi les participants forment des groupes et se servent de l’infrastructure du musée comme terrain d’expérimentation et de réflexion, visant à trouver une approche permettant de faire découvrir les richesses du musée aux autres étudiants. Anne Querinjean a évoqué, à titre d’exemple parmi les projets ayant émergé du « STIC Jam », le projet « Art’propriation », une application ludique permettant aux visiteurs de créer des « mèmes » sur base de photos des œuvres prises dans le musée. Ses utilisateurs, particulièrement les jeunes, redécouvriraient ainsi les œuvres du musée en les détournant de manière humoristique.

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5L’idée du concours « STIC Jam » vient de la nécessité, qui touche de plus en plus de musées, de bien définir leur public afin de l’inciter à venir dans le musée. En effet, Schall et Vilatte ont constaté que depuis ces dernières années, la fonction pédagogique des musées prend de plus en plus d’importance (Schall & Vilatte 2015, p. 182-183). Dans cette fonction, il est très important de savoir à qui on s’adresse afin d’adapter les supports de médiation. Initialement, les musées n’avaient qu’une fonction d’archive et d’exposition des œuvres. Le public des musées n’avait donc qu’une importance toute relative. Mais depuis le XIXe siècle, ils ont développé une mission de transmission du savoir, qui prend peu à peu le pas sur la fonction de conservation.

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7Cependant, selon Bourdieu, cette fonction de transmission ne peut s’effectuer si les visiteurs ne possèdent pas certains codes relatifs à la lecture des œuvres (Bourdieu & Darbel 1969, p. 69). En effet, auparavant on pouvait considérer que le public des musées possédait ces codes, car il était composé majoritairement des classes aristocratiques et bourgeoises, jouissant par définition d’un capital culturel « supérieur ». Selon moi, il n’en est cependant plus de même aujourd’hui, car la démocratisation des études universitaires par l’octroi de bourses et la baisse des minervals a rendu le public estudiantin bien plus diversifié qu’il ne l’était auparavant. La maitrise des codes de lecture des œuvres ne va donc plus de soi, ceci renforcé par la pluralité des cursus proposés, intégrant ou non l’acquisition de ces codes dans leur programme. Tout ceci couplé au fait que le Musée L soit un musée orienté vers l’archéologie et l’art, il y a donc fort à parier que le Musée L ne parlera pas à tout son public cible, à savoir les étudiants dans leur ensemble.

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9De fait, en tant que musée universitaire, le Musée L s’est fixé pour objectif de s’adresser aux étudiants en premier lieu, afin de les épauler au mieux dans la progression de leurs études. De plus, selon Anne Querinjean, les étudiants viennent au musée avec une démarche qui leur est propre et avec une subjectivité qui intéresse particulièrement le Musée L, c’est pourquoi elle souhaite faire d’eux ses ambassadeurs. Le Musée L a donc tout intérêt à soigner son image auprès de ces jeunes et même à les encourager à s’investir dans le musée. Toutefois, comme l’a mentionné Anne Querinjean, porter l’étiquette « musée universitaire » ne suffit pas pour attirer les étudiants. C’est pourquoi l’initiative « STIC Jam » fut lancée par le cursus de communication de l’UCL, afin de questionner les étudiants eux-mêmes sur les manières qui leur paraissent les plus adaptées pour aborder et s’approprier les ressources que le Musée L met à leur disposition.

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11C’est ainsi que le Musée L, dont le public cible est composé majoritairement de jeunes, s’est penché sur la problématique des tendances liées au phénomène générationnel. En effet, Anne Querinjean a bien souligné l’importance d’y prêter attention lorsque l’on s’adresse aux jeunes, car chaque génération possèderait des caractéristiques et des besoins qui lui sont propres. Dans ce monde constamment enclin au changement et qui est source d’inquiétude permanente pour les jeunes, il serait crucial répondre à leurs besoins afin de faire du Musée L un lieu où ils se sentiraient chez eux. Anne Querinjean a ainsi identifié deux générations constituant le public estudiantin : d’un côté la génération Y, qui a assisté à la naissance d’internet et mènerait une quête perpétuelle de sens dans tout ce qui l’entoure, et de l’autre, la génération Z, née en plein dans le phénomène d’internet et des réseaux sociaux et qui chercherait à former du collectif en temps réel autour de ses activités et de ses opinions, pour combler un certain besoin de reconnaissance. Ainsi, selon ses observations, ces deux générations possèdent bel et bien des besoins spécifiques, que la génération précédente ne maitrise pas forcément. Par conséquent, qui seraient mieux placer pour répondre à ces attentes que les étudiants eux-mêmes ?

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13De plus, donner l’opportunité aux étudiants de créer des outils de médiation en se « servant du musée comme terrain de jeu » permettrait de suivre un chemin similaire à celui de l’évolution de production et de la consommation culturelle telle que l’a étudiée Laurence Allard. Elle souligne en effet que le développement de l’industrie créative, issue de la convergence de l’industrie culturelle traditionnelle, de la mode, du jeu vidéo et du développement d’internet, marque également le développement de la volonté du public de participer à cette nouvelle culture, grâce aux nouveaux moyens qui sont désormais à sa disposition (Allard 2010, p. 5). C’est ainsi que le principe du user-turn fut utilisé, c’est-à-dire proposer une offre de contenu personnalisable par le public. Van Hippel propose de reformuler ce phénomène avec la notion « d’innovation horizontale », qui désigne le développement de nouveaux moyens de production, de distribution et de consommation produit en collaboration avec des utilisateurs innovants, entrainant dès lors une certaine « réversibilité des rôles traditionnels auteurs/diffuseurs/programmeurs/spectateurs » (Allard 2010, p. 7). Mais où se situe le Musée L dans tout ça ? Et bien en impliquant son public dans son processus de médiation par le concours « STIC Jam », et dans son processus de diffusion puisqu’il veut faire des étudiants ses ambassadeurs, le Musée L s’inscrit dans une certaine mesure dans cette dynamique très actuelle qui touche le secteur de l’industrie créative. Il encourage de fait son public à jouer un rôle plus actif d’innovation dans son fonctionnement interne, innovation qui impliquera potentiellement l’utilisation des nouveaux médias et moyens de communication mis à disposition du public. C’est d’ailleurs le cas avec le projet « Art’propriation », puisqu’il implique la création d’une application pour téléphone portable et l’usage des réseaux sociaux pour diffuser massivement les mèmes créés à partir des œuvres du Musée L. En outre, ce projet s’inscrit lui-même très bien dans le phénomène de réversibilité des rôles puisque le consommateur de l’œuvre originale devient lui-même diffuseur de son propre contenu, qui peut ainsi être relayé de viewer en viewer, selon le principe du peer-to-peer. Cette propagation de proche en proche aboutit également à la formation d’un collectif éphémère autour du nouveau contenu pouvant s’accompagner d’un sentiment de gratification chez les diffuseurs. La dimension collective et les gratifications sont deux aspects très importants pour les membres de la génération Z, pour reprendre les termes d’Anne Querinjean. Il est d’ailleurs intéressant de constater la similitude entre la génération Z, telle que l’a définie Anne Querinjean, et la génération des « natifs digitaux » qu’étudie Laurence Allard. En effet, les individus désignés par cette dernière ont la particularité d’être très familiers avec les nouveaux moyens de communication et y trouvent un moyen d’expression de leur identité personnelle, au travers de créations ou de points de vue divers qu’ils postent sur internet afin de les partager avec le monde entier. Ainsi, le concours « STIC Jam » peut être vu comme une tentative d’intégrer les principes qui régissent le domaine de l’industrie culturelle actuellement, selon Laurence Allard, afin de ne pas se laisser dépasser comme cela a pu arriver à d’autres musées.

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15 Par ailleurs, on peut considérer que cette approche tend à faire disparaitre l’approche codifiée de l’art au profit d’une approche plus sujette à l’interprétation personnelle. Dès lors, la diversité des points de vue au sein même des groupes de travail du concours « STIC Jam » permettrait de s’interroger sur les moyens à mettre en œuvre pour que chacun puisse créer son propre sens sur base des œuvres présentes dans le musée. Comme souligné par Querinjean, la recherche de sens serait un aspect très important pour les membres de la génération Y, qui compose actuellement la majorité des étudiants concourant pour le « STIC Jam ». Par conséquent, interroger les étudiants sur les manières de dégager du sens dans les œuvres en les faisant s’interroger eux-mêmes répondrait déjà partiellement aux attentes de la génération Y. Autrement dit, le « STIC Jam » contiendrait en lui-même des éléments du but que le Musée L cherche à atteindre. Sur cet aspect, l’exemple du projet « Art’propriation » présente un aboutissement tout à fait pertinent puisque les mèmes sont précisément un moyen permettant de produire du sens à partir d’une œuvre, indépendamment des codes qui lui sont relatifs. En effet, la création de mèmes repose sur le principe du détournement, qui consiste à déformer le possible sens initial de l’œuvre dans un but parodique. Ainsi n’importe qui peut se réapproprier une œuvre en lui donnant le sens qu’il souhaite, sans craindre d’être impertinent, bien au contraire.

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17En conclusion, il apparait qu’il est devenu de plus en plus important pour les musées universitaires de tenir compte de leur public dans leur manière de concevoir les expositions, permanentes ou provisoires. C’est pourquoi Anne Querinjean et son équipe se sont demandés comment faire du Musée L un véritable lieu de référence pour leur public cible, les étudiants de l’Université Catholique de Louvain. Pour comprendre leurs besoins, ils ont mobilisé la théorie du phénomène générationnel. C’est ainsi qu’ils ont décidé de lancer le concours « STIC Jam », afin de pousser les étudiants participants à trouver eux-mêmes de nouvelles façons de découvrir et faire découvrir le Musée L. Nous avons vu grâce à Laurence Allard que le « STIC Jam » permettait au Musée L de suivre un chemin similaire à celui emprunté à l’industrie culturelle créative, lui permettant ainsi de rester dans les tendances actuelles touchant la production et la consommation culturelle.  De plus, nous avons vu que l’aspect interdisciplinaire et multiculturel des équipes participant au projet pourrait permettre de passer outre certaines barrières à l’accessibilité du musée telles qu’elles ont été mises en évidence par Bourdieu. Cette interdisciplinarité permet aussi la recherche de solutions invitant chaque visiteur à donner un sens aux œuvres, à encourager la pluralité des significations possibles.

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19En parallèle à ces différents aspects de réflexion, nous avons pu constater que le projet « Art’propriation » était un exemple très judicieusement choisi par Anne Querinjean puisqu’il représente un aboutissement concret remplissant les objectifs théoriques que le Musée L s’est fixés, à savoir combler les besoins des étudiants mis en évidence par le phénomène générationnel et faire de ces derniers leurs ambassadeurs. À l’heure actuelle, le projet est sur le point d’aboutir, 30 étudiants sont en effet arrivés au bout du processus. Et si des résultats manquent encore pour déterminer l’efficacité concrète de ce vaste projet et que les hypothèses relatives au phénomène générationnel sur lesquelles repose cette initiative ne sont pas universellement reconnues, ce concours représentera à coup sûr une étape marquante dans la poursuite de l’accomplissement des objectifs du Musée L, dans sa fonction de musée universitaire.

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Bibliographie

Bourdieu Pierre & Darbel Alain, 1969 : L'amour de l'art, Paris, Minuit, p. 69-95.

 

Allard Laurence, 2010 : « Britney Remix : singularité, expressivité, remixabilité à l’heure des industries créatives. Vers un troisième âge de la culture ? », Poli, n° 1, p. 1-61.

 

Passeron Jean-Claude & Pedler Emmanuel, 1999 : « Le temps donné au regard : enquête sur la réception de la peinture », Protée, vol. 2, n° 27, p. 108.

 

Schall Céline & Vilatte Jean-Christophe, 2015 : « L’influence des représentations du “ grand public” sur la production d’une exposition d’archéologie », Série Actes n° 26, p. 181-194.

Pour citer cet article

Christophe Vandromme, «Impliquer le public dans le processus de médiation : focus sur le concours « STIC Jam » du Musée L», Les Cahiers de Muséologie [En ligne], Hors-série n° 1, Regard des étudiants, 243-247 URL : https://popups.uliege.be/2406-7202/index.php?id=691.