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Marjorie Botelho & Claudio Paolino

L’Écomusée rural de Barra Alegre : une initiative de préservation du patrimoine des zones rurales1

(Hors-série n° 2)
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Résumé

Cet article présente l’Écomusée rural de Barra Alegre (dans la municipalité de Bom Jardim, État de Rio de Janeiro), qui s’est développé au profit de la reconnaissance et de la valorisation de connaissances et de pratiques particulières à son territoire. Face au risque de perte de références culturelles, cet écomusée a favorisé le maintien de l’identité locale, notamment par l’enregistrement des savoirs traditionnels, et en encourageant la transmission de ceux-ci. Non moins importants, les divers partenariats qu’il a noués ont contribué à la réalisation d’activités quotidiennes ainsi qu’aux résultats déjà obtenus par ce musée.

Mots-clés : ruralité, écomusée, patrimoine, connaissances traditionnelles

Abstract

This article presents the Rural Ecomuseum, situated in the District of Barra Alegre (State of Rio de Janeiro), developed in favor of the recognition and valuing of its territory’s peculiar knowledge and practices. It argues that, in face of the risk of loss of cultural reference, the Ecomuseum has contributed for the maintenance of local identity, especially by means of registering and stimulating the transmission of traditional knowledge. Partnerships that contribute to the accomplishment of daily activities are also highlighted, as well as the results already reached by the Rural Ecomuseum.

Keywords : rurality, ecomuseum, heritage, traditional knowledge

1Nous sommes une organisation rurale active dans le village de Santo Antonio, district de Barra Alegre, commune de Bom Jardim. Cette municipalité, avec ses quelques 25 000 habitants, se situe à l’intérieur de l’État de Rio de Janeiro et compte quatre districts, dont celui de Barra Alegre, considéré comme l’un des plus ruraux. Ce dernier ayant récemment été identifié comme le nouveau district industriel de la commune, il a accueilli un ensemble d’usines, actuellement en cours d’installation aux alentours de son centre. Cela a déclenché un processus de dégradation de l’identité locale, du fait de l’embauche de nombreux agriculteurs dans les usines, de l’arrivée de nombreuses personnes d’autres régions du pays, de l’apparition de divers projets immobiliers, et du non-renouvellement par le gouvernement local des partenariats noués avec des organisations axées notamment sur l’éducation rurale.

2Dans ces territoires de campagne, on rencontre de nombreuses personnes porteuses de connaissances acquises via l’oralité, ou autrement dit, ayant appris de leurs parents ce que ces derniers avaient eux-mêmes appris de leurs grands-parents, et ainsi de suite. Ces connaissances sont considérables : la fabrication du pain à partir de farine de maïs provenant du moulin à eau ; l’élaboration de remèdes maison composés d’herbes trouvées dans la forêt ; la production du savon à base de graisse de porc ; la préparation de compotes à partir de fruits provenant de son propre verger ; la confection des quiçambas, ces paniers tressés avec une sorte de bambou ; et bien d’autres savoirs. Sans oublier les manifestations culturelles qui se maintiennent à travers le temps, telles que la Fête des Rois, la danse du mineiro pau et les défilés du boi pintadinho2.

3Ces connaissances ont besoin d’être diffusées et valorisées, l’automatisation croissante des processus de production entraînant la disparition de leurs formes traditionnelles et artisanales. Les plus anciens affirment que le bon pain ne provient que des moulins à eau, car c’est le frottement du maïs sur la meule qui donne à sa farine, la fubá, son goût authentique. Cependant, compte tenu de la facilité avec laquelle tout peut être acheté dans les supermarchés, on ne peut que constater la disparition des engenhocas, les moulins artisanaux.

4Dans le but de contribuer à ce que la transformation en cours dans le district de Barra Alegre préserve l’identité rurale de cette région, nous avons établi des partenariats avec le ministère de la Culture, la Fondation nationale des arts (FUNARTE), l’Institut brésilien des musées (IBRAM), les Surintendances de l’audiovisuel, de la lecture et de la connaissance, de la culture et la société, des musées, ainsi que l’Institut du patrimoine culturel de l’État (INEPAC), en participant à des appels à projets qui nous ont permis de réaliser des actions prépondérantes en vue de la sauvegarde de cet important patrimoine culturel existant à l’intérieur de l’État de Rio de Janeiro.

5Nos actions sont centrées sur la promotion de la lecture et des arts en général, sur la préservation du patrimoine culturel matériel et immatériel présent dans les zones rurales, et sur l’obtention de politiques culturelles à destination de ces régions. Le souci de valorisation et de préservation des savoirs et savoir-faire présents en milieu rural, le mode de vie des communautés traditionnelles, l’importance du « modus operandi » des campagnes, ont guidé les actions développées par notre organisation.

6Au long des dernières années, nous avons construit un espace éducatif de culture connu sous le nom de Sobrado Cultural Rural, qui regroupe un ensemble de structures comme la bibliothèque Conceição Knupp Amaral (in memoriam), en hommage aux femmes de la campagne ; le hangar-atelier d’art Mafort, en hommage à la famille qui nous a aidés à construire cet équipement culturel, ainsi qu’aux agriculteurs familiaux ; la Bibliothèque des arts visuels Armando de Barros, en hommage à ce professeur de l’Université Fédérale Fluminense (in memoriam) qui a contribué à élargir notre vision des arts visuels ; et enfin l’Écomusée rural de Barra Alegre, qui comprend une collection de photos, de documents vidéos et d’objets relatifs aux connaissances et aux savoir-faire ruraux.

7Nous estimons que les actions muséologiques doivent dialoguer avec différents langages artistiques pour stimuler la créativité et une vision critique du monde. C’est pourquoi toutes les actions entreprises, qu’il s’agisse de la promotion de la lecture et des arts en général, d’incidence politique pour la garantie des politiques publiques destinées aux zones rurales ou la préservation du patrimoine matériel et immatériel, se trouvent articulées à la quête du droit à la culture, dans sa dimension d’accès, de production et de jouissance culturelles, et dans la préservation de la diversité culturelle de notre pays.

8En ce sens, nous avons développé des actions visant la valorisation et la reconnaissance des maîtres des savoirs populaires, ainsi que la promotion de la préservation de la culture présente dans les zones rurales, par la production de documentaires, de livres, et l’organisation d’ateliers d’éducation patrimoniale. Cet ensemble d’actions, combiné à la participation à des réseaux tels que le Réseau de muséologie sociale de Rio de Janeiro, le Réseau des Pontos de memória, le Réseau Brasil Memória em Rede, et à des forums tels que le Forum des musées et le Forum des Pontos de Cultura (du programme Cultura Viva), nous a permis de mettre à l’agenda des politiques publiques l’importance des actions destinées aux zones rurales.

9Nous faisons également partie du Réseau des maîtres et griots du Ministère de la Culture qui, en hommage à Everaldo Mafort, dit aussi Maître Toninho (né à Santo Antonio, Bom Jardim), a apporté sa reconnaissance aux activités que nous avons réalisées dans les écoles publiques, encourageant les enfants et les adolescents à interagir avec l’univers de cet agriculteur, de la plantation des boutures à la confection des quiçambas com taquara, les panières de joncs tressés, en tant qu’actions visant la préservation de la tradition orale.

10Parallèlement ont été développés pour les enfants et les adolescents des ateliers de photographie artisanale, utilisant des boîtes à chaussures et/ou des bidons de lait pour enregistrer la mémoire de la communauté. Cette action implique un processus reconnu par l’UNESCO comme une « alphabétisation du regard », qui promeut la lecture visuelle et l’éducation patrimoniale en faisant usage de la photographie comme support pédagogique. Elle a également engagé le Ministère de la Culture, qui nous a concédé le statut de Ponto de leitura (« point de lecture »), tandis que la Fondation nationale des arts (FUNARTE) nous a reconnu comme Bibliothèque des arts visuels.

11Nous avons réalisé l’action Trilhas pela memória rural (« les sentiers de la mémoire rurale »), en enregistrant les histoires de vie des habitants de la campagne. Cette initiative a déjà donné lieu à la réalisation de plus de vingt histoires de vie, parmi lesquelles il vaut la peine de mentionner le documentaire Saberes e Tradições Culturais Rurais (« Savoirs et traditions culturelles rurales »), qui raconte la trajectoire de la Folia de Reis do Divino Espírito Santo (« la Fête des Rois du Divin Saint-Esprit ») de Barra Alegre, une manifestation populaire importante dans la commune de Bom Jardim ; le documentaire Rezas e Ervas (« Les prières et les herbes »), réalisé en partenariat avec le Point de culture Mãos de Luz (« les mains de Lumière »), qui décrit le processus de production de la pommade miracle produite par les maîtres de la tradition orale, herboristes et rezadeiros porteurs de prières du groupe Grãos de Luz (« Grains de Lumière »), venus du district de Lumiar à Nova Friburgo ; et la Collection Saberes e Tradições Rurais (« Savoirs et traditions rurales »), qui présente, à l’occasion de sa troisième édition, diverses situations vécues quotidiennement par les habitants des zones rurales, telles que la fabrication du pain de maïs dans un four à bois, mobilisant plusieurs générations de la même famille, le souci pour le reboisement et l’agriculture durable, la participation des habitants à la construction du village, la vie des agriculteurs dans les champs, la production de remèdes maison à base de plantes médicinales, etc. Ces documentaires ont été réalisés en partenariat avec le Secrétariat d’État à la culture de Rio de Janeiro et l’Institut brésilien des musées (IBRAM).

12Enfin, il convient de mentionner le partenariat initié avec l’Institut national du patrimoine culturel (INEPAC) de l’État de Rio de Janeiro dans le cadre de deux actions importantes de valorisation du patrimoine culturel matériel et immatériel des zones rurales de l’intérieur de cet État, à savoir : la production du livre Agricultores do Estado do Rio de Janeiro (« Les agriculteurs de l’État de Rio de Janeiro »), qui raconte l’histoire de la colonisation de la région montagneuse de l’arrière-pays à travers les parcours de vie de cinq familles du village de Santo Antonio, une collection photographique sur les modes de vie de cette population, rendant compte des formes traditionnelles et artisanales de production et des modes de vie typiques des habitants des campagnes, à laquelle s’ajoute un inventaire du patrimoine rural de Barra Alegre.

13Le livre Agricultores do Estado do Rio de Janeiro est constitué d’une série d’enregistrements et d’entretiens réalisées avec des habitants des zones rurales qui racontent le passé de ces régions et les conditions de vie à la campagne. Ces entretiens ont généralement impliqué les habitants propriétaires d’une maison, leurs voisins et parents, parmi d’autres intervenants, et ont constitué un moment de partage pour ces gens de la campagne qui veulent aussi être entendus, qui ont aussi quelque chose à dire et qui, tout en restant en phase avec les changements du monde, veulent préserver les modes de vie traditionnels pour survivre. Nous avons également réalisé l’inventaire culturel, élaboré en partenariat avec l’Association des habitants, producteurs ruraux et artisans de Barra Alegre et le Collège de l’État Leopoldo Oscar Stutz, sur la base du catalogage des biens meubles et immeubles, expression de l’héritage historique, artistique et culturel des modes de vie présents dans les principaux villages du district de Barra Alegre, l’un des plus ruraux de Bom Jardim, et qui se transforme aujourd’hui en nouveau pôle industriel de cette commune.

14En ce sens, les actions de l’Écomusée rural visent à contribuer à la préservation du patrimoine culturel présent dans les communautés rurales de l’État de Rio de Janeiro, en soulignant l’importance des connaissances et des savoir-faire présents en ces lieux, à travers leur patrimoine matériel et immatériel.

Bibliographie

Paolino Claudio & Botelho Marjorie (org.), 2011 : Agricultores do Estado do Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, INEPAC/Instituto de Imagem e Cidadania/Sobrado Cultural.

Paolino Claudio (dir.), s. d. : Rezas e Ervas (DVD - Documentaire sur le groupe Grãos de Luz de Lumiar à Nova Friburgo), Rio de Janeiro, INEPAC/Instituto de Imagem e Cidadania/Sobrado Cultural.

Notes

1 Traduction : Chloé de Sousa Veiga et Dominique Schoeni. La version originale en portugais de cet article est parue dans un volume des Cadernos do CEOM consacré à la muséologie sociale, publié en 2014 sous la direction de Mario Chagas et Inês Gouveia. Disponible en ligne sur : https://bell.unochapeco.edu.br/revistas/index.php/rcc/issue/view/168.

2 NdT : Le mineiro pau, dans le centre-nord de l’État de Rio de Janeiro, est une manifestation festive populaire qui réunit en une danse collective strictement ordonnée un groupe de personnes, hommes, femmes, adultes et enfants, manipulant de bâtons (« pau ») et chantant en chœur des chansons qui dépeignent la vie quotidienne des communautés rurales. Ces chants sont accompagnés par un orchestre composé d’instruments à cordes, de percussions et d’accordéon. Le défilé traditionnel du boi pintadinho (« le bœuf peint »), dénommé ainsi à Rio de Janeiro mais populaire dans tout le Brésil sous d’autres appellations (boi-bumbá, bumba-meu-boi, boi-calemba, bumba-de-reis), met en scène la figure d’un bœuf qui danse, meurt et ressuscite. L’origine de cette manifestation fait toujours l’objet de débats entre ses spécialistes dans le domaine des sciences humaines et sociales.

Pour citer cet article

Marjorie Botelho & Claudio Paolino, «L’Écomusée rural de Barra Alegre : une initiative de préservation du patrimoine des zones rurales1», Les Cahiers de Muséologie [En ligne], Hors-série n° 2, 131-136 URL : https://popups.uliege.be/2406-7202/index.php?id=1334.