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Bernard Vandermeersch

Quand les cloches se taisent. Acteurs et enjeux autour de la suppression d’une paroisse (Saint-Nicaise de Tournai, 1769-1773)

(Vol. 44 - 2022)
Article
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Résumé

La suppression de la paroisse Saint-Nicaise de Tournai en 1769 rencontre des difficultés. Cinq acteurs s’opposent sur l’opportunité de cette suppression : l’évêque, le chapitre cathédral, le gouvernement, la municipalité et les paroissiens. Ils se divisent, pour ou contre la suppression, mais, paradoxalement, ils partagent les mêmes idées sur l’utilité d’une paroisse : plus qu’une institution religieuse, c’est une structure économique et sociale.

Index de mots-clés : Saint-Nicaise, Tournai, Table des pauvres, dîme

Abstract

The suppression of the parish Saint-Nicaise of Tournai in 1769 encountered some difficulties. Five actors argue about the suppression: the bishop, the cathedral chapter, the government, the city and the parishioners. Even if they disagree, they share the same view on the parish’s utility: more than a religious institution, it is an essential socio-economic structure in the local community.

Index by keyword : Saint-Nicaise, Tournai, Poverty relief, Tithing

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Introduction

1« En 1770, les habitants du faubourg Saint-Martin furent traumatisés par la démolition de leur église paroissiale Saint-Nicaise », se souvient le site internet de la paroisse Notre-Dame-auxi­liatrice, qui lui succède aujourd’hui, presque deux cents cinquante ans plus tard1. Les troubles importants qui éclatent lors de la suppression, traînant de 1769 à 1773, semblent avoir frappé durablement les esprits. Ils permettent de s’interroger sur l’attachement que les fidèles portent à leur église, la place de la paroisse dans la vie locale et le rôle des autorités supérieures.

2Fondée en 1256 – dédiée à Nicaise, évêque de Reims (5e s.) –, dotée principalement par deux donatrices, la paroisse était destinée à décharger la paroisse Notre-Dame saturée2. Depuis le Moyen Âge, jusqu’à la fin du 18e siècle, la ville de Tournai (rive gauche) était sous l’autorité du chapitre cathédral, le « curé primitif » de la ville3. La paroisse Saint-Nicaise dépendait du chapitre, patron des bénéfices et décimateur dans Tournai. En février 1769, après que les paroissiens ont réclamé de grandes dépenses pour restaurer l’église menaçant ruine, le chapitre a introduit une procédure de suppression auprès de l’évêque. La suppression de la paroisse est décrétée en juillet 1769, décret épiscopal confirmé par décret royal en juin 1770. En décembre 1770, le chapitre entreprend la destruction de l’église sous les quolibets de la foule. Suite aux difficultés, la procédure traîne encore trois ans avant que les derniers effets et argenteries de la paroisse soient distribués et la comptabilité enfin close.

3Plutôt qu’une reconstitution détaillée de la procédure de suppression4, on propose d’étudier le rôle et les intérêts divergents des acteurs dans cette affaire. Philippe Guignet a identifié quatre acteurs pour les questions paroissiales dans Tournai aux Temps modernes5 : d’abord l’évêque, son autorité rehaussée après le concile de Trente, puis le chapitre cathédral, dont l’autorité est inversement dévaluée (mais encore redoutable), ensuite le pouvoir municipal, un concurrent atavique des autorités ecclésiastiques, enfin les notables de la paroisse, qui se ménagent une autonomie en jouant des oppositions entre les trois acteurs précédents. Nous y adjoindrons un cinquième acteur : le gouvernement central, dont le rôle est déterminant.

1. L’évêque de Tournai

4L’évêque, Mgr François-Ernest de Salm-Reifferscheid6, est le grand absent du processus de suppression. Âgé de septante ans passés, lorsqu’il est sollicité par son chapitre cathédral, il prononce la suppression, par un décret du 19 juillet 1769, mais il décède avant l’exécution à Strasbourg le 16 juin 1770. Il exerce ses prérogatives épiscopales, telles qu’elles sont définies par les canons7, puisque il lui revient la décision de suppression après l’enquête canonique. Il confie l’enquête, dite de commodo et incommodo de la suppression à l’abbé de Saint-Martin, dom Robert Delezenne8. Ce dernier assure sa commission du 5 février au 5 juillet 1769.

5L’épais rapport, rendu par l’abbé de Saint-Martin, se conclut d’un avis favorable à la suppres­sion9. Il avance des considérations d’ordre pratique : le nombre élevé de paroisses à Tournai, le coût de la rénovation de l’édifice, les faibles revenus des bénéfices attachés à l’église, enfin l’annexion facile du territoire paroissial aux paroisses contiguës.

6Le curé de Saint-Nicaise, lui-même, a volontiers consenti à la suppression. D’après l’enquête canonique menée par l’abbé de Saint-Martin, il jouit d’un revenu de 795 florins/an. Sans être négligeable, ce revenu n’est pas fameux. La « compétence pastorale » (plus communément, la portion congrue), la part des revenus de l’église réservée au traitement du curé, avait été fixée au milieu du 17e siècle, par divers synodes et jugements10, à 700 florins pour les paroisses urbaines. Au début du 18e siècle, le curé de Saint-Nicaise avait essayé en vain11, de se voir attribuer une portion congrue de 480 fl. par le chapitre, à une époque de guerre où les finances de la cure étaient obérées. En 1769, le traitement des curés des deux paroisses voisines de Saint-Nicaise, Notre-Dame et Saint-Quentin, est aussi faible : 712 et 646 florins/an. Grâce à la suppression, le traitement des pasteurs de ces deux paroisses contiguës sera revalorisé. Le curé de Saint-Nicaise était assisté de deux chapelains : non pas les desservant d’une cha­pellenie, mais plutôt des vicaires au sens moderne de l’expression12. Ces deux chapelains (plus un troisième non résident) ont aussi accepté la suppression de leur bénéfice, sous l’assurance d’un transfert revalorisé dans les paroisses contiguës. Pour le clergé subalterne, la suppression de la paroisse est financièrement intéressante. On sait que, à la fin du 18e siècle, le clergé paroissial se plaint à maintes reprises de revenus insuffisants pour assurer sa subsistance13.

7L’évêque de Tournai justifie la suppression de Saint-Nicaise par le besoin de bons prêtres, qui soient attirés en ville par des cures avec de bons revenus. Cet argument, promu par le chapitre cathédral, a fait mouche : il vaut mieux moins d’églises, mais bien dotées, que de nombreuses paroisses où le clergé est mal rétribué.

8Certes, l’édit de suppression porte la signature de l’évêque, mais ses adversaires assurent que « l’évêque ne l’a souscrit que par surprise14 ». Dialectique classique, qui voile pudiquement la décision impopulaire d’une autorité que l’on veut épargner. Après le décès de l’évêque, et en l’absence de successeur – l’évêché reste vacant six ans –, il est d’autant plus expédient pour les adversaires d’épargner cette autorité. Leur colère se concentre contre le chapitre cathédral.

2. Le chapitre cathédral, décimateur et « curé primitif » de Tournai

9Les règles qui répartissent la charge financière des paroisses sont déterminées par la coutume, variable géographiquement, et par l’édit des Archiducs de 1611-161315. Cet édit, d’abord pu­blié en Brabant en 1611, puis étendu à la Flandre en 1613, réglait le sort des églises et pres­bytères endommagés suite aux guerres de Religion. Il faisait peser la charge de la rénovation sur les décimateurs à hauteur de deux années de six du produit de la dîme. À travers une juris­prudence favorable aux communautés paroissiales qui s’est développée au cours des 17e et 18e siècles, cet édit acquit bientôt valeur de règle générale et abstraite, dans l’ensemble des Pays-Bas16. Il fait peser la charge de rénovation et même de l’entretien des églises sur les décima­teurs (à hauteur de deux années de six du produit de la dîme), en arguant de la destination originelle des dîmes comme un « impôt d’église ». Un décret de Marie-Thérèse du 25 septembre 1769, applicable aux paroisses rurales, viendra terminer la tendance en assignant ces charges, « sans échappatoire17 », aux décimateurs.

10Quand, en décembre 1768, les notables et égliseurs de la paroisse Saint-Nicaise se sont adressé au chapitre cathédral, ils escomptaient lui faire assumer la rénovation complète de l’église menaçant ruine. Par exploit de huissier, ils exigent que le chapitre intervienne en sa qualité de décimateur et « curé primitif » de la ville de Tournai. En janvier 1769, ils saisissent le Conseil de Flandre, la juridiction compétente pour les litiges en matière de dîme. Par le passé, le chapitre a dû assumer ses obligations envers Saint-Nicaise. Après les sièges de Tournai, en 1709 et 1745, et l’explosion de la poudrière (1745), le chapitre a payé diverses ré­parations à l’église et son clocher, après procès. Nul doute qu’un nouveau procès se soldera par une énième condamnation. Les chanoines, prévoyant cette issue, ont donc suggéré à l’évêque la suppression et, concomitamment, obtenu du Conseil privé la surséance du procès au Conseil de Flandre.

11Ces messieurs du chapitre – les archives le montrent bien18 –, font habilement jouer leurs rela­tions à la cour. Résidant tous deux à Bruxelles, les chanoines Louis d’Everlange de Witry, su­rintendant du cabinet des raretés du duc de Lorraine, et Corneille-François de Nelis, un proche de Cobenzl, défendent les intérêts de leur cathédrale dans les salons feutrés du ministère. De surcroît, le chapitre dépêche plusieurs fois des délégués extraordinaires, notamment le comte Jean-Gaspard de Woestenraedt, chancelier de l’évêque19, pour défendre sa cause. Face à un tel déploiement d’intrigues mondaines, ses adversaires, les paroissiens sont désarmés.

12Ses adversaires ont tôt fait d’accuser le chapitre cathédral d’être guidé « par la vûe la plus vile de l’intérêt20 ». D’ailleurs, le chapitre ne fait même pas mystère qu’il est motivé par des considérations financières. Il a admis que la suppression coûterait moins cher et réduirait aussi le nombre de procès – un argument qui ne manque pas de cynisme, si l’on observe que les juges ont toujours été saisis à cause des atermoiements des chanoines eux-mêmes.

13Les chanoines se défendent dans une consultation qu’ils font imprimer en réponse aux libelles contraires diffusés dans Tournai21. Tout l’argument tourne autour de l’idée qu’il y a bien trop d’églises, mal dotées, et trop peu de prêtres, mal rémunérés. L’argent doit aller aux hommes, non aux bâtiments. « Puisqu’il faut le dire, nous le dirons librement ici & sans crainte. Toutes ces Églises entassées les unes sur les autres ne sont pas l’ouvrage d’une Piété éclairée et so­lide. » Les chanoines avancent aussi qu’ils tirent peu de revenus de la ville de Tournai, dont les paroissiens (ingrats) réclament. Leurs richesses proviennent d’ailleurs (« cependant la consommation s’en fait dans Tournay, qui, sans ces hôtes, serait bientôt une des plus minces bourgades des Pays-Bas »). Ils se justifient en réclamant les fondations du chapitre dans la ville de Tournai : hospice, hôpital, orphelinats, bibliothèque, etc.

14Ils doivent aussi, en application du décret de suppression de l’évêque, procéder à des aména­gements. Il leur incombe l’édification d’une chapelle succursale au faubourg Saint-Martin, où s’étendait auparavant la paroisse Saint-Nicaise extra muros – là où s’élève aujourd’hui la pa­roisse Notre-Dame-auxiliatrice. Ces travaux doivent obvier à toutes contestations ultérieures. Ils ont été ordonnés par l’évêque pour assurer le confort aux paroissiens malgré cette suppression. L’établissement de la chapelle succursale hors-les-murs est prévu comme un net progrès pour le faubourg. Problème récurrent au 18e siècle, dû au grignotage de territoires ruraux par les villes depuis le Moyen Âge, la coupure de paroisses dans et hors les murs d’enceinte justifie la plupart des réformes de circonscriptions paroissiales au 18e siècle22.

15En février 1771, le Conseil privé est saisi de plaintes contre le chapitre. Il n’a toujours pas entrepris la construction de l’église-succursale. En revanche, il procède triomphalement à la démolition de la vieille église. Les paroissiens se plaignent, qu’ils se retrouveront sans lieu de culte, peut-être un hiver de plus. (« Il est surprenant que le chapitre de Tournai, contre lequel tout le monde dans cette ville et nommément tous les paroissiens de l’église de Saint-Nicaise sont indisposés (…), bien loin de s’efforcer de calmer les esprits23… »). Les chanoines jettent-ils de l’huile sur le feu en négligeant les paroissiens ? Un rapport du procureur général du baillage, Joseph-Maximilien de Bettignies, vient toutefois rectifier l’impression négative tombée sur le chapitre. Ce rapport incrimine les paroissiens.

3. Les paroissiens de Saint-Nicaise

16Selon le procureur général du baillage de Tournai-Tournaisis, les paroissiens ont multiplié les malveillances24. En fait, dès janvier 1771, le chapitre avait signé un devis et fait entreprendre les travaux d’excavation pour édifier la chapelle succursale. L’entrepreneur a immédiatement ouvert le chantier. Il a creusé les fondations de l’église et dû creuser un puis d’eau, car les ha­bitants du voisinage lui ont refusé l’accès à leurs puits pour fabriquer son mortier. La nuit, des vandales sont allés briser les échafaudages et combler les fosses d’excavation. L’entrepreneur, quand il est apparu qu’il recyclait des matériaux de l’ancienne église, pour édifier la nouvelle chapelle succursale, a été assigné par le magistrat de Tournai en contestation de la propriété et usage de ces matériaux de seconde main. Lui-même et ses ouvriers sont les cibles de chansons moqueuses. Vu les malveillances, le chantier est à l’arrêt.

17Plus tard, en avril 1771, le chapitre subit encore des huées lors des processions des rogations. Un groupe de mécontents s’est réuni dans un cabaret sur le faubourg Saint-Martin, et avec des violons, chapeaux en tête, les portes et fenêtre ouvertes, ils font du vacarme au passage de ces messieurs (« un bruit affreux »). Le chapitre est obligé d’organiser les processions à l’intérieur de la cathédrale les jours suivants. Plusieurs chanoines ont été menacés, « les uns d’être mal­traités, les autres d’avoir les glaces de leur voitures cassées, les autres (…) d’être jetés en bas des remparts25… » (« Les insolences de cette populace augmentent tous les jours à l’abri de l’impunité », se plaignent les chanoines). Le 8 mai, le chapitre délègue à Bruxelles les chanoi­nes de Woestenraedt et d’Everlange pour se plaindre auprès du duc de Lorraine26.

18Tous ces incidents, et quatre mémoires imprimés et distribués dans Tournai27, pendant le mois d’août 1769 et à l’automne 1770, donnent quelques indications sur les raisons des paroissiens. En particulier, deux raisons méritent l’intérêt. Elles expliquent la virulence des réactions.

19La première raison porte sur la procédure. Durant toute l’information de commodo et incom­modo de la suppression, sous la commission de l’abbé de Saint-Martin, les paroissiens ont à peine été entendus, tandis que les chanoines n’ont même pas comparu. C’est dire que l’affaire était déjà décidée. Le chapitre a intrigué auprès de l’évêque et du gouvernement pour en obte­nir, dans le dos des premiers intéressés, la destruction de leur chère paroisse… Il a corrompu l’abbé, le curé et ses chapelains pour les détourner des ouailles. La procédure a été obscure et sans publicité. « Le tout a été trop secret pour eux28. » D’autres manœuvres montrent la malignité des chanoines. L’annonce formelle de suppression durant l’été 1770 a été différée, après la dédicace de l’église, que l’on appelle à Tournai le sacre, qui avait lieu à la Saint-Roch (16 août). (« Ces fêtes pieuses dans leur origine… », écrit le procureur du baillage, « donnant lieu à Tournai et spécialement dans la paroisse Saint Nicaise à des grandes réjouissances et débau­ches, le mécontentement des paroissiens en augmenterait considérablement »). Cette mesure de précaution a permis d’éviter des désordres, mais elle a été ressentie comme une manœuvre dilatoire déshonnête. Plus tard, les travaux d’édification de la chapelle succursale sont entrepris par le chapitre, sans consultation préalable de la population, qui n’a aucune part dans le choix du style ou la décoration du lieu de culte29. On doit observer ici que la vie paroissiale se caractérise par son organisation démocratique depuis le Moyen Âge30. Élus par la population, quatre marguilliers gèrent les biens d’église, ils veillent à son entretien et sa décoration (deux « égliseurs ») ; ils ont la charge de la bienfaisance (deux « pauvriseurs »). Lorsque le chapitre cathédral démolit l’église et reconstruit une chapelle sans la moindre concertation, il viole une vieille tradition auto-gestionnaire. Les égliseurs et les pauvriseurs sont d’ailleurs suspectés par le Conseil privé d’être les meneurs de l’opposition31, fâchés qu’ils sont de perdre leurs titres, leur rôle ou statut de notable dans la société locale.

20La seconde raison de la colère des habitants est peut-être inhérente à la première. La paroisse a compté, selon un recensement effectué vingt ans auparavant, en 1742, mille six cents habi­tants, répartis en trois cents vingt et un foyers, et en 1737 mille huit cents soixante-deux habi­tants32. Un rapide examen du recensement de 1742 montre qu’elle est habitée en majorité par des laboureurs, « tricoteuses », ouvriers divers. Le curé de Saint-Nicaise en 1712 écrivait déjà que la paroisse était populaire (« tous les habitans d’icelle sont pour la plus part pauvres gens et dignes de la charité de leur curé s’il éstoit en estat de leur en faire33 »). En 1770, le tissu social de Saint-Nicaise n’a guère changé. Les défenseurs de la paroisse en tirent conséquence34 : « Parce qu’elle n’est pas (…) habité[e] de gens riches, doit-on la supprimer ? ». On comprend que les paroissiens nourrissent de la rancune pour les chanoines (ces gras prébendés), qui les dépouillent de leur église. Ils se sentent dédaignés. On comprend que les troubles, les chahuts et les sabotages du chantier sont les derniers recours des impuissants.

21Des troubles lors de l’inventaire des actes et titres de la paroisse (voir infra), le magistrat saisit l’occasion en novembre 1770 pour s’inquiéter de la disposition de la Table des pauvres35. Par incidence, il révèle là la racine du mal, la cause profonde des désordres et du mécontentement. Il observe à propos que les opposants ont été les plus pauvres de Saint-Nicaise, ceux qui béné­ficiaient de la charité de la paroisse, qui craignent d’être lésés par une nouvelle circonscription de la pauvreté. Le magistrat suggère que la Table des pauvres, qui est d’ailleurs indépendante de la paroisse, au plan comptable, soit conservée dans son intégrité. Le Conseil privé se rend à cet avis et il conservera l’administration des pauvres dans sa forme ancienne.

22La ville de Tournai est confrontée au 18e siècle à une mendicité importante, sinon endémique. La lutte contre le paupérisme est une préoccupation des édiles36. Le décret de suppression de Mgr de Salm-Reifferscheid décrivait d’ailleurs « une ville peu riche et peu commerçante », où le clergé était mal doté37. Le procureur général du baillage, Joseph-Maximilien de Bettignies, rapporte aussi que, sur son conseil, le chapitre cathédral a multiplié les aumônes dans le quartier38. Cette politique a permis d’apaiser les adversaires, parce qu’ils étaient surtout inquiets de voir l’aumône se tarir.

4. Les consaux de la ville et cité de Tournai

23« Mais la nonchalance du Magistrat », ajoute le procureur général39, « ou pour mieux dire son indifférence (…), et les conseils sans doute de gens prévenus et enthousiasmés, ralluma un feu mal éteint. » L’administration communale de Tournai, divisée en deux collèges40, est désignée à juste titre par Philippe Guignet comme un acteur important dans la vie paroissiale41. Elle dé­lègue un représentant à l’audition des comptes de l’église et de la pauvreté. En cette qualité de surintendant de la pauvreté – on l’a vu –, le magistrat s’inquiétait de la disposition de la Table des pauvres. Sauf cette inquiétude, on doit observer que les « consaux » (les échevins) restent relativement passifs face à la suppression de la paroisse Saint-Nicaise.

24Tournai compte, d’après le recensement général de la population de 1784, ce compris les fau­bourgs rattachés aux paroisses urbaines, environ trente mille habitants —à peu près vingt-cinq mille intra muros42. Un recensement de 1774 donne vingt-deux mille huit cents quarante-neuf habitants intra muros43. Neuf paroisses desservent la rive gauche (diocèse de Tournai) et trois la rive droite (archidiocèse de Cambrai). À comparer à d’autres villes des Pays-Bas (en 1786), cette proportion est effectivement élevée44 : Louvain, cinq paroisses (20.621 hab.), Mons, six paroisses (19.200 hab.), Bruges, huit paroisses (30.504 hab.), etc. À l’échelle communale, il y a effectivement trop de paroisses à Tournai, et peut-être les consaux le reconnaissent-ils. Il est vrai aussi que le magistrat de Tournai n’a pas les moyens d’avoir le verbe haut. Contraint par la quasi-banqueroute à demander l’aide du gouvernement en 1762, il est soumis à une profon­de réforme. En 1769, plusieurs ordonnances ont réglementé et remanié les finances publiques. Les coupes budgétaires réduisent de moitié les aumônes que le magistrat dispense chaque an­née45. Les finances de la ville imposent un profil bas.

25Le premier geste des consaux est tardif. En septembre 1770, soit un an après le décret de suppression de l’évêque, et trois mois après la ratification par le souverain, ils demandent à être entendus par le Conseil privé pour défendre la paroisse46. (Leur requête est rejetée.) Ils justifient leur requête en défendant l’utilité du maillage paroissial. À quoi sert une paroisse ? Elle remplit, disent les édiles, une double fonction : l’instruction et l’aumône. Négligées, ces deux fonctions entraînent du désordre. Le défaut d’instruction morale et d’éducation au tra­vail fait « des vagabonds et des scélérats ». Mal distribuée, l’aumône est volée des mains des « bons » pauvres, pour alimenter la fainéantise des « mauvais » pauvres. Le curé d’une petite paroisse, qui connaît bien ses paroissiens, sera le meilleur garant d’une saine gestion de ces deux piliers de l’ordre social. Les édiles finissent leur mémoire par un autre témoignage d’utilitarisme, ici dirigé contre le chapitre : « S’il y a de la réforme à faire, la raison veut que ce soit les plus utiles qui soient les plus épargniez, et il n’est pas douteux, qu’après le ministère épiscopal, ce sont les curés les plus nécessaires ». On comprend que les chanoines, quant à eux, sont complètement inutiles.

26Outre cette requête au Conseil privé, le magistrat de Tournai apporte son concours aux paroissiens par la chicane dans des procédures devant le tribunal échevinal – par exemple en contestant l’usage des matériaux recyclés de l’ancienne église. Surtout, il se démarque par un défaut d’activité. En particulier, il s’abstient de poursuivre et punir les agitateurs.

27La démolition de l’église a commencé à la mi-décembre 1770. Le 26 décembre, au grand ma­tin, la populace a forcé les portes de l’église et du cimetière enclos, entré par effraction, a brisé et volé tout ce qui restait dans l’édifice (boiseries, briques, etc.), sans que les sergents de la ville aient rien fait pour s’interposer. Le procureur général du baillage, Bettignies, informé du scandale, s’est rendu sur place et trouva près de deux cents personnes au pillage, une douzaine d’adolescents occupés à briser des ardoises pour s’amuser (« une douzaine de jeunes hommes qui sautoient à corps perdus sur des monts de tuiles et d’ardoises provenant de la démolition et qui les brisaient de gaîté de cœur »). « Quoiqu’ils s’enfuirent aussitôt qu’ils m’aperçurent », l’un fut quand même rattrapé, arrêté et ramené au milieu des dégâts. Les deux cents badauds supplièrent alors le procureur de libérer le garçon, qui concéda, « sous apparence de bienveil­lance de ma part » (« tandis que dans le fonds je craignais… d’être insulté moi-même47 »). Il commit plusieurs huissiers du baillage pour surveiller l’église, mais l’après-midi, les huissiers vinrent lui faire rapport qu’ils avaient quitté leur poste, « pour sauver leur vie », et abandonné l’église à de nouveaux vandalismes. Il a fallu les plaintes conjuguées du procureur et du chapitre pour que le prévôt de Tournai, en charge de la police municipale, consente à envoyer des sergents disperser la foule. Mais aucune poursuite n’a été engagée.

28Les semaines suivantes, les chants paillards et l’animosité sourde contre le chapitre continuent d’animer la ville48. En février, le magistrat publie une ordonnance interdisant ces manifesta­tions hostiles49. Mesure semble-t-il inefficace car, aux feux de la Saint-Jean 1771 (24 juin), un mannequin à l’effigie du chancelier de Woestenraedt, désigné comme le principal artisan de la suppression, sera encore brûlé50. En mai 1771, après d’autres désordres (voir supra), le gouvernement manifeste son « étonnement », et enjoint au magistrat d’intervenir pour faire cesser ces troubles51. Il ordonne le détachement d’hommes de maréchaussée pour surveiller le chantier de la chapelle succursale (« surtout pendant la nuit ») et il autorise le procureur général du baillage à requérir, au besoin, la garnison de Tournai pour rétablir l’ordre52.

29L’histoire de Tournai est traversée par une longue suite de conflits entre les consaux et le cha­pitre53. Quand bien même, à intervalles réguliers, édiles et chanoines cherchent l’accommode­ment, il n’en demeure pas moins de nombreux motifs de heurts, d’ordre fiscal principalement (exécution testamentaire des suppôts du chapitre, accises sur des produits de consommation, etc.). Dans l’affaire Saint-Nicaise, selon notre interprétation, le magistrat s’avoue peut-être le bien-fondé de la suppression, mais il préfère montrer de la complaisance aux paroissiens, pour faire la nique aux chanoines. Le chanoine de Nelis a d’ailleurs prévenu le comte de Cobenzl : « les Magistrats de Tournay (sic)… trop souvent nous cherchent noise54 ». Cependant, grâce à leurs relations de Bruxelles, les chanoines – qui appartiennent à la plus riche église des Pays-Bas, qui contribue annuellement au « don » gratuit – obtiennent davantage de soutien du gouvernement que le magistrat de Tournai – qui a fait aveu de quasi-banqueroute en 1762.

305. Le gouvernement royal et le baillage de Tournai-Tounaisis

31On sait que l’autorité autrichienne a visé au cours du 18e siècle l’ingérence croissante dans les affaires ecclésiastiques. En matière de création et suppression des paroisses, l’édit général sur les fondations de mainmorte datant du 15 septembre 1753, a placé les décisions sous le ressort d’appel des tribunaux civils55. Le gouvernement reconnaît l’évêque pour juge de l’opportunité de création ou de suppression de paroisse ; il a cependant saisi les occasions pour s’en mêler. En l’occurrence, l’ingérence dans la suppression de Saint-Nicaise est permise par la requête au Conseil de Flandre (janvier 1769), de laquelle les chanoines ont demandé au gouvernement la surséance. Le Conseil privé saisit cette occasion pour diriger de loin toute la procédure. En juin 1770, il ratifie la suppression décrétée par l’évêque56 ; en juin 1773, il règlera la distribution des biens meubles et immeubles de la paroisse supprimée57.

32Le rôle du Conseil privé est déterminant. Davantage que les chanoines qui l’ont initiée, « c’est le gouvernement qui veut absolument que cette suppression s’effectue » (Consulte du Conseil privé58, septembre 1770). Malgré – ou à cause – des troubles, un conseiller écrit même « qu’il est de la dignité du gouvernement de ne pas mollir sur l’objet de la suppression ». À première vue, ce qui n’était qu’une querelle banale entre le décimateur, le magistrat et les paroissiens se révèle être une « affaire d’honneur » pour le gouvernement bruxellois.

33L’affaire de Saint-Nicaise peut être évaluée comme une « affaire d’honneur », dès lors qu’elle mobilise plusieurs officiers publics, dont les rivalités éclatent bientôt au grand jour, au risque du discrédit. Lorsque le procureur général du baillage, Joseph-Maximilien de Bettignies, veut procéder à l’inventaire des biens de la paroisse supprimée, il est confronté à de nombreux obstacles59. S’étant rendu à la sacristie, il découvre que les armoires ont été forcées au début de la procédure de suppression, les argenteries emmenées chez un marguillier et les papiers enlevés (titres fonciers, comptes, registres). La veuve du receveur de la paroisse, qui détient ces titres, refuse de les lui délivrer. Elle en confie la garde aux consaux qui, naturellement, lui dénient la saisie. Par ordonnance, ils sont toutefois contraints de libérer les titres. Mais la livraison occasionne de nouveaux désordres, lorsque le procureur général du baillage ordonne le transfert de nuit, précisément dans la vaine tentative d’éviter ces troubles. Au cours du déménagement, les crieurs de nuit, la garde, s’interposent pour empêcher le transport de caisses de documents, en invoquant une ordonnance royale qui interdit tout transport de biens à la nuit tombée (en fait, applicable aux faillis). Déménageurs et crieurs de nuit en viennent aux mains. Alerté, l’avocat fiscal donne raison aux crieurs. Le procureur du baillage et l’avocat fiscal, tous deux officiers du prince60, s’invectivent à leur tour au domicile de ce dernier. Le procureur du baillage perd toute contenance devant l’avocat fiscal (« Ce ne fut que vivacité, termes grossiers et emporte­ments, il traita ce dernier de jeune-homme, il lui reprocha qu’il ne savoit point son devoir et qu’il ne connoissoit point son métier, enfin il poussa son impudence jusqu’à crier contre lui dans la rue… », se plaignent les consaux61). Il faut requérir le prévôt de Tournai pour trancher le différent. Manifestement, la personnalité du procureur, Joseph-Maximilien de Bettignies, a dû prêter le flanc à la critique62, mais il n’en demeure pas moins que la complexité des juridic­tions, l’éclatement et les rivalités fragilisent l’action publique. On a compris que les désordres populaires sont permis par l’inertie du magistrat (ou l’impuissance du procureur du baillage), le corps de police municipale n’étant réformé et unifié qu’en 1783 à Tournai63. Les rivalités entre officiers du prince freinent aussi l’exécution des décisions.

34L’affaire de Saint-Nicaise peut également être évaluée comme une « affaire d’honneur », dès lors que le gouvernement bruxellois s’obstine dans la suppression, qui sera pourtant contredite plus tard. En effet, la politique du Conseil privé est incohérente a posteriori. Après la suppression des jésuites, l’église Sainte-Marguerite à proximité de l’ex-Saint-Nicaise, sera érigée en 1779 – ou refondée, puisqu’elle avait été supprimée en 1674 – comme nouvelle paroisse : moins de dix ans après la suppression de Saint-Nicaise, soi-disant parce qu’il y avait trop de paroisses dans Tournai64.

35À partir de 1786, le gouvernement s’engage dans un vaste plan de reconfiguration du maillage paroissial des Pays-Bas65. Les deux premiers articles des Règles de direction pour la nouvelle distribution des paroisses dans les villes stipulent qu’on multipliera volontiers les paroisses de petites tailles plutôt que de concentrer le personnel ecclésiastique dans de grandes paroisses66. La réforme est motivée par des considérations utilitaristes semblables aux arguments avancés par les consaux, pour défendre la paroisse Saint-Nicaise (voir infra). Le curé est l’éducateur et le policier des mœurs de ses paroissiens, aussi doit-il les connaître personnellement, pour être à même d’en réformer les abus ou les vices. Si, à d’autres égards, on a pu qualifier la politique joséphiste d’anticléricale, en matière pastorale, elle visait la promotion et la multiplication des hommes et des structures67. Elle favorisait les prêtres de paroisse au détriment du clergé régulier ou de chanoines de grands chapitres, comme la cathédrale de Tournai. La réforme de 1786 visait, non pas la suppression, mais la multiplication de paroisses comme Saint-Nicaise68.

36A posteriori, on peut donc s’étonner que le Conseil privé ait donné la main à cette suppression voulue par les chanoines. En 1769/1770, la conjoncture économique défavorable et la quasi-banqueroute de la ville expliquent peut-être le choix de ratifier la suppression, contredite dans les plans du gouvernement seize ans plus tard. L’opposition populaire, loin de l’infléchir, bra­que le Conseil privé dans cette décision qu’il ne veut désavouer.

37Conclusion

38La discorde met au jour des enjeux et des intérêts divergents des acteurs autour de la paroisse Saint-Nicaise. Paradoxalement, elle montre aussi qu’ils partagent les mêmes préoccupations, en ce sens que leurs raisons (pour ou contre) procèdent des mêmes thèmes. On peut envisager trois thèmes dans ce conflit.

39Le thème économique domine. Il justifie la suppression aux yeux des chanoines et de l’évêque de Tournai. La paroisse est avant tout une infrastructure. L’entretien des bâtiments : l’église et la cure, peut être coûteux, tandis que la rétribution du personnel ecclésiastique est, elle-même, déjà un problème récurrent. On ajoutera que le thème économique motive aussi les opposants-paroissiens. En effet, c’est principalement parmi les pauvres que ce sont élevés les oppositions suite à la suppression. Les rapports, les lettres et mémoires qui émanent du chapitre cathédral et du Conseil privé (écrits par des chanoines et des hauts fonctionnaires bruxellois), observent ce fait avec la condescendance du préjugé aristocrate : les paroissiens auraient résisté à la sup­pression par simple réflexe conservateur, par « esprit de clocher », mais sans raison légitime – comme réagissent toujours les petites gens en pareille circonstance. C’était ignorer la question économique. La disposition de la Table des pauvres inquiétait les paroissiens.

40Dans cette affaire de suppression, on peut reprocher aux chanoines d’avoir été guidés par des affaires d’argent, mais il appert que les paroissiens eux-aussi craignaient la dilution des aumô­nes dont ils bénéficiaient jusque-là ; ils étaient également guidés par des affaires d’argent. On aurait tort de réduire leur opposition à l’esprit de clocher.

41Le thème social, ou politique et social, complète la plupart des raisonnements des partisans et des adversaires à la suppression. Il est surtout utilisé par les adversaires, pour justifier la conservation de Saint-Nicaise. Ils défendent la paroisse comme une institution opérant le contrôle social, la police et l’éducation du peuple. À ce titre, ils invoquent la proximité entre le curé et ses ouailles. Cette conception utilitariste de la paroisse motivera les projets de réforme sous le règne de Joseph II, qui ne seront toutefois pas concrétisés dans les Pays-Bas69. Les partisans de la suppression réclament la séparation entre la paroisse urbaine (Tournai, intra muros) et la paroisse rurale (faubourg Saint-Martin, extra muros), parce que la pastorale doit être différenciée, d’autant plus que le faubourg renferme une population moins policée – graine de prolétariat –, qui exige la vigilance d’un prêtre à demeure. Le chapitre cathédral approuve l’édification d’une chapelle succursale avec un logement pour le chapelain-desservant.

42Le thème religieux est carrément absent des débats. Aucun défenseur de la paroisse n’invoque des dévotions vivaces ou l’activité des confréries pour en justifier la conservation. À peine le magistrat se plaint-il, « qu’on ne fait plus qu’un jeu de tout ce qui regarde le culte divin ; on brise, on casse, on emporte70… », mais l’argument, en début de mémoire de protestation, ressemble à un exorde rhétorique. Le partage des dépouilles cultuelles de l’église (reliquaires, ex-voto, œuvres d’art, etc.) se fait non pas sur des considérations affectives, mais par partage au prorata de la valeur marchande et du nombre de paroissiens répartis dans les autres paroisses.

43La paroisse, une structure locale au cœur de la vie religieuse ? Certes. Les débats autour d’une suppression montrent toutefois qu’elle est, plus encore, une structure économique, là où l’aide sociale est dispensée et, parallèlement, là où s’exerce le contrôle social voulu par les autorités supérieures, tant civiles qu’ecclésiastiques.

Notes

1 http://www.egliseinfo.be/lieu/75/tournai/notre-dame-auxiliatrice (consulté le 10 juillet 2018).

2 Chanoine J. Dumoulin et J. Pycke, Introduction à l’histoire paroissiale de la Ville de Tournai, dans Trésors sacrés des églises et couvents de Tournai. Catalogue de l’exposition à la cathédrale Notre-Dame, 31 août-22 octobre 1973, Tournai, 1973, p. 27.

3 Voir J. Dumoulin, L’organisation paroissiale de Tournai aux XIIe et XIIIe siècles, dans Horae Tornacenses. Recueil d’études d’histoire publiées à l’occasion du VIIIe centenaire de la consécration de la cathédrale de Tournai, Tournai, 1971, p. 28-47 ; Idem, Les églises paroissiales de Tournai au XVe siècle, dans Les grands siècles de Tournai. Recueil d’études publié à l’occasion du 20e anniversaire des Guides de Tournai (Tournai, Art et Histoire, 7), Tournai/Louvain-la-Neuve, 1993, p. 257-278.

4 L’histoire de cette suppression a déjà été brièvement donnée par F. Desmons, La suppression de la paroisse Saint-Nicaise, dans Revue tournaisienne, t. V (1909), p. 193-196, t. VI (1910), p. 5-7. Un récit est aussi dû au chanoine R. Van Haudenard, curé-doyen de la cathédrale (†1946), texte dactylographié inédit, conservé à Tournai, Archives et Bibliothèque du Chapitre de Tournai [Abct], fonds paroisse Saint-Nicaise, G1/3, La suppression de la paroisse Saint-Nicaise, s.d., 14 p. On a pu compléter ces travaux anciens par la découverte de deux épais dossiers sur la suppression, à Bruxelles, Archives générales du Royaume [Agr], fonds Conseil Privé autrichien [CPa], cartons 817/A-B.

5 Ph. Guignet, Les corps de ville ultra-catholiques de Flandre française et les paroisses. Les apparents paradoxes des « bonnes villes hispano-tridentines » (xviie-xviiie siècles), dans La paroisse urbaine, du Moyen Âge à nos jours (Histoire religieuse de la France, 41), sous la dir. d’A. Bonzon, Ph. Guignet et M. Venard, Paris, 2014, p. 245-268 (cf. p. 258).

6 Voir à son sujet chanoine J. Warichez, Les deux derniers évêques de Tournai sous l’Ancien Régime, de Salm-Reifferscheid et de Salm-Salm, Tournai, 1911, p. 1-26.

7 Concile de Trente, Sess. 21, cap. 5, De Reformatione. Voir Z.-B. Van Espen, Ius ecclesiasticum universum, Louvain/Bruxelles, G. Stryckwart/F. t’Serstevens, 1700, vol. 2, p. 1006-1012 (De unionibus beneficiorum).

8 Élu abbé en 1759, il fit bâtir le fastueux quartier abbatial, aujourd’hui hôtel de ville de Tournai. Notice dans Monasticon belge, t. 1, vol. 2, Supplément, sous la dir. d’U. Berlière o.s.b., Maredsous, 1973, p. 292.

9 Bruxelles, Agr, CPa, 817/B, Information de commodité ou incommodité de l’extinction et suppression de l’église paroissiale de Saint Nicaise…, 1769, 68 fos.

10 Abbé A. Pasture, Les anciennes dîmes dans l’administration paroissiale, Wetteren, 1938, p. 171-193.

11 Tournai, Abct, fonds paroisse Saint-Nicaise, liasse D5/1.

12 À Tournai, ce type de vicairie est apparu fin 12e siècle et s’est par suite multiplié. Voir B. Delmaire, Les paroisses urbaines dans le Nord du royaume de France au bas Moyen Âge, dans La paroisse urbaine, du Moyen Âge à nos jours, op. cit., p. 35-47 (cf. p. 43-44).

13 E. Hubert, Le voyage de l’empereur Joseph II dans les Pays-Bas (31 mai - 27 juillet 1781). Étude d’histoire politique et diplomatique (Mémoires de l’Académie royale de Belgique, 63), Bruxelles, 1899-1900, p. 140.

14 Bruxelles, Agr, CPa, 817/A, Supplique adressée par les marguilliers, notables et paroissiens de Saint-Nicaise à S.E. le ministre plénipotentiaire prince de Starhemberg, 4 août 1770.

15 Recueil des ordonnances des Pays-Bas, 2e sér., Règne d’Albert et Isabelle, t. II, Du 8 mai 1609 au 14 juillet 1621, éd. V. Brants, Bruxelles, 1912, p. 78-79, p. 197-198.

16 Pasture, Les anciennes dîmes, op.cit., p. 66-98 ; J.-Fr. Staes, L’entretien des églises et des presbytères dans les Pays-Bas autrichiens : les obligations des décima­teurs et l’édit du 25 septembre 1768, dans Revue d’Histoire Ecclésiastique, t. 82 (1987), p. 509-544 (cf. p. 518-530).

17 Ibidem, p. 541.

18 À Tournai, Abct, fonds Saint-Nicaise, liasse C2/1-2, diverses correspondances de chanoines à Bruxelles, c.1769-1771, et à Bruxelles, Agr, CPa, 817/A.

19 Voir la notice de ces trois chanoines de la cathédrale dans B. Vandermeersch, Croix d’émail, violet d’évêque et aumusse d’hermine. Les chanoines de la cathédrale de Tournai à la fin de l’Ancien Régime, Trois études et dictionnaire prosopographique (Tournai, Art et Histoire, Instruments de travail, 23), Tournai, 2014, sub nomine.

20 Bruxelles, Agr, CPa, 817/A, [imprimé] Avis en nullité du décret souscrit par feu l’évêque de Tournay, en suppression & extinction de l’Eglise paroissiale de St-Nicaise (…), 9 août 1770.

21 Idem, 817/B, [imprimé] Mémoire pour le chapitre de l’église de Tournay, servant de réponse au Factum, s.d. (c.1770), 20 p. On trouvera aussi à Tournai, Abct, fonds paroisse Saint-Nicaise, C2/1-2, des Observations sur une prétendue réfutation imprimée au nom des paroissiens de Saint-Nicaise, ms., 12 fos.

22 G. De Schepper, La réorganisation des paroisses et la suppression des couvents dans les Pays-Bas autrichiens sous le règne de Joseph II (Université de Louvain, Recueil des travaux d’histoire et de philologie, 3e sér., 8e fasc.), Louvain/Bruxelles, 1942, p. 94-95.

23 Bruxelles, Agr, CPa, 817/A, Consulte du Conseil privé, 23 février 1771.

24 On en trouvera le récit piquant à Bruxelles, Agr, CPa, 817/A, Rapports du conseiller procureur général du baillage de Tournai-Tournaisis, 9 avril, 22 avril et 6 mai 1771.

25 Ibidem, Requête du chapitre N.-D. de Tournai au Conseil privé, c. mai 1771.

26 Tournai, Abct, Actes capitulaires, à la date.

27 On trouvera à Bruxelles, Agr, CPa, 817/A, [imprimé] Avis en nullité du décret (…), 9 août 1770, op. cit. (signé de le Rue de Marienhove) et [imprimé] Avis pour les paroissiens de St Nicaise à Tournay, donné par Monsieur H. J. Frison, professeur en droit canon à Louvain, 29 juillet 1770 ; Idem, liasse 817/B, [imprimé] Factum pour les égliseurs, pauvriseurs, notables et habitants de la paroisse de Saint Nicaise de Tournai (…), c. août 1769, 22 p., et [imprimé] Réfutation pour les paroissiens de Saint Nicaise de Tournay, contre le chapitre de cette ville, 1770, 30 p. Ces imprimés se trouvent aussi à Tournai, Abct, fonds paroisse Saint-Nicaise, C2/1-2.

28 Bruxelles, Agr, CPa, 817/B, Réfutation pour les paroissiens, op. cit., p. 24 .

29 Ibidem, Rapport du Procureur général du baillage de Tournai-Tournaisis, 6 mai 1771.

30 Dumoulin, Les églises paroissiales de Tournai au XVe siècle, loc. cit., p. 261.

31 Bruxelles, Agr, CPa, 817/A, Extrait de Protocole du Conseil privé, 17 septembre 1770.

32 D. Desqueper (éd.), Tournai. Recensement des habitants de la paroisse Saint-Nicaise, 1742 (Association généalogique du Hainaut belge), Tournai, 2002, p. 81.

33 Tournai, Abct, fonds Saint-Nicaise, D5/1, Mémoire pour obtenir la portion congrue, c.1712.

34 Bruxelles, Agr, CPa, 817/A, [imprimé] Avis en nullité du décret souscrit par feu l’évêque de Tournay, en suppression & extinction de l’Eglise paroissiale de St-Nicaise (…), 9 août 1770.

35 Ibidem, Protocole du Conseil privé, 7 novembre 1770.

36 Ph. Guignet, Le pouvoir dans la ville au xviiie siècle. Pratiques politiques, mobilité et éthique sociale de part et d’autre de la frontière franco-belge (Civilisations et sociétés, 80), Paris, 1990, p. 257, p. 263-272.

37 Bruxelles, Agr, CPa, 817/A, [imprimé] Décret de suppression, 19 juillet 1769.

38 Ibidem, Rapport du conseiller procureur général, op. cit., 22 avril 1771.

39 Idem.

40 Voir l’art. de Ph. Guignet, Tournai (Temps modernes), dans Les institutions publiques régionales et locales en Hainaut et Tournai/Tournaisis sous l’Ancien Régime (Archives générales du Royaume et Archives de l’État dans les Provinces, Miscellanea archivistica, Studia, 119), sous la coord. de Fl. Mariage, Bruxelles, 2009, p. 483-494.

41 Guignet, Les corps de ville ultra-catholiques de Flandre française, loc. cit., p. 258.

42 C. Bruneel, et alii (éd.), Le dénombrement général de la population des Pays-Bas autrichiens en 1784 (Centre de service et réseau de recherche Statistiques historiques en Belgique. Heuristique, Inventoriage, Rédaction et Interprétation, 3), Bruxelles, 1996, p. 144.

43 A.-F.-J. Bozière, Tournai ancien et moderne, ou Description historique et pittoresque de cette ville, de ses monuments, de ses institutions, depuis son origine jusqu’à nos jours, Bruxelles, 1974, p. 88 (Reproduction anastatique de l’éd. orig., Tournai, 1864).

44 Comparaisons fournies par De Schepper, La réorganisation des paroisses, op. cit., p. 73-74.

45 Guignet, Le pouvoir dans la ville au xviiie siècle, op. cit., p. 176-181.

46 Bruxelles, Agr, CPa, 817/A, Extrait de Protocole du Conseil privé, 17 septembre 1770 (requête jointe).

47 Ibidem, Rapport du conseiller procureur général, op. cit., 22 avril 1771.

48 Deux chants nous sont conservés par A. Hoverlant de Bauwelaere, Essai chronologique pour servir à l’histoire de Tournay, Tournai, chez l’a., t. XCII (1829), p. 369-391. Un chant est reproduit par le procureur général de Bettignies en annexe de son rapport du 22 avril 1771 (op. cit.).

49 Tournai, Abct, fonds paroisse Saint-Nicaise, C2/1-2, [imprimé] Décret des prévôt et jurés de Tournai interdisant les chansons, propos et railleries, 26 février 1771, in-plano.

50 Hoverlant, Essai chronologique, op. cit., t. XCII, p. 367.

51 Bruxelles, Agr, CPa, 817/A, Minute d’un décret adressé au Magistrat de Tournai, 31 mai 1771.

52 Ibidem, Minute d’un décret adressé au Procureur général du Baillage de Tournai-Tournaisis, 31 mai 1771.

53 Ph. Guignet, Les institutions de la ville de Tournai aux Temps modernes, dans Mémoires de la Société royale d’histoire et d’archéologie de Tournai, t. XII (2008), p. 137-166 (cf. p. 145) ; B. Vandermeersch, Les éminences grises. Une élite ecclésiastique en quête d’autorité : chanoines cathédraux « belgiques » aux temps des Lumières et des révolutions (thèse de doctorat inédite), Louvain-la-Neuve (UCL), 2018, p. 244-248.

54 Bruxelles, Agr, CPa, 817/A, Au ministre plénipotentiaire, 10 février 1769.

55 Recueil des ordonnances des Pays-Bas [RoPB], 3e sér., 1700-1794, t. VII, Du 16 janvier 1751 au 24 décembre 1755, éd. J. de le Court, Bruxelles, 1891, p. 256-261. Voir R. Koerperich, Les lois sur la mainmorte dans les Pays-Bas catholiques. Étude sur l’édit du 15 septembre 1753, ses précédents et son exécution (Universitas Catholica Lovaniensis, Dissertationes ad gradum magistri in Facultate theologica consequendum conscriptæ, sér. 2, 11), Louvain, 1922, p. 100-102.

56 Bruxelles, Agr, CPa, 817/A, [imprimé] Décret du Conseil privé du 9 juin 1770 approuvant le décret du 19 juillet 1769 émané de S.E. l’évêque de Tournai portant suppression de la paroisse St-Nicaise.

57 RoPB, 3e sér., t. X, Du 4 janvier 1770 au 22 décembre 1773, éd. J. de le Court, Bruxelles, 1901, p. 388-389.

58 Bruxelles, Agr, CPa, 817/A, Extrait de Protocole, op. cit., 17 septembre 1770

59 Op. cit., Rapport du conseiller procureur général, op. cit., 22 avril 1771.

60 À Tournai, il y a une longue histoire de concurrences et de conflits de juridiction entre l’avocat fiscal et le procureur général du baillage, tous deux aux compétences semblables. Voir l’art. de Fl. Mariage, Office fiscal, dans Les institutions publiques régionales et locales en Hainaut et Tournai/Tournaisis, op. cit., p. 439-443.

61 Bruxelles, Agr, CPa, 817/A, Mémoire de protestation, 27 octobre 1770.

62 On sait que des vices de procédure, lenteurs et abus de droit mènent à un procès contre Bettignies, devant le Conseil de Hainaut, en 1783. Voir Fl. Mariage, art. Office fiscal, loc. cit., p. 440.

63 W. Ravez, Tournai et le Tournaisis pendant la Révolution brabançonne. Essai d’histoire politique, sociale et économique, Tournai/Paris, 1937, p. 73-76.

64 Elle est confiée à la desserte des Augustins de Saint-Médard. Voir la notice de l’abbaye Saint-Nicolas-des-Prés dans Monasticon belge, t. 1, vol. 2, op. cit., p. 439.

65 De Schepper, La réorganisation des paroisses, op. cit., p. 166-207 ; B. Vandermeersch, Comme il importe au bien de l’Église et de l’État… L’opposition de l’épiscopat « belgique » aux réformes ecclésiastiques de Joseph II (1780-1790) (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, fasc. 94), Louvain-la-Neuve/Leuven, 2010, p. 236-244.

66 Bruxelles, Agr, CPa, 808/A, [imprimé] Règles de direction pour la nouvelle distribution des paroisses dans les villes, 25 mai 1786.

67 Ch. Schneider, Der niedere Klerus im josephinischen Wien. Zwischen staatlicher Funktion und seelsorgerischer Aufgabe (Forschungen und Beiträge zur Wiener Stadtgeschichte, 33), Vienne, 1999, p. 59-106. Voir aussi J. Weissensteiner, Die josephinische Pfarregulierung, dans Die Bistümer und ihre Pfarreien (Geschichte des Kirchlichen Lebens in den deutschsprachigen Ländern seit dem Ende des 18. Jahrhunderts, 1), sous la dir. d’E. Gatz, Fribourg-en-Brisgau/Basel/Vienne, 1991, p. 51-64.

68 Malheureusement, on n’a pas retrouvé le plan de réorganisation des paroisses de Tournai de 1786. Il est absent des archives du Conseil privé et du Conseil de gouvernement général à Bruxelles.

69 À la différence de l’Autriche, où la réforme fait sentir ses effets jusqu’à la veille de la Seconde guerre mondiale. Voir H. Hasquin, Joseph II, catholique anticlérical et réformateur impatient, 1741-1790 (Les racines de l’Histoire), Bruxelles, 2007, p. 220-221.

70 Bruxelles, Agr, CPa, 817/A, Requête des consaux faisant les États et Cité de Tournai, 6 décembre 1770.

Pour citer cet article

Bernard Vandermeersch, «Quand les cloches se taisent. Acteurs et enjeux autour de la suppression d’une paroisse (Saint-Nicaise de Tournai, 1769-1773)», C@hiers du CRHiDI. Histoire, droit, institutions, société [En ligne], Vol. 44 - 2022, URL : https://popups.uliege.be/1370-2262/index.php?id=631.

A propos de : Bernard Vandermeersch

Bernard Vandermeersch est docteur en histoire et agrégé de l’enseignement secondaire supérieur. Ses recherches portent sur les institutions, le droit public ecclésiastique et le clergé sous les Pays-Bas habsbourgeois. Sa thèse de doctorat a porté sur les chanoines de cathédrales et membres des curies épiscopales à la fin du 18e siècle dans les diocè­ses d’Anvers, Bruges, Gand, Malines, Namur, Tournai et Ypres.