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Jean-Roger WATTEZ & avec la collaboration de Joëlle DÉSIRÉ

ESSAI DE DÉLIMITATION DES TERRITOIRES PHYTOGÉOGRAPHIQUES DANS LE DÉPARTEMENT DE LA SOMME (FRANCE)(suite 2)

(N° 179 (octobre 2005))
Article
Open Access

C, II. Le secteur oriental

1 Plusieurs entités phytogéographiques sont susceptibles d’être individualisées.

1.  Le Nord-Est Amiénois et la région d’Albert 

2 Le territoire considéré occupe la partie nord-orientale du département; Albert en est la ville principale et la rivière Ancre, affluent de la Somme le sillonne du nord-est au sud-ouest. Les caractères du sol sont similaires à ceux des territoires voisins; la pluviosité est de 760 mm/an à Albert, c'est-à-dire un peu moins que dans le Doullennais, mais nettement plus que dans le Sud-Amiénois.

3 Ce plateau vallonné est également le domaine de la grande culture; quelques bois sont présents çà et là; dans la partie orientale se déroulèrent les terribles combats de l’année 1916, au cours desquels de nombreux soldats laissèrent la vie. Leur souvenir est rappelé par les cimetières militaires (surtout britanniques), partout présents, admirablement entretenus et fleuris à l’aide de plantes « exotiques » peu communes. La présence des cimetières militaires et de monuments commémoratifs (Thiepval, Longueval…) n’est pas négligeable sur le plan paysager et offre un réel intérêt touristique !

4FIG. 2. – Représentation schématique des territoires phytogéographiques dans le département de la Somme

Signification des indications caractérisant certains territoires phytogéographiques figurant sur la carte

5N°6 : d’après l’abondance d'Hyacinthoides non-scripta

6N°11 : d’après la présence d'Ulex europaeus

7N°10 : compte tenu de la présence dans les haies d'Ilex aquifolium : H

8N°13 : selon la présence en sous-bois de Scilla bifolia : S

9N°16 : d’après la présence – qui s’est raréfiée – dans les lisières d’Anemone sylvestris : A

10N°17 : en tenant compte d’une localisation ancienne dans ce canton de la vigne : V

11 Bien que les hêtraies soient présentes sur certaines buttes crayeuses, dans l’ensemble, les chênaies prédominent, en particulier dans le secteur oriental de ce territoire; nombre d’entre elles ont été détruites pendant la guerre de 1914-18; la reconstitution de la végétation forestière s’opère progressivement; divers types de frênaies-acéraies-merisaies ont succédé aux formations antérieures; de monotones peupleraies, purement artificielles se voient çà et là.

12 C’est dans le milieu forestier que s’observe la plante qui caractérise le mieux ce territoire; il s’agit de Scilla bifolia; en effet, plusieurs bois situés entre Amiens et Albert (à proximité de Fréchencourt-Lahoussoye) offrent, au début du printemps, des populations importantes de cette Liliacée vernale, répandue dans les forêts de Lorraine et de l’est de la France mais rare en Picardie où sa présence était demeurée méconnue (WATTEZ et WATTEZ-FRANGER 1983). Il est remarquable de constater que S. bifolia cohabite avec diverses atlantiques, en particulier avec Hya-cinthoides non-scripta dont la floraison est plus tardive.

13 Dans le bois d’Aveluy, proche d’Albert, Alchemilla xanthochlora a été signalé et Silene dioica (= Melandrium rubrum), absent de tout le centre du département, est présent sur les lisières et dans les bermes herbeuses.

14 Mentionnons la présence de quelques plantes non forestières intéressantes, tels :

15 - Seseli libanotis, sur l’un des "larris" du secteur qui en comporte peu;

16 - Phyteuma orbiculare subsp. tenerum, récemment observé sur un autre "larris" (VAST 1995);

17 - Lathyrus nissolia, dans certains champs de bataille, demeurés en l’état et aménagés à des fins commémoratives, devenues touristiques;

18 - Arctium minus subsp. pubens, noté dans diverses friches, parfois en compagnie de Conium maculatum.

19 Dans l’ensemble du secteur et compte tenu de la pression sur les milieux naturels exercée par les activités agricoles actuelles, les bermes et les talus routiers jouent un rôle de mini-conservatoires de la flore indigène; Vicia lutea et Campanula rapunculoides ont été notés çà et là.

20 La végétation hygrophile est concentrée dans la vallée de l’Ancre qui conserve par places des secteurs palustres alternant avec des saulaies de Salix cinerea et bon nombre de plans d’eau artificiels; des prospections seraient à faire qui permettaient de mieux connaître la flore d’une vallée un peu oubliée par les botanistes…

21 Dans le Nord-Est Amiénois, les messicoles ont fortement régressé, souvent remplacées par des nitratophytes, en particulier par Solanum nigrum. Par contre les coquelicots (Papaver div. sp.) avaient pris un énorme développement dans les terres « remuées », à la suite des furieux combats de l’année 1916 (STOTT 1980); cet immense tapis de fleurs rouges où se mêlaient quelques bleuets impressionna tant les soldats et les officiers britanniques qu’ils retinrent ultérieurement les «poppys» comme emblème. Le nom de «Pays des coquelicots», choisi récemment par la région d’Albert rappelle opportunément cet émouvant souvenir.

2.  Le Santerre

22 « Plaine fertile, sans relief et sans vallée, recouverte d’un limon épais, ce fut très tôt un terrain réputé pour ses ressources agricoles », telle est la présentation judicieuse que DEMANGEON (1925) fait du Santerre, que limite au nord la vallée marécageuse de la Somme. C’est dire la place prédominante occupée par les activités agricoles : céréalières, betteravières et légumières; devenue productiviste, l’agriculture moderne laisse bien peu de place aux milieux naturels; n’occupant que des superficies limitées, ces derniers n’en sont que plus précieux.

23 Le climat du Santerre est relativement sec, compte tenu d’une pluviosité modérée, se situant aux alentours de 650 à 700 mm/an (sur une période de 30 ans). Les températures estivales peuvent être élevées; elles ont dépassé 38° à Roye au début du mois d’août 2003!

24 Les espèces reliques de la flore herbacée sont concentrées, dans les quelques sites « accidentés », n’ayant pas été mis en culture, c'est-à-dire les   « larris »; certains d’entre eux  (par exemple à Démuin, Cayeux en Santerre) conservent plusieurs plantes remarquables : Pulsatilla vulgaris, Seseli libanotis, S. montanum, Campanula glomerata, Salvia pratensis, Teucrium chamaedrys.

25 La végétation forestière n’a rien d’original; les chênaies-charmaies anciennes ont souffert des ravages occasionnés par les combats de la guerre de 1914-18 qui avaient détruit les villes et les villages; la plupart des bois furent anéantis, soit par les combats, soit du fait de leur exploitation intensive par les belligérants. La régénération ultérieure des bois a conduit à la mise en place de frênaies-acéraies-merisaies; trop souvent les replantations effectuées dans les années 1920-30 ont permis aux ronces de constituer des tapis exubérants qui étouffent la flore herbacée; çà et là subsistent Luzula forsteri et Convallaria majalis; Hyacinthoides non-scripta est assez régulièrement observé.

26 Quant à la végétation hygrophile cantonnée dans la vallée de la Luce, elle s’est banalisée; l’abandon des parcelles inondables a entraîné la prolifération des « roseaux » et la croissance des saules cendrés; les drainages et la création de monotones peupleraies ont achevé de banaliser une vallée autrefois tourbeuse, où les botanistes de la fin du XIXe s. firent des observations intéressantes; Mentha pulegium signalé à Hombleux, près de Ham n’a pas été revu récemment.

27 Une place à part revient aux dépôts sableux thanétiens des environs de Lihons et de Roye; ayant été largement exploités, ils ont cédé la place à des « trous », souvent colonisés par des plantes rudérales (herbes et arbustes) ou, ce qui est pire, à des dépôts de gravats ou d’immondices; Cytisus scoparius recouvrait parfois ces excavations qui ont perdu tout intérêt.

28 Toutefois, les précipitations exceptionnelles des années 2000 et 2001 ont donné lieu à des observations intéressantes, révélant des potentialités floristiques oubliées; les botanistes du Conservatoire des sites naturels de Picardie ont observé sur les sols argilo-sableux des communautés amphibies, éphémères, marquées par la présence de plusieurs raretés de la flore régionale, tels Limosella aquatica, Lythrum hyssopifolia et Alisma lanceolatum.

29 La flore messicole a quasiment disparu, victime des traitements herbicides; des nitratophytes, tel Solanum nigrum ont remplacé les bleuets et les nielles…; il importe toutefois de souligner la présence occasionnelle de Datura stramonium dans les champs de betteraves et de pommes de terre; dans les friches, parfois même dans les cultures de la partie orientale du Santerre apparaissent Setaria viridis, S. verticillata, Portulaca oleracea et depuis peu, Artemisia biennis.

3.  L’ensemble des "larris" dominant le cours de la moyenne vallée de la Somme

30 Bien que sa superficie soit limitée par rapport aux autres territoires, cet ensemble de "larris" dominant la vallée marécageuse de la Somme dans la partie moyenne de son cours, depuis Cléry-sur-Somme jusqu’en aval de Corbie n’en représente pas moins un territoire phytogéographique assez bien individualisé. Rappelons que l’existence des "larris" résulte de l’exploitation brutale des forêts ancestrales suivie d’un pâturage extensif, poursuivi pendant plusieurs siècles sur de fortes pentes, impossibles à cultiver.

31 La pluviosité est légèrement supérieure à celle du Santerre voisin (726 mm/an à Bray sur Somme contre 667 mm/an à Harbonnières); toutefois, la proximité des plans d’eau de la vallée induit vraisemblablement une hygrométrie atmosphérique plus élevée.

32 Le substrat crayeux, fendillé, filtrant, la topographie et l’orientation des "larris" vers le sud contribuent à faire de ces fortes pentes herbeuses un ensemble de milieux xériques favorables à l’implantation de plantes à la fois calcicoles, héliophiles et thermophiles dont l’aire de répartition est « méridionale »; celles-ci n’ont pas tardé à y proliférer. La liste des espèces répondant à ces critères est longue et l’on peut citer en particulier : Anthericum ramosum, Pulsatilla vulgaris, Hippocrepis comosa, Seseli libanotis, Polygala calcarea  et P. comosa (plus rare), Blackstonia perfoliata, Digitalis lutea,  Lactuca perennis; Teucrium chamaedrys prolifère sur la pierraille crayeuse; de manière surprenante, une espèce réputée acidiphile, Teucrium scorodonia, colonise localement de petits éboulis instables. Les orchidées sont représentées par divers Ophrys (O. apifera, O. fuciflora) et Orchis (O. purpurea, O. militaris), Platanthera chlorantha; Himantoglossum hircinum paraît profiter de l’abandon du pâturage et de la prolifération des chaumes de Graminées. Les pelouses calcicoles régionales ont été rapportées par GÉHU, BOULLET et al. (1984) à l’Avenulo pratensis-Festucetum lemanii.

33 Plusieurs thérophytes calcicoles constituent des communautés pionnières originales, décrites par DE FOUCAULT WATTEZ (1989). Catapodium rigidum, Linaria repens, Chaenorrhinum minus, Galeopsis angustifolia en font partie, ainsi que Sisymbrium supinum, espèce ornithochore discrète qui recherche électivement les milieux basiques, ouverts, proches de plans d’eau, attirant les oiseaux migrateurs; la vallée de la Somme avec ses "larris" représente l’une des seules régions européennes où se maintienne cette rare espèce. Toutefois, compte tenu de l’arrêt du pâturage sur les "larris", la végétation ligneuse n’a pas tardé à se réapproprier ces terrains arides; à la prolifération des hautes herbes (bromes, brachypode penné, fromental) ont succédé les arbustes pionniers : prunelliers, cornouillers, viornes, rosiers « odorants » (Rosa cf. micrantha) et surtout le genévrier, Juniperus communis, abondant sur certaines pentes. En deux générations, les pelouses herbeuses, non entretenues deviennent des fourrés difficilement pénétrables qui précèdent la réinstallation d’une végétation forestière quasi climacique : frênaie-acéraie sur les versants ombragés ou hêtraie calcicole sur les pentes ensoleillées.

34 Une place à part revient aux éboulis pentus et instables localisés entre Frise et Eclusier, orientés au nord; une importante population de Sesleria caerulea  y prospère, procurant, de ce fait, à ce site, un intérêt phytogéographique tout particulier.

4.  Le Sud-Amiénois

35 Bien que les activités agricoles y soient devenues intensives, les paysages du Sud-Amiénois conservent un certain cachet; ce plateau vallonné, sillonné par les vallées de la Selle, de la Noye et de l’Avre est également marqué par l’existence de vallées sèches, adjacentes à ces trois rivières.

36 Les formations boisées n’y sont pas rares et certaines recouvrent une superficie importante (une centaine d’hectares); elles couronnent parfois les buttes qui parsèment ce plateau. Dans l’ensemble, le sol est crayeux, plus rarement limoneux; en deux emplacements au moins, subsistent des sédiments tertiaires qui portent une flore à tendance acidiphile dont nous reparlerons.

37 Au Sud-Amiénois correspond un îlot de faible pluviosité, centré sur la région d’Ailly-sur-Noye et de Grivesnes; en moyenne (calculée sur 30 années), celle-ci n’atteint pas 650 mm/an; des minima plus faibles ont été relevés : 538 mm en 1980 à Ailly-sur-Noye, 339 mm à Boves en 1976. Cette particularité explique l’originalité de la flore de ce territoire.

38 Si, dans l’ensemble, la végétation forestière est une hêtraie calcicole, la transition vers les chênaies-charmaies s’effectue dans la partie orientale du Sud-Amiénois. Toutefois, ce sont surtout les lisières forestières qui offrent un intérêt particulier; là se localise le chêne pubescent, Quercus pubescens (et diverses formes hybridogènes), dont la présence resta méconnue jusqu’aux années 1970. Q. pubescens participe à la composition floristique du « manteau » des groupements forestiers et colonise volontiers les friches voisines, compte tenu de l’arrêt de leur exploitation (WATTEZ 1980-82). Q. pubescens est accompagné par Sorbus torminalis, Prunus mahaleb, rarement par Berberis vulgaris (est-il spontané ?). Laburnum anagyroides est particulièrement abondant dans ce secteur et son importance dans la physionomie des paysages surprend lors de sa floraison; le problème de sa spontanéité reste posé. Aquilegia vulgaris, Lithospernum officinale, Helleborus foetidus ainsi qu’Ornithogalum pyrenaicum croissent dans les clairières et les coupes forestières.

39Au pied du manteau, s’étendaient des lisières herbacées ou chaméphytiques dont la flore était particulièrement riche; malheureusement l’embroussaillement, la rudéralisation, trop souvent la destruction des lisières ont considérablement amoindri la richesse de celles-ci. La place d’honneur revenait à Anemone sylvestris qui atteignait dans le Sud-Amiénois la limite occidentale extrême de l’ensemble de son aire; ses populations encore importantes vers 1970-80 ont fortement régressé (WATTEZ 1991). Autres plantes remarquables : Linum tenuifolium (dont les populations ont diminué d’importance), Lathyrus hirsutus, Ajuga genevensis et Teucrium montanum, implanté sur la pierraille d’anciennes carrières. Les espèces dont les noms suivent ne sont (ou n’étaient…) connues qu’en un seul site : Carex ornithopoda, Prunella grandiflora (détruit), Melittis melissophyllum, Stachys germanica,  Polygonatum odoratum, Herminium monorchis ainsi que Gentianella ciliata, très isolé par rapport aux localités champenoises les plus proches et menacé de disparition. Le Sud-Amiénois recèle également plusieurs vastes "larris", tels ceux de Sauvillers et de Grattepanche (DOUCHET 2003).

40 La végétation hygrophile se concentre dans les trois vallées mentionnées; celle de l’Avre et de son affluent, les Trois Doms a été envisagée séparément; dans les vallées de la Selle et de la Noye, s’étendent désormais des prairies humides ou des saulaies de Salix cinerea plutôt que des secteurs marécageux; Juncus inflexus et Pulicaria dysenterica caractérisent ces formations méso-hygrophiles; de forts touradons de Carex paniculata sont présents sur le bord des pièces d’eau.

41 Quant aux messicoles, elles ont, comme partout, fortement régressé; Papaver hybridum, P. argemone, Fumaria parviflora et F. densiflora, Legousia speculum-veneris, L. hybrida, Scandix pecten-veneris, Lithospermum arvense, encore fréquents dans les années 1980 sont devenus rares; Agrostemma githago n’est plus qu’un souvenir et Carthamus lanatus n’a pas été revu récemment; toutefois la réapparition de cette plante « à éclipses » n’est pas exclue ; par contre, Ammi majus prolifère dans les cultures certaines années.

42 Crepis sancta colonisait les talus routiers et les friches calcaires, proches de Moreuil, formant faciès par places; suite aux gelées exceptionnelles de janvier 1985, cette Astéracée dont l’aire de répartition initiale est méridionale s’est considérablement raréfiée; en avril 2004, des recherches menées in situ n’ont pas permis de la revoir dans les sites mêmes où elle prospérait antérieurement. Par contre les bermes ou les talus routiers (ou ferroviaires…) conservent un certain intérêt; Melampyrum arvense et Bunium bulbocastanum s’y implantent préférentiellement; Lathyrus tuberosus peut abonder localement.

43Alors que les témoins tertiaires ne sont pas rares dans le nord de l’Oise, par exemple, aux environs de Crèvecoeur-le-Grand, ceux-ci sont exceptionnels dans le sud de la Somme; seules, les buttes de Conty et de la Faloise offrent des dépôts de sables thanétiens et de petits galets noirâtres, « avellanaires » (d’où le nom de bois de Galletois). La végétation est différente; à Conty une chênaie à Tilia cordata recouvre le sommet de cette butte; Scilla bifolia se maintient à Conty comme à la Faloise. Vaccinium myrtillus fut signalé à la fin du XIXe s. dans le bois de Galletois; la myrtille y a été recherchée vainement; les ronces recouvrent désormais le sol…

44Remarque 

45 Le territoire dit du «Sud-Amiénois» se prolonge dans le nord du département de l’Oise, dans les cantons de Froissy, Breteuil et Maignelay. Les facteurs climatiques et édaphiques sont comparables; les paysages et la végétation offrent de nombreux points communs; plusieurs "larris" abritent une flore calcicole similaire; Prunus mahaleb et Sorbus torminalis sont présents en lisière des bois; de surcroît, une riche station d’Anemone sylvestris a récemment été observée près de Paillart, à la limite des deux départements de l’Oise et de la Somme.

5.  Le canton de Montdidier

46 Faut-il individualiser les environs de Montdidier par rapport au Sud-Amiénois et si oui, quelles limites doit-on fixer à ce territoire ? Les conditions de milieu sont similaires :

47– pluviosité comparable;

48– paysage et activités agricoles similaires.

49 J’ai tenu à séparer les environs de Montdidier du Sud-Amiénois pour deux raisons :

50 - l’existence d’une population importante de Sesleria caerulea sur les coteaux de Courtemanche-le Forestel, très différente de celle de Frise-Eclusier parce qu’elle est implantée sur un coteau orienté au sud;

51 - l'existence ancienne de la culture de la vigne qui s’est maintenue dans ce secteur jusqu’au milieu du XIXe siècle; la toponymie du canton de Montdidier est riche de soixante noms de lieux-dits qui rappellent le souvenir d’une viticulture disparue (WATTEZ 2000).

52 Commensale habituelle des vignobles, le souci des champs, Calendula arvensis faisait partie au XIXe siècle de la flore locale. Quant à la flore calcicole thermophile, localisée sur les "larris" de Becquigny et de Fignières-Boussicourt, elle est comparable à celle des pelouses du Sud-Amiénois. Ophrys sphegodes subsp. sphegodes est présent à Becquigny; Pulsatilla vulgaris et Polygala calcarea sont particulièrement abondants à Fignières; ce vaste "larris" possède également une entomofaune « méridionale » remarquablement riche. Dans les cultures, Thlaspi arvense, qui est rare dans l’ensemble du département, apparaît çà et là.

53 En fait, ce sont les localités viticoles du canton de Montdidier qui définissent les contours du territoire « montdidierois » tel que je l’ai envisagé; sur 34 communes, 25 furent viticoles; sont exclues de ce territoire, par contre les communes de Rollot et Fescamps, évoquées ci-après.

6.  De Rollot à Beuvraignes

54 Bien que la superficie de cette bande de terre, jouxtant le département de l’Oise soit réduite, l’originalité de son substrat constitué par des dépôts de sédiments tertiaires (plus importants dans l’Oise) et la diversité de sa flore en font l’un des territoires phytogéographiques les mieux individualisés, au sein de l’ensemble dit des «plateaux et collines de l’intérieur».

55 Le substrat est constitué par des sables ou des limons sableux, plus rarement par des argiles imperméables; le relief est un peu plus accentué que sur les plateaux voisins et quelques buttes apparaissent çà et là. Les données climatologiques sont similaires à celles des environs de Montdidier mais, compte tenu des particularités édaphiques et méso-climatiques locales, la nature du tapis végétal diffère de celle des territoires voisins; la flore calcicole est absente dans ce secteur.

56 La végétation forestière est représentée par :

57 - des chênaies-hêtraies subacidiphiles à Quercus robur, marquées par la présence locale de Q. petraea. Pteridium aquilinum  prolifère localement; Convallaria majalis est présent; Teucrium scorodonia et Calluna vulgaris subsistent en lisière; des populations fournies de Corydalis solida ont été observées; Castanea sativa a été planté et se perpétue sur les substrats sableux;

58 - des chênaies pédonculées méso-hygrophiles, marquées par la présence de Carex pendula (l’une des seules stations « naturelles » de cette Cypéracée dans le département) et l’abondance par places de Carex remota, dans les sites boueux (allées, clairières, fossés).

59 Dans le village voisin de Boulogne-la-Grasse (Oise) dont le territoire est contigu à celui de la Somme, la présence d’Arnica montana a été signalée au XIXe siècle. De même, dans le bois de Bains qui chevauche les limites départementales, Vaccinium vitisidaea était signalé en abondance au XIXe s.; encore récoltée vers 1930, cette espèce remarquable n’a pas été revue lors de prospections récentes.

60 L’utilisation agro-sylvo-pastorale traditionnelle avait créé un paysage bocager dans ce secteur; celui-ci n’a pas totalement disparu; les haies de charmes, de frênes et de cornouillers sanguins quadrillent encore les prairies de Rollot et de Fescamps. La végétation prairiale est tout à fait originale; Si-laum silaus et surtout Colchicum autumnale se maintiennent dans les prairies humides; la présence de Saxifraga granulata a été signalée autrefois.

61 La végétation des carrières de sables ouvertes en plusieurs emplacements offrait un certain intérêt; divers Vulpia, Aira caryophyllea colonisaient les sables; Arabis glabra y a été observé récemment; la recolonisation ligneuse se faisait par l’intermédiaire de Cytisus scoparius et de Betula pendula, mais la plupart des carrières ont été comblées par les immondices.

7.  Le Vermandois occidental et ses abords

62 Ce fief de la France féodale se situe principalement dans le département voisin de l’Aisne; il lui correspond la région de St-Quentin et de Vermand (d’où son nom); toutefois ses marges occidentales atteignent l’est et le nord-est de la Somme et plusieurs noms de villages en rappellent le souvenir.

63 L’individualisation de ce territoire est peu marquée; la couche de limons paraît plus épaisse et la pluviosité un peu plus élevée (750 mm/an à Epehy). Quant au paysage, il est marqué par la prédominance de l’agriculture intensive, devenue de surcroît productiviste.

64 Les combats de la première guerre mondiale (principalement pendant les années 1916 et 1918) ont dévasté villes et villages et détruit les quelques bois qui avaient été respectés par les défrichements antérieurs. A l’issue du conflit, la régénération forestière a restauré les chênaies-charmaies ou les chênaies-frênaies bien décrites par DE FOUCAULT et al. (1996); la vigueur de certains arbres, tels les frênes, s’étant développés à partir de 1920 atteste de  la fertilité du substrat. Ces problèmes ont été évoqués lors d'un Colloque sur « L'impact de la guerre sur la végétation et la régénération du tapis végétal » s’étant tenu à Albert en juin 1996. Quelques beaux hêtres subsistent cependant sur les buttes boisées, par exemple dans le bois de Buire, à 140 m d’altitude. En maints endroits, des plantations de peupliers et d’épicéas ont été faites; les ronces sont partout présentes. Les substrats de limons sableux, moins riches en éléments nutritifs sont recolonisés par Cytisus scoparius qui précède Betula pendula.

65 Hyacinthoides non-scripta subsiste par places : quelques espèces continentales font cependant leur apparition; Maianthemum bifolium a été signalé dans plusieurs bosquets proches de Péronne et Sambucus racemosa (naturalisé ?) dans des coupes forestières.

8.  Le cas de la ville d’Amiens 

66 Doit-on considérer l’agglomération amiénoise comme un territoire phytogéographique autonome ? TOUSSAINT et al. (2002) ont posé la question à propos des anciens pays miniers et de l’agglomération lilloise qui sont autrement plus vastes – il est vrai – que la communauté urbaine amiénoise. La question n’est pas tranchée; il n’en demeure pas moins que les terrains vagues et les friches amiénoises représentent un « territoire urbain » particulier où se sont implantées plusieurs xénophytes conquérantes, tels Ailanthus altissima, Fallopia japonica, Conyza canadensis, Galega officinalis et surtout Buddleja davidii qui a largement profité des champs de ruines, résultant des bombardements dévastateurs de 1940; ces plantes invasives ligneuses ou herbacées côtoient un cortège de nitratophytes indigènes, tels Sambucus nigra, Tanacetum vulgare, Verbascum pulverulentum, Artemisia vulgaris, Cirsium vulgare dans les friches industrielles, les terrains vagues et les parcelles en attente de lotissement ou d’un réaménagement ultérieur.

67 Dans et aux abords de la gare de Longueau, ont été observés Lepidium campestre, Rumex scutatus et Amaranthus albus. Probable vestige des cultures du pastel à l’époque médiévale, Isatis tinctoria subsiste aux abords de l’ancienne Citadelle, formant faciès localement, certaines années.

68Remarque concernant la bryoflore

69 « Sous une végétation de plantes vasculaires stabilisée, la végétation bryologique peut réagir à de faibles influences biotiques » observent WATTEZ DE FOUCAULT (2001). Bon nombre de publications sur les Bryophytes concernent pro parte le département de la Somme; elles apporteraient des informations intéressantes sur la biogéographie locale mais elles n’ont pu être prises en compte ici.

V. LES APPORTS DE LA CARTOGRAPHIE EN RÉSEAU

70 TOUSSAINT et al. (2002) ont jugé opportun d’insérer en appendice de leur mémoire un ensemble de cartes de répartition judicieusement choisies; j’ai suivi cette initiative en rassemblant dix cartes de répartition en réseau, établies selon les critères de l’Institut floristique franco-belge (I.F.F.B.).

71 Ayant participé activement à la collecte des données dans le département de la Somme, j’ai « sélectionné » un certain nombre d’espèces offrant le plus souvent la particularité de prédominer dans le centre et le sud de ce département, c’est-à-dire dans ce que l’on peut appeler : la « région amiénoise ». La plupart d’entre elles ont une aire de répartition :

72 - soit sub-méditerranéenne

73 - soit continentale.

74Leur présence confirme l’existence en Picardie occidentale d’un îlot à la fois thermoxérophile et sub-continental.

75 Les cartes reprises aux fig. 3 à 12 étaient parues dans les "Documents floristiques" (numéro de la carte originale indiqué entre parenthèses).

VI. CONCLUSION

76 Malgré l’uniformité de son substrat, le département de la Somme comporte des territoires phytogéographiques assez distincts que l’on peut regrouper en trois ensembles; au sein de ceux-ci, dix-neuf territoires ont été identifiés. Il s’avère toutefois que leur délimitation précise n’est pas facile, faute d’un relief prononcé et d’un substrat diversifié. DEMANGEON (1925) confie d’ailleurs que : « Rien n’est plus fragile, plus futile que la trace des limites que la nature n’a point préparées ».

77 De surcroît, l’uniformisation des pratiques agricoles, la dénaturation, parfois même la destruction de sites qui étaient autant de refuges pour la flore indigène ou assimilée ont appauvri le patrimoine floristique d’un département demeuré en grande partie rural et rendent particulièrement délicat le tracé du contour des territoires reconnus.

78 Néanmoins cet « essai » aura contribué utilement à une meilleure connaissance de la phytogéographie de la Picardie occidentale, en l’occurrence celle du département de la Somme.

REMERCIEMENTS

79L’auteur exprime ses remerciements :

80- d’une part, à B. Toussaint et au Professeur J. Lambinon pour leurs précieux conseils et pour leur relecture critique du manuscrit;

81- d'autre part aux collègues et aux amis qui l’ont parfois accompagné lors de ses  herborisations dans le département de la Somme, en particulier M. Bon, M. Douchet, M. Dupuis (†),  G. et M. Quétu, J. Vast (†) et  A. Wattez-Franger  qui,  de surcroît a participé à la réalisation du manuscrit.

Pour citer cet article

Jean-Roger WATTEZ & avec la collaboration de Joëlle DÉSIRÉ, «ESSAI DE DÉLIMITATION DES TERRITOIRES PHYTOGÉOGRAPHIQUES DANS LE DÉPARTEMENT DE LA SOMME (FRANCE)(suite 2)», Lejeunia, Revue de Botanique [En ligne], N° 179 (octobre 2005), URL : https://popups.uliege.be/0457-4184/index.php?id=819.

A propos de : Jean-Roger WATTEZ

14, rue François Villon, F-80000 Amiens, France.

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