BASE BASE -  Volume 14 (2010)  numéro 2 

Le coton biologique au Paraguay. 2. Production et contraintes agronomiques

Pierre Silvie

CIRAD. UPR Systèmes de culture annuels. F-34398 Montpellier (France). E-mail : pierre.silvie@cirad.fr

José Martin

CIRAD. UPR Systèmes de culture annuels. F-34398 Montpellier (France).

Julie Debru

AgroParisTech. 16, rue Claude Bernard. F-75000 Paris (France).

Maurice Vaissayre

CIRAD. UPR Systèmes de culture annuels. F-34398 Montpellier (France).

Notes de la rédaction :

Reçu le 15 juin 2009, accepté le 21 octobre 2009

Résumé

En culture cotonnière biologique, la fertilité des sols et la maitrise des bioagresseurs sont les deux contraintes agronomiques majeures. Au Paraguay, la filière cotonnière biologique se développe depuis 2003. Le présent article fait suite à une étude exploratoire qui a été réalisée en 2008 dans le but d'appréhender la construction de la filière et d'identifier des contraintes économiques et organisationnelles. Ce deuxième article rapporte une analyse de la production et des contraintes agronomiques. L'étude a été effectuée en période de récolte du coton sous la forme d'entretiens avec les acteurs institutionnels et les producteurs. Avec plus de 200 tonnes de coton-graine produites dès 2006-2007, le Paraguay est devenu le deuxième producteur de coton biologique sud-américain derrière le Pérou. En 2007-2008, le rendement moyen enregistré de 492 kg.ha-1 de coton-graine a été sous-estimé en raison d'importantes fuites de production vers la filière conventionnelle. Les pratiques de gestion de la fertilité des sols, de fertilisation de la culture et de lutte contre les ravageurs, notamment contre le charançon des capsules Anthonomus grandis, s'inscrivent dans un système de culture avec rotation sans brûlis, avec fumier de ferme, cultures d'engrais verts et des intrants fermiers, diversement préparés et appliqués. Leur efficacité, jugée bonne par les prescripteurs et les utilisateurs, n'a pas été formellement étudiée. Dans tous les cas, des recherches sont nécessaires pour identifier les processus biologiques mis en œuvre lorsqu'ils sont peu ou pas connus, pour appréhender qualitativement et quantitativement la variabilité des pratiques paysannes et enfin pour intégrer leurs effets à différentes échelles d'espace et de temps.

Mots-clés : fertilité des sols, système de culture, rendements, coton biologique, gestion des ravageurs, intrants fermiers

Abstract

Organic cotton production in Paraguay. 2. Agronomic limitations for a novel industry. Two main limiting factors to organic cotton production are soil fertility and pest (arthropods and diseases) management. Paraguay has begun to produce organic cotton since 2003. An exploratory study was carried out in order to have a better knowledge of the way the organic cotton production has developed and to identify economic (first paper) and agronomic limitations (this paper). In addition, this paper provides an analysis of the production of cotton-seed. The study was achieved in 2008 during the cotton harvest period by interviewing the actors from the farm to the industrial level. With more than 200 tons of cotton-seed produced since 2006-2007, Paraguay has reached the second position of South-American producers of organic cotton, behind Peru. In 2007-2008, the recorded average yield of 492 kg.ha-1 of cotton-seed has been underestimated because of sales of organic cotton to the conventional industry. Fertilization and insect pest management, especially for the boll weevil Anthonomus grandis, were based on biological approaches at the whole cropping system level. Management practices included the use of made-in-farm inputs with, according to users, a fair level of efficacy but whose actual effects are mostly poorly known. We recommend in-depth studies firstly to identify the biological pathways involved when necessary, secondly to assess the qualitative and quantitative diversity of farmers practices, and thirdly to integrate their impacts at different space and time scales.

Keywords : soil fertility, cropping system, production, production, Paraguay, Paraguay, Anthonomus grandis, organic cotton, yields, pest management, Anthonomus grandis, farm-made fertilizers and pesticides

1. Introduction

1Dans de nombreux pays producteurs de coton, la culture cotonnière est à la limite de la rentabilité et ses impacts sociaux et environnementaux ne peuvent plus être ignorés (Abba et al., 2006 ; Pichot et al., 2006). Dans les pays en développement, où le coton est produit sur de petites surfaces et en régime pluvial par une petite agriculture familiale, les rendements tendent à plafonner, voire à décroître. La baisse de la fertilité des sols est une des causes invoquées (Vaissayre et al., 2008), certains auteurs parlent même d'exploitation minière des sols (Van der Pol, 1990). Une autre cause soulignée par de nombreux auteurs dans le monde est la baisse de l'efficacité des insecticides à la suite de l'apparition de résistances chez certains ravageurs du cotonnier (Tang et al., 1988 ; Armes et al., 1996 ; Martin et al., 2005).

2Face à cette crise, la recherche agronomique s'est mobilisée (Pichot et al., 2006). Dans certains bassins cotonniers, les bonnes relations entre la recherche agronomique et les organismes de développement ont conduit à changer les pratiques paysannes, notamment celles de protection contre les ravageurs, avec la mise en œuvre de traitements ciblés et sur seuil (Ferron et al., 2006). Les changements dans les pratiques de gestion des sols sont en revanche plus difficiles à mettre en œuvre (Vall et al., 2006 ; Balarabé et al., 2008 ; Uphoff, 2008). Les travaux de recherche en cours privilégient la voie agroécologique qui vise à insérer plus harmonieusement la culture cotonnière dans des paysages agricoles à biodiversité entretenue, afin de favoriser les régulations écologiques et de réduire l'usage des intrants conventionnels (Deguine et al., 2008).

3L'International Federation of Organic Agriculture Movements (IFOAM, www.ifoam.org/growing_organic/definitions) souligne que l'agriculture biologique ne se limite pas à exclure les intrants chimiques de synthèse et les semences génétiquement modifiées au profit d'intrants biologiques ou préparés à la ferme. Elle s'inscrit pleinement dans la voie agroécologique et vise la durabilité de l'écosystème agricole. De ce fait, dans les zones cotonnières des pays en développement, l'adoption de l'agriculture biologique est présentée par ses promoteurs comme une option de sortie de crise (Ferrigno et al., 2008).

4Cependant, les contraintes génériques liées à la production de coton biologique sont pour la plupart bien identifiées (ICAC, 2003 ; Ton, 2003) : absence de variétés adaptées, difficulté à produire des semences biologiques, difficulté à mettre au point localement des techniques de remplacement aux fertilisants et aux pesticides de synthèse, complexité de l'organisation et cout élevé de la certification, manque d'information sur les couts de production. La faisabilité et la rentabilité de la culture biologique sans fertilisants ni pesticides de synthèse font d'ailleurs l'objet de controverses (Matthews et al., 2006) et disposer de terres fertiles est souvent présenté comme une condition préalable nécessaire (Diallo, 2008 ; Ferrigno et al., 2008).

5D'après Ferrigno et al. (2008), la production de fibre de coton certifié biologique impliquait 22 pays en 2007-2008 et représentait 0,55 % de la production globale de coton, mais elle était en hausse de 60 à 152 % selon les pays par rapport à la campagne 2006-2007. La production de coton biologique est pour l'essentiel le fait d'agricultures familiales paysannes, en général soutenues par des organisations, souvent non gouvernementales (ONG). De plus, la culture cotonnière biologique est souvent associée au commerce équitable.

6En Amérique du Sud, les trois pays producteurs de coton biologique, le Pérou, le Paraguay et le Brésil, ont des situations très contrastées. Sur le plan phytosanitaire, le Pérou bénéficie de conditions favorables, du fait de l'absence du redoutable charançon des capsules Anthonomus grandis Boheman, ou picudo (Duthurburu, 2001 ; Lizárraga et al., 2008). À l'inverse, cet insecte, qui fait d'ailleurs l'objet de plans d'éradication aux États-Unis, constitue un problème sérieux au Brésil et au Paraguay depuis son introduction accidentelle en Amérique du Sud en 1983 (Anon., 1997). Au Brésil, sa présence explique probablement la faiblesse de la production dans les États du Nord-Est, notamment le Ceará et même au Sud du pays dans les projets pionniers de l'État du Paraná (de Souza et al., 2005).

7Au Paraguay, la culture biologique du cotonnier se développe depuis 2001. Elle alimente une nouvelle filière textile biologique, allant jusqu'à la confection et l'exportation de produits haut de gamme. Une étude exploratoire réalisée en 2008 et rapportée par Martin et al. (2010) a permis de décrire la construction de la filière et d'en relever les contraintes d'ordre organisationnel et économique. Cette même étude a permis de relever des contraintes d'ordre agronomique, notamment en matière de gestion de la fertilité des sols et de protection contre les ravageurs du cotonnier. Ces contraintes sont décrites dans cet article, qui présente en préalable une analyse de la production et des rendements, assortie de comparaisons avec le Pérou et le Brésil et aussi avec des projets de culture cotonnière biologique en Afrique et en Asie soutenus par l'ONG internationale Helvetas.

2. Modalités et contexte de l'étude

8Les modalités de l'étude per se sont décrites dans Martin et al. (2010). L'étude s'est déroulée en période de récolte de février à mai 2008 principalement sous forme d'entretiens avec des agriculteurs, des entreprises et des institutions impliquées directement ou indirectement dans la production de coton biologique. De la documentation et des informations quantitatives ont également été recueillies.

9Le Paraguay est un pays austral de basse altitude au climat subtropical relativement favorable à l'agriculture pluviale, avec une pluviométrie de 1 000 à 1 500 mm par an et une petite saison sèche de deux à trois mois en période hivernale (juillet-aout). Les risques de gel sont faibles mais non nuls. Deux cycles de culture annuels sont possibles, un cycle d'été et un cycle d'hiver.

10La culture du coton, qu'il soit conventionnel ou biologique, est essentiellement assurée par de petites exploitations familiales, contrairement au soja et à la viande bovine qui sont produits dans de grandes propriétés. Ces petites exploitations utilisent pour la plupart la traction animale, elles disposent en général d'un cheval et/ou d'une paire de boeufs. Comme le maïs, le manioc, les haricots ou le sésame, le coton est une culture d'été. Il est semé en octobre et récolté quatre mois plus tard. La récolte est manuelle et dure environ un mois en période pluvieuse (mars). Les cultures d'hiver sont surtout des engrais verts et des plantes de couverture dont l'usage est promu par des projets en faveur de l'agriculture de conservation soutenus par le Ministère de l'Agriculture.

3. Résultats et discussion

3.1. Analyse de la production et des rendements en coton-graine

11La production de coton certifié biologique a démarré en 2003 avec 25 tonnes de coton-graine et a dépassé 200 tonnes en 2007 et 2008, soit une croissance moyenne de 35 % sur la période 2003-2007 (Tableau 1). Ce niveau de production situe le Paraguay comme deuxième producteur sud-américain de coton biologique, derrière le Pérou.

12Les rendements moyens sont à considérer avec prudence. Le rendement élevé de 1 852 kg.ha-1 de coton-graine obtenu en 2003-2004 n'a jamais été reproduit par la suite. Il est le résultat de conditions de production particulières, proches du jardinage, avec 0,3 ha en moyenne par producteur, au lieu de 0,8 à 0,9 ha pour les campagnes suivantes (Tableau 1). Le rendement de 602 kg.ha-1 enregistré en 2006-2007, campagne marquée par une sècheresse en cours de cycle et une pression parasitaire élevée, semble correspondre à la réalité d'une structure de production plus dispersée avec davantage de producteurs (Tableau 1) bénéficiant d'un suivi moins rapproché par rapport aux deux premières campagnes. En revanche, le rendement de 492 kg.ha-1 enregistré en 2007-2008 serait largement sous-estimé à cause de fuites de production vers la filière conventionnelle (Martin et al., 2010). Ces fuites seraient la cause de la baisse de production (-6,6 %) enregistrée en 2007-2008 (Tableau 1), alors qu'une augmentation de production était attendue. En effet, d'une part les surfaces étaient en hausse sans augmentation concomitante de la surface par producteur (Tableau 1) et d'autre part, les conditions climatiques et sanitaires ont été favorables et nettement meilleures qu'en 2006-2007 (absence de sècheresse et de pullulation de ravageurs). En outre, les autorisations de récolte délivrées dans le cadre des procédures de certification aboutissaient à une espérance de rendement moyen de 850 kg.ha-1 de coton-graine, presque deux fois plus élevée que le rendement final enregistré (Tableau 1).

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13Alors qu'en filière cotonnière conventionnelle, l'estimation des rendements est imprécise à cause du manque de fiabilité de l'évaluation des surfaces, en filière biologique, c'est l'incertitude sur la production 2007-2008 qui a rendu l'estimation du rendement imprécise. Cette situation s'explique par les circonstances particulières d'une campagne marquée par une pression d'achat très élevée de la part de la filière conventionnelle et, donc, de ventes substantielles de coton biologique à la filière conventionnelle (Martin et al., 2010). Cependant, compte tenu d'une part du rendement moyen enregistré en 2006-2007 (600 kg.ha-1) et d'autre part, des conditions de culture favorables de 2007-2008 cohérentes avec le niveau de rendement attendu d'après les autorisations de récolte (850 kg.ha-1), nous pouvons admettre que les rendements réels de la campagne 2007-2008 ont été supérieurs à 600 kg.ha-1 et proches de 850 kg.ha-1 de coton-graine. Les variations autour de ces valeurs auraient couvert, d'après les autorisations de récolte, une gamme de rendements de 500 à 600 kg.ha-1 dans les terres les plus dégradées du département de Guaira à plus de 1 000 kg.ha-1 dans des zones plus favorables, en particulier dans les parcelles sur précédent canne à sucre (Martin et al., 2010).

14La comparaison de cette situation avec d'autres expériences dans le monde en conditions familiales nous apporte d'autres enseignements. Sur le plan entomologique par exemple, malgré la présence du charançon picudo au Paraguay et dans le pays voisin, les rendements de coton biologique paraguayens sont plus élevés qu'au Brésil. Dans ce dernier pays, les rares projets documentés font état de rendements très faibles : de Souza (2008) rapporte des rendements de 100 à 300 kg.ha-1 dans le Ceará brésilien. L'intensité des attaques du charançon est très variable, selon les régions et les campagnes agricoles et cette variabilité spatio-temporelle des populations mériterait d'être mieux caractérisée afin de définir les régions les plus appropriées pour une production durable.

15D'autres comparaisons peuvent être tentées entre continents. Une comparaison avec les projets soutenus par l'ONG Helvetas en Afrique ou en Asie montre la progression continue de la culture du coton biologique depuis le début des années 2000 (Tableau 2), aussi bien du point de vue du nombre de producteurs que de la surface cotonnière. Au Mali et au Burkina Faso, l'essor très marqué peut s'expliquer par le soutien fort d'ONG internationales et par les politiques agricoles nationales. En général, les surfaces par exploitation sont petites, le plus souvent proche de 0,4 ha. Les rendements restent modestes, de quelques centaines de kilos de coton-graine par hectare.

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16Les variations de productions et de rendements observés rendent compte de situations diverses parfois très contrastées, non seulement en relation avec la pression des ravageurs mais également en fonction de facteurs non agronomiques comme les modalités d'organisation et de soutien de la filière. La prise en compte de ces nombreux facteurs, pas toujours étudiés, est cependant indispensable pour lancer un projet de développement de la culture du cotonnier biologique dans une région donnée.

3.2. Systèmes de culture et pratiques culturales

17Au Paraguay, l'agriculture biologique a notamment pour but de rendre viable et durable l'exploitation agricole en diversifiant les productions d'autoconsommation et les cultures valorisables sur les marchés biologiques locaux ou d'export, tout en diminuant la dépendance des producteurs vis-à-vis des intrants extérieurs. L'agriculture biologique s'appuie notamment sur la valorisation maximale des ressources locales.

18La rotation des cultures est de règle et le brûlis est proscrit. Les associations de cultures sont recommandées et pratiquées à des degrés de complexité divers. Le semis avec travail minimum du sol en présence d'un mulch de résidus d'engrais verts est encouragé, notamment pour protéger le sol contre l'érosion et limiter la prolifération des adventices. De nombreuses préparations liquides à base de plantes et de matières naturelles diverses sont fabriquées à la ferme pour la nutrition ou la protection des plantes. Certaines sont recommandées et leur usage est devenu populaire. Ces recettes et leurs usages sont détaillés dans les manuels des principaux organismes promoteurs de l'agriculture biologique paraguayenne (Arasy Orgánica, 2006 ; Nicholls et al., 2007 ; Paredes, 2007).

19Au Paraguay, les sols de défriche sont relativement fertiles (Braud et al., 1977) mais la culture continue avec labour et brûlis des résidus de récolte a fait apparaitre des déficiences en phosphore et en potassium, des bilans organiques et minéraux déficitaires et de l'acidification avec des taches de toxicités aluminique et manganique (Anon., 1989). Le Ministère de l'Agriculture (www.mag.gov.py/pmrn) a lancé plusieurs programmes pilotes de conservation des sols pour l'agriculture familiale paysanne. Les amendements calcaires et magnésiens sont ainsi conseillés, comme les engrais minéraux NPK, les cultures d'engrais verts et le travail minimum du sol avec ou sans herbicide (glyphosate). L'agriculture biologique applique grosso modo les mêmes principes de gestion des sols, en excluant les intrants de synthèse et en incorporant d'autres intrants biologiques ou minéraux autorisés. Elle bénéficie aussi de la dynamique créée par ces programmes, notamment pour l'approvisionnement en semences d'engrais verts.

20En culture biologique de coton, les agriculteurs utilisent des fumures organiques appliquées au sol et des bio-fertilisants fermiers en pulvérisation foliaire. En période de transition entre la culture conventionnelle et la culture biologique certifiée, une analyse de sol est souvent réalisée. Lorsque le pH du sol est inférieur à 5,2, l'apport de calcaire ou de calcaire magnésien est recommandé. Cependant, nous n'avons pas rencontré de cas de suivi pluriannuel du statut chimique du sol avec répétition des analyses de sol quelques années après.

21Rotation des cultures et engrais verts. En dehors des zones de culture de la canne à sucre où le coton est intercalé entre deux cycles de canne à sucre avec travail du sol, le coton est souvent cultivé après un maïs dans lequel est implanté avant récolte un engrais vert comme la légumineuse annuelle mucuna cendrée (Stizolobium cinereum Piper & Tracy). Le coton peut aussi être cultivé après un manioc associé à Canavalia ensiformis (L.) DC. (légumineuse rampante à grosses graines). D'autres légumineuses tropicales comme le guandu ou pois d'angole (Cajanus cajan (L.) Millsp.) et la crotalaire érigée (Crotalaria juncea L.) sont parfois utilisées. Après le coton, suit un engrais vert d'hiver avant une culture d'autoconsommation (maïs, manioc, haricot) ou de rente (sésame). Ces engrais verts d'hiver sont des plantes de climat tempéré : avoine noire (Avena strigosa Schreb.), lupin blanc (Lupinus albus L.), navet fourrager (Raphanus sativus L. var. oleifera Metzg.). Ils sont semés seuls ou en mélange. L'avoine et le navet sont semés à la volée sur les résidus de coton, les graines étant ensuite légèrement incorporées par un passage de rouleau à cornières tracté par une paire de bœufs. Le lupin est semé à la canne planteuse (grosses graines). Ces cultures sont ensuite détruites avant la mise en place de la culture suivante par un ou deux passages de rouleau à cornières ou par un fauchage à la machette.

22Le mucuna cendré grimpe sur les tiges sèches du maïs mûr et peut couvrir totalement le sol s'il est semé au bon moment, sur sol relativement propre et avec une densité suffisante. Il réduit l'enherbement de la culture suivante et, en cas de gelée hivernale, laisse un mulch rapidement décomposé et recyclé. En l'absence de gelée, il doit être détruit avant le semis du coton, manuellement à la machette ou avec un rouleau à cornières. Le mulch de résidus de maïs et mucuna est le plus souvent laissé en couverture et le coton est semé à la main ou à la canne planteuse dans des sillons étroits ouverts en traction animale.

23De nos entretiens avec les producteurs de coton biologique, il est apparu que les bénéfices des engrais verts étaient dans l'ensemble bien connus mais que leur usage restait assez limité. Le mucuna était pratiquement le seul engrais vert pour lequel les producteurs sont presque devenus autosuffisants. Parmi les trois engrais verts d'hiver, les agriculteurs préféraient le lupin blanc à cause de ses graines faciles à récolter. Des groupements d'agriculteurs se sont même lancés dans la production et la commercialisation de semences, l'utilisation de semences extérieures n'étant pas toujours possible car elle dépend de leur disponibilité sur les marchés et des possibilités financières des organismes d'appui ou des agriculteurs eux-mêmes. Toutefois, l'uniformité de la couverture du sol et la production de biomasse des engrais verts sont souvent très variables. Par exemple, nous avons fréquemment observé des champs de maïs-mucuna avec de fortes irrégularités d'implantation du mucuna, présageant de futurs défauts de couverture, précurseurs de problèmes d'enherbement, voire de nutrition, dans la culture de coton.

24Les fumures organiques. Les fumures organiques apportées au sol sont des fumiers et des composts de ferme. La recommandation est l'épandage avant semis de 5 t par ha par an de fumier ou l'application au pied des cotonniers de 300 kg.ha-1 de compost de lombric après la levée. En réalité, les producteurs de coton biologique sont loin d'appliquer ces recommandations. En effet, même si tous les producteurs ont des animaux d'élevage (bovins ou équins, porcs et volailles), la quantité et la qualité des fumiers de ferme sont très variables. Leur effet sur la recharge du sol en matière organique et en éléments minéraux ne peut être que très variable, comme l'a observé Berger (1996) au Burkina Faso.

25L'utilisation de lombri-compost est déjà connue en Inde (Eyhorn et al., 2005) et au Pérou (Lizárraga et al., 2008). Son utilisation est encore marginale au Paraguay et ne concernait en 2008 que quelques producteurs pilotes encadrés par l'ONG Alter Vida. Le lombri-compost est fabriqué à la ferme en quelques mois à partir de fumier et de résidus végétaux tels que des feuilles mortes ou les résidus de fabrication d'essence d'orange amère. Ajoutons que l'agriculture biologique permet l'utilisation d'engrais minéraux naturels, comme le phosphate de roche ou le sulfate de potasse. L'ONG Alter Vida préconise leur incorporation au lombri-compost à raison de 50 à 100 kg pour 300 kg de compost lorsque l'analyse de sol en indique le besoin (Paredes, 2007).

26Les bio-fertilisants préparés à la ferme. Le Supermagro est le plus populaire des bio-fertilisants liquides utilisés au Paraguay. C'est un produit de fermentation enrichi en minéraux dont la formule originale est due à Monsieur Edelvino Magro (Instituto Biodinâmico, Brésil). Il en existe plusieurs variantes en usage en Argentine et dans d'autres pays latino-américains. Son utilisation est indiquée pour toutes les cultures, y compris les fruits et les légumes, en sols dégradés ou en production intensive. Outre son rôle nutritif, il aurait un rôle protecteur contre des maladies en raison de sa composition microbiologique. Au Paraguay, certains utilisateurs lui prêtaient également un rôle de répulsif des petits insectes.

27L'ONG Alter Vida a adapté la recette du Supermagro pour la culture du coton (Tableau 3). Sa préparation dure trois mois et nécessite aussi des intrants non disponibles à la ferme, qui sont fournis par les entreprises et institutions qui soutiennent la culture de coton biologique, notamment le fût en plastique de 250 l réutilisable et les sels minéraux tolérés en agriculture biologique. Après filtration, il peut être conservé un an dans des récipients fermés et stockés à l'abri de la lumière. Il est appliqué à des dilutions de 1 à 5 % tous les 3 à 5 jours, avec les pulvérisateurs à dos à pression entretenue en usage au Paraguay.

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28D'autres bio-fertilisants liquides fermiers préconisés par Alter Vida sont aussi en usage au Paraguay : du Supermagro non enrichi en oligoéléments, plus rapide à préparer et l'urine de vache. Celle-ci diluée à 5 % après 3 jours de stockage en vase clos fournirait à la culture de l'azote ammoniacal et augmenterait la résistance face aux maladies ; elle aurait aussi un effet répulsif vis-à-vis de certains ravageurs, notamment les mouches blanches Bemisia tabaci (Gennadius).

29Les entretiens nous ont confirmé que l'utilisation des bio-fertilisants fermiers s'est généralisée. Cependant, comme pour les engrais verts et les engrais organiques solides, la fabrication et l'utilisation (fréquences et doses) des bio-fertilisants liquides sont très variables et par conséquent leurs effets sur la culture et sur la fertilité des sols doivent l'être aussi. Ces variabilités restent méconnues, même si des essais analytiques commencent à être réalisés comme celui d'Araújo et al. (2008) sur les effets d'un Supermagro associé à un compost sur de jeunes caféiers en serre.

3.3. Maitrise des ravageurs et des maladies

30La culture cotonnière est soumise à la pression de nombreux ravageurs associés à un important cortège d'ennemis naturels (Michel et al., 1985 ; 1987 ; Michel, 1989). Les producteurs de coton biologique ont surtout mentionné les insectes comme le picudo A. grandis, les dégâts dus aux coléoptères Curculionidae Eutinobothrus brasiliensis Hambleton et Conotrachelus denieri Hustache, les chenilles phyllophages dont Alabama argillacea Hübner, les chenilles carpophages qui s'attaquent aux organes florifères et fructifères Heliothis virescens F. et Pectinophora gossypiella Saunders. Les maladies du cotonnier, comme la fusariose, la maladie bleue, la bactériose et la ramulariose qui font l'objet d'évaluation par les sélectionneurs, n'ont pas été citées par les producteurs lors de nos enquêtes. Elles paraissent faire l'objet d'attention seulement au semis.

31Les producteurs de coton biologique utilisent des techniques diverses pour traiter les semences et protéger la culture, les insecticides biologiques autorisés et les « préparations maison » à base d'extraits de plantes ou d'insectes malades, dont certaines considérées efficaces contre le picudo.

32Traitement des semences. PMRN (2008) préconise l'enrobage de 25 kg de semences avec une préparation composée de 2 kg de cendres, 0,5 l d'urine de vache et 10 l d'eau. L'effet sur les maladies et insectes de début de cycle n'a pas fait l'objet d'études publiées.

33Traitement aérien à base d'extraits végétaux. Pour lutter contre les ravageurs, les producteurs emploient des préparations à base de plantes macérées dans de l'eau ou de l'urine de bovin. Ces plantes sont le plus souvent connues et recensées sous leurs noms vernaculaires en langue guarani (Tableau 4). La préparation la plus employée est un mélange fermenté d'urine de bovin et de feuilles et graines de lilas des Indes (Melia azedarach L.) et de Philodendron bipinnatifidum Schott. ex Endl. (güembé). D'autres recettes maison sont également fabriquées pour repousser le picudo : urine de vache et ricin, güembé, candelon et kaa-tay, pyno guazú ou ortie, oignon, ail, paraíso, ajenjo. Les préparations sont des macérations courtes (24 h) à appliquer rapidement ou des macérations longues (50 j) utilisées durant tout le cycle cultural, voire conservées jusqu'à la campagne suivante. Employées comme répulsifs, elles sont pulvérisées jusqu'à trois fois par semaine en cas de forte attaque d'un ravageur.

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34Ces préparations n'ont fait l'objet d'aucune évaluation rigoureuse. Malgré la connaissance empirique des plantes à usage insecticide rapportée dans de nombreux pays, comme au Sénégal (Romain et al., 1993), en Amérique latine (Saito et al., 1998 ; 2000 ; Lizárraga et al., 2008) ou en Inde (Eyhorn et al., 2005), peu d'espèces sont finalement employées. Il semble que l'usage d'extraits de plantes est plus important en Amérique latine et en Inde qu'en Afrique subsaharienne (Eyhorn et al., 2005 ; Lizárraga et al., 2008). Au Burkina Faso, le neem (Azadirachta indica A.Juss., Meliaceae) est mélangé à l'huile de koby (Carapa procera DC., Meliaceae) ; ces deux plantes sont les plus employées localement (Helvetas, 2005). Au Mali, ces deux plantes sont parfois associées au npeku (genre Lannea, Anacardiaceae) ; des essais ont été réalisés contre les insectes piqueurs-suceurs avec des plantes des genres Physalis (Solanaceae) et Hyptis (Lamiaceae) et avec de l'huile de pourghère (Jatropha curcas L., Euphorbiaceae) (Diarra et al., 2006). Une formulation artisanale à base de Securidaca sp. (Dioro, Polygalaceae) a été testée au Mali (Doumbia et al., 1997). Des travaux plus approfondis sur l'usage agricole de ces plantes semblent aujourd'hui nécessaires car les effets réels sur les ravageurs visés sont peu documentés.

35Traitement aérien à base de biopesticides ou d'ennemis naturels. La formulation BT2X® à base de bactérie Bacillus thuringiensis Berliner est utilisée contre les chenilles d'A. argillacea. Mais les producteurs ramassent aussi des chenilles mortes à la suite de l'action naturelle d'agents pathogènes, les font macérer dans l'eau puis pulvérisent la préparation sur les cotonniers.

36Au semis du coton, le centre CECTEC (Centro de Educación, Capacitación y Tecnología Campesina) préconise le mélange au sol d'une poudre à base du champignon entomopathogène Beauveria sp. multiplié en laboratoire. Cette pratique est également recommandée au Pérou (Lizárraga et al., 2008). Au Paraguay, malgré la recommandation d'emploi de parasitoïdes d'œufs (trichogrammes), il n'y a pas de biofabriques ni de libération d'ennemis naturels comme au Pérou (Duthurburu, 2001) ou en Californie (Klonsky et al., 1996).

37Pratiques culturales. Certaines pratiques recommandées pour la culture conventionnelle restent valables pour le coton biologique : le semis précoce est préconisé en prévention des attaques du picudo, ainsi que le semis à la même période pour les producteurs d'une même zone. La collecte au sol des boutons floraux contenant les larves puis leur destruction est une mesure destinée à éviter la propagation de ce ravageur.

38L'association du cotonnier avec le haricot et le maïs (1 ligne tous les 5 rangs de cotonnier) est une pratique considérée comme bénéfique pour la conservation des ennemis naturels. Mais aucune étude n'a été conduite au Paraguay sur le rôle attractif de ces plantes associées vis-à-vis des ennemis naturels ou de plantes-pièges des ravageurs du cotonnier.

39Pour réaliser ces études de façon scientifique, il faudra par ailleurs certifier les identifications des ravageurs ou ennemis naturels observés. Par exemple, la présence de pucerons est possible sur le haricot. Ces pucerons, qui pourraient être différents du puceron du cotonnier Aphis gossypii Glover, constitueraient, lorsqu'ils sont présents, une source d'alimentation pour des prédateurs communs tels que coccinelles, chrysopes, syrphes. Mais il faudra s'assurer que ces prédateurs puissent effectivement réduire les populations de A. gossypii sur les autres cultures voisines, comme les cotonniers.

4. Conclusion

40Au Paraguay, la nouvelle filière de coton biologique fait face à des contraintes de gestion de la fertilité des sols et de protection de la culture, en particulier le charançon des capsules Anthonomus grandis. Les pratiques recommandées de fertilisation et de travail minimum du sol peuvent-elles maintenir ou régénérer la fertilité des sols ? Aucune de nos observations ne nous permet de répondre à cette question. Une bonne connaissance des pratiques paysannes et de leur variabilité nous parait être un préalable à des dispositifs expérimentaux de longue durée destinés à évaluer les performances de ces systèmes de culture et l'évolution de la fertilité des sols. Lançon et al. (2007) ont proposé une méthodologie de comparaison de systèmes de culture complexes qu'il serait possible d'appliquer ici. Nous ne connaissons pas non plus l'impact réel des techniques biologiques de protection contre les ravageurs, que ce soient les préparations locales pulvérisées ou épandues et les techniques culturales. Dans tous les cas, des recherches sont nécessaires d'abord pour identifier les processus biologiques mis en œuvre lorsqu'ils sont peu ou pas connus, ensuite pour appréhender qualitativement et quantitativement la variabilité des pratiques paysannes et enfin pour intégrer leurs effets à différentes échelles d'espace et de temps. À terme, les résultats de ces recherches pourraient faire évoluer les systèmes conventionnels de production cotonnière en les rapprochant de la voie agroécologique.

41Remerciements

42Les auteurs remercient tous ceux qui ont collaboré à cette étude exploratoire : entreprises et organisations paraguayennes et de coopération internationale citées dans le texte et agriculteurs interviewés restés anonymes. Les auteurs remercient spécialement Olga Segovia et Nelson Páez (Aratex Orgánica), Mary Cruz Andueza et Sady Ortiz (Associación Jopoi) pour leur aide matérielle sur le terrain, Simon Ferrigno et Doraliz Aranda (Organic Exchange, Londres) pour leur appui financier, ainsi que Frank Eyhorn (Helvetas) et Alfonso Lizárraga (Organic Exchange, Lima) pour leur contribution documentaire et Cécile Fovet-Rabot (Cirad) pour la relecture du manuscrit.

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Pour citer cet article

Pierre Silvie, José Martin, Julie Debru & Maurice Vaissayre, «Le coton biologique au Paraguay. 2. Production et contraintes agronomiques», BASE [En ligne], Volume 14 (2010), numéro 2, 311-320 URL : https://popups.uliege.be/1780-4507/index.php?id=5417.