C@hiers du CRHiDI. Histoire, droit, institutions, société C@hiers du CRHiDI. Histoire, droit, institutions, société -  Vol. 47 - 2023 

Entre global et local : l’expression des appartenances des Thraces à Rome (1er-3e s. CE.)

Tiffany Bellon

Diplômée en 2018 d’un Master en Histoire approfondie, Tiffany Bellon a entamé son doctorat en 2020 à l’UCLouvain. Cette thèse, menée sous la direction de Françoise Van Haeperen, vise à étudier l’expression des appartenances socio-culturelles et territoriales des Thraces établis dans l’Empire romain au cours des trois premiers siècles de notre ère. Sa formation doctorale a été agrémentée de quelques séjours de recherche à l’étranger (Rome et Lyon).  

Résumé

Le concept de glocalisation est envisagé à travers l’expression des appartenances des Thraces établis à Rome au cours des trois premiers siècles de notre ère, telles qu’elles apparaissent dans les sources épigraphiques. Ce canal de communication caractéristique de la société romaine offre aux individus un « répertoire global » qui leur permet d’exprimer, de manière singulière tout en étant compris de tous, leurs appartenances à l’égard de la patrie d’origine et/ou de la société d’accueil. Trois types d’appartenances seront analysés : l’appartenance sociale, culturelle (mise en lumière par l’onomastique et les pratiques religieuses) et territoriale. Ainsi, l’expression des appartenances, multiformes et plurielles, témoigne de l’articulation et de la négociation entre ces différentes échelles que sont le « global » et le « local », soulignant la complexité, mais surtout la richesse des échanges interculturels en présence.

Index de mots-clés : appartenances, interculturel, Thraces, épigraphie latine, identité

Abstract

The concept of glocalization is examined through the expression of the belongings of the Thracians who settled in Rome during the first three centuries AD, as they appear in epigraphic sources. This channel of communication, which was characteristic of Roman society, offered individuals a 'global repertoire' that enabled them to express their belongings to the homeland of origin and/or the host society in a unique way, while still being understood by all. Three types of belonging will be analysed: social, cultural (studied through onomastics and religious practices) and territorial. In this way, the expression of multiform and plural belongings reveals the articulation and negotiation between these different scales - the 'global' and the 'local' - highlighting the complexity, but above all the richness of the intercultural exchanges involved.

Index by keyword : belonging, identity, interculturality, Thracians, Latin epigraphy

1. Introduction

1La vision, désormais dépassée, d’un Empire romain monolithique, homogène et immuable fait aujourd’hui place à la réévaluation des réponses et particularismes régionaux, ces structures locales s’adaptant à cet ensemble global dans lequel elles s’inscrivent. Au sein de cette société globalisante, l’étude de l’expression des appartenances apparait comme une clé de lecture enrichissante, permettant de rendre compte des dynamiques interculturelles en jeu.

2Dans le cadre de cette étude1, nous nous intéressons au cas spécifique des Thraces établis à Rome au cours des trois premiers siècles de notre ère2. Au centre même de cette société globale qu’est la société romaine, qu’advient-il de leurs appartenances : conservent-ils toujours leurs appartenances d’origine ? Tentent-ils de s’intégrer à la société d’accueil quitte à se détourner de leurs coutumes et valeurs anciennes ? Ou bien des échanges se mettent-ils en place, favorisés et favorisant l’émergence d’un espace intermédiaire, un middle ground3, au sein duquel les individus essaient de trouver un compromis, en alliant des éléments propres aux différentes cultures ? Dans quelle mesure ces Thraces établis hors de leur province sont-ils imprégnés de, ou se réfèrent-ils à leur culture locale et/ou à la culture globale ?

3Parce que l’appartenance, intrinsèquement liée à la notion d’identité, consiste en un processus d’identification à un groupe, à un lieu ou, plus largement, à une culture, elle est dite « multiforme ». En outre, nous pouvons également la qualifier de « plurielle »4. En effet, l’individu ne peut être réduit qu’à une seule appartenance. Elles sont multiples et loin de s’exclure, elles cohabitent, coexistent. Bien que ces réflexions soient liées aux enjeux sociétaux et identitaires contemporains, l’existence des identités multiples n’est pas étrangère aux Anciens qui semblent, d’ailleurs, s’en accommoder. En témoigne cet extrait d’Aulu-Gelle, consacré au poète Ennius : « Quintus Ennius tria corda habere sese dicebat quod loqui Graece et Osce et Latine sciret »5. Comprenons ces tria corda comme étant trois cœurs, sièges des sentiments, et le concept d’identités multiples, qui ne s’excluent pas, mais existent simultanément, prend alors tout son sens, et ce, même dans les sociétés anciennes6.

4S’inscrivant dans une conception interactionniste de l’identité, c’est-à-dire que l’individu évolue, interagit, influence, et est influencé par autrui et par l’environnement qui l’entoure, les appartenances sont activées, (re)négociées et adaptées selon le contexte7. L’homme est avant tout – et surtout – un « homme flexible »8 dont les appartenances, loin d’être fixes, se construisent et se déconstruisent, consciemment ou non, au gré des situations. Tout l’intérêt est de comprendre comment s’articulent ces différentes appartenances et de relever les éléments contextuels qui permettraient d’expliquer l’activation de tel ou tel type d’appartenance.

5Si la question des appartenances offre des terrains riches à explorer, son étude n’en est toutefois pas aisée pour les antiquisants. L’appartenance revêt en effet deux facettes dont l’une, parce qu’elle appelle à la subjectivité, aux ressentis et aux émotions personnelles de l’individu – ce qu’on désigne plus communément comme étant le « sentiment d’appartenance », reste le plus souvent insaisissable. Il est toutefois toute une série d’éléments distinctifs par lesquels l’individu ou groupes d’individus expriment, délibérément ou non, leurs appartenances. Ce que nous appelons les « marques d’appartenances » représentent cette facette objectivable que les antiquisants sont en mesure de déceler et d’analyser à travers les sources épigraphiques. Par le biais de ces « marques » peuvent être étudiés trois types d’appartenance :

  1. L’appartenance sociale : c’est-à-dire, l’appartenance à un groupe, à une communauté, visible notamment dans les épitaphes, lesquelles mettent en évidence la relation unissant le(s) commémorateur(s) au(x) défunt(s), mais également au travers des inscriptions collectives qui rassemblent des individus sur la base de dénominateur(s) et d’objectif(s) commun(s).

  2. L’appartenance culturelle : divers indicateurs permettent aux individus de manifester leurs appartenances à des cultures données. En raison des sources mobilisées, nous nous concentrerons sur deux marques d’appartenance culturelle. La première consiste à explorer les pratiques cultuelles des Thraces à Rome, les dédicaces sacrées nous permettant d’identifier les divinités qu’ils ont vénérées et dans quel contexte. La deuxième est consacrée à l’onomastique. Nous tâcherons d’identifier les stocks onomastiques dans lesquels les noms portés par les Thraces ont été puisés, pour ensuite tenter de les interpréter en termes de potentielle volonté d’intégration ou de préservation des liens avec les traditions d’origine.

  3. L’appartenance territoriale/ethnique : ce type d’appartenance peut être appréhendé à travers l’origo, c’est-à-dire l’indication de l’origine territoriale et/ou ethnique. Nous porterons une attention particulière aux lieux d’installation des vétérans qui, une fois leur service terminé, ne sont pas tenus de rester sur le lieu de garnison.

6Ces marques d’appartenances socio-culturelles et territoriales sont donc examinées à travers des sources épigraphiques qui répondent à une série de critères liés aux limites géographiques, chronologiques et thématiques de cette recherche. Datées entre les trois premiers siècles de notre ère et retrouvées à Rome9, ces inscriptions attestent la présence de Thraces, identifiés comme tels sur la base de différents indicateurs. Considérant comme étant thrace tout individu originaire de la province romaine de Thrace10, l’indication de l’origo se référant à ladite province assure avec certitude l’origine thrace de l’individu concerné. Le critère onomastique peut également se révéler utile : tout détenteur d’un nom ou d’un cognomen indigène est identifié comme thrace11. Considérés comme thraces sur la base de l’un ou de ces deux critères, nous étendons cette identification aux membres de la famille (père, mère, enfant, sœur, frère12…) et aux municipi et convicani, individus originaires d’une même localité. Enfin, sont également identifiés comme thraces les dédicants d’une inscription sacrée érigée en l’honneur d’une divinité locale13.

7Sur la base de ces critères de sélection, nous avons rassemblé 274 inscriptions. Elles attestent la présence de 488 Thraces, essentiellement des hommes (472 contre 15 femmes14), ce qui n’est guère étonnant au vu du nombre d’effectifs thraces au sein de la garnison urbaine. En effet, 373 de ces individus servent ou ont servi dans l’un des différents corps de garde de Rome, principalement en tant que prétoriens (219 dont 23 vétérans) et equites singulares Augusti (101 dont 56 vétérans)15.

8D’emblée, la composante militaire se dégage nettement de ce dossier romain de telle sorte qu’elle constitue la toile de fond de nos analyses et interprétations16. À titre d’exemples, quelques observations générales peuvent s’expliquer par le recrutement massif des Thraces au sein des deux corps « d’élite » que sont la garde prétorienne et la cavalerie impériale.

9D’un point de vue chronologique, plus de la moitié des inscriptions sont datées entre 193 et la fin du 3e siècle17. Or, à partir de l’avènement de Septime Sévère, les equites singulares Augusti et les prétoriens qui, jusqu’alors, étaient essentiellement originaires des provinces occidentales de l’Empire, sont désormais issus de l’espace danubien et balkanique, principalement de Pannonie, Thrace et Dacie18. De plus, l’entrée en service au sein de ces deux corps de troupe nécessite obligatoirement la possession de la citoyenneté romaine. Aussi, n’était-il guère étonnant de constater que parmi les 425 citoyens romains d’origine thrace, 371 sont ou ont été soldats (contre vingt-sept affranchis, quatorze esclaves et huit pérégrins19).

10Même la présence de civils thraces attestés à Rome est étroitement liée à celle des soldats. D’ordinaire, il est difficile d’identifier les raisons de leur venue à Rome, rares étant ceux mentionnant leurs occupations20. Toutefois, un quart de ces civils se sont déplacés à la suite d’hommes de la famille partis prendre les armes21. Ces parents, épouses, enfants, frères et sœurs appartiennent alors à la communauté militaire en tant que proches de soldats.

2. La pratique épigraphique : l’usage d’un « répertoire global »

11Avant de nous intéresser aux appartenances en tant que telles, il est nécessaire de nous attarder quelques instants sur le canal de communication choisi, à savoir les inscriptions sur matériaux pérennes, et par lequel les Thraces expriment et donnent à voir leurs appartenances.

12La pratique épigraphique est indubitablement caractéristique de la société romaine. Aussi, qu’elles témoignent de l’intégration de l’individu au sein de la société d’accueil, de la préservation d’un lien avec la patrie d’origine, ou encore de la recherche d’un compromis entre ces différents éléments, les appartenances sont exprimées selon des codes, des formules et, tel que c’est ici le cas dans notre corpus majoritairement constitué d’inscriptions latines22, dans une langue propre à cette société globale. Pour ne citer que quelques exemples, mentionnons l’usage systématique de la formule D(is) M(anibus) dans les inscriptions funéraires. Quant aux inscriptions sacrées, érigées la plupart du temps à la suite de l’acquittement d’un vœu précédemment formulé, elles témoignent de l’appropriation de la formulation typiquement romaine (l(ibens) m(erito) v(otum) s(olvit) ou v(otum) p(osuit)), que ce soit pour honorer des divinités appartenant au panthéon gréco-romain que pour vénérer les dii patrii23.

13Toutefois, parce qu’elle est avant tout une pratique, l’épigraphie est loin d’être rigide : elle peut être adaptée selon les besoins et les spécificités de ses usagers. En ce sens, la communauté militaire semble avoir développé et standardisé des formules qui répondent à ses propres réalités, permettant ainsi à ses membres de souligner leur appartenance à l’armée romaine. Dans les épitaphes érigées en l’honneur d’un défunt soldat, est bien souvent décrite sa carrière militaire (la charge occupée, l’unité dans laquelle il l’exerçait et le nombre d’années consacrées au service des armes), nécessitant dès lors l’utilisation de termes techniques propres à l’organisation militaire24. À ces exemples, ajoutons les cinq dédicaces religieuses élevées par des equites singulares Augusti à la suite de leur honesta missio qui, répétant une structure plus ou moins identique, confèrent à cette piété un caractère davantage institutionnel25. Cette standardisation du formulaire est attestée par ailleurs à travers l’origo. D’après les récentes recherches de M. A. Speidel, la mention de l’origo dans les documents officiels, tels que les catalogues ou les diplômes militaires, répondrait non pas réellement à un choix arbitraire posé par les Thraces mais davantage à l’influence de la bureaucratie et de l’administration militaire26.

14Ainsi, l’acte même d’exprimer ses appartenances s’inscrit dans une pratique et s’imprègne d’un « répertoire global » et, pour certains, d’un répertoire spécifiquement « militaire », tout en l’adaptant aux réalités et besoins propres à chacun27.

3. Exprimer des appartenances

…sociales

15Selon la théorie de l’identité sociale, l’appartenance primordiale de tout individu est celle exprimée à l’égard des groupes sociaux avec lesquels ils partagent des points et intérêts communs. Parmi ceux-ci, la famille représente un repère identitaire essentiel et occupe ainsi une place privilégiée28. Il convient, dès lors, d’identifier les différents réseaux mis en place par les Thraces à Rome.

16Des inscriptions funéraires, il ressort que ces réseaux s’inscrivent dans le cercle familial et/ou se construisent au sein de l’environnement militaire. Lorsqu’ils ne sont pas leurs propres dédicants ou qu’aucun commémorateur n’apparait dans l’épitaphe, les civils jouissant de la citoyenneté romaine, les pérégrins et les affranchis d’origine thrace sont essentiellement commémorés par des membres de la famille. Quant aux relations entretenues par des soldats et vétérans, si quelques-unes restent cantonnées à la sphère familiale, la majorité d’entre elles s’inscrivent principalement dans le camp militaire. Ce dernier constitue parfois le seul lieu de sociabilité29. Les compagnons d’armes de ces défunts thraces agissent principalement en tant qu’héritiers. Certains insistent par ailleurs sur la relation amicale tissée au cours de leur service, en utilisant des termes tels que amicus ou encore frater. Si, malheureusement, les éléments ayant favorisé l’émergence de cette amitié nous échappent, il est possible de postuler, pour certains d’entre eux, qu’une origine territoriale et/ou ethnique commune, indiquée par les termes convicani et municipi ou supposée par le cognomen indigène des commémorateurs, ait pu contribuer au développement de ces liens amicaux. Cela aurait été d’autant plus favorisé par le recrutement territorial massif organisé à partir de Septime Sévère. En effet, il est possible que ces Thraces, recrutés dans les provinces, aient maintenu les liens tissés avec leurs compagnons d’armes après leur transfert dans la garnison urbaine et ce, qu’ils aient été affectés dans la même unité ou non30. En témoigne par exemple, l’inscription funéraire érigée en l’honneur d’Aurelius Buris, prétorien thrace de la 10e cohorte, par des convicani ayant servi pour l’un dans la même cohorte et pour l’autre dans la 8e cohorte prétorienne31.

17Outre les inscriptions funéraires, il est possible d’analyser les groupes sociaux auxquels appartiennent les Thraces, à travers les inscriptions collectives, c’est-à-dire érigées à l’instigation d’un groupe de plusieurs individus. Sans grand étonnement, le dénominateur commun de la majorité de ces collectivités est l’appartenance à un même corps de troupe. Ces soldats ou vétérans érigent tantôt des dédicaces en l’honneur de l’Empereur lui témoignant et renforçant ainsi leur loyauté, tantôt des inscriptions sacrées adressées autant à des divinités gréco-romaines que locales.

18Par ailleurs, certaines de ces collectivités se rassemblent autour d’un dénominateur commun plus spécifique que la seule appartenance à un même corps de troupe. Trois inscriptions sacrées ont été dressées par des vétérans issus des equites singulares Augusti ayant débuté leur service la même année, contribuant au développement d’une éventuelle appartenance générationnelle32. Parmi ces trois collectivités, une en particulier est composée exclusivement de vétérans thraces ayant reçu l’honorable congé33. Outre cette inscription, on en compte d’autres érigées par un groupe d’individus thraces34. Partant, l’origine géographique ou ethnique commune semble avoir été un facteur déterminant ayant favorisé le rassemblement de ces individus en « club ethnique » au sein d’une même unité, de corps de troupes différents, voire entre civils et soldats35.

19Aussi, au sein de ces relations, il est possible de mettre en évidence des groupes sociaux proprement thraces – familiaux, amicaux et cultuels – qui, bien que cette dimension de la vie quotidienne soit insaisissable, ont pu constituer le lieu privilégié où ont été maintenues les traditions et coutumes locales.

… culturelles

20Comme explicité précédemment, deux marques d’appartenances culturelles sont ici envisagées pour appréhender au mieux « la diversité et la complexité des traits caractéristiques de la culture »36 : les pratiques cultuelles dans un premier temps, l’onomastique ensuite.

Les pratiques cultuelles

21La religion est un marqueur identitaire primordial37. Les pratiques religieuses constituent l’un des fondements essentiels de la culture, car elles sont un « puissant instrument de reproduction des valeurs et des symboles du passé »38. À travers les cultes, l’individu manifeste son appartenance à la culture traditionnelle et/ou à la société d’accueil39, honorer une divinité lui permettant ainsi de se définir, mais également de s’identifier par rapport à la communauté à laquelle il revendique appartenir40.

22Les dédicaces et inscriptions votives recensées dans notre corpus, 29 au total, ont été principalement érigées par des soldats. Dans le cadre de l’armée, et plus largement de la société romaine, les individus se doivent de respecter les cultes publics41. Les attestations d’inscriptions dédiées à des divinités du panthéon gréco-romain ne sont donc pas anodines : elles sont même attendues. Parmi ces divinités, certaines sont intimement liées au monde militaire (Mars, Hercule, Silvanus) voire, plus spécifiquement au corps de troupe auquel appartiennent les dédicants : Epona (déesse liée à la cavalerie), les Campestres (déesses du champ d’exercice), Génie du corps de troupe, de la centurie, de la turme. Non seulement ces cultes partagés par l’ensemble des effectifs, quelle que soit leur origine, renforcent la cohésion au sein des troupes mais surtout, ils permettent de témoigner la loyauté envers l’armée, Rome et bien évidemment, l’empereur.

23En parallèle, la tolérance de Rome à l’égard des cultes locaux permet aux étrangers de continuer à vénérer les dii patrii, les dieux locaux, pour autant que leurs pratiques ne représentent aucun danger pour la cité42. Rome s’est montrée ouverte à l’égard de ces cultes et rites venus d’ailleurs, ouverture qui se manifeste de manière éloquente par un « continuous process of introducing new gods »43. Aussi, plusieurs divinités thraces ont été vénérées à Rome.

24Le culte du Cavalier Thrace, divinité anonyme et complexe, mais non moins populaire44, est attesté à deux reprises : Long[i]cius Thraciacius érige une inscription votive l’attention de Deus Heros tandis que le Heros Briganitius est vénéré par quatre prétoriens, cives Usdicensis, originaires du vicus Acatapara qui s’acquittent de leur vœu45.

25Hormis cette divinité, les autres dii patrii honorés à Rome par les Thraces paraissent appartenir au panthéon gréco-romain, tout en s’en éloignant de manière singulière. En effet, l’épithète toponymique permet de rattacher le culte à une forme proprement locale. Déclinaisons uniques, ces divinités sont le fruit d’un processus complexe appelé interpretatio46. C’est le cas, par exemple, des divinités Asclépios et Apollon dont les cultes rencontrent un succès certain en Thrace, succès qui peut s’expliquer par le champ d’action thérapeutique couvert par ces deux divinités, trouvant des résonances avec les cultes locaux, et plus particulièrement ceux liés au Cavalier Thrace. Partant, ces divinités traditionnelles du panthéon gréco-romain sont vénérées sous une forme proprement locale, comme en témoignent les diverses attestations suivantes à Rome47 : Asclépios Sindrina-Zimidrenus48, Apollon Cicanos49, Apollon Bergule50, Raimullouluzolo51, Theos Zberthourdos et Iambadoulès52.

26Comme explicité précédemment, les inscriptions sacrées peuvent non seulement être érigées à l’instigation d’un individu seul mais également par des collectivités. Les communautés rassemblant des militaires d’origines diverses et variées érigent essentiellement des offrandes pro salute de l’Empereur et/ou de compagnons d’armes partis en expédition, des dédicaces produites à la suite de l’honesta missio ou de l’acquittement d’un vœu53. Plus spécifiquement, ces militaires peuvent également se réunir sur la base d’une origine commune pour vénérer les divinités du panthéon gréco-romain, mais également, et surtout, les dii patrii54. C’est le cas d’Asclépios Zimidrenus, honoré par 20 prétoriens cives Philippopolitanorum, chacun précisant son vicus d’origine. Heros Briganitius est quant à lui vénéré par quatre prétoriens cives Usdicensis, originaires du vicus d’Acatapara. Notons que ces derniers servent dans des cohortes différentes, tout comme d’ailleurs les quatre prétoriens ayant honoré Apollon Raimullouluzolo, ce qui pourrait témoigner de la préservation de liens préexistants à leur transfert. L’origine géographique et/ou ethnique partagée a également contribué au rassemblement de civils thraces. Qualifiés de cives provinciae Tracie (!), ils sont originaires du midne Potelense situé sur le territoire de Serdica et s’acquittent d’un vœu auprès de Jupiter Optimus Maximus Ạnccietị55. Enfin, le culte d’Asclépios Sindrina rassemble non seulement des prétoriens thraces, mais aussi des civils d’origine thrace. Cette inscription met peut-être davantage en lumière le caractère fédérateur des pratiques cultuelles qui outrepassent les limites du camp pour rassembler civils et soldats56. Cela contribue à la création de potentielles communautés religieuses thraces qui se réunissent tant pour vénérer les dieux de la société d’accueil que pour honorer les dii patrii.

Onomastique

27La langue, en tant que marqueur identitaire, peut être utilisée par l’individu et, plus largement la collectivité, afin d’exprimer leur appartenance à une culture donnée. La langue est tout à la fois un « instrument d’intégration » lorsque l’apprentissage de la langue de la société d’accueil est acquis et une « affirmation individuelle » lorsque la fonction symbolique de la langue permet à l’individu de conserver des liens avec le pays et/ou la culture d’origine57. La majorité des inscriptions étant gravées en latin, c’est par le biais de l’onomastique qu’est envisagé cet angle d’analyse. Outre qu’elle permet d’identifier le statut juridique de l’individu concerné (citoyen s’il porte les tria ou duo nomina, pérégrin s’il arbore un nom unique), l’onomastique – et plus précisément l’origine du nom – peut être utilisée comme un indicateur d’appartenance, révélatrice des dynamiques interculturelles en jeu.

Graphique 1. Origine des noms portés par les Thraces à Rome (1er-3e siècle) – répartition quantitative en fonction du stock onomastique.

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28De prime abord, les Thraces à Rome puisent plus fréquemment dans le stock onomastique indigène. Cela est d’autant plus vrai pour les civils (tant citoyens romains que pérégrins), les affranchis et les esclaves qui portent essentiellement des noms indigènes58. Pour ce qui est des soldats thraces et de leurs proches jouissant de la citoyenneté romaine, les résultats sont davantage contrastés. En effet, si 131 militaires thraces conservent leur nom indigène, 150 adoptent par contre un cognomen latin qui, de surcroît, rencontre bien souvent un certain succès au sein de l’armée car rappelle des qualités physiques et mentales attendues des recrues59.

29Le cas des « noms d’assonance » est particulièrement intéressant. « Nom qui existe tel quel en latin, mais dont on sait ou pressent qu’il rappelle un nom ou une racine homophone indigène, avec un sens identique ou avec un sens différent », les noms d’assonance présupposent donc une concordance, une résonance, entre un nom latin (ou grec) et une racine indigène60. Parmi ceux-ci, se distinguent majoritairement le nom Mucianus qui appartient au stock onomastique latin, mais qui s’apparente à la racine indigène Muca-, d’étymologie inconnue, très populaire, et sur laquelle se construisent de nombreux noms tels que Mucapor, Mucatralis, etc. Attesté quatre fois dans ce corpus, le nom d’assonance Pyrrhus, construit sur la racine indigène pur-/pir-, appartient quant à lui au stock onomastique grec61. Ces noms d’assonance sont particulièrement révélateurs des dynamiques interculturelles en ce sens qu’ils permettent à la fois d’intégrer les formes onomastiques de la société globale, tout en gardant un lien certain avec les traditions locales62.

30Si les cognomina indigènes et noms d’assonance peuvent être considérés comme de réels indicateurs d’appartenance, les cognomina latins nous semblent plus ambigus. Les Thraces respectent les règles complexes de l’onomastique latine que leur impose leur nouveau statut de citoyen romain, statut qui témoigne par ailleurs de leur appartenance à la civitas Romana. Dès lors, l’onomastique citoyenne étant imposée, il est légitime de se demander si les cognomina latins ont été librement choisis et manifesteraient ainsi une réelle appartenance, une appartenance ressentie, ou si au contraire, ce choix résulterait davantage d’un souci d’uniformité onomastique, s’inscrivant dans la continuité des praenomina et cognomina d’origine latine63. L’exemple du vétéran Aur(elius) Marcellinus qui et Diza est, à ce titre, assez révélateur64. Le cognomen adopté appartient clairement au stock onomastique latin, mais l’ajout de l’agnomen, introduit par l’expression qui et (Aurelius Marcellinus, dit Diza), laisse supposer que le nom indigène n’était pas totalement abandonné. Peut-être restait-il d’usage dans le cadre privé et plus particulièrement entre individus de même origine.

31La volonté d’intégration à la société d’accueil et/ou de préservation des liens avec la patrie d’origine peut également être appréhendée par le biais de l’étude de la transmission des noms, visible à travers la patronymie et les inscriptions mettant en relation parents et enfants.

Tableau 1. Transmission des noms sur plusieurs générations – Origine du nom des parents thraces en fonction de l’origine du nom de leurs enfants.

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32Bien que l’échantillon soit assez maigre, celui-ci n’en est pas moins révélateur en termes d’expression des appartenances. Tout d’abord, il convient de nuancer les cinq occurrences de noms indigènes transmis aux enfants alors que les parents, exclusivement des pères, portent un nom appartenant à ce même stock onomastique. Cette transmission nous est parvenue à travers l’indication de la patronymie qui vient compléter une nomenclature pérégrine, statut juridique dont jouissent également les pères concernés. Dès lors, les idionymes d’origine indigène des enfants ne doivent guère étonner car ils s’inscrivent dans leurs traditions onomastiques.

33Cette clarification énoncée, il semblerait que les cognomina latins ont été privilégiés. Dans quatre cas, les parents sont d’origine pérégrine, tel que le laisse supposer la patronymie indigène. Aussi, il est légitime de se demander si ce ne sont pas les fils eux-mêmes qui, une fois la citoyenneté romaine octroyée, ont choisi leur nouveau nom. Cela est d’autant plus vraisemblable que leurs cognomina sont très répandus dans l’armée romaine. Dans les trois autres cas, les noms latins ont été choisis alors que les pères, détenteurs de cognomina indigènes, jouissent déjà de la citoyenneté romaine, témoignant de la probable volonté de renforcer leur intégration à la société d’accueil, volonté partagée également par les pères qui détiennent déjà un nom latin.

… territoriale/ethnique

34Ce type d’appartenance se manifeste dans les inscriptions à travers l’origo, c’est-à-dire l’indication de la provenance de l’individu : la localité, la région ou la province à laquelle il est lié d’une manière ou d’une autre.

35M. A. Speidel ayant mis en évidence la standardisation des formules exprimant l’origo dans des documents officiels tels que les catalogues ou les diplômes militaires, influencée par la bureaucratie militaire, nous nous questionnons. S’il ne relève pas d’un choix posé par l’individu concerné, l’attachement au lieu indiqué en guise d’origo est-il réellement ressenti ?

36Comparer le lieu de découverte des diplômes militaires et l’origo indiquée sur ces tablettes de bronze peut apporter des éléments intéressants à la réflexion. L’échantillon des diplomata dont le lieu de découverte est connu est relativement pauvre (douze sur quarante-et-un). Exception faite des diplômes retrouvés en Mésie Inférieure65, six ont été découverts en Thrace, témoignant du retour dans la patrie d’origine une fois leur service terminé66. En comparant le lieu de découverte et celui indiqué en guise d’origo, les lieux correspondent rarement mais sont éloignés entre quarante-deux et septante kilomètres. Cela reste toutefois compréhensible, les vétérans étant en réalité originaires de vici appartenant au territoire des centres urbains enregistrés comme origo au moment de la probatio67.

37Si la théorie de M. A. Speidel semble pertinente dans le cas des inscriptions officielles (dont notamment les diplômes militaires), la situation est plus nuancée dans les inscriptions privées (funéraires et sacrées) : les natures et formulations de l’origo sont diverses et variées. Elle peut exprimer l’appartenance au groupe ethnique, d’une part, par l’utilisation des termes Thrax ou Bessus, employés seuls ou introduits la plupart du temps par natio68 ou civis (cives Thraces). D’autre part, l’origo revêt une acception d’ordre territorial, se référant à des lieux : province (provincia), ville (souvent seule, parfois introduite par les termes civitas, domus, natus ou regio qui se réfère alors à l’ensemble du territoire de la ville69) et enfin le village (vicus et probablement le terme indigène midne70).

38Ces indicateurs géographiques sont bien souvent combinés, permettant ainsi d’apporter des précisions quant à la localisation de ces entités territoriales pour les moins, comme pour les mieux avertis. Notons qu’indiquer le vicus est une pratique plus fréquente parmi les individus originaires des provinces orientales de l’Empire, dont la Thrace. Si aux yeux de M. A. Speidel, l’indication du vicus n’est qu’un moyen de reconnaissance entre les soldats homonymes71, D. Noy interprète cette habitude épigraphique comme « a way of preserving a sort of local identity »72, hypothèse que nous partageons également. En effet, le plus grand nombre de vici attestés à Rome le sont à travers des inscriptions réunissant des Thraces provenant de la même région et pour qui, l’indication de ces villages est porteuse d’un réel sens, favorisant l’identification et la reconnaissance par les pairs. En ce sens, s’il est extrêmement difficile de déterminer, sur la base d’une inscription, le sentiment d’appartenance au lieu ou à la communauté indiquée, il est certain que l’origine territoriale et/ou ethnique a contribué à la création de communautés thraces à Rome, dont l’existence est rendue visible à travers les inscriptions funéraires et collectives73.

4. Conclusion

39Les Thraces établis à Rome se sont-ils assimilés à la société d’accueil, quitte à abandonner leurs coutumes locales ? Ou, au contraire, ont-ils préservé un lien avec leur ancienne patrie ? Ces questions reflètent, au terme de l’analyse de l’expression de leurs appartenances socio-culturelles et territoriales, des comportements bien trop extrêmes qui ne correspondent pas à la complexité des dynamiques interculturelles. Ce n’est « ni tout blanc, ni tout noir » ; dans une recherche de compromis, d’un middle ground empreint des éléments de l’une et de l’autre culture, les Thraces s’expriment dans un nuancé de gris, reflet de la négociation et de l’articulation de leurs appartenances multiformes et plurielles ainsi que des différentes échelles dans lesquelles s’inscrit l’expression de leurs appartenances.

40Évoluant au sein de cette société globale, les Thraces lui empruntent un canal de communication et un répertoire de codes et de formules typiquement romains, témoin en soi de leur appartenance à cette échelle globale. Cette appartenance se manifeste également à travers d’autres indicateurs : la majorité de ces Thraces, par leur (nouveau) statut de citoyen romain sont des membres à part entière de la civitas Romana ; ils respectent les règles nouvelles et complexes de l’onomastique latine que leur impose leur nouveau statut de citoyen ; ils honorent les dieux publics.

41Notons également que la composante militaire de ce corpus est omniprésente et, en ce sens, il est légitime de se demander si l’appartenance à cette communauté a contribué à l’intégration et l’appropriation de ce « répertoire global » par des Thraces qui, d’ordinaire, en sont complètement étrangers. En outre, cette composante militaire, bien que produit de cette société globale, met en lumière ses propres spécificités. Au sein de l’armée, se développe une culture propre, voire plusieurs sous-cultures matérialisées par la multitude de corps de troupe et d’individus d’origines diverses en présence74.

42En parallèle, les codes et logiques propres à cette société globale sont également mis au service de l’expression d’appartenances locales : les Thraces préservent des relations sociales proprement locales, jusqu’à la constitution de réelles communautés rassemblées autour d’une origine commune ou de divinités locales ; bien qu’en terre étrangère, les Thraces restent fidèles aux dii patrii ; leur nomenclature citoyenne est, dans certains cas, marquée par une composante indigène.

43Loin d’être hermétiques, ces différentes échelles d’expression des appartenances s’imbriquent, s’articulent et se répondent de telle sorte qu’il serait vain de les considérer indépendamment l’une de l’autre, et ce, parce que les appartenances sont fondamentalement multiformes et plurielles. Dès lors, l’individu peut exprimer ses appartenances à l’égard de ces diverses échelles et ce, simultanément. Prenons, pour exemple, cette inscription sacrée érigée par vingt prétoriens originaires de Philippopolis en l’honneur de la divinité thrace Asclépios Zimidrinus75. Les trois échelles distinguées précédemment s’enchevêtrent harmonieusement au sein d’une même inscription. En effet, ces dédicants appartiennent à la communauté militaire : cette appartenance est explicitée par le nom de chacune des cohortes et centuries desquelles sont issus ces Thraces. Ces vingt prétoriens expriment également leur appartenance à échelle plus globale, en évoquant le motif de l’érection de cette inscription sacrée : cette dévotion est pratiquée en l’honneur de la domus impériale à laquelle ils témoignent leur loyauté. Mais, plus intéressant encore, est la divinité à laquelle ils se sont adressés : une divinité thrace, locale donc. Ce caractère indigène se distingue par ailleurs dans l’indication de l’origo qui spécifie non seulement la cité, Philippopolis, mais également le vicus dont chacun de ces Thraces est originaire.

44En outre, la rencontre entre le « global » et « local » peut donner lieu à des formes nouvelles, n’appartenant ni totalement à la société d’accueil, ni complètement à la patrie d’origine. En témoignent les phénomènes de noms d’assonance et d’interpretatio qui combinent et allient les éléments proprement globaux et locaux.

45Ainsi, l’expression des appartenances des Thraces à Rome au cours des trois premiers siècles, articulée entre global et local, témoigne de la complexité, mais surtout, de la richesse de ces dynamiques et échanges interculturels.

Notes

1 Cette recherche s’insère, plus largement, dans le cadre d’une thèse de doctorat, dirigée par Fr. Van Haeperen (UCLouvain), portant sur l’expression des marques d’appartenances socioculturelles et territoriales des Thraces établis dans l’ensemble de l’Empire romain, au cours des trois premiers siècles de notre ère. Ces derniers sont particulièrement visibles à travers une quantité impressionnante d’inscriptions disséminées dans de nombreuses provinces de l’Empire, leur mobilité – ainsi que leur notable représentation dans les sources épigraphiques – tenant à l’importante activité des Thraces au sein de l’armée romaine.

2 La première recherche consacrée à la présence des Thraces à Rome – et, aujourd’hui dépassée – remonte à 1923 (G. G. MateescuI Traci nelle epigrafi di Roma, dans Ephemeris Dacoromana, 1923, 1, p. 57-270). Par la suite, d’autres chercheurs comme C. Ricci ou encore Fr. Camia s’emparent de ce sujet d’étude, forts des nouvelles découvertes archéologiques (C. Ricci, Balcanici e Danubiani a Roma. Attestazioni epigrafiche di abitanti delle province Rezia, Norico, Pannonia, Dacia, Dalmazia, Mesia, Macedonia, Tracia (I-III sec.), dans Prosopographica, éd. L. Mrozewicz et K. Ilski, Poznan, 1993, p. 141-208 ; Fr. Camia, I Traci a Roma. Status quaestonis e riflessionimetodologiche su un fenomeno migratoria dell’antichità, dans Mediterraneo Antico. Economie società culture, t. 22, 2019, fasc. 1-2, p. 169-189). Mentionnons également les travaux de D. Noy et M. P. Speidel qui, sans qu’ils représentent le coeur de leur sujet, traitent à divers égards des Thraces à Rome (D. Noy, Foreigners at Rome. Citizens and Strangers, Londres, Duckworth, 2000 ; M. P. Speidel, Die Denkmäler der Kaiserreiter : Equites singulars Augusti, Cologne, Rheinland-Verlag,1994). Enfin, a récemment été publié le fruit de la thèse de C. Cenati, consacrée à l’identité et l’autoreprésentation des soldats de la garnison urbaine originaires des régions danubiennes et balkaniques de l’Empire romain, parmi lesquels figurent donc les Thraces. Cette recherche est celle qui se rapproche davantage de notre problématique. Dès lors, afin de centrer notre propos sur le cas spécifique de l’expression des appartenances socio-culturelles et territoriales des Thraces à Rome, nous conseillons le lecteur de se tourner vers cet ouvrage pour toutes comparaisons avec un autre groupe étranger (Ch. Cenati, Miles in Urbe. Identità e autorappresentazione nelle iscrizioni dei Soldati di origine danubiana e balcanica a Roma, Rome, Carocci, 2023).

3 R. White définit ce concept comme suit : « a middle ground is the creation, in part through creative misunderstanding, of a set of practices, rituals, offices and beliefs that although comprised of elements of the group in contact is as a whole separate from the practices and beliefs of all of those groups ». (R.White, The middle ground. Indians, Empires, and Republics in the Great Lakes Region, 1650-1815, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. XIII).

4 S. Rouquette, L’identité plurielle. Images de soi, regards sur les autres, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2011.

5 Aulu-Gelle, Nuits attiques, XVII, 17.1.

6 E. S. Gruen, Ethnicity in the Ancient World : Dit it Matter ?, Berlin, De Gruyter, 2020.

7 E. M. Lipiansky et al., Introduction à la problématique de l’identité, dans Stratégies identitaires, éd. C. Camilleri et al., Paris, P.U.F., 1990, p. 7-26 (Psychologie d’aujourd’hui).

8 Fr. Coninck, L’homme flexible et ses appartenances, Paris, Éditions L’Harmattan, 2001.

9 À l’exception des diplômes militaires, copies sur des tablettes de bronze de la constitution impériale affichée à Rome octroyant toute une série de privilèges tels que la citoyenneté et le ius conubii aux soldats ayant terminé leur service, qui ont été retrouvés dans d’autres provinces de l’Empire.

10 Cette définition est plus restreinte que l’acception ethnique pour laquelle le terme « thrace » correspond à un ensemble de tribus disséminées sur un vaste espace territorial s’étendant au-delà du territoire couvert par la Thrace romaine.

11 Nous nous référons aux deux stocks onomastiques définis par D. Dana (D. Dana, Onomasticon thracicum. Répertoire des noms indigènes de Thrace, Macédoine orientale, Mésies, Dacie et Bithynie, Athènes, Fond Nationale de la Recherche Scientifique, 2014, p. LXIII-LXXIX), à savoir le stock onomastique thrace et panthrace (qui correspond à la Thrace romaine) et celui de Thrace occidentale (elle comprend les territoires de « Macédoine Orientale, le sud de la Mésie Supérieure, l’île de Thasos, la partie occidentale de la province romaine de Thrace »). Si le critère de l’origo assure l’origine thrace d’un individu, le degré de certitude d’identification est plus ou moins relatif lorsque seul le critère onomastique est pris en compte.

12 Dans le contexte militaire, seuls les frères insistant sur le lien biologique sont considérés comme thraces, l’amitié fraternelle étant souvent mentionnée par les compagnons d’armes en contexte funéraire (J. Kepartová, Frater in Militärinschriften – Bruder oder Freund, dans Listy filologické. Folia philologica, 1986, n°109/1, p. 11-14).

13 Ainsi, 211 individus ont pu être identifiés comme thraces sur la base de leur origo (dont quarante-neuf présentent une onomastique indigène). Le critère de l’onomastique seul a permis d’identifier 218 Thraces. Ensuite, dix-neuf proches sont ajoutés au dossier. Cinq dédicants de divinités identifiées comme thraces apparaissent dans ce dossier.

14 Les lacunes présentes sur l’inscription Corpus Inscriptionum Latinarum VI 34635 ne permettent pas d’identifier le genre de l’individu concerné.

15 À cela s’ajoutent quinze marins, quatre vigiles, trois légionnaires (dont un vétéran), un urbanicianus, un evocatus et enfin, vingt-neuf soldats dont le corps de troupe est inconnu (dont cinq vétérans).

16 Cette part considérable de soldats thraces dépeint-elle une réalité ou témoigne-t-elle plutôt d’une pratique épigraphique davantage ancrée au sein de la communauté militaire qu’elle n’a pu l’être parmi les civils ?

17 Notons que la présence des affranchis et esclaves, arrivés à Rome par le commerce ou en tant que prisonniers de guerre, est davantage attestée au 1er siècle. Une fois la Thrace annexée à l’Empire romain, on observe en effet une diminution de la population servile d’origine thrace (Fr. Camia, op. cit., p. 171-173).

18 D. Dana,Les corps de garde dans les diplômes militaires, dans Corps du chef et gardes du corps dans l’armée romaine, éds. C. Wolff et P. Faure, Paris, Éditions de Boccard, 2020, p. 344.

19 Nous comptons également dix individus dont le statut est inconnu en raison de lacunes présentes sur l’inscription ainsi que quatre pour lesquels le statut est indéterminé.

20 Outre les affranchis et esclaves dont la présence dans l’Urbs est vraisemblablement corrélée à leur (ancienne) condition servile, certains de ces civils thraces développent des activités commerciales. Nous comptons des négociants (CIL VI 3574 : CIL VI 2933), un nummularius (CIL VI 9719) et un argentarius (CIL VI 9166).

21 G. Woolf, Female mobility in the Roman west, dans Women and the Roman City in the Latin West, éds. E. A. Hemelrijk et G. Woolf, Leiden, Brill, p. 351-368 ; Ch. Bruun, Tracing Familial Mobility : Female and Child Migrants in the Roman West, dans Migration and Mobility in the Early Roman Empire, éds. L. de Ligt et L. E. Tacoma, Leiden, Brill, Bruun, p. 166-204.

22 Seules deux sont en grec (Inscriptiones Graecae Urbis Romae I 134 ; IGUR I 132). Rappelons que bien que province bilingue (latino- et hellénophone), la langue de prédilection en Thrace est le grec (N. Sharankov, Language and Society in Roman Thrace, dans Early Roman Thrace. New Evidence from Bulgaria, éd. I. P. Haynes, Portsmouth, 2011, p. 139-140 (Journal of Roman Archaeology).

23 « La fidélité aux patria s’accommodait d’une adaptation aux modes d’expression de la société d’accueil » (N. Belayche, Les immigrés orientaux à Rome et en Campanie : fidélité aux patria et intégration sociale dans A. Laronde et J. Leclant, La Méditerranée d’une rive à l’autre : culture classique et cultures périphériques, Paris, 2007, p. 260).

24 M. A. Speidel, The Roman Army, dans The Oxford Handbook of Roman Epigraphy, éds. Ch. Bruun et J. Edmondson, Oxford, Oxford University Press, p. 319-344.

25 Les deux inscriptions CIL VI 31143 et CIL VI 31145 sont construites de manière assez similaire, si ce n’est l’ajout de l’une ou l’autre divinité. Les inscriptions CIL VI 31147, CIL VI 31150 et CIL VI 31151 reproduisent également les mêmes formules, quelques fois interverties.

26 M. A. Speidel, Recruitment and Identity. Exploring the Meanings of Roman Soldiers’ Homes, dans Revue internationale d’histoire militaire ancienne, 2017, n°6, p. 35-50.

27 R. Häussler, Signes de la « romanisation » à travers l’épigraphie : possibilités d’interprétations et problèmes méthodologiques, dans Romanisation et épigraphie. Études interdisciplinaires sur l’acculturation et l’identité dans l’Empire romain, éds. R. Häussler et D. Acolat, Montagnac, Mergoil, 2008, p. 12.

28 J.-F. Dortier, L’individu dispersé et ses identités multiples, dans L’identité. L’individu, le groupe, la société, éd. J.-C. Ruano-Borbalan, Auxerre, Sciences Humaines, 1998, p. 53.

29 S. Panciera, Soldati e civili a Roma nei primi tre secoli dell’impero, dans Prosopographie und Sozialgeschichte : Studien zur Methodik und Erkenntnismöglichkeit der kaiserzeitlichen Prosopographie : Kolloquium Köln 24.-26. November 1991, éds. W. Eck et M.-Th. Raepsaet-Charlier, Cologne, Bölhau, p. 273.

30 Ch. Cenati, Creare comunità : le iscrizioni collettive dei pretoriani di origine danubiana a Roma, dans Roman Army and Local Society in the Limes Provinces of the Roman Empire : Papers of an International Conference, Iași, June 4th-6th, 2018, éds. L. Mihăilescu-Bîrliba et W. Spickermann, Rahden/Westf, Verlag Marie Leidorf GmbH, 2019, p. 187-204.

31 CIL VI 2732.

32 CIL VI 31147, CIL VI 31150 et CIL VI 31151.

33 CIL 31150 et CIL VI 31151. La troisième inscription, CIL VI 31147, réunit donc les vétérans qualifiés de cives Thraces.

34 Ceux-ci se désignent en tant que cives Thraces (CIL VI 31157 et 31147), cives Philippopolitanorum (CIL VI 32543), cives prov. Tracie reg. Serdicense Midne Potelense (CIL VI 2819), cives Usdicensis vico Acatapara (CIL VI 2807).

35 M. A. Speidel, Maximinus and the Thracians. Herodian on the Coup of 235, and Ethnic Networks in the Roman Army of the Third century CE., dans Mobility in Research on the Black Sea Region, éds. V. Cojocaru et A. Rubel, Cluj-Napoca, Mega Publishing House, 2016, p. 339-365 ; Ch. Cenati, Creare comunità…, p. 187-204.

36 Th. Menissier, Culture et identité : une critique philosophique de la notion d’appartenance culturelle, dans Le Philosophoire, 2000, n°13, p. 211-231.

37 « Religion is known to be very important in the formulation and creation of ethnic identities » (L. E. Tacoma, Moving Romans. Migration to Rome in the Principate, Oxford, Oxford University Press, 2017, p. 225).

38 G. Vinsonneau, L’identité culturelle, Paris, Armand Colin, 2002, p. 147.

39 « La religion, selon un réflexe moderne, est vue comme un conservatoire de traditions » (W. Van Andringa, Religions et intégration des territoires de l’Europe occidentale à l’Empire romain, dans Rome et l’Occident : IIe siècle avant – IIe siècle après J.-C. Gouverner l’Empire, éd. Fr. Hurlet, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009, p. 309).

40 « (…) they may well have triggered a heightened ethnic solidarity and consciousness. » (T. Derks, Ethnic identity in the Roman frontier. The epigraphy of Batavi and other Lower Rhine tribes, dans Ethnic Constructs in Antiquity. The role of power and tradition, éds. T. Derks et N. Roymans, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2009, p. 255).

41 O. Stroll, The Religions of the Armies, dans A Companion to the Roman Army, éd. P. Erdkamp, Oxford, Blackwell, 2007, p. 451-475.

42 C. Ricci, Orbis in urbe. Fenomeni migratori nella Roma imperial, Rome, Quasar, 2005, p. 64-73.

43 L. E. Tacoma, op. cit., p. 223.

44 Cette divinité fait l’objet de nombreux débats au sein de la communauté savante au sujet de sa nature et de la place qui lui est accordée. D’emblée s’opposent des théories monothéistes et polythéistes (I. Venedikov, Le syncrétisme religieux en Thrace à l’époque romaine, dans Acta Antiqua Philippopolitana. Studia Archaeologica, Sofia, 1963, p. 160-161 et p. 165-166 ; I. Dontcheva, Le syncrétisme d’Asclépios avec le Cavalier thrace, dans Kernos. Revue internationale et pluridisciplinaire de religion grecque antique, 2002 ; n°15/3, p. 324 ; M. Giacchero, Santuari indigeni nell’impero romano : i cavalieri danubiani e il cavaliere trace, dans Santuari e politica nel mondo antico, éd. M. Sordi, Milan, Vita e Pensiero, 1983, p. 190 ; K. Rabadjiev, Religion, dans A Companion to ancient Thrace, éds. J. Valeva, E. Nankov et D. Graninger, Chichester, Wiley-Blackwell, 2015, p. 444). Au sein de cette deuxième théorie, se divisent ceux qui estiment que le Cavalier Thrace est une divinité centrale et ceux qui considèrent qu’il n’occupe qu’une place secondaire en tant qu’intermédiaire entre les hommes et les dieux. Il serait alors privé de toute essence divine (Z. Goceva, Particularités de l’iconographie du Cavalier Thrace à Odessos et dans son territoire, dans Pulpudeva, 1998, n°6, p. 121-128 ; D. Boteva, À propos des « secrets » du Cavalier thrace, dans Dialogue d’Histoire Ancienne, 2000, n°26/1, p. 109-118). D’autres vont plus loin encore, réduisant le personnage du Cavalier Thrace à une simple typographie iconographique (N. Dimitrova, Inscriptions and Iconography in the Monuments of the Thracian Rider, dans Hesperia. The Journal of the American School of Classical Studies at Athens, 2002, n°71/2, p. 209-229).

45 Respectivement CIL VI 3691 et CIL VI 2807.

46 C. Bonnet, V. Pirenne-Delforge et G. Pironti, Dieux des Grecs, dieux des Romains : en guise d’ouverture, dans Dieux des Grecs, Dieux des Romains. Panthéons en dialogue à travers l’histoire et l’historiographie, éds. C. Bonnet, V. Pirenne-Delforge et G. Pironti, Bruxelles, Institut Historique Belge de Rome, 2016, p. 10-13.

47 D. Dana et C. Ricci, Divinità provinciali nel cuore dell’Impero. Le dediche dei militari traci nella Roma imperiale, dans Mélanges de l’École française de Rome – Antiquité, École française de Rome, 2014, p. 511-529.

48 CIL VI 32543 et CIL VI 16. Les épithètes Sindrina et Zimidrenus font référence au même culte rendu dans le sanctuaire de Batkun, situé sur le territoire de Philippopolis en Thrace.

49 CIL VI 32546. Cicanos peut être interprété de différentes manières. Il pourrait soit s’agir du territoire habité par la tribu des Cicones, soit du vicus Cica.

50 CIL VI 2798. Vergule se réfère à la cité Bergule, connue sous le nom d’Arcadiopolis.

51 CIL VI 32571. La lecture de cette épithète n’est pas aisée, d’autant plus que l’inscription a aujourd’hui été perdue. Toutefois D. Dana et C. Ricci proposent d’y lire Apolloni Raimullo Auluzelo, à la suite d’une comparaison avec une inscription retrouvée en Mésie Inférieure (L’Année Épigraphique 2003, 1538).

52 IGUR I 132. Parce qu’attestée dans l’ensemble des régions balkaniques, l’épithète Zberthourdos serait davantage d’ordre fonctionnel que toponymique. Le relief accompagnant l’inscription permet d’identifier les attributs propres à Jupiter, à savoir la foudre et le sceptre. La divinité féminine accompagnant Zberthourdos, appelée Iambadoules, nom de facture thrace, pourrait être identifiée comme étant Junon ou une nymphe.

53 CIL VI 31143, CIL VI 31145, CIL VI 31150, CIL VI 31151, CIL VI 31152, CIL VI 31164, CIL VI 32544, CIL VI 209, CIL VI 225 et Denkm 54.

54 CIL VI 31157, CIL VI 31147, CIL VI 2807, CIL VI 32543, CIL VI 32571.

55 CIL VI 2819.

56 À ce titre, il serait intéressant d’étudier en profondeur le culte d’Asclépios Sindrina/Zimidrenus auquel aurait été consacré un espace cultuel spécifique dédié par et pour les prétoriens thraces mais dont la localisation est pour l’instant inconnue (G. H. Renberg, Public and private places of worship in the cult of Asclepius, dans Memoirs of the American Academy in Rome, 2006-2007, n°51/52, p. 118).

57 M. Abdallah-Pretceille, Langue et identité culturelle, dans Enfance, 1991, n°45/4, p. 306 ; J. Billiez, La langue comme marqueur identitaire, dans Revue Européenne des Migrations Internationales, 1985, n°1/2, p. 95-105.

58 Ce résultat doit être mis en parallèle avec les critères d’identification des Thraces dans les inscriptions et pose, in fine, la question de leur visibilité dans les inscriptions. En effet, le critère de l’origo a permis d’identifier essentiellement des soldats. Les affranchis, civils et esclaves ont davantage été considérés comme thraces sur la base de leur onomastique indigène. Mais qu’en est-il des civils, affranchis, esclaves d’origine thrace qui n’indiquent pas leur origo et ne porte pas de nom latin ? Dès lors, ces résultats tiennent moins à une tendance propre à ces individus qu’à nos critères de sélection.

59 Pour ne citer que quelques exemples : Maximus, Bassus, Celer, Valens, Longinus.

60 M. Dondin-Payre et M.-Th. Raepsaet-Charlier, L’onomastique dans l’Empire romain : questions, méthodes et enjeux, dans Noms, identités culturelles et romanisation sous le Haut-Empire, éds. M. Dondin-Payre et M.-Th. Raepsaet-Charlier, Bruxelles, Le livre Timperman, 2001, p. IV.

61 D. Dana, Les noms d’assonance thrace : des miroirs culturels, dans Comment s’écrit l’autre ? Sources épigraphiques et papyrologiques dans le monde méditerranéen antique, éd. C. Ruiz Darasse, Bordeaux, Ausonius, 2020, p. 65-67.

62 M.-Th. Raepsaet-Charlier, ‘Decknamen’, Homophony, Assonance : an Appraisal of Consonance Phenomena in Onomastics of the Roman Empire, dans Personal Names in the Western Roman World. Proceedings of a Workshop convened by Torsten Meissener, José Luis García Ramón and Paolo Poccetti, held at Pembroke College, Cambridge, 16–18 September 2011, éd. T. Meissner, Berlin, Buchner, 2012, p. 15.

63 R. Häussler, Becoming Roman ? Diverging Identities and Experiences in Ancient Northwest Italy, Walnut Creek, Left Coast, 2013, p. 196.

64 CIL VI 2694.

65 Roman Military Diplomas I 77 ; RMD V 453 ; RMD V 473.

66 De manière générale, tous corps de troupe confondus, les vétérans originaires de régions balkaniques, dont les Thraces, ont tendance à rentrer dans leur province d’origine une fois leur service terminé. (D. Dana, Les Thraces dans les diplômes militaires. Onomastique et statut des personnes, dans Aspects of the Roman province of Thrace, éd. M.-G. G. Parissaki, Athènes, 2013, p. 240).

67 L. E. Tacoma, op. cit., p. 134 ; Ch. Cenati, L’indicazione dell’origo nelle iscrizioni dei soldati di provenienza danubiana e balcanica a Roma, dans Ad Ripam Fluminis Danuvi. Papers of the 3rd International Conference on the Roman Danubian Provinces, Vienna, 11th-14th November 2015, éds. F. Mitthof, Ch. Cenati et L. Zerbini, Vienne, Holzhausen, der Verlag, 2021, p. 110.

68 La signification du terme natio évolue au cours de la période investiguée. Au 1er siècle, il est employé pour désigner une origine de type ethnique alors qu’entre le 2e et le 3e siècle, natio trahit une origine provinciale. (T. Grüll, Origo as identity factor in Roman epitaphs, dans Social Interactions and Statuts Markers in the Roman World, éds. G. Cupcea et R. Varda, Oxford, Archaepress, 2018, p. 143-145 ; Ch. Cenati, Miles in urbe…, p. 142-143). A contrario, D. Colling s’oppose à cette lecture provinciale et interprète le terme natio comme étant strictement d’ordre ethnique (D. Colling, Natio Belga, dans Latomus, 2013, n°72, p. 770-780).

69 Ch. Cenati, Thrakische und moesische Regionen in Weihund Grabinschriften stadtrömischer Soldaten (1.-3. Jh. n. Chr.), dans Bulletin of the National Archaeological institute, t. 44, 2018, p.141-149.

70 Nous pouvons nous demander pour quelle(s) raison(s) ce terme a été choisi plutôt que celui de vicus, qui dans un contexte latinophone, aurait trouvé plus de sens. La première hypothèse est que la réalité étant bien trop spécifique à la culture thrace, il aurait été impossible de trouver un équivalent adéquat lui correspondant ; seul le terme indigène reflète au mieux la complexité du phénomène, insaisissable en latin. La deuxième hypothèse serait tout simplement une volonté de transmettre par le biais de ce simple mot, le caractère étranger de l’individu (J. N. Adams, Bilingualism and the latin language, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 283-284).

71 M. A. Speidel, Recruitment and Identity…, p. 42-47.

72 D. Noy, op. cit., p. 220.

73 Ch. Cenati, Thrakische und moesische Regionen…, p. 113.

74 A. E. Goldsworthy et C. E. P. Adams, The Roman Army as a Community, Portsmouth, 1999 (Journal of Roman Archaeology) ; S. James, The Community of Soldiers : A Major Identity and Centre of Power in the Roman Empire, dans Trac 98. Proceedings of the Eighth Annual Theorical Roman Archaeology Conference, éds. P. I. Baker et al., Oxford, Oxbow Books, 1998, p. 14-25.

75 CIL VI 32543. 

Pour citer cet article

Tiffany Bellon, «Entre global et local : l’expression des appartenances des Thraces à Rome (1er-3e s. CE.)», C@hiers du CRHiDI. Histoire, droit, institutions, société [En ligne], Vol. 47 - 2023, URL : https://popups.uliege.be/1370-2262/index.php?id=1727.