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- N° 1 (janvier 2012) / Issue 1 (January 2012)
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Introduction (fr)
Table of content
Pourquoi une revue en ligne d’anthropologie de l’enfance et des enfants ?
1Des décennies durant, l’enfance et les enfants ont été considérés comme un « petit sujet » en anthropologie (Lallemand & Le Moal 1981), à ce point qu’il était légitime de se demander : « où sont passés tous les bébés ? » (Gottlieb 2000) ou encore : « pourquoi les anthropologues n’aiment pas les enfants ? » (Hirschfeld 2003)1. À l’heure où centres de recherche et réseaux, Cultural Studies, enseignements, projets et manifestations interdisciplinaires sur le thème se multiplient, la création d’une revue en ligne entièrement dédiée à l’anthropologie de l’enfance & des enfants s’impose.
2L’intérêt de l’anthropologie pour l’enfance (y compris la gestation et la petite enfance) a grandi à travers le monde grâce aux travaux de quelques mères et pères fondateurs (Van Gennep, Boas, Mead, Benedict, Malinowski, Firth, Fortes, Griaule…). Dans ces recherches, la construction sociale et symbolique de l’enfance, ainsi que les rites de passage qui y sont associés, ont surtout été abordés à partir des discours tenus par les adultes sur les enfants.
3Les travaux sur les « cultures enfantines », et le rôle social des enfants, connaissent actuellement un essor certain sous l’impulsion des concepts d’ « enfant-acteur » et d’agency. Ces recherches rompent avec la conception de l’enfant perçu comme un « adulte en devenir » et un réceptacle passif. Elles s’inscrivent dans la reconnaissance de celui-ci, en tant que sujet actif et créateur, initiée par la promulgation de ses droits et l’évolution de son statut.
4L’ambition de la revue AnthropoChildren. Perspectives ethnographiques sur les enfants & l’enfance / Ethnographic Perspectives on Children & Childhood est d’interroger la perspective de la construction sociale et symbolique de l’enfance dans son articulation avec celle de l’enfant-acteur : comment l’enfant est-il construit et se construit-il, quelle place occupe-t-il et comment sa voix peut-elle être entendue ?
5Les configurations suivantes seront privilégiées :
6- les ruptures familiales et communautaires (enfants de la rue, enfants réfugiés, enfants-soldats),
7- la migration (famille transnationale, enfants migrants, relations interethniques),
8- les nouvelles parentalités (famille recomposée, famille homoparentale, enfant chef de famille, relations intergénérationnelles),
9- la transmission (entre pairs, familiale, institutionnelle),
10- les prises en charges individuelles, familiales, institutionnelles (adoption, fosterage, gardiennage),
11- le développement et l’humanitaire (groupe cible, groupe vulnérable, influences réciproques entre normes locales et globales),
12- les institutions laïques et religieuses (école, orphelinat, mouvements de jeunesse, syndicats),
13- les sociétés locales et les politiques publiques (travail, planification familiale, formation, patrimoines enfantins),
14- les nouvelles technologies (mondes virtuels, procréation médicalement assistée, communication).
15Pour explorer ces configurations, la santé, le corps, l’alimentation, le langage, le développement, la différence des sexes, le jeu ou encore l’éthique constituent des entrées possibles. Issues d’un travail de terrain ethnographique mené au Nord ou au Sud, les articles soumis à la revue ont pour vocation première :
16- d’enrichir les connaissances sur les mondes des enfants (vie ordinaire et extraordinaire) de leur propre point de vue comme de celui des adultes,
17- de lier ces connaissances à l’ensemble des domaines de la vie sociale et culturelle (économie, politique, parenté, religion…),
18- de mieux comprendre la société, la communauté ou le groupe dont les enfants font partie.
19À partir de leur travail ethnographique, les auteur(e)s sont également invité(e)s à réfléchir aux particularités du terrain avec les enfants au vu de la diversité des postures méthodologiques, des orientations personnelles et des rattachements institutionnels de l’anthropologue. Comment se positionne-t-il/elle et est-il/elle perçu(e) par les enfants et leur entourage selon son sexe, son âge, ses origines, son statut social (parental et matrimonial) ? Comment s’opère son intégration dans le « monde des enfants » ? Quels types d’observations et d’entretiens (ou autres outils audiovisuels, graphiques…) peuvent être mis en œuvre ? Plus largement, pourront être abordées les questions particulières que les terrains de l’enfance adressent à la pratique du terrain en anthropologie.
20Sur ces bases, les articles permettront enfin de s’interroger sur l’existence conceptuelle de l’anthropologie de l’enfance et des enfants. Quelle valeur heuristique revêtent divers concepts et notions (corps et personne, techniques du corps, socialisation, interaction…) ? Quelles sont les influences réciproques, les spécificités et les synergies entre l’anthropologie, la sociologie, l’histoire, la psychanalyse, la psychologie, la linguistique ou la démographie ?
21En ligne, bilingue (français, anglais) et gratuite, la revue devrait permettre de consolider le dialogue entre les différentes traditions et acteurs impliqués des pays du Nord comme du Sud ; elle devrait également affirmer la visibilité institutionnelle de l’anthropologie de l’enfance & des enfants. Enfin, au-delà, cette revue ambitionne de mieux cerner les apports de l’anthropologie de l’enfance & des enfants aux divers champs de l’anthropologie, ainsi qu’aux sciences sociales et humaines en général, comme de renforcer sa place dans l’arène scientifique et publique internationale.
La diversité internationale des anthropologies de l’enfance et des enfants
22Ce premier numéro de la revue en ligne AnthropoChildren, dédié à Jacqueline Rabain-Jamin, l’une des pionnières de l’anthropologie de l’enfance en France, se propose de dresser un premier bilan international des travaux anthropologiques sur l’enfance et les enfants en interrogeant les différents référents conceptuels, théoriques et méthodologiques mobilisés. Celui-ci permettra de resituer le développement de ce champ au sein des sciences sociales et humaines, selon les différentes traditions académiques et scientifiques de l’anthropologie. Il fait suite au colloque international, Pour une anthropologie de l’enfance et des enfants. De la diversité des terrains ethnographiques à la construction d’un champ - Towards an Anthropology of Childhood and Children. Ethnographic Fieldwork Diversity and Construction of a Field, qui s’est tenu à l’Université de Liège (ULg) du 9 au 11 mars 2011, conçu comme un espace de rencontres et d’échanges entre anthropologues issus des horizons académiques et scientifiques les plus divers.
23Le présent numéro réunit les conférences inaugurales présentées par six orateurs et oratrices, qui se sont livrés au difficile exercice de la mise en perspective : Doris Bonnet, Alma Gottlieb, David Lancy, Régine Sirota, Andrea Szulc et Clarice Cohn. En se centrant plus ou moins sur leurs propres travaux, les conférenciers ont présenté les traditions académiques et scientifiques auxquels ils se rattachent, ainsi que leurs développements. Ces textes sont issus de communications orales - dont certaines ont été traduites en anglais. Deux auteurs, Gladys Chicharro et Jeannett Martin, ont accepté de livrer deux contributions complémentaires2.
24C’est en mettant à l’honneur la jeune tradition prometteuse et méconnue d’Amérique Latine que s’ouvre le numéro avec l’article d’Andrea Szulc & Clarice Cohn. Suivent les contributions de Doris Bonnet pour les travaux francophones et de David Lancy pour les travaux anglophones, qui tracent les contours de traditions plus anciennes, mais encore trop souvent ignorantes de leurs apports respectifs. Le tour d’horizon se poursuit par la présentation de travaux germanophones par Jeannett Martin et de travaux sur l’enfance en Chine (principalement sinophones) par Gladys Chicharro, qui, toutes deux, révèlent des traditions foisonnantes, et là encore largement méconnues. Une mise en perspective est ensuite proposée par Régine Sirota à partir de la sociologie de l’enfance et Alma Gottlieb clôture le numéro par une contribution qui met en avant les apports d’une posture réflexive en anthropologie des enfants et de l’enfance.
25Andrea Szulc & Clarice Cohn centrent leur article sur la contribution de la jeune génération d’anthropologues travaillant en Amérique Latine (Brésil et Argentine) dont les travaux, surtout publiés en espagnol, sont restés jusqu’à ce jour insuffisamment diffusés. Passant en revue différents corpus de recherches, elles soulignent les importantes avancées dans l’ethnologie, l’ethnographie et l’anthropologie de l’éducation, ainsi que dans l’étude des enfants indigènes, des enfants de la rue et des populations marginalisées (subalterns). Elles exposent également les recherches sur la construction sociale de l’enfance et les approches méthodologiques développées dans le cadre de l’anthropologie de l’enfance.
26Passant en revue certaines publications françaises dans une perspective historique, Doris Bonnet présente un ensemble de travaux parmi lesquels figurent ceux de certains folkloristes, administrateurs coloniaux et ethnologues européanistes ou africanistes. Elle souligne l’intérêt ancien de l’ethnologie et l’interdisciplinarité des recherches francophones sur l’enfance, notamment leur ancrage théorique dans la psychanalyse et l’histoire. Ce faisant, elle met en exergue les travaux majeurs portant principalement sur l’enfance en Afrique. Doris Bonnet évoque enfin l’influence des réseaux institutionnels sur le développement de l’anthropologie de l’enfance en France. Pour une présentation exhaustive de ces derniers points, le lecteur est invité à lire la traduction en anglais de l’interview de Doris Bonnet & Suzanne Lallemand, préalablement réalisée par Madina Querre & Claire Mestre3, dans ce numéro (Rubrique : Enseigner & apprendre l’anthropologie des enfants & de l’enfance - Teaching & Learning Anthropology of Children & Childhood).
27David Lancy, qui se réfère à la tradition académique et scientifique anglo-saxonne, réfute le désintérêt supposé des anthropologues pour l’enfance, en rappelant qu’un grand nombre de publications ethnographiques et anthropologiques en traitent depuis longtemps à des degrés divers. Selon lui, la marginalisation des recherches sur l’enfance est due à une fragmentation de la production académique qu’il s’agit de surmonter. Il propose un schéma organisationnel pour passer en revue la littérature existante et distingue plusieurs courants, fondés sur différentes perspectives de l’enfance. Sont évoquées les recherches sur la socialisation, le développement cognitif et linguistique, l’enculturation, la socialisation, la maturation, la croissance, le jeu, l’exploitation économique ou encore les travaux portant sur l’enfant comme médiateur culturel. Saluant la visibilité institutionnelle croissante de la recherche sur l’enfance, David Lancy conclut en proposant différentes pistes de recherche pour l’avenir.
28Jeannett Martin montre que les publications germanophones sur l’enfance et l’adolescence ont considérablement augmenté depuis les années 1990. L’auteur retrace les changements survenus dans la définition des objectifs, ainsi que des orientations théoriques et méthodologiques des travaux, et souligne les différentes thématiques sur lesquelles se concentrent les recherches actuelles, lesquelles se constituent en champ de recherche spécifique et autonome sur l’enfance et la jeunesse. Le foisonnement des travaux dans les pays germanophones ne s’accompagne toutefois pas pour l’instant, selon Jeannet Martin, d’un ancrage institutionnel fort.
29Gladys Chicharro analyse les différentes phases, courants et thèmes qui ont marqué les recherches anthropologiques sur l’enfance et les enfants en Chine, tout d’abord à Taiwan et Hong Kong, puis en Chine continentale. Après avoir présenté les travaux de Marcel Granet sur les constructions symboliques et sociales de l’enfance et rappelé les recherches historiques en la matière, Gladys Chicharro s’intéressent aux travaux anthropologiques des années 1990 qui abordent l’enfance par le biais des représentations, de l’adoption et de la circulation des enfants, ainsi que de leur socialisation et éducation à l’école et dans les familles. Le contrôle démographique et la politique de l’enfant unique émergent comme préoccupation dans les travaux de la fin des années 1990. Pour ce qui concerne les recherches plus récentes, Gladys Chicharro montre que celles-ci attestent de l’établissement d’échanges avec des chercheurs indiens travaillant sur la pauvreté, les enfants vulnérables, les droits des enfants, et l’émergence nouvelle de travaux sur la culture enfantine.
30Inscrivant sa démarche dans la sociologie des sciences, Régine Sirota montre que la sociologie de l’enfance se construit entre des traditions nationales, des champs linguistiques différents et un espace discursif globalisé commun (édiction de la convention internationale des droits de l’enfant, poids des grands organismes de défense de l’enfance, effets de l’expertise et des évaluations internationales des politiques sociales, médiatisation d’une figure compassionnelle de l’enfance). Régine Sirota centre sa réflexion sur le développement de l’approche ethnographique en sociologie, qui permet selon elle d’appréhender l’enfant acteur ou agency. Elle interroge la « qualité » ethnographique des enquêtes au regard de différents paradigmes interprétatifs. C’est en partageant l’approche ethnographique que, selon Régine Sirota, l’anthropologie et la sociologie renouvellent le regard et les problématiques sur l’enfance.
31Alma Gottlieb, enfin, évoque les interactions entre vie personnelle, recherche et activités académiques (choix des terrains, des problématiques, des orientations théoriques, etc.). Dans une perspective réflexive, peu représentée en anthropologie de l’enfance, l’auteur montre comment son nouveau statut de mère l’a conduit à développer une anthropologie de la maternité, de la parentalité, du care et des enfants. Alma Gottlieb évoque ses travaux sur le modèle de l’enfance chez les Beng (Côte d’Ivoire) pour lesquels les enfants sont des personnes à part entière et autonomes, notamment sur la plan émotionnel, dès le plus jeune âge. Elle insiste sur les façons de travailler avec des enfants en bas âge, et met ses recherches en perspective dans le champ plus général de l’anthropologie.
32Gageons que ce tour d’horizon, qui donne un premier aperçu du dynamisme international de l’anthropologie de l’enfance et des enfants, sera nourri de contributions ultérieures dont la revue AnthropoChildren s’engage à être la tribune.
Notes
To cite this article
About: Élodie Razy
Chargée de cours en anthropologie, Institut des Sciences Humaines et Sociales, Laboratoire d’anthropologie sociale et culturelle, Laboratoire d’Anthropologie Urbaine, IIAC, UMR 8177 (CNRS/EHESS), Université de Liège (Belgique) Elodie.Razy@ulg.ac.be
About: Charles-Édouard de Suremain
Chargé de recherche en anthropologie, UMR 208 « Patrimoines Locaux », IRD-MNHN, Paris (France) Suremain@ird.fr
About: Véronique Pache Huber
Professeur associée d’anthropologie sociale, domaine des Sciences des sociétés, des cultures et des religions, Université de Fribourg (Suisse) jeanne-veronique.pache@unifr.ch