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- N°5 (juillet 2015) / Issue 5 (July 2015)
- Tressage d’herbes et attachements juvéniles chez les Bwaba du Burkina Faso
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Tressage d’herbes et attachements juvéniles chez les Bwaba du Burkina Faso
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Pendant les travaux agricoles qui leur étaient confiés à une période bien précise de l’année, les enfants bwaba s’amusaient à tresser des bracelets avec deux espèces d’herbes. Le système agraire et les conditions sociales ayant changé, cette occupation a été abandonnée vers les années 1960. Ces objets servaient de support à de riches relations amicales et amoureuses prénuptiales et le passe-temps apparaît comme associé à un espace de liberté particulier aux enfants. Le contexte (espaces, saisons et types de tâches) et les principaux aspects techniques de l’activité (matériaux, objets produits), ainsi que les relations entre enfants sont présentés. Les idées associées aux deux herbes qui servent de matériaux et à une troisième, utilisée dans un contexte d’initiation et qui leur est opposée, sont discutées : répartition des tâches en fonction du sexe, préparation et anticipation, passage et caractère éphémère.
Abstract
Grass weaving and juvenile attachments among the Bwaba of Burkina Faso. During agricultural and herding tasks entrusted to them at a specific time of the year, Bwaba children used to entertain themselves braiding bracelets with two species of grasses. The agrarian system and social conditions having changed, this occupation has been abandoned by the 1960s. These objects served as support for rich friendly and premarital love relations and the pastime appears to be associated with an area of freedom peculiar to children. The paper describes the context (places, seasons, and types of tasks) and the main technical aspects of activity (materials, produced objects), as well as relations between children. The ideas associated with the two grasses used as material and a third one used in context of initiation and opposed to them are discussed: division of labour on the basis of sex, preparation and anticipation, transition and transience.
Table of content
Introduction
1« Quand nous étions enfants, on nous envoyait garder les chèvres » se souviennent de vieilles femmes des villages bwa1 de la région de Bondoukuy, « pour passer le temps, nous tressions des herbes… ». Assises près du troupeau ou cheminant derrière lui, elles tressaient des bracelets et diverses autres parures. Le tressage n’était possible que pendant la période relativement courte où certaines herbes se trouvaient au stade de développement requis. Il s’insérait à un moment précis du cycle des travaux champêtres au sein d’un système de production qui comportait différentes tâches, accomplies en divers lieux et réparties en fonction des âges et des sexes. Ces objets servaient de support à un riche réseau de relations enfantines et juvéniles, révélateur de la manière dont les Bwaba conçoivent la vie et les rapports entre individus. L’occupation apparaît comme associée à un espace de liberté particulier aux enfants. Aujourd’hui, le paysage et le mode de production agricole se sont transformés, le contexte social, lui aussi, a changé et le tressage a disparu. Seuls des hommes et femmes de 70 ans et plus savent encore fabriquer ces objets et seuls quelques rares adultes essaient encore ponctuellement d’enseigner le tressage à des enfants, espérant perpétuer cette technique déjà quasiment oubliée par leur génération. On peut certainement estimer qu’il n’y a plus aujourd’hui de transmission. Une quinzaine d’anciens, hommes et femmes, ont puisé dans leurs souvenirs pour parler de cette activité autrefois répandue dans l’ensemble du Bwamu (pays des Bwaba). Leurs récits amusés et émus ont été recueillis en octobre 2013, juillet, août et octobre 2014, dans les villages de Bondoukuy (y compris les secteurs de Dampan et Tankuy), Bokuy, Mokouna et Tia. Les faits rapportés concernent cependant aussi d’autres localités (Dédougou, Wakara, Toun, Kari, Boromo…) car les épouses des habitants de Bondoukuy sont souvent originaires d’autres villages et il est fréquent que des familles changent de localité..
2Après une brève présentation de la société Bwaba, un développement assez détaillé sera consacré au contexte dans lequel intervenait le tressage (espaces, saisons et types de tâches) car il permet de mieux saisir ce que représentait l’activité. Les principaux aspects techniques (matériaux, types d’objets fabriqués) seront ensuite exposés. Enfin, les relations dont le tressage était l’expression seront décrites ainsi que la symbolique des herbes qui semble exprimer une idée de passage d’un état à un autre et de période éphémère.
Les Bwaba et leur mode de vie
La société
3Les Bwaba, environ 180 000 personnes qui vivent dans des savanes de l’ouest du Burkina Faso et de l’est du Mali (cf. Figure 1 ci-dessous), sont un peuple de cultivateurs appartenant à l’aire culturelle voltaïque. Bien que l’immigration ait été forte dans cette région depuis les années 1960, ils constituent toujours l’essentiel de la population du département de Bondoukuy. Ils parlent une langue gur, le bwamu2.
4Figure 1 – Localisation de l’aire culturelle bwa au Burkina Faso
5Les villages, politiquement et économiquement autonomes, n’ont jamais été soumis à une autorité centralisée, sinon aujourd’hui celle de l’État burkinabé (Capron 1973 ; Lemoine 1998). L’économie de production a longtemps reposé uniquement sur l’agriculture vivrière de céréales avec un élevage de quelques petits ruminants destinés aux sacrifices, mais à partir des années 1960 la culture cotonnière à grande échelle a commencé à prendre son essor ainsi qu’un élevage bovin de thésaurisation (Serpantié 2003 : 16-17). Bien que christianisme et islam soient bien implantés, la religion traditionnelle « animiste » reste très vivace et marque le quotidien de la vie sociale et économique. Le culte central des Bwaba, le doò, comporte une initiation qui organise la société en sept générations masculines, ses premières étapes commencent dès l’enfance.
6D’assez nombreux travaux, les premiers datant du début du XXeme siècle, ont été consacrés à divers aspects de la société bwa, notamment son organisation sociale (Cremer 1924 ; Capron 1971), ses croyances (Cremer 1927 ; Capron 1957, 1962 ; Capron & Traoré 1986-1987, Dugast 2004, 2006, 2008), ses représentations (Voltz 1976 ; Coquet 1994 ;Dugast 2002, 2009) et son langage (Manessy 1961). De nombreux travaux d’écologie ont également analysé les paysages et la végétation de la région de Bondoukuy (notamment Devineau & Fournier 1997, Devineau et al. 2010 ; Fournier 2011, 2013).
Espaces du terroir et saisons
7Les maisons du village de Bondoukuy sont groupées, l’espace habité est enserré dans une mince auréole de petits « champs de case » (fío). Les pieds de Faidherbia albida qui constituaient le parc arboré associé à ces champs ont commencé à disparaître dans les années 1990, remplacés par une espèce exotique, Azadirachtaindica (nom vernaculaire français nim Arbonnier, 2000 :353), tandis que les champs de case ont rétréci, faisant place à des constructions de plus en plus nombreuses depuis le lotissement de la commune en 2003. Ces champs de case, partagés lors de la fondation du village, sont sous le contrôle du vieux chef de chaque famille qui ne va plus travailler dans les champs éloignés. Ils accueillaient autrefois des cultures exigeantes ou fragiles (Manessy 1960 : 204), les cultures (tabac, maïs, sorgho rouge, cotonnier) y auraient eu un caractère sacré (Serpantié, 2003 : 90). Tout l’espace du fío était cultivé, cet espace dégagé de toute grande graminée de brousse protégeait les habitations contre les feux qui chaque année en saison sèche se propageaient dans les hautes herbes des savanes environnantes. Grâce à l’apport de fumure des ordures ménagères, le fío pouvait être géré en culture permanente. Pendant une période de l’année, il servait aussi de terrain de parcours pour le petit bétail (Manessy, 1960 : 204). Comme les animaux sauvages et même les oiseaux ne s’y aventuraient guère à cause du voisinage des habitations, la surveillance en était relativement facile. Juste au contact du fío se trouvait un espace encore fortement modifié par la proximité du village, mais non cultivé, appelé bémberà : les troupeaux y paissaient et les femmes âgées ou fatiguées venaient y chercher leur bois pour la cuisine ; le couvert végétal y était donc peu dense et ne comportait que des arbustes ou buissons.
8Au-delà encore s’étendaient de vastes « champs de brousse » (mana) gérés selon un régime de culture temporaire qui intégrait des périodes de repos de 20 à 30 ans pendant lesquelles la « brousse » se reconstituait. Ces champs constituaient un vaste essart villageois d’un seul tenant où chaque lignage , qui était aussi une unité économique, cultivait sa portion collectivement sous la responsabilité de l’aîné de la « maison ». Une telle disposition permettait de mieux résister aux agressions éventuelles d’ennemis, mais surtout à la faune (prédateurs des cultures et fauves), qui était abondante dans les jachères et la végétation naturelle environnante. Ces champs de brousse exigeaient un gros travail d’entretien et mobilisaient une main-d’œuvre importante (Manessy 1960 : 216-217). Au fil du temps, l’essart se déplaçait, si bien qu’il pouvait être assez éloigné du village lui-même (Serpantié 2003 : 89-90, 99). Aujourd’hui, le paysage est entièrement remodelé. Dans un mouvement continu qui s’est accéléré à partir des décennies 1970 et 1980, les champs se sont progressivement étendus jusqu’à devenir quasiment jointifs et faire disparaître la « brousse ». En dehors des quelques « forêts classées » protégées par l’administration, il ne subsiste plus, entre les parcelles cultivées, que quelques lambeaux de la savane soudanienne typique de ces régions à longue saison sèche (octobre à avril), (Devineau et al. 2009). Par ailleurs, l’individualisme gagnant, l’organisation collective se fait moins stricte. Chaque chef de ménage tend à cultiver indépendamment, là où il peut se procurer de la terre, des lopins dispersés, ce qui finit d’éliminer les derniers lambeaux de brousse.
9Une saison des pluies, de mai à septembre, alterne avec une unique saison sèche d’octobre à avril. Pour les Bwaba, l’année se partage entre deux grandes périodes d’activités contrastées (Capron 1986 : XVI-XVIII). La première, à peu près de mars à août, est dévolue aux activités de production en brousse (agriculture, cueillette). La seconde, à peu près de septembre à février, est celle des activités de distribution et de consommation au village. Malgré plusieurs épisodes de sécheresse à partir des années 1950, ce schéma s’est maintenu, avec un relatif retour à la normale depuis les années 1990(Wittig et al. 2007).
Temps et lieux pour tresser des parures d’herbe
Le calendrier cultural : champs de brousse et champs de case
10Quand nos interlocuteurs de 70 ans et plus étaient jeunes, il pleuvait davantage qu’aujourd’hui et l’on cultivait des variétés de céréales plus tardives : si l’on récolte aujourd’hui le mil en novembre dans les champs de brousse, à l’époque c’était seulement en décembre ou janvier. Quand les pluies avaient repris, c’est-à-dire en mai, les familles partaient s’installer dans le champ de brousse mana où des abris permettaient de se loger pendant le temps des travaux champêtres ; seuls les responsables et quelques personnes âgées restaient au village, mais on circulait entre les deux espaces. Le premier travail était de nettoyer le champ : il s’agissait notamment d’enlever les tiges de céréales issues des graines tombées au sol pendant la précédente récolte : ayant germé dès les premières pluies d’avril elles étaient déjà hautes d’un mètre environ. Ensuite, on semait, on surveillait les champs contre les perdrix et tourterelles qui grattaient le sol pour prendre les graines ; pendant deux semaines ou « jusqu’à ce que le petit mil fasse 80 cm de haut », on éliminait les mauvaises herbes qui pouvaient concurrencer les jeunes pousses en train de commencer leur croissance. Il y a une cinquantaine d’années, pendant cette période où tout le monde était dans les champs de brousse en train d’accomplir ce gros travail, on laissait les chèvres divaguer dans l’espace des champs de case dont elles ne sortaient pas par peur des fauves encore nombreux à cette époque. Quand elles avaient soif et le soir, elles revenaient d’elles-mêmes à la maison où l’on mettait de l’eau pour elles. La saison sèche venue, une fois les récoltes faites et les feux mis, on les laissait à nouveau divaguer car dans la végétation dégagée par l’incendie les fauves n’osaient pas s’approcher du village.
11Au mois de juin ou juillet, quand la saison des pluies était bien engagée, la famille revenait s’installer au village pour nettoyer puis semer la zone des champs de case (fio). Entre le semis et la récolte 4 à 5 mois plus tard, il fallait empêcher les chèvres d’entrer dans les fio, mais aussi les protéger des fauves qui s’approchaient à nouveau du village dans la végétation verte et dense. En effet l’hyène, espèce en principe nocturne, pouvait tenter de prendre un animal si le troupeau passait près de son lieu de repos diurne, mais c’étaient les lions, moins faciles à effrayer que les hyènes, qu’on redoutait le plus.
Travaux confiés aux enfants : garder les champs et les chèvres
12Garder les champs contre les oiseaux au moment des semis et contre les singes quand le maïs était mûr était un travail (tonló) d’enfants. Vers le mois de mai et jusqu’en septembre, on plaçait des garçons jugés suffisamment grands (yàrónzawa), parfois accompagnés d’enfants plus jeunes (hayénzawa) autour des champs. Quand il n’y avait pas de garçon dans la famille, des filles du même âge pouvaient se charger de cette tâche. Certains enfants se juchaient dans les arbres où des plates-formes avaient été aménagées pour leur permettre de voir arriver les singes de loin ; ils leur jetaient des pierres avec leurs frondes. Cette occupation était exigeante : il fallait partir dès le point du jour et rester jusqu’à la nuit. Le matin, sur le chemin du champ, on était souvent trempé de rosée et ensuite on ne pouvait guère relâcher son attention de toute la journée car les oiseaux sont nombreux et les singes très malins. On n’avait donc pratiquement pas le loisir de s’amuser.
13Pendant la même période, un autre travail d’enfant consistait à garder les animaux. Le doyen de chaque lignage, sous la responsabilité duquel étaient placés les chèvres et éventuellement quelques moutons, envoyait une ou deux filles (hḭ́nzà-miní ou hḭ́nzoró) ou, à défaut, des garçons du même âge pour participer au gardiennage collectif du troupeau qui regroupait tous les animaux du village. C’était lui aussi qui, le soir venu, enfermait dans l’étable qui jouxte chaque habitation familiale les animaux revenus du pâturage. Les petits gardiens et leurs jeunes frères et sœurs de plus de 5 ou 6 ans (hayénza) qui les accompagnaient éventuellement pouvaient être jusqu’à 20 à 30 pour plus de 200 animaux. Le troupeau était mené à l’extérieur de la zone des fio, mais les enfants ne quittaient guère la zone dégagée qui faisait la transition avec la brousse (bénberà), ne s’éloignant pas à plus d’un kilomètre du village. Jusqu’aux années 1940 environ, tant que les fauves étaient encore nombreux, le troupeau villageois était maintenu regroupé au pâturage. Ensuite, les enfants ont commencé à séparer ou regrouper les troupeaux familiaux individuels au cours de la journée au gré de leurs affinités ou querelles du moment. Les jeunes gardiens de chèvres partaient de la maison le matin, mais seulement après que la rosée ait séché. Dans certains villages, ils rentraient chacun chez soi en milieu de journée pour manger, plaçant les chèvres dans l’étable pendant cette pause, puis ressortaient encore l’après-midi avec les animaux. Dans d’autres villages, ils restaient dehors toute la journée. Au bout de quelques jours, les enfants qui avaient la responsabilité des chèvres échangeaient leur rôle avec des camarades qui travaillaient au champ.
14L’attribution des travaux d’entretien des champs aux garçons est assez générale en Afrique de l’Ouest (Guidetti et al. 1997 : 52), mais celle du gardiennage du petit bétail aux filles est plus originale.
Plaisirs et amusements des gardiens de chèvres
15Les gens de plus de 70 ans disent avoir prisé le gardiennage des chèvres et la liberté qu’il donnait par opposition au dur travail de gardiennage des champs. Les générations suivantes insistent plutôt sur son côté ennuyeux : il n’y avait rien à faire derrière les chèvres…
16Pour les enfants qui ne rentraient pas à la maison en milieu de journée, l’un des plaisirs des moments passés avec le troupeau était de confectionner de petits beignets cuits sur la braise, mets souvent préparés de la même manière à la maison pour toute la famille. On emportait de la farine de mil et une calebasse, on fabriquait la pâte, puis on l’enveloppait dans des feuilles de Terminalia (plusieurs espèces de cet arbre sont communes dans la brousse et les jachères), les petits garçons et filles (hayénza) étaient chargés de surveiller la cuisson et de retourner les paquets de feuilles au bon moment. Ils appréciaient tant la friandise qu’ils pouvaient suivre leurs grandes sœurs simplement pour pouvoir s’en régaler…
17Les filles les plus grandes s’organisaient pour « regarder les chèvres » à tour de rôle pendant que les autres se livraient à divers amusements (ɲίnkaa). On se baignait, on jouait au wàri en plaçant des cailloux dans de petits trous creusés le sol (voir Capron et Pairault 1987 au sujet de ce jeu de stratégie).En groupe, les garçons poursuivaient les filles et les seraient fortement dans leurs bras pendant qu’on chantait une chanson qui invitait à l’acte sexuel sous une forme mi-crue mi-voilée. Sur cette chanson et diverses autres, on dansait aussi. Enfin, on tressait des objets en herbe, activité qualifiée selon les interlocuteurs d’amusement (ɲίnkaa), d’activité secondaire (nίn-sámu3) ou même de travail (tonló). En cas de pluie imminente, on ramassait rapidement des herbes, on rentrait les chèvres à l’étable et l’on allait tresser à la maison.
18Le gardiennage des chèvres était donc la tâche par excellence qui permettait de confectionner pratiquement autant de parures d’herbes qu’on voulait ; en revanche les enfants occupés aux travaux des champs ne pouvaient guère s’y consacrer que la nuit venue, avec des plantes qu’ils rapportaient à la maison.
Le tressage d’herbes
Une occupation spécifique aux enfants
19Tout comme garder les animaux et défendre les champs contre les animaux sauvages, tresser des parures d’herbe était une occupation d’enfants. On s’y essayait dès le plus jeune âge, mais on ne la maîtrisait que peu à peu car elle n’était pas si facile…
20Le bébé, kùnkùza, « dans les bras de sa maman » ne peut rien faire par lui-même, mais dès qu’il marche, l’enfant hayénza (ou encore wàza si c’est un garçon et hḭ́nzoza si c’est une fille) se voit confier des tâches adaptées à ses forces physiques et à sa capacité de prise de responsabilité. C’est l’âge où il va aussi commencer à apprendre à tresser les herbes, activité qu’il poursuivra à l’approche de la puberté quand il sera yàrónza-fɛ̀ɛ (garçon jeune) ou yàròn-búiḱòza (garçon bâton mince, ce qui évoque un corps de stature déjà élevée mais élancé) et hḭ́nzà-miní. Ce sont cependant les enfants pubères, hḭ́nzoró (vraiment fille) ou hḭ́nzo-sḭ́nii (fille « pleine » qui en particulier a déjà les seins développés) et yàrónza (garçon), « qui commencent à s’intéresser aux personnes de l’autre sexe » qui sont censés maîtriser l’art du tressage et s’y adonner assidument. Physiquement mûrs et jugés capables de participer à la plupart des travaux (cuisine, travaux des champs) ils ne sont pas encore prêts à assumer la responsabilité d’une famille. Autrefois, disent les Bwaba, on ne mariait pas les filles « avant que leurs seins ne tombent » (vers 20 ans ou davantage) et le mariage était encore un peu plus tardif pour les garçons. Dès qu’on est marié, on abandonne le tressage d’herbes, la jeune fille devient alors há̰n (femme en général ou épouse, há̰n-yàró si l’on veut préciser qu’elle est encore jeune). Le changement d’appellation dépend plutôt d’un critère physique pour le garçon, marié ou non, il est dit nì-yàró dès qu’il est« à son zénith », qu’il commence à avoir de la barbe. Avec le déclin des forces et de l’activité, l’homme deviendra nì-kḭ́nle et la femme há-kḭ́nle, des vieillards qui vont « attendre qu’on leur donne à manger ».
21Ce passe-temps ne concernait pas les adultes, certains interlocuteurs parmi les plus âgés disent qu’il aurait été incongru d’offrir et même de montrer les objets tressés aux parents, ils racontent qu’on jetait toujours ces parures avant de rentrer à la maison. D’autres disent au contraire qu’on les gardait sur soi pour rentrer, qu’on les accrochait dans la maison et qu’on pouvait même en offrir aux adultes, mais les parents se plaignaient des « saletés » que faisaient dans la cour les herbes rapportées pour tresser… Des filles plaçaient leurs tressages à la maison dans un récipient fait d’une calebasse évidée appelée ɓùeeza; avant de les offrir, elles les mouillaient pour qu’ils soient souples et faciles à porter. Des enfants déjà initiés pouvaient continuer de s’adonner à cette occupation, mais on l’abandonnait toujours « avant le mariage »4.
Maîtrise technique et choix du matériau
22Les enfants les plus âgés et donc les mieux exercés tressaient de nombreuses parures : jusqu’à plusieurs dizaines de modèles variés par jour ont affirmé certaines femmes, mais ils ne gardaient que les meilleures pour les porter et jetaient les autres. Les plus petits ramassaient les objets jetés et les défaisaient, c’est ainsi qu’ils apprenaient peu à peu eux-mêmes à tresser. On commençait par un modèle de bracelet très simple, à trois brins, puis on faisait celui à quatre brins, puis à huit etc. et ce n’est que quand on avait gagné en habileté qu’on se lançait dans la confection des bracelets laa muka̰nì (nez du singe) et naa muka̰nì (nez du scorpion) ou des couronnes, qui passent pour plus difficiles.
23Les deux espèces principales qui servent au tressage, Digitaria gayana et Loudetia togoensissont de très banales graminées annuelles : à la différence des vivaces qui vivent plus longtemps, elles repoussent de graine chaque année. La première vient surtout sur sols sableux dans des champs fatigués par la culture, elle prolifère pendant la première année d’abandon cultural puis disparaît peu à peu, remplacée par d’autres espèces. La seconde se rencontre surtout en milieu naturel sur les sols cuirassés incultivables, mais elle vient dans les champs abandonnés quelques années après la première car elle affectionne aussi les lieux modifiés par les activités humaines (Rose Innes 1977 : 137, 182 ; Poilecot 1999 : 455-457, 330-331). Les deux herbes fleurissent et fructifient entre fin juillet et octobre, la première ayant un cycle un peu plus court et une floraison un peu plus précoce que la seconde (Djimadoum 1993 : 59-60).
24Avant de tresser D. gayana et L. togoensis, on doit attendre leur fructification : on dispose alors des hampes florales à leur maximum de longueur et elles ne sont plus trop fragiles. Ensuite, il ne faut pas trop tarder, car l’assèchement de la plante va bientôt rendre le matériau cassant et le tressage difficile, puis impossible. Au total, la période favorable à un tressage facile et à un joli résultat ne dure guère plus d’un à deux mois. Si ces deux espèces sont préférées, c’est à cause de leurs entre-nœuds particulièrement longs et de la souplesse et de la finesse de leurs hampes. Cependant, Digitaria gayana peut être utilisée immédiatement une fois cueillie, tandis qu’il est préférable de laisser L. togoensis sécher quelques heures. Afin de faire préciser les qualités de ces deux espèces, plusieurs autres plantes ont été proposées à nos interlocuteurs comme succédanés possibles pour le tressage. Les entre-nœuds de Sporobolus pyramidalis ont été jugés trop courts, les hampes de Vetiveria nigritana (qui sert plutôt à faire des chapeaux) trop grosses, celles de Ctenium elegans (qui sert à couvrir les ruches) trop cassantes ; quant à Andropogon pseudapricus, elle a été rejetée sans explication particulière. L’un des rares ouvrages de botanique qui fait état de l’utilisation d’herbes pour fabriquer ce type d’objets tressés (Poilecot ibidem) ne mentionne que D. gayana (bracelets, bagues, boucles d’oreille et chapeaux au Ghana et au Nigeria) et L. togoensis (bracelets au Ghana, au Togo et au Nigeria) comme matériau possible.
25Dans certaines localités, on prenait parfois aussi trois autres espèces en plus de D. gayana et L. togoensis pour tresser certains objets. Bien que fort différentes l’une de l’autre, deux d’entre elles portent en bwamu le même nom de bón wón, onomatopée qui évoque le bruit que font leurs tiges en cassant quand on les arrache. L’une est un riz sauvage, Oryza longistaminata, qui pousse au bord de l’eau et fructifie en octobre. L’autre, Loudetia hordeiformis, qui porte aussi dans certaines localités le nom de laa zui (queue de singe), ressemble un peu à L. togoensis, maispousse près des collines sur certains types de sols sableux ; sa période de fructification se situe en octobre-novembre après celles de D. gayana et de L. togoensis. La troisième, Sporobolus pyramidalis,pousse au bord de l’eau et fructifie entre octobre et novembre, c’est-à-dire un peu plus tard que les espèces préférées, ce qui permettait de prolonger le tressage.
Les objets et leur dénomination
26On tressait surtout des bracelets (cf. Figure 2 ci-dessous) mais les objets confectionnés étaient très variés : bracelets de poignet, de biceps et de genou, couronnes, ceintures, bagues et même, plus récemment, éventails. S’il a été facile de faire fabriquer plusieurs modèles de bracelets (en particulier le type appelé ko̰ndó̰n), les promesses faites pour les bracelets de biceps et de genoux et pour les couronnes n’ont jamais été tenues.
27Ces objets étaient désignés par un mot qui évoquait leur forme ou leur usage ou par le nombre des brins utilisés pour les fabriquer (jusqu’à 40 selon certaines personnes), les deux types de désignation étant aussi combinées. Parmi les bracelets de poignet, piri don kó̰ndó̰n tressé avec onze brins avait une forme arrondie et creuse, piri don sίi denka, également tressé avec onze brins avait une forme arrondie et remplie, la forme arrondie de laa muka̰nì comportait un relief qui évoquait le nez du singe rouge, Erythrocebus patas (Schreber, 1775), kìrί-kìrί était tressé rond. Parmi les autres objets, ɲún-kìrί (rond de tête) était une couronne, nínkíza-dɛ̀ɛ (chose du doigt) un anneau, nίnkere-dɛ̀ɛ (chose de la taille) une ceinture, lónbo-yoore un bracelet de biceps, màbee un bracelet d’avant-bras ou de bras large et plat. Le modèle de bracelet kίrί-kίrί ɓónza évoquait la forme des fouets tressés de certains masques et piri don halélébá (tressé avec onze brins) ressemblait un peu au précédent. Quelques noms, comme kó̰ndó̰n, sont largement répandus, mais chaque village semble avoir eu des appellations et peut-être ses modèles propres ; la signification de certains noms semble perdue.
28Figure 2 – Quelques modèles de parures tressées avec l’herbe Loudetia togoensis
29Légende : 1 : modèle kó̰ndó̰n ; 2 : modèle piri don síi denka ; 3 : modèle laa muka̰nì ; 4 : modèle kìrí kìrí ; 5 : modèle nínkíza-dɛ̀ɛ.
30Remarques : seul le modèle n°1 est achevé : dans les autres, les extrémités des herbes restent à couper et à retirer. Ces objets ont été déposés par l’auteur dans les collections ethnographiques du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris.
Partage et relations entre sexes
À chacun son travail et son herbe
31Il existait en principe un partage entre les sexes quant au matériau utilisé et aux modèles fabriqués et portés. D. gayanaétait pour les filles qui suivaient les chèvres aux abords de la zone desfioet L. togoensis pour les garçons qui sarclaient les champs de brousse. En dépit de quelques variations entre localités, les filles tissaient plutôt le bracelet qui se portait au poignet et les garçons celui qui se portait au bras, la ceinture était plutôt un travail de garçons, tandis que la couronne était faite, selon les lieux, par les garçons, les filles ou tous les enfants.
32Les noms donnés aux deux espèces qui servent au tressage des bracelets peuvent être un peu différents selon les localités et les personnes. D. gayana est nomméetantôt konkoho, tantôt saponì en référence à la couleur blanche de ses inflorescencesqui rappellerait le pagne blanc dont les femmes s’habillaient autrefois5.L. togoensis est nommée tantôt konkoho, tantôt konko ɲumu (abréviation de konkoho ɲumu, ɲumu signifiant eau), en référence à la période de pleine saison des pluies où ses tiges florifères commencent à grandir. Tout le monde sait quela première herbe est attribuée aux filles parce qu’elle fructifie la première, mais rares sont aujourd’hui ceux qui peuvent expliquer que cela évoque les rôles respectifs de l’homme et de la femme dans le travail du champ. Quand l’homme a fait les buttes ou les billons, la femme se charge du semis, cependant, son « vrai » travail n’étant pas de produire les céréales, mais de préparer les repas, elle retourne immédiatement à ses propres tâches. L’une d’entre elles est le ramassage dans la brousse des fruits de karité, dont elle tire un beurre qui sert de matière grasse pour cuisiner ; la cueillette de nombreuses autres plantes de brousse par les femmes continue d’ailleurs aujourd’hui à fournir un apport alimentaire important aux Bwaba. L’homme, dont le travail par excellence est de produire du grain pour sa famille, va ensuite assurer l’essentiel des travaux au champ, la femme ne venant à nouveau l’aider que pour la récolte6. Dans cette mesure, on peut dire que la femme passe dans le champ « avant l’homme », tout comme D. gayana fleurit avant L. togoensis. Par ailleurs, comparé à celui des hommes, le travail des femmes d’autrefois était jugé moins pénible : le semis est en effet un travail relativement facile. Les Bwaba disent qu’autrefois, « on ne donnait pas des travaux pénibles aux femmes »7.
33Il est dès lors bien compréhensible que les filles s’amusent à tresser des parures de saponìpendant que les garçons sarclent les champs (souvent pour éliminer cette même herbe), qu’elles prennent cette herbe qui ne pique pas, celle qui est souple et facile à tresser et doit être utilisée immédiatement. Les garçons quant à eux emploient l’herbe piquante, celle qu’on laisse sécher en attendant la fin de la journée de travail au champ, et se chargent des tissages les plus longs et les plus difficiles à réaliser… L’herbe utilisée par les filles fructifie à une période de l’année où il pleut et qui est jugée douce, celle utilisée par les garçons fructifie au moment où le climat redevient plus chaud et plus pénible à l’approche de la saison sèche.
34Les Bwaba, qu’une particularité de L. togoensis a frappés, l’associent par ailleurs aux feux de brousse qui surviennent en début de saison sèche. Une fois les graines mûres tombées sur le sol, l’humidité des dernières pluies provoque un brusque changement de forme des arêtes piquantes qui garnissent l’une de leurs extrémités. Ceci anime les graines d’un mouvement tournant et elles s’enfouissent dans le sol par leur autre extrémité qui est pointue. Les arêtes seront détruites par le passage du feu, mais les graines, protégées dans le sol, vont germer dès le retour de la prochaine saison des pluies, donnant l’image de la succession des saisons et de la renaissance répétée de la végétation.
Herbes des amusements et herbe de l’initiation
35Selon certaines personnes, on pourrait aussi appeler les deux espèces préférées « l’herbe des garçons » (bawa konkoho) et « l’herbe des filles » (hãwa konkoho). Ces dénominations sont rejetées par la plupart des autres, qui estiment que ce que l’on doit appeler « l’herbe des garçons » n’est pas L. togoensis, mais L. hordeiformis. Cette espèce apparaît en effet dans les masques qui interviennent dans les rites d’initiation masculine de doó. Les Bwaba sont connus de leurs voisins comme « les gens des feuilles » (Voltz 1976 : 86), c’étaient autrefois des feuilles qui constituaient leur vêtement (Coquet 1994 : 292) et ce sont toujours des feuilles fraîches d’arbres qui constituent leurs principaux masques,évoquant le renouveau saisonnier de la végétation (Coquet 1994 : 438).L. hordeiformis est l’une des espèces qui servent à confectionner une sorte de visière (zánle) placée sur la tête du masque. Le matériau diffère selon les localités et, surtout, selon le statut du porteur de masque par rapport à l’initiation. Quand l’espèce apparaît sur des masques d’initiés, ce sont toujours les derniers initiés qui la portent tandis que les générations plus âgées portent d’autres plantes. Un autre élément vient à l’appui d’une association de cette espèce au passage important que constitue l’initiation. Dans tout le Bwamu, les jeunes garçons non-initiés portent des masques d’amusement dont l’aspect peut être assez différent de celui des masques d’initiés. Toutefois dans certaines localités, ces masques ont une forme tout à fait semblable à celle des masques d’initiés, mais leur visière est alors faite en L. hordeiformis, d’autres plantes étant employées pour celle des masques d’initiés. L’espèce apparaît donc sur les masques avant ou juste après l’initiation. De plus, entre L. hordeiformis et L. togoensis la substitution est possible. Dans certaines localités de la région de Bondoukuy, L. togoensis peut remplacer L. hordeiformis si cette dernière espèce n’est pas disponible. Jean Capron (1957 : 9) présente des dessins des têtes des masques (fig. 1 à 4) et des clichés de néophytes en train de les tresser (pl. 2) ; il mentionne l’usage habituel de L. togoensis (sous un nom différent) dans les masques d’initiés de la région de San au Mali. Ce sont les herbes associées au feu de végétation qui sont utilisées dans cette région, orl’image d’un feu qui brûlerait les néophytes lors des épreuves qui leur sont imposées lors de l’initiation est très courante dans le Bwamu. Une idée d’anticipation reste cohérente dans ce contexte : les herbes utilisées pour les visières des masques étant au bon stade de développement du début de septembre à la fin de novembre, il faut les récolter et les garder plusieurs mois, car la période du doò n’ouvre que vers février. Par contraste, ceci confirme D. gayana – que l’on ne peut pas garder et qui n’entre pas dans la confection des masques – dans un statut d’herbe des amusements.
Des parures à échanger
36Même si l’on pouvait porter ses propres tressages, les parures d’herbe étaient surtout destinées à être échangées. Les filles qui avaient gardé les chèvres en offraient à leurs sœurs et camarades de même sexe qui revenaient des champs pour les remplacer, de même que les garçons pouvaient en offrir à d’autres garçons. C’était cependant principalement dans un contexte de flirt que les échanges se faisaient entre adolescents. On offrait les objets qu’on avait tressés à celui ou celle que l’on aimait. L’acceptation d’une parure par une fille signifiait qu’elle agréait le garçon et acceptait des relations sexuelles avec lui. Les filles pouvaient également prendre l’initiative d’offrir une parure à un garçon, mais elles ne le faisaient, disent les femmes, que quand elles étaient certaines que leur cadeau serait accepté8… Un garçon envoyait son meilleur ami muni d’une parure faire sa demande à la fille qu’il convoitait. Une fille chargeait le meilleur ami de son élu de lui remettre deux bracelets : il en gardait un et offrait l’autre à l’« envoyé » pour le remercier d’avoir servi d’intermédiaire. Ensuite, un échange régulier s’instaurait entre les amoureux ; un garçon momentanément éloigné de sa bien-aimée par ses travaux au champ de brousse tressait pour elle en pensant à elle le soir. La fille en faisait de même derrière les chèvres et s’arrangeait pour faire parvenir les parures au garçon. Dans certains villages où les couronnes n’étaient fabriquées que par les garçons, une fille qui en portait une affichait ainsi qu’elle avait un bien-aimé et il était clair qu’un garçon qui portait beaucoup de bracelets de saponì (herbe tressée seulement par les filles) avait une bien-aimée. En principe l’élu(e) était unique, mais il paraît qu’on n’était pas toujours très sérieux… Les anciens se souviennent avec amusement des disputes qui éclataient entre eux autour du port des parures d’herbe. Le garçon qui trouvait au bras de son amante en titre des bracelets qu’il n’avait pas offerts lui-même se mettait en colère, les arrachait, recherchait son rival et se querellait avec lui. Le prétendant qui voyait porter des parures à une fille qu’il convoitait les arrachait aussi pour exprimer son dépit qu’un autre ait déjà été choisi…
37L’échange de parures était ainsi le code par excellence des échanges amoureux entre enfants, à tel point que ceux qui ne savaient pas tresser en auraient acheté à leurs camarades pour être en mesure de faire leur demande dans les normes. Une femme de plus de 70 ans a confié qu’elle gagnait l’équivalent de 40 cauris par saison en faisant commerce des parures qu’elle avait tressées, mais un tel commerce ne semble pas avoir été répandu…
Flirt, fiançailles et mariage
38Bien que soumis à l’autorité de leurs parents, les enfants Bwaba jouissaient d’une autonomie certaine et leur apprentissage de la sexualité était toléré et même tacitement encouragé par les adultes. À leur demande, on laissait à leur disposition une maison inoccupée, ils y restaient entre eux jusque tard dans la nuit9 ; ils s’y livraient en groupe à des « jeux (ɲίnkaa) dans le noir », initiation à la sensualité sur laquelle on peut trouver plus de détails dans les romans de Nazi Boni (1962 : 76-77) et de Jean-Bernard Samboue (2001 : 42, 60). Ces soirées étaient souvent le prélude à leurs premières relations sexuelles. Dans certains quartiers, les filles mettaient fin à ces réunions en entonnant la chanson déjà mentionnée au sujet des gardiens de chèvre, celle qui invitait les garçons à les poursuivre. Il s’agissait, bien entendu, d’une plaisanterie et elles restaient libres de se laisser « attraper » ou pas. Les garçons disposaient souvent de cases individuelles un peu à l’écart de celles des parents où ils pouvaient recevoir librement leurs amies ; à défaut, tout l’espace villageois pouvait accueillir les couples à l’heure tardive où, « tout le monde étant couché », ils ne risquaient pas d’être surpris.
39Il existait des fiançailles10 arrangées par les familles : à la naissance d’une petite fille, plusieurs familles venaient la demander pour leurs garçons (ils présentaient des demandes chez plusieurs parents de fillettes). Une fois leur demande agréée, les parents du garçon offraient régulièrement aux parents de la petite des cadeaux pour elle et des prestations en travail dans leurs champs11. Avec ces maris potentiels, aucune relation sexuelle n’était permise à la fille et ceux-ci devaient accepter sans un mot qu’elle ait un amant de cœur (dit yàrónza même s’il appartenait en fait à la classe nì-yàró. Une fois mariée, elle devait cesser toute relation sexuelle avec lui et si son mari le trouvait chez lui, il le chassait ou même le frappait.
40La vigueur physique étant extrêmement valorisée chez les Bwaba, si un enfant n’était pas capable de remplir honorablement les tâches confiées à sa classe d’âge, c’était une honte tant pour lui-même que pour sa famille. Plusieurs personnes d’environ 60 ans ont affirmé que, bien que jugées pratiquement inévitables avant le mariage, les relations sexuelles étaient jugées néfastes si elles étaient trop précoces parce qu’elles auraient alors eu un effet affaiblissant. Ces idées font cependant hausser les épaules aux gens plus âgés. Toujours selon les gens de 60 ans environ, les grossesses de filles non mariées n’étaient pas souhaitées. Si cela arrivait cependant, les parents de la fille lui demandaient de faire son choix entre ses fiancés et on la mariait rapidement, l’enfant à naître était alors donné au jeune mari qui, autrefois, en aurait été content, mais ne l’accepterait plus de nos jours. L’enfant né hors mariage alors que la fille vit toujours chez son père est dit zìiza (enfant de maison) et il est intégré à la famille de son grand-père maternel. Les gens les plus âgés disent qu’on aimait bien qu’une fille laisse ainsi quelques enfants chez ses parents avant de partir chez son mari car autrefois on avait peu d’enfants. C’est aussi ce que rapportent Jean Cremer (1924 : 29) et Jean Capron (1981 : 205) et le problème d’infécondité chez les Bwaba a fait l’objet d’une étude médicale (Retel-Laurentin 1979). Bien qu’étant de fait un neveu (enfant de fille), le zìiza bénéficie d’un statut plus élevé que le neveu car il habite sur place et peut donc rendre bien plus de services à la famille et l’on tient compte de cette contribution. Cependant, pas plus qu’un neveu, un garçon né ainsi ne peut en principe devenir le chef de la famille. Certaines familles refusent absolument le zìiza, auquel cas le bébé « ne vit pas »… On explique ce refus par la dangerosité du zìiza : bien qu’habituellement serviable et se comportant bien, il est susceptible de développer de mauvaises pensées si jamais on l’humilie à cause de son statut et cela finirait par faire mourir tous les autres enfants. En effet, les ancêtres ne supporteraient pas que l’on traite mal le zìiza et puniraient donc ceux qui le font. Les gens les plus âgés soulignent qu’il n’y a aucun problème, qu’on doit seulement bien traiter le zìiza…
L’éphémère paradis des jeunes années
41Le plaisir et l’émotion manifestée par les aînés pendant leurs récits relatifs aux tressages de leur jeunesse relèvent, bien entendu, du sentiment si souvent observé de paradis perdu qui s’attache au passé et au jeune âge. On peut cependant y déceler en outre la nostalgie d’une forme de liberté particulière à l’enfance dans la société bwa.
42Dans un texte très sensible, publié il y a plus de 30 ans, Jean Capron (1981 : 205-208) rapporte que les femmes lui ont confié qu’elles estimaient que « la période la plus heureuse de leur vie s’étend[ait] de la puberté au mariage ». Il explique qu’après que garçons et filles aient grandi ensemble et avant que leurs parents ne leur imposent des contraintes matrimoniales, ils vivaient « une adolescence amoureuse des mieux remplies ». La fille, qui était alors « courtisée, aimée, considérée » et « appréciée pour elle-même » vivait intensément, existant « à l’égal de l’homme ». Ce n’était plus le cas dans la vie conjugale du couple, dominée par les corvées pour la femme et les devoirs pour l’homme : pendant la vie conjugale prévaut en effet une forme conventionnelle de séparation des sexes et d’exclusion sociale des femmes. Jean Capron commente qu’il n’est donc pas étonnant que les amitiés amoureuses liées alors, hors de toute contrainte, aient perduré longtemps après le mariage dans une société qui, à son avis, n’a pas su intégrer les femmes qui restent exclues des décisions importantes et de la vie villageoise, centrale chez les Bwaba.
43Dans la région de Bondoukuy, quelques hommes âgés de 70 ans et plus ont exprimé des idées voisines de celles rapportées par Jean Capron : qualifiant d’âge heureux celui où l’on courtisait librement les filles avant d’être chargé de responsabilités. Une femme de plus de 70 ans, à qui sa famille a imposé un mariage avec un fiancé alors qu’elle aimait son yàrónza, était aussi de cet avis. Des hommes mûrs et des jeunes gens ont estimé que ce n’est plus aussi vrai « depuis que l’argent a tout envahi » : pour séduire les filles, il ne suffit plus d’offrir des bracelets d’herbes, il faut faire des cadeaux d’argent, ce qui exclut une partie des jeunes gens « sinon, les filles te rejettent, tandis qu’au temps de notre papa on n’avait pas besoin d’argent et les gens se respectaient ». Des femmes âgées de 60 ans et plus ont plutôt dit que, pour celles de leur génération, le meilleur moment de la vie est le mariage « si on a un bon mari », car c’est le moment où l’on est le plus libre… L’assouplissement progressif des contraintes matrimoniales depuis l’époque des travaux de Jean Capron explique sans doute ce changement de perception. Quand nos interlocuteurs les plus âgés étaient jeunes, le mariage n’était déjà plus que rarement imposé par les parents : les filles se permettaient déjà souvent de fuir chez leur yàrónza au lieu d’épouser l’un des fiancés choisis par leurs parents. De nos jours, on peut choisir son conjoint et la période amoureuse prénuptiale – qui existe dans bien d’autres sociétés d’Afrique de l’Ouest (Lallemand, 1985 :12) – semble avoir perdu beaucoup de la grande saveur de liberté qu’elle avait dans des temps plus anciens. Mais qui sait ce que diront les adolescents d’aujourd’hui quand ils seront parvenus à l’âge où l’on peut dresser le bilan d’une vie ?
44Quoi qu’il en soit, le tressage de parures d’herbes aurait totalement cessé il y a vingt à cinquante ans selon les villages et les quartiers : les gens d’une cinquantaine d’années estiment généralement avoir fait partie des tout derniers groupes qui l’ont pratiquée et ceux de 40 ans en connaissent l’existence mais ne possèdent plus la technique. Les personnes de moins de 20 ans (qui aujourd’hui ne gardent plus les chèvres) déclarent quasiment toutes ne pas connaître l’existence de cette activité de tressage et les enfants se sont groupés avec curiosité autour de leurs grands-parents pour écouter leurs récits et les regarder tresser pendant les enquêtes.
Conclusion : valeurs symboliques des herbes
45Laissant les différentes générations de Bwaba débattre de la période la plus heureuse de leur vie, nous nous tournerons pour conclure vers le pouvoir d’évocation des herbes. Dans la société bwa où les cultivateurs sont considérés comme les nobles (forgerons et griots étant leurs dépendants), aucun travail n’est mis au-dessus de celui des champs ; il n’est donc guère étonnant que les deux herbes qui servaient de code pour tisser les premiers attachements des enfants fassent référence aux travaux champêtres et aux différences entre les rôles masculins et féminins dans ce domaine. Par ses caractéristiques biologiques et par opposition à l’arbre, l’herbe donne l’image de l’éphémère et du changement saisonnier : tout comme les amours prénuptiales qui n’ont qu’un temps, elle se développe sur une courte période. Pourtant, les choses sérieuses ne sont pas loin, bientôt viendra le mariage – à partir duquel on abandonnera le tressage – et, avec lui, l’avènement d’une sexualité tournée vers la procréation et la responsabilité d’une famille où l’éphémère n’a plus sa place. L’âge du tressage des parures d’herbes coïncide par ailleurs avec celui de l’initiation, qui ouvre à un statut socialement adulte incluant la prise en charge de tâches d’intérêt collectif.
46Aux trois espèces d’herbes mises en avant par les Bwaba dans les conversations relatives au tressage semblent associées des idées différentes. Ainsi, D. gayana évoque un pôle féminin et purement ludique, l’immédiateté et la facilité ainsi que la douceur de la saison humide et fraîche. L. togoensis apparaît comme également ludique, mais plutôt associée au masculin, elle suggère cependant plus de difficulté, une certaine anticipation et l’approche de la saison sèche pendant laquelle a lieu l’initiation. Quant à L. hordeiformis, elle représente un pôle plus exclusivement masculin, l’anticipation longue et le passage crucial entre le statut de non initié et celui d’initié au doò, déité qui est dite provenir de la brousse.
47L’association de L. togoensis au feu d’une part et à la découverte de la sexualité d’autre part mérite un commentaire supplémentaire. Dans un épisode du mythe de création recueilli par Capron et Traoré dans la région de Solenzo (1986-1987 : 73) – une histoire qu’on n’entend pas dans la région de Bondoukuy – Dieu donne la sexualité et la mort aux humains ; ceux-ci tentent alors sans succès de se procurer un remède contre la mort et allument accidentellement le premier feu de brousse dans cette herbe. Comme le rappellent Capron et Pairault (1987 : 42) L. togoensis représente pour les Bwaba l’ensemble de la végétation herbacée et même la brousse tout entière (Capron 1978 : 151, note 9). Leurs voisins les Bobo, culturellement très proches d’eux, représentent eux aussi la Brousse (soxo) par l’herbe : « C’est sans doute la plus humble de toutes les plantes, l’herbe, qui représente le mieux l’idée qu’on se fait de soxo, parce qu’elle est, comme lui infiniment multipliée et abondamment répandue dans la nature » (Le Moal 1980 :128). Pour eux [les Bobo], soxo, « c’est la force végétative, c’est l’élan qui anime tout le règne végétal » (ibidem : 329). Quant aux écologues, ils reconnaissent aussi dans leur domaine la grande importance des herbes dans les savanes dites soudaniennes où vivent les Bwaba et les Bobo. En effet, bien avant l’apparition des humains, des feux courants ont commencé de façonner les paysages de cette grande région. Et ce sont les herbes, en tant que combustible qui alimente ces feux, qui constituent incontestablement le socle de ce système écologique12.
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Notes
1 Formes francisées : Bwa et bwa au singulier, Bwaba et bwaba au pluriel, bwamu pour la langue, Bwamu pour le pays.
2 Code ISO 639-3 Selon Ethnolog http://www.ethnologue.com/country/BF/languages
3 Dans cette catégorie (littéralement « occupation de main ») se classent tous les petits travaux de vannerie que l’on exécute quand on en a le temps après les travaux de culture. C’est aussi souvent ce terme qui est employé pour désigner des travaux d’artisanat qui sont aujourd’hui devenus des métiers (menuiserie, maçonnerie etc.).
4 Chez les Bwaba, des jeunes gens peuvent être déjà mariés avant d’être initiés, ce rite qui peut n’avoir lieu que tous les 10 ou 15 ans en fonction du nombre de jeunes gens d’âge à être initiés, n’ouvre pas aux relations sexuelles ni au mariage.
5 Ce dernier nom est parfois aussi donné à une autre espèce, Eragrostis tremula, qui n’est pas tressée, mais sert à faire les balais : selon certains informateurs, saponì serait une contraction de sani ponì (balai blanc).
6 Cette répartition des rôles s’exprime aussi dans les rites funéraires auxquels nous avons assisté : ils sont accompagnés d’un sacrifice sur la houe pour les hommes et d’un rituel d’imitation de la cueillette du karité et de la préparation du beurre pour les femmes.
7 Aujourd’hui le travail des champs n’étant plus collectif, ce n’est plus vrai car faute de travailleurs masculins, l’épouse assure souvent une part importante du travail sur le champ individuel pour épauler son époux.
8 La jeune héroïne bwa du roman Halombo (Samboue 2001 : 43) tresse ainsi un bracelet pour un garçon après leur coup de foudre réciproque.
9 Chez les Bwa pwesya, qui habitent la région de Solenzo à une cinquantaine de kilomètres de Bondoukuy et parlent un autre dialecte (Manessy 1961 : 176-178), Jean Capron (1957 : 118 ; 1971 : 38) mentionne l’existence de maisons, domaine interdit aux adultes, où les enfants à partir de 7 ou 8 ans se réunissaient déjà entre eux et passaient la nuit garçons et filles séparément, preuve de l’indépendance qu’on leur accordait.
10 Le mot fuanrè désigne le fiancé comme la fiancée.
11 Le roman Halombo (Samboué 2001), décrit les coutumes de mariage pendant les années 1940 dans la région de Kari.
12 Nous remercions les habitants de Bondoukuy, Dampan, Tankuy et Bokuy qui ont confié leurs souvenirs et, pour certains, fabriqué les objets : mesdames Hakossou Bicaba, Hantamou Bonzi, Sambopan Bicaba, Sita Coulibaly, Wamata Coulibaly, messieurs Michel Boni, Ouanhou Bonzi, Kaffiri Bonzi, Kani Bonzi, Damou Coulibaly, Zinta Coulibaly, Zoubiéssé Tiaho, Vuhun Tamini, Yezuma Tamini et Panga Thiaho. Nous remercions également messieurs Yezuma Coulibaly pour la traduction des entretiens et Charles Bicaba pour la transcription de la plupart des termes en bwamu. Notre reconnaissance va également à messieurs Jean-Baptiste Boutrais, Charles-Édouard de Suremain et Raymond Boyd pour leur lecture de versions préliminaires du manuscrit. Nous remercions aussi les deux personnes qui ont relu le manuscrit pour la revue et dont les remarques et commentaires pertinents ont permis d’améliorer sensiblement le texte.