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Acephalonomia cisidophaga Strejček, 1990, nouveau genre et nouvelle espèce de Bethylidae pour la faune de Belgique (Hymenoptera, Chrysidoidea)
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Le Bethylidae Acephalonomia cisidophaga Strejček, 1990 est signalé pour la première fois du territoire belge sur base d’une femelle microptère capturée le 25 novembre 2021 dans l’appartement de l’auteur situé à Liège. Elle est très probablement issue de polypores placés en élevage en vue d’obtenir des coléoptères mycétophages, cette minuscule guêpe étant connue comme ectoparasitoïde des larves de Ciidae. L’espèce a été décrite de Slovaquie et de République tchèque, puis signalée d’Allemagne, Pays-Bas, France, Italie et Suisse, mais sa distribution générale est vraisemblablement beaucoup plus vaste.
Abstract
The flat wasp Acephalonomia cisidophaga Strejček, 1990 is reported for the first time from the Belgium on the basis of a wingless female captured on 25 November 2021 in the author's apartment located at Liège city. The insect most likely originated from one of the polypores reared to obtain mycetophagous beetles. Indeed, this tiny wasp is known to parasitize Ciidae larvae. This species described from Slovakia and the Czech Republic has subsequently recorded from Germany, The Netherlands, France, Italy and Switzerland only, but its general distribution is likely to be much wider.
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Reçu le 8 septembre 2023 , accepté le 18 octobre 2023
Cet article est distribué suivant les termes et les conditions de la licence CC-BY (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/deed.fr)
INTRODUCTION
1Les Bethylidae forment une famille d’Hyménoptères aculéates cosmopolite mais d’importance modérée au sein de cet immense ordre, le dernier inventaire à l’échelle mondiale faisant état de 2920 espèces décrites au sein de 96 genres et 8 sous-familles (dont trois uniquement connues à l’état fossile), avec un maximum de diversité dans les régions chaudes et tropicales (Azevedo et al., 2018). Phylogénétiquement proches des Chrysididae (ou guêpes dorées), avec lesquels ils sont regroupés au sein de la superfamille des Chrysidoidea, les Bethylidae sont pourtant d’aspect totalement différent, évoquant plutôt une fourmi Ponerinae. Corps élancé et plus ou moins aplati, metasoma à 8 segments chez les deux sexes, tête sensiblement déprimée, allongée et prognathe, coloration noire ou brunâtre, pilosité ± courte et éparse, clypeus généralement caréné, antennes à 12 ou 13 articles (très rarement moins) selon les genres, taille minime à moyenne, ailes antérieures à 0-7 cellules, ailes postérieures réduites et sans cellules, aiguillon fonctionnel chez la femelle, téguments lisses à chagrinés et plus ou moins ponctués, sont quelques-unes des caractéristiques importantes de ces guêpes à l’allure très homogène. Ajoutons à cela que les mâles sont presque toujours ailés, alors que les femelles peuvent être également ailées, brachyptères ou même complètement aptères, le polymorphisme alaire étant cependant exceptionnel au sein d’une même espèce (voir e.a. Azevedo et al., 2018). Ce corps et cette capsule céphalique dorsalement aplatis ont valu aux Bethylidae les noms vernaculaires de flat wasp en Anglais, plattkopfwespe en Allemand ou encore platkopwespen en Néerlandais, mais aucune appellation spécifique ne semble avoir été attribuée en langue française. La biologie de la plupart des espèces de Bethylidae demeure peu documentée voire pas du tout, celles qui ont déjà fait l’objet d’études éthologiques étant ectoparasitoïdes soit de larves de Coléoptères, soit de chenilles de Lépidoptères à développement endogène, dans les graines, le bois, les champignons lignicoles ou le sol (voir la synthèse très complète d’Azevedo et al., 2018). Il faut reconnaître que ces minuscules guêpes noires au comportement très vif ont le don d’échapper aux observateurs même les plus attentifs, d’autant que les femelles ne construisent pas de nid proprement dit, ce qui ne facilite guère leur observation et leur détection sur le terrain. Le fait qu’elles ne sont pas facilement reconnues comme telles in situ doit aussi contribuer à cette méconnaissance, combiné au manque de clés d’identification exhaustives et illustrées.
2Longtemps balbutiante, l’étude des Bethylidae européens a progressé en plusieurs étapes surtout à partir de l’œuvre fondatrice de Kieffer & Marshall (1904-1906), suivie par l’ouvrage de Kieffer (1914) pour l’Europe centrale puis la faune de France de Berland (1928), laquelle propose toujours les seules tables de détermination disponibles en français. Pendant longtemps, en l’absence de révision complète couvrant l’ensemble du territoire européen, les entomologistes étaient contraints de consulter ces ouvrages aujourd’hui largement dépassés. Des inventaires nationaux ont néanmoins été publiés au cours des cinq dernières décennies incluant, pour certains, des clés utiles pour la faune de nos contrées : c’est le cas notamment pour la Suède (Hedqvist, 1975 : 13 espèces citées), les Iles Britanniques (Perkins, 1976 : 20 spp.), la Norvège (Hansen, 1995 : 11 spp.), l’Allemagne (de Rond, 2001 : 36 spp.), les Pays-Bas (de Rond, 2004 : 13 spp.), la Slovaquie et la République Tchèque (Macek et al., 2007 : 29 et 37 spp., respectivement) et tout dernièrement la France (Marhic, 2022 : 76 spp.). Dans la plupart des cas, des chiffres précis s’avèrent toutefois difficiles à établir du fait des multiples incertitudes qui pèsent sur la validité de nombreux taxons, et ce pour diverses raisons (disparition de types, …).
3Voici quarante ans, la Belgique aussi a eu droit à sa synthèse réalisée par Pauly (1984) qui soulignait la rareté des données, tant muséologiques que bibliographiques, relatives aux 11 espèces recensées à l’époque. Ce travail pionnier qui s’est traduit par la publication des premières cartes de distribution l’année suivante (Pauly, 1985), aurait dû focaliser davantage l’intérêt des chercheurs sur cette famille. Mais quinze ans plus tard, dans le Catalogue des Hyménoptères aculéates de Belgique, le décompte est toujours arrêté à 11 espèces (Pauly, 1999). Plus récemment, la page du site internet Atlas Hymenoptera consacrée aux Bethylidae de la faune belge (Pauly et al., 2021) répertorie 16 espèces réparties au sein de 8 genres. Trois d’entre-elles sont en attente d’une publication officielle, à savoir Bethylus boops (Thomson, 1862), Bethylus nitidus (Thomson 1862) et Rhabdepyris myrmecophilus Kieffer 1904 (Pauly et al., en prep.). Une autre espèce citée, Bethylus berlandi Arlé, 1929, questionne car elle est considérée comme non valide ou synonyme de B. fuscicornis (Jurine, 1807) (voir e.a. Azevedo et al., 2018 ; Marhic, 2022).
4Dans les lignes qui suivent, nous signalons et commentons la découverte d’une espèce méconnue décrite d’Europe centrale et inédite pour la faune belge : Acephalonomia cisidophaga Strejček, 1990.
Acephalonomia cisidophaga en Belgique
5Le 25 novembre 2021, de façon assez saugrenue, une femelle microptère d’Acephalonomia cisidophaga est capturée dans l’appartement de l’auteur situé dans la ville de Liège, au cœur du quartier d’Outremeuse (Belgique, province de Liège). Elle était en train de se déplacer sur un insecte épinglé que nous examinions sous le binoculaire !
Figure 1. Acephalonomia cisidophaga Strejček, 1990. Femelle microptère (long. 1,2 mm). A. Spécimen peu après sa récolte (© J.-Y. Baugnée). B-C. Le même spécimen décoloré après 2 ans en collection (© G. San Martin).
6Ce spécimen (Figure 1), d’un noir profond au moment de la récolte en dehors des mandibules, des tarses et des premiers articles du flagelle antennaire, mesure 1,2 mm de long et ses caractères morphologiques concordent bien avec la description originale de Strejček (1990). Son identité spécifique a par ailleurs été confirmée par J. de Rond, spécialiste reconnu des Bethylidae. D’après ce qu’on sait de sa biologie (voir plus loin), il est plus que probable que cette femelle a émergé de polypores1 collectés dans l’agglomération liégeoise et placés en caissons d’élevage en vue d’obtenir des coléoptères mycétophages. Il s’agirait, à notre connaissance, de la première indication de présence de ce genre et de cette espèce pour la Belgique (Colombo & Azevedo, 2020 ; Pauly et al., 2021).
Le point sur Acephalonomia cisidophaga
7Le genre Acephalonomia a été créé par Strejček (1990) en vue d’inclure une espèce inédite, A. cisidophaga, qui présente la singularité de ne posséder que 10 articles antennaires, alors qu’on en compte 12 chez toutes les espèces connues de Cephalonomia, le genre le plus apparenté. Strejček s’est basé pour cela sur une trentaine de spécimens mâles et femelles provenant de Bohême et de Slovaquie et exhibant un polymorphisme alaire marqué, avec des individus macroptères et d’autres microptères. Par la suite, la légitimité du genre Acephalonomia a été mise en doute par de Rond (2001) qui estime qu’en dehors du nombre d’articles antennaires, les différences sont si minimes qu’il n'y a pas lieu de le distinguer de Cephalonomia. Cette mise en synonymie est d’ailleurs suivie par Azevedo et al. (2018) dans leur guide des Bethylidae du Monde. Cependant, deux ans plus tard, Colombo & Azevedo (2020) réévaluent les critères diagnostiques du genre, redécrivent l’espèce cisidophaga et rétablissent finalement la combinaison originale établie par Strejček (1990). Ils fournissent aussi la diagnose d’une seconde espèce d’Acephalonomia, A. micronesica Colombo & Azevedo, 2020, trouvée sur les Iles Mariannes du Nord, dans l’Océan Pacifique, élargissant ainsi considérablement l’aire de répartition de ce genre jusqu’ici monospécifique et endémique à l’Europe. Notons que ni le genre Acephalonomia, ni l’espèce cisidophaga ne sont repris en date d’août 2023 sur Fauna Europaea (Polaszek, 2013).
8Les données chorologiques dûment documentées au sujet d’A. cisidophaga sont actuellement fort limitées et concernent à peine cinq pays d’Europe continentale : Tchéquie, Slovaquie, Allemagne, Pays-Bas et France (Strejček, 1990 ; de Rond, 2001 ; Macek et al., 2007 ; de Rond, 2016 ; Colombo & Azevedo, 2020 ; Marhic, 2022). Les occurrences allemandes se résument à de très rares mentions disséminées au sein des länder de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Rhénanie-Palatinat et Bade-Wurtenberg (de Rond, 2001). La première citation des Pays-Bas revient à de Rond (2016) qui évoque avoir examiné des spécimens de la province de Flevoland. Le signalement en France métropolitaine est encore plus récent, bien que reposant sur une ancienne capture datant de 1907 dans l’Allier, en plein centre du pays (Marhic, 2022). A ces cinq pays, on pourrait encore ajouter l’Italie citée par Vargas Rojas (2017, Appendix 1) sur la base d’une femelle que cet auteur signale avoir examiné au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris, ainsi que la Suisse, où la guêpe aurait été rencontrée lors d’une recherche sur les hôtes des polypores (Coray, 2012). En outre, des photos d’un Acephalonomia de Catalogne publiées sur le site web Himenòpters de Ponent pourraient également correspondre à A. cisidophaga ou un autre taxon non encore décrit. Sans tenir compte de cette dernière information, la Belgique constituerait donc le huitième pays où la présence de cette espèce est certifiée. Cette distribution, encore très partielle, doit à coup sûr être beaucoup plus étendue à travers l’Europe voire la région paléarctique.
9Quant à ses traits d’histoire naturelle, les informations sont pour l’instant tout aussi minimes, se résumant à peu près à ce qu’en dit Strejček (1990) : l’holotype femelle (forme ailée), ainsi que d’autres spécimens femelles et mâles ont été collectés en Bohème au mois de septembre, dans des galeries d’un coléoptère mycophage du genre Rhopalodontus Mellie, 1847 (Ciidae) creusées dans un polypore du genre Trametes poussant sur un hêtre (Fagus sylvatica). En Slovaquie, un mâle brachyptère a été trouvé en fin juin également sur un Trametes se développant sur un saule blanc (Salix alba), toujours dans une galerie de Rhopalodontus sp. Plus près de nous, aux Pays-Bas, dans la province de Flevoland, de Rond (2016) indique avoir obtenu A. cisidophaga de Trametes gibbosa poussant sur des troncs morts de saules (Salix sp.) et colonisé par le Ciidae Octotemnus glabriculus (Gyllenhal, 1827). La seconde espèce d’Acephalonomia, décrite récemment des Iles Mariannes, a, de la même façon, émergé de polypores colonisés par des Ciidae. Le lien avec cette famille de Coléoptères paraît donc clair.
DISCUSSION
10De description récente (33 ans), Acephalonomia cisidophaga est longtemps resté connu de ses seules localités originales situées en République tchèque et en Slovaquie. De rares mentions ont ensuite eu lieu en Allemagne, aux Pays-Bas, en France, en Italie, en Suisse et possiblement aussi en Espagne. Sa découverte sur le territoire belge apparaît donc certes intéressante, mais nullement surprenante. En effet, même si la taille et le comportement élusif de cette minuscule guêpe ne facilitent nullement son observation dans la nature, et si on ajoute le fait qu’elle appartienne à une famille d’Hyménoptères peu attrayante aux yeux des entomologistes, les hôtes recherchés par les femelles, des Coléoptères mycétophages de la famille Ciidae largement représentés en Europe y compris en Belgique, rendait la présence du Bethylidae hautement prévisible. On ignore cependant si le genre de Ciidae renseigné par Strejček (1990), à savoir Rhopalodontus, est le seul recherché, ou si le spectre d’hôtes est plus large. L’indication fournie par de Rond (2016) semble plaider pour cette seconde hypothèse. Hélas, nous ne pouvons rien apporter à ce sujet car l’origine de l’unique spécimen trouvé dans notre appartement de Liège n’a pas pu être précisée (deux espèces de polypores étaient alors en boite d’élevage, provenant de deux sites de la région liégeoise). A cet égard, il ressort que l’obtention de Bethylidae parasitoïdes de coléoptères mycétophages par élevage des champignons hôtes semble constituer une méthode potentiellement efficiente à condition évidemment de disposer de place suffisante et d’assurer une surveillance régulière.
11Acephalonomia cisidophaga serait la 16ème espèce de Bethylidae répertoriée en Belgique, voire la 17ème dans le cas où la validité de Bethylus berlandi venait à être confirmée. Ce ne sera sûrement pas la dernière, surtout si on se réfère aux faunes limitrophes. Ainsi, parmi les plus attendues figurent plusieurs Cephalonomia dont C. formiciformis Westwood, 1833, toujours pas décelé en Belgique alors qu’il a été noté à plusieurs reprises aux Pays-Bas (de Rond, 2004 ; Pauly et al., 2021), de même que C. tarsalis (Ashmed, 1893) et C. hypobori Kieffer, 1919, renseignés de Rhénanie-Palatinat notamment (Reder, 2020).
REMERCIEMENTS
Pour leurs échanges très instructifs et l’envoi de certains travaux, nous remercions vivement Jeroen de Rond, Celso Oliveira Azevedo et Jan Macek. Notre reconnaissance amicale s’adresse aussi à Gilles San Martin pour la réalisation des deux superbes photos du spécimen en collection.
Bibliographie
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(23 ref.)
Notes
1 Xanthoporia radiata (= Inonotus radiatus) et Fomes fomentarius du Bois de la Vecquée à Seraing, et Daedaleopsis tricolor des Coteaux de la Citadelle à Liège.