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- Volume 12 (2016)
- Numéro 4: La modernité: Approches esthétiques et p...
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Les caractères de contre-marchandise de l’œuvre d’art
Table of content
1. Michel Henry contre la marchandisation généralisée ?
1Les positions de Michel Henry quant à l’art peuvent certainement être comprises comme « réactionnaires », ce qui pourrait se justifier à certains égards1. Nul doute, à la lecture de Voir l’invisible2 que Henry n’a tout simplement pas vu, et a entretenu la volonté de ne pas voir, les profondes mutations subies par les pratiques artistiques au cours du xxe siècle : le paradigme dominant son esthétique reste fondamentalement fidèle à une compréhension schopenhauerienne de l’esthétique : la Vie absolue (Volonté) se manifeste dans l’expérience artistique. Néanmoins, et malgré des choix artistiques et des appréciations souvent d’ordre plus personnelles que philosophiquement assumées, Voir l’invisible et plus largement l’ontologie de l’œuvre d’art que porte les écrits de Henry ne permet-elle pas de dépasser de telles positions ? Les condamnations henriennes de l’objectivisme, du scientisme, de la « barbarie », et parmi ses manifestations, du capitalisme tel qu’il le comprend dans sa lecture de Marx comme une double aliénation de la vie3, n’apparaissent-elles pas aujourd’hui comme des outils pour penser l’art de façon non pas réactionnaire, technophobe et passéiste, mais comme un point d’humanité inaltérable, profondément ancré dans la vie concrète face à l’objectivisme nihiliste et à la marchandisation généralisée ? C’est l’hypothèse qui sera défendue ici, car il me semble que la pensée de l’œuvre d’art que propose Henry, comme l’expérience du retour de l’Oubli de la vie immédiate, impressionnelle et jouissante vers son accomplissement, peut aujourd’hui servir de base à une esthétique de résistance à un certain nihilisme s’exprimant dans la marchandisation généralisée, et à l’assimilation de l’œuvre d’art à une marchandise. C’est donc une conception de l’œuvre héritée de Voir l’invisible qui me servira ici à interroger un article de Daniel Soutif de 1990, « Du bon et du mauvais usage de l’objet»4, dans lequel il me semble qu’une telle vision désenchantée de l’art se fait jour. Dans cette publication, Daniel Soutif comprend l’œuvre d’art comme « hyper-marchandise ». Le terme signifie pour Daniel Soutif que l’œuvre d’art, qu’il comprend comme « objet d’art » se distingue à son sens en ce qu’elle « présentifie » le marché de l’art5.Il s’agit de comprendre ce que signifie ce terme dans ce contexte, et, à partir des difficultés que pose à mon sens la compréhension de l’œuvre d’art qu’il implique. Il faudra ensuite proposer une autre compréhension de l’œuvre d’art inspirée par Henry, et poser à partir de là les bases d’un véritable questionnement sur les enjeux du rapport de l’œuvre au monde marchand.
2Le problème soulevé par Daniel Soutif est le suivant : comment distinguer l’objet d’art de tout autre objet ? Quel en est le trait distinctif ? Le cadre proposé pour répondre à cette question est celui de la marchandise et du fétichisme définis par Marx dans le livre I du Capital6.
3Le concept de « présentification », tel que Daniel Soutif l’emprunte à Jean-Pierre Vernant, comme « l’opération par laquelle une entité appartenant au monde invisible devient présente dans le monde des humains »7 recouvre donc ici celui du fétichisme. D’emblée, il s’agit de réduire une entité « invisible » à un objet. Dans ce sens, la présentification n’est pas une représentation ou un symbolisme : l’entité invisible est réellement immanente au visible qui la présentifie, immanente et donc efficace. Daniel Soutif se réfère ici au « symbolisme inconscient » que décrit Hegel dans son Esthétique, prenant l’exemple des statues miraculeuses8. Mais qu’est-ce qui distingue pour Daniel Soutif, l’objet d’art de tout autre fétiche ? La spécificité de ce qu’il présentifie : le marché de l’art. Indépendamment de toutes les positions intenables qu’entraîne cette interprétation, de toutes les objections qu’elle appelle, de tous les contre-exemples auxquels elle s’expose, remarquons simplement le cercle dans lequel s’enferme cette argumentation : ce qui distingue l’objet d’art des autres objets, c’est qu’il présentifie le marché de l’art, alors que les autres « objets » présentifient le reste du marché. C’est donc le marché qui, en étant déterminé comme marché de l’art, détermine les objets qui y circulent comme objets d’art. Un objet devient un objet d’art dès lors qu’il intègre le circuit du marché de l'art. Oui, mais qu’est-ce qui détermine le marché de l’art comme marché de l’art plutôt que comme tout autre marché ? Les objets qui y circulent bien sûr, des objets d’art. Ce sont donc les objets d’art qui en étant des objets d’art déterminent le marché dans lequel ils circulent comme marché de l’art, qui lui seul à son tour détermine les objets qui y circulent comme objets d’art. Bref, nous n’avons rien appris sur ce qui distingue l’objet d’art de tous les autres, sinon qu’il circule dans le marché de l’art.
4Nous ferons donc deux remarques concernant l’article de Daniel Soutif, portant respectivement sur : 1) le déplacement de contexte du terme « invisible » et 2) l’incapacité de l’invisible ainsi interprété à distinguer l’œuvre d’art de n’importe quelle autre marchandise.
51) D’abord, notons le déplacement, et ainsi la perversion, que subit le terme « invisible ». Daniel Soutif interprète l’œuvre d’art comme « objet d’art » et donc comme potentielle « marchandise ». C’est sur cette base qu’elle est ensuite comprise comme « présentification du marché ». C’est donc parce que l’œuvre d’art est d’abord comprise comme présentification du marché, comme « marchandise » et même comme « hyper-marchandise » (« hyper » parce que sa seule valeur d’usage est d’être une marchandise) que le terme « présentification » est emprunté au contexte animiste pour venir justifier a posteriori cette réduction de l’œuvre d’art à la marchandise en considérant le marché comme « l’invisible ». L’argument implique une équivalence du concept dans ces deux contextes que Daniel Soutif revendique :
À la présentification généralisée du marché, devait en revanche répondre un lieu qui lui fût spécialement affecté. Ce lieu est le musée. Dans l’espace séparé, sacralisé et sacralisant du musée […] s’opère désormais la jonction du visible et de l’invisible qui autrefois s’effectuait dans les Églises. Que l’invisible soit désormais d’une autre nature, ne change rien à l’essence de l’opération.9
6Pris dans sa généralité, le terme « invisible » est équivoque : il désigne aussi bien ce qui est caché mais pourrait être vu (un invisible conjoncturel), que ce qui se manifeste autrement que dans des phénomènes visuels (les sons par exemple) ou que ce qui est par nature étranger à toute manifestation sensible (l'amour, la peur, etc., ou des rapports sociaux). C’est sur cette équivocité que joue Daniel Soutif joue par le déplacement qu’il fait subir au terme, car d’un invisible d’ordre religieux, nous passons à l’invisible compris comme « marché ». Dans le contexte de l’animisme, le terme désignait une « volonté », une « âme », une force, une ipséité diffuse se manifestant dans des phénomènes physiques, il désigne ici « le marché ». Il ne va donc pas de soi que le changement de contexte ne déforme pas totalement le sens du concept.
7Plus loin dans l’article, il est question — malgré un grand luxe de précautions oratoires — de la hiérarchisation des objets d’art et de leur classification : « Juger esthétiquement revient à hiérarchiser et donc, dans une certaine mesure, à comparer »3 précise Daniel Soutif. Mais si la classification est une opération universellement applicable et même déterminante du champ de l’objectivité, la hiérarchisation en revanche est totalement dépendante d’une opération qui la rend seule possible et qui détermine en même temps la nature la plus profonde de la marchandise : la quantification4. Quantifier, c’est marchandiser, c’est aussi calibrer l’objet quantifié pour la hiérarchisation. Ainsi, faire entrer l’objet d’art dans la possibilité de la hiérarchisation serait l’avoir d’ores et déjà réduit à l’état de quantité, c’est-à-dire de marchandise. Comment comparer une installation de J. Turrel avec un objet de R. Fillioux ?10 Leurs propos sont si éloignés, les expériences qu’ils nous donnent respectivement à vivre sont si éloignées et si incommensurables qu’il manque une échelle de valeur pour les comparer. Comment comparer du froment et du fer, demande Marx ? Par un processus d’abstraction qui permettra leur quantification et ainsi leur mise sur le marché.
8À la lumière de ces remarques, il semble que le changement de nature de l’invisible ne change réellement « l’opération » de « jonction du visible et de l’invisible », puisqu’alors que dans un cas se manifeste une force personnelle transcendante, dans le second se montre une structure sociale, il n’y a plus de transcendance. Outre cette distinction qui a elle seul mériterait un traitement à part, nier ce changement de sens conduirait à penser que ce qui distingue l’objet d’art de tout autre serait la présentification en lui de rapports sociaux, ce qui doit nous conduire à notre seconde remarque.
92) La présentification de rapports sociaux, c’est-à-dire du marché, est-elle spécifique à l’objet d’art ? En aucun cas, puisque toute marchandise est la présentification du travail social comme quantité, la présentification des rapports sociaux. Dans la marchandise, ce qui apparaît d’abord, c’est la valeur d’échange, la quantité abstraite qui oblitère la valeur d’usage, la qualité concrète. Dans le stock d’un marchand, une chaise n’est pas un objet qui sert à s’asseoir, c’est une valeur X dans un livre de compte. Or l’origine de cette valeur X, sa condition de possibilité, c’est l’abstraction du travail : le travail n’est plus considéré comme ce qu’il est, une peine, un effort, un savoir-faire, c’est-à-dire la modalité d’une vie subjective individuelle et singulière, il est abstrait et rapporté au temps. C’est par cette abstraction de l’individu vivant, de la subjectivité du travail, que le travail devient travail social, temps de travail, étalon de la valeur. Ainsi, la marchandise se présente comme une certaine somme de temps de travail social sédimentée, et lorsque l’objet a statut de marchandise, ce qui apparaît d’abord est cette accumulation de travail. C’est pourquoi ce qui apparaît dans la marchandise est un rapport social et ce qui disparaît en elle c’est la qualité de l’objet, sa détermination concrète, ce qu’il est, ce à quoi il sert.
10Ce qui est abstrait de l’objet pour le faire marchandise, ce sont donc ses qualités concrètes, toutes qualités qui se définissent par leur stricte corrélation à des modalités de la subjectivité : la valeur d’usage, en somme, qui se définit comme ce qui convient à des besoins d’ordre subjectif. C’est précisément la jonction entre le visible de l’objet et l’invisible du besoin subjectif qui disparaît de la marchandise. Ce qui est présentifié dans l’objet d’usage, c’est donc l’invisible dans le sens animiste du terme : une « âme », une force pulsionnelle, une ipséité vivante. Le passage de l’invisible présentifié par l’idôle à l’invisible présentifié par « l’objet d’art » dans le musée, les rapports sociaux du marché, est donc une pure et simple négation du premier. C’est parce que l’idole présentifiant une force vitale (l’affectivité que M. Henry appellerait la « Vie »11) devient marchandise par la dissimulation de cette force vitale, fétiche de la valeur. Mais du même coup, l’idôle qui se distinguait de tout autre objet rejoint l’ensemble homogène des marchandises. Le passage de l’église au musée, et par là, selon Daniel Soutif, au marché, n’est donc rien moins qu’indifférent : alors que l’idole se distinguait, l’objet d’art se réduit à son simple statut de marchandise.
2. Pertinence du cadre de la marchandise pour comprendre l’œuvre d’art
11Deux constats donc : d’abord, la nature de l’invisible en cause dans l’œuvre est profondément dénaturée dans l’interprétation de l’œuvre d’art comme objet d’art, et donc comme marchandise : de force vitale, d’affect, il devient quantification des rapports sociaux, abstraction de la vie. Ensuite, cette dénaturation, en intégrant l’objet dans le monde de la marchandise, le rend homogène à la marchandise en général, rendant inévitable le cercle que nous avions d’abord remarqué. Cette perspective ne permet donc en aucun cas de rendre compte de la spécificité de l’œuvre d’art. Alors de deux choses l’une : soit le cadre conceptuel de la marchandise selon Marx est inapproprié, soit l’objet d’art, au lieu de venir accomplir l’être marchandise s’en distingue au contraire, et c’est en décrivant cette distance seulement, entre marchandise et œuvre d’art que nous pourrons définir cette dernière.
12Si nous retenons ici l’hypothèse de la pertinence de ce cadre pour proposer une approche de l’œuvre d’art, c’est parce que « l’art », tel que nous le comprenons aujourd’hui, c’est-à-dire valant comme tel, autonome, apparaît à l’époque moderne, avec le développement du capitalisme. Ce fait doit recevoir une interprétation. En tant que le cadre proposé par Marx est une élucidation philosophique du capitalisme, non seulement comme économie, mais aussi et avant tout comme contexte civilisationnel, Marx comprend, non pas l’économie capitaliste, mais la compréhension du monde et de la vie corrélative de la société capitaliste. Postulons donc que l’ampleur de ce cadre permet une élucidation en droit de la conjonction factuelle entre autonomisation de l’art et émergence du capitalisme. La question alors est la suivante : comment l’œuvre d’art peut-elle et doit-elle être comprise à partir de la catégorie de marchandise (à partir de cette catégorie, et non simplement dans le cadre de cette catégorie) ? C’est en considérant sous un certain nombre de ses aspects (la distinction entre valeur d’usage et valeur d’échange, la séparation juridique entre producteurs et moyens de production, le caractère individué de la production, la question de la propriété privée du produit) la définition par Marx dans Le Capital de la marchandise, que nous tenterons de comprendre sous chacun de ses aspects en quoi, à condition que la distinction des sens du terme « invisible » que nous venons d’établir soit préservée, l’œuvre d’art se définit point par point comme « contre-marchandise ».
13Or pour proposer un critère distinctif entre l’objet d’art et les autres, il n’est peut-être pas sans pertinence, comme le propose Daniel Soutif, de considérer le cadre conceptuel de la valeur et de la marchandise que propose Marx dans le Capital, mais il faut pour cela revenir sur la définition de la marchandise. C’est en considérant cette définition sous un certain nombre de ses aspects (la distinction entre valeur d’usage et valeur d’échange, la séparation juridique entre producteurs et moyens de production, le caractère individué de la production, la question de la propriété privée du produit) que nous tenterons de comprendre en quoi, si la distinction des sens du terme « invisible » que nous venons d’établir est préservée, l’œuvre d’art se définit point par point comme « contre-marchandise ».
3. Les caractères de la contre-marchandise
Le paradoxe de la valeur d’usage
14L’objet d’art n’a pas d’abord de valeur d’usage : l’œuvre d’art accomplit le paradoxe de ne se doter d’une valeur d’usage qu’en se voyant doter d’une valeur d’échange. Sur le marché, ce qui fonde la valeur de l’œuvre d’art en tant que marchandise, n’est pas une valeur d’usage préalable, mais le pouvoir clivant qui découle de son prix : celui qui la détient voit son statut maximisé par sa simple détention. La valeur d’usage d’une œuvre d’art marchandisée tient dans cet accomplissement du clivage, dans son œuvre de distinction sociale. Or cette œuvre de distinction dépend du seul prix de l’œuvre marchandisée, donc in fine de sa valeur d’échange. Seule l’œuvre d’art n’est dotée d’aucune autre valeur d’usage que la représentation de sa valeur d’échange, privilège qui échappe à la monnaie, qui elle, n’acquiert jamais la moindre valeur d’usage, et même aux titres les plus spéculatifs (y compris aux titres émis sur la « confiance » ou autres « sentiments » qui tirent leur valeur d’échange de leur valeur de garantie spéculative qui est une valeur d’usage comme une autre, c’est-à-dire qui motive sa valeur d’échange). Lorsqu’un collectionneur achète un objet à la mode pour marquer sa supériorité sociale, cet objet présente une valeur d’usage au moins symbolique (objet de design ou article de mode vestimentaire par exemple). Avec l’œuvre d’art, seul l’acte d’achat motive la valeur d’usage qui est précisément l’achat comme tel, l’attribution d’une valeur d’échange.
15Un tel comportement de l’œuvre d’art marchandisée montre déjà que cette dernière n’est pas originairement une marchandise : elle se comporte en parfaite contradiction avec la marchandise puisque au lieu d’avoir d’abord une valeur d’usage qui fonde sa valeur d’échange, c’est en étant vendue ou du moins mise sur le marché, donc en se voyant attribuée une valeur d’échange, qu’elle acquiert sa valeur d’usage qui est de représenter cette valeur d’échange, son prix, sa « cote ». D’où la volatilité des prix, et l’absence de critère objectif pour les déterminer. Première particularité qui fait du marché de l’art un marché totalement à part des autres sur le plan économique.
Le paradoxe de l’offre et de la demande
16Ce second point est étroitement lié au paradoxe de la valeur d’usage. En effet, ce qui détermine une marchandise comme telle, comme nous l’avons noté, c’est d’être produite en vue de la vente. Un entrepreneur, en économie capitaliste, ne fabrique rien pour « l’amour de l’art », il fabrique en vue de la conversion du produit en capital augmenté. On produit ce qui a des chances de se vendre. On fait des études de marché, on calcule les coûts de production, on cible les clientèles. L’œuvre d’art, quant à elle, n’est pas produite comme marchandise, elle n’est pas produite pour la vente, pour répondre à une demande solvable, mais pour elle-même, à seule fin de sa propre existence. L’œuvre d’art ne devient marchandise qu’après coup, par le jugement de l’acheteur qui en en proposant un prix la fait naître à son être de marchandise. Ainsi, contrairement à toutes les marchandises, l’œuvre d’art ne répond pas à une demande solvable (puisqu’elle n’a pas de valeur d’usage autre que sa valeur marchande), mais la suscite. Avant elle, nulle demande n’existe pour elle, c’est à partir d’elle que surgit la demande de celui qui la voyant la veut, et ainsi en en proposant un prix la fait entrer sur le marché de l’art et du même coup dans son existence de marchandise. Bien sûr, une fois qu’une certaine catégorie d’œuvres d’art circulent sur le marché, il se peut que la demande massive fasse augmenter les prix de cette catégorie (on pense à une catégorie du type « œuvres signées X » ou « provenant de la galerie X » par exemple). Mais cette conformité relative aux règles habituelles du marché n’intervient que secondairement, une fois que l’œuvre comme telle a été marchandisée, une fois qu’elle a déjà inversé les règles habituelles.
Confiscation et réappropriation
17Nous avons remarqué la concomitance de deux phénomènes : le capitalisme et l’œuvre d’art au sens moderne. Or un des aspects fondamentaux du capitalisme que nous avons rappelé est la séparation juridique des producteurs et des moyens de production. Si cet aspect n’intervient pas directement dans l’idée de marchandise, il est essentiel à la généralisation de l’économie de marché en tant que celle-ci implique la concentration de la production par accumulation du capital. Il accompagne donc nécessairement la généralisation de la marchandisation. Quel rapport cet aspect du capitalisme entretient-il avec l’œuvre d’art ? Nous nous attacherons pour répondre à cette question à deux aspects de l’évolution de l’œuvre d’art au cours de la modernité et jusqu'à l’époque présente.
18D’abord, la question des matières premières. L’évolution est à cet égard très claire : on retrouve dans les grandes commandes d’œuvre d’art de la Renaissance le compte strict des matériaux et pigments, faisant l’objet de clauses contractuelles entre artistes et commanditaires, et les couleurs fines à l’huile étaient encore objet de soucis financiers pour Van Gogh par exemple. Néanmoins, entre la Renaissance et le xixe siècle, les matières premières du grand art avaient déjà été largement dévaluées. Cette évolution devait se confirmer jusqu’à l’Arte Povera et à l’art conceptuel. Depuis déjà beau temps, force est de constater que créer une œuvre d’art peut se passer d’investissement. À mesure que le capital sépare de plus en plus radicalement les producteurs des moyens de production, l’œuvre d’art, quant à elle, se dispense de plus en plus du recours aux dits moyens de production. On objectera à l’énonciation de ce nouveau caractère contre-marchand l’observation de productions hautement technologiques, complexes et coûteuses dans l’art contemporain. Certes, mais cette objection ne peut tenir. En effet, lorsque tel est le cas, l’artiste producteur est déjà une « valeur » sur le marché, et du coté des bailleurs de fonds, la pièce produite est d’ores et déjà une marchandise dont la valeur d’usage coïncide (cf. le paradoxe de la valeur d’usage) avec la valeur d’échange avant même sa production effective. Du côté de l’artiste, une telle situation revient à la gratuité des moyens de production, puisqu’ils sont mis gracieusement à sa disposition. De surcroît, cette situation est loin d’être universelle, et nombre d’œuvres qui s’arrachent à prix d’or sont produites avec très peu de moyens financiers. Enfin, notons que contrairement à ce qui se produit pour une marchandise usuelle, la valeur de l’œuvre d’art ne se détermine nullement selon l’accumulation des valeurs utilisées en elle (en matières premières, outils de production, etc.).
19Ceci nous porte à considérer la question de l’individualité dans le procès de production de l’œuvre. Ce deuxième aspect de l’évolution — des premiers temps de la modernité à l’époque actuelle — du procès de production des œuvres d’art, vient encore confirmer leur statut de contre-marchandises. Là encore, l’évolution de la production d’œuvres d’art est contraire à celle observée pour la marchandise. Les ateliers de peintres sont en effet longtemps restés des entreprises familiales, et nombre de mains différentes intervenaient sur un tableau ou sur une œuvre de quelque nature que ce soit. De plus en plus néanmoins, la signature remplace la marque de fabrique, et tout artiste aspire au rang d’individualité créatrice qui était réservé à quelques rares grands maîtres dans le passé qui compte tant de chefs-d’œuvre anonymes. De plus en plus, ce qui fait le caractère d’une œuvre d’art est l’intervention d’une irréductible individualité. À partir du Quattrocento, la signature devient de plus en plus courante, on assiste à l’individuation du créateur, mais aussi à son individualisation : on passe des corporations d’artisans à l’individualisme créateur. La signature, le nom, conduisent à ce que les œuvres ne résultent plus exclusivement de la commande, d’un contrat entre l’artiste et le mécène. L’œuvre prend une valeur d’échange attachée à la signature : l’artiste est auteur, c’est son talent qu’il monnaie, et donc sa vie subjective, le caractère individuel de celle-ci, et non plus le temps de travail de l’artisan négocié avec le commanditaire. La signature porte la valeur d’échange, un marché se constitue : l’artiste et celui qui le paye ne sont plus en rapport direct mais en rapport médiatisé par le marché (par la marchandise). Entre le xvie et le xviiie siècle, le rapport interpersonnel entre commanditaire et artiste tend à s’effacer. Ceci signifie que l’œuvre d’art au sens moderne, celle dont parle l’esthétique, apparaît de façon exactement concomitante, de fait, mais aussi conceptuellement, avec la constitution de l’économie de marché, avec le capitalisme. Certes, mais il faut noter aussi que concernant l’œuvre d’art l’évolution du rapport de l’individualité à la production est exactement inverse à celui que connaît la production marchande au même moment : alors que la marque individuelle disparaît de la production marchande, que le travail est quantifié pour donner à la marchandise une valeur uniquement dépendante du temps de travail social abstrait, la marque de l’individualité s’accuse dans l’œuvre d’art dont la valeur d’échange dépend de moins en moins du temps de travail social nécessaire à sa production, mais de l’estime dont jouit la signature. D’un côté, dans la production marchande, le travail vivant, réel, individuel, disparaît sous la quantification du travail social, travail moyen, abstrait, sans qualité, alors que de l’autre, dans le champ de l’art, l’objet compris comme temps de travail social, celui de l’artisanat, disparaît, et seule importe l’individualité créatrice, le travail réel : la valeur d’échange se déconnecte de plus en plus radicalement du temps de travail social nécessaire à la production, déterminant de la sorte l’impossibilité de la quantification du produit, et donc son absence de valeur d’échange.
20N’est-ce pas en ce sens que l’on peut interpréter les ready-made ? Le caractère le plus frappant de l’urinoir de Duchamp est après tout la singularité individuelle. En effet, la production d’un tel objet est impossible pour un individu isolé, mais sa réappropriation, sa disposition sur un socle, la signature, sont le fait d’un individu singulier, et hautement singulier qui plus est. C’est en fait l’unique mérite de ce ready-made, être le fait d’un farfelu, donc d’une personnalité atypique, c’est-à-dire fortement individuée. Ce caractère ressort avec d’autant plus de force qu’il est appliqué à un objet parfaitement impersonnel. Cette marque de l’individualité n’est pas celle de « la main de l’artiste », ce qui fait le caractère individuel de cet objet n’est rien de matériel, c’est le pur acte de décision, la pure affirmation de la subjectivité individuelle. C’est leur intimité que vendent les artistes, pas leur intervention manuelle. Dans le même temps, le besoin de coopération pour la production de marchandise n’a fait que s’accroître : quelle marchandise pourrait être produite aujourd’hui par un individu isolé ? Au contraire, l’œuvre d’art individue (plus qu’elle n’individualise, puisque cette dernière action revient précisément à la marchandise) et finit toujours par apparaître comme une réappropriation individuelle de ce qui avait été confisqué par la production marchande (d’où le coté subversif de l’art, « l’art brut », le lien art/révolution, etc.). Il y a là une sorte de contre-fétichisme : ce qui apparaît d’abord dans l’œuvre pour qui sait la voir comme telle, c’est la personnalité, la qualité, la réalité, qui effacent la valeur d’échange qui seule apparaît pour le gros du public non averti.
4. L’œuvre d’art et sa marchandisation : un hiatus
21L’œuvre d’art marchandisée accumule ainsi les caractères contre-marchands (et il serait certainement possible d’en passer encore d’autres en revue) : elle n’acquiert de valeur d’usage que par sa valeur d’échange, elle ne répond pas à une demande mais la suscite, elle s’affranchit des moyens de sa production et donc de la séparation entre ceux-ci et les producteurs, elle incarne (« présentifie » ?) une individualité de plus en plus radicale quand la marchandise incarne quant à elle l’interdépendance la coopération généralisée et l’abstraction quantifiée du travail.
22L’objet d’art apparaît ainsi comme une contre-marchandise et un « contre-fétiche » dont le comportement en régime marchand fait apparaître par contrasteles caractères les plus propres de la marchandise. Cet objet d’art contre-marchandise est tel parce qu’il est la pure et simple aliénation, au sens le plus radical, de l’œuvre d'art. Une conclusion s’impose donc ici : si l’œuvre d’art en régime marchand accuse tous les caractères contraires au mode d’être de la marchandise, c’est parce que la nature de l’œuvre d’art est étrangère, c’est-à-dire radicalement hétérogène, à la marchandise, et n’est marchandisée que par la dernière violence capitaliste, et si l’œuvre d’art est si hétérogène à la marchandise, en son être même, c’est parce que d’abord et avant tout, elle n’est pas un simple objet. Ainsi, réduite à la condition d’objet, l’œuvre d’art ne peut être qu’un simple support pour la valeur d’échange, mais une valeur injustifiée, arbitraire, issue seulement de la domination et de la coercition, du rapport de force. Ainsi, lorsque l’œuvre est traitée comme marchandise, l’être de la marchandise apparaît dans toute sa négativité morbide à mesure que l’œuvre comme telle libère du même coup son irréductible hétérogénéité à l’être-marchandise. Ainsi s’explique que l’œuvre puisse être perçue comme hyper-marchandise, puisque d’un certain coté, elle fait apparaître en sa pureté la dénaturation marchande de l’objet, son aliénation dans la pure quantité de la valeur sans devenir monnaie pure pour autant. En effet, toute marchandise, par sa valeur d’usage, est susceptible de ne pas apparaître comme pure aliénation marchande, l’œuvre d'art, dénuée de valeur d’usage, fait apparaître, lorsqu’elle est marchandisée, tous les caractères de la marchandise en leur pureté. Mais reconnaître ce seul caractère à l’œuvre d’art marchandisée, c’est se soumettre à la coercition et à la barbarie marchande, subir passivement l’expropriation la plus nihiliste de la modernité, la quantification de la subjectivité, et donc sa négation, c’est méconnaître ce qui en l’œuvre reste profondément étranger à cette quantification de la vie et la détermine comme contre-marchandise. Dans ce paradoxe, plus l’œuvre est puissante et donc non-marchande, plus elle manifestera le masque nihiliste de la marchandise dont on la recouvre. Ce double caractère paradoxal en fait une « contre-marchandise », le reflet négatif de la marchandise.
5. Le paradoxe de la propriété de l’œuvre d’art
23La dernière question à laquelle nous porte cette question de l’être de l’œuvre d’art en régime marchand est donc celle de sa propriété, qui est peut-être aussi la plus urgente. Dans le capitalisme, la seule façon pour un objet de quitter son état de marchandise est d’être acquis par un consommateur. En étant « consommé », l’objet retourne à sa valeur d’usage et sort du circuit marchand. Qu’en est-il de l’œuvre d’art ? La façon de consommer une œuvre d’art est de la montrer, comme l’atteste la floraison des fondations et musées privés, et la présence dans les grandes expositions d’un nombre très important de pièces issues de collections privées. En somme la consommation privée de l’œuvre consiste à la rendre publique. Alors que toute marchandise se consomme de façon privée, au moins partiellement (si vous exhibez un vêtement de grande marque, vous le consommez en le montrant certes, mais aussi et avant tout en le portant, et il en va de même de tout article de simple prestige), l’œuvre d’art ne se consomme, elle, qu’en étant montrée, exhibée, publiée. C’est un caractère contre-marchand qui découle directement du paradoxe de la valeur d’usage : l’usage de l’œuvre se réduit au pouvoir clivant de sa valeur d’échange, seule donc son exhibition est à même d’accomplir son usage, sa (pseudo-)« consommation ». Ainsi, le détenteur de l’œuvre d’art est-il condamné à rendre publique la privatisation de l’œuvre sous peine de l’annihiler.
24Et pourtant, comme nous l’avons vu, l’œuvre d’art ne laisse pas le choix : elle suscite un besoin, le besoin de la voir. C’est parce que le regard est impuissant devant une œuvre d’art que précisément celle-ci provoque ce besoin. On n’a pas besoin d’acheter un concept mathématique : une fois compris, on le possède une fois pour toutes, durablement, comme un habitus. D’un traité quelconque, je peux dire si je l’ai compris et le maîtrise, « j’ai lu », je n’ai pas besoin d’y revenir et peux revendre l’ouvrage ou, au sens strict, le « rendre ». Avec l’œuvre d’art, c’est impossible : la lecture de la poésie ne s’épuise pas dans l’information qu’elle (ne) communique (pas). Son intérêt réside dans l’effectuation de sa lecture. Je dois acheter le livre et le garder, car je ne peux en aucun sens le « rendre » (sauf à l’apprendre par cœur, ce qui revient à devoir m’approprier d’une certaine manière le support matériel de l’œuvre). Ainsi, parce qu’une œuvre ne peut être possédée par le regard, l’on se sent appelé à s’approprier le moyen de l’avoir à disposition, de pouvoir la regarder quand et comme l’on veut : l’œuvre, parce qu’elle ne peut être possédée, suscite le besoin (désespéré) de l’acquérir. Ainsi, plus l’œuvre d’art est rétive, plus elle échappe à toute saisie, plus elle interroge et dérange, et plus elle se rend désirable comme (contre-)marchandise. Plus elle accuse son absence d’ustensilité, donc de valeur d’usage, et plus elle suscite le besoin de la posséder.
6. Pour une ontologie dualiste de l’œuvre d’art
25Ce que « présentifie » l’œuvre d’art marchandisée est donc un rapport social, la manière dont nous sommes ensemble, c’est la médiation par laquelle nous nous rencontrons, et la médiation par laquelle s’expriment les contradictions du régime capitaliste : celui qui possède ne peut accomplir la possession qu’en rendant public ce qu’il possède, qu’en s’en dépossédant. Être une contre-marchandise signifie donc « présentifier » les paradoxes du capitalisme (et non le « marché de l’art »), mais aussi, du même coup, manifester la nature originairement non marchande de l’œuvre d’art : si l’œuvre d’art entre aussi difficilement et paradoxalement dans le marché, si elle définit un marché par bien des aspects atypiques, c’est parce qu’elle ne brille comme contre-marchandise que pour ceux qui ne savent y voir qu’une marchandise. En réalité, l’œuvre n’est rien de marchand. Le paradoxe fondamentale dans cette perspective est celui de la production de l’œuvre : c’est parce que cette production relève d’un principe radicalement et irréductiblement subjectif que son produit ne peut être quantifié en temps de travail social, et ne peut ainsi pas se voir attribuer de valeur d’échange. L’absence de valeur d’usage quant à elle tient à ce que la production de l’œuvre d’art ne peut se régler sur aucun concept préalable indispensable à l’établissement de cette valeur d’usage, ce qui implique de comprendre la subjectivité dont elle procède comme une subjectivité pensée non pas sur le modèle de la conscience, mais sur celui du pouvoir auto-affectif. Dans Voir l’invisible, Henry reprend l’affirmation de Kandinsky selon laquelle les choses apparaissent de deux manières : extérieurement et intérieurement. Il en va ainsi de l’œuvre d’art marchandisée, qui se montre comme incarnation des paradoxes du marché en tant que marchandise, et comme expérience de la vie affective en tant qu’elle ne peut originairement s’accomplir que comme épreuve subjective. On le comprendra en notant que si l’œuvre peut « présentifier » les paradoxes du capitalisme lorsqu’elle est marchandisée, ce n’est que parce que plus fondamentalement elle est d’abord, comme réalité vivante, porteuse d’un invisible qui n’a rien à voir avec le marché : elle porte en elle l’invisible de la vie individuelle affective.
26 Une œuvre est ainsi une épreuve affective d’un mode déterminé, une figure spécifique du sentiment des choses, une intentionnalité ; un tableau dans le noir n’est pas encore une œuvre, il ne le devient qu’en étant vu. L’œuvre se présente comme étant l’épreuve, selon un mode spécifique, qu’une subjectivité fait d’une réalité qui est le tableau une fois visible, elle ne s’y réduit pas : elle consiste dans l’appartenance réciproque du regard et de ce qu’il voit en son événement. C’est pourquoi la question de la propriété est au cœur de la question portant sur la nature de l’œuvre d’art : la question de l’incessante et impossible appropriation par la subjectivité de l’étant qui l’affecte et l’im-pressionne. Dans le cadre d’une phénoménologie non-intentionnelle, la conception henrienne de l’œuvre d’art exposée dans Voir l’invisible — plus radicalement subjectiviste que celle qui préside aux remarques qui précèdent—ne permettent pas à mon sens de rendre compte de l’aliénation en cause dans la marchandisation de l’œuvre d’art, de la même manière que le concept de barbarie, chez Henry, rencontre à mon sens des difficultés insurmontables12, mais par la description qu’il propose du phénomène esthétique dans les termes d’une épreuve de la subjectivité, Henry donne l’occasion de dépasser des approches purement objectivistes de l’œuvre, d’en comprendre l’hétérogénéité foncière avec le monde de la marchandise.
27C’est dans cette perspective, ouverte par Henry, que l’œuvre d’art s’affirme non pas comme un domaine ultime de la production marchande, comme un produit du marché, mais au contraire comme la marque indélébile de la vie sur le monde qu’elle se donne, que rien ni personne ne saurait réduire à la simple fonction de marchandise, ni aliéner dans sa quantification. Dans la perspective interprétative ouverte par Voir l’invisible, l’œuvre d’art n’apparait pas, à titre d’objet, comme le produit financier le plus sophistiqué et le plus aboutit issu de l’œuvre de mathématisation du réel effectuée par le marché, mais le point de retournement de cette œuvre, l’obstacle qu’elle ne peut dépasser, la manifestation irréductible de l’essence affective du monde.
Notes
1 Il sera question ici des positions développées dans Voir l’invisible, le seul ouvrage consacré à l’esthétique publié par Michel Henry. En 1988, Henry publie donc un ouvrage dans lequel toutes les évolutions des pratiques en arts plastique après la seconde moitié du xxe siècle sont purement et simplement ignorées, proposant une conception de l’art dont le paradigme est la peinture abstraite.
2 Michel Henry, Voir l’invisible, Paris, Éditions Bourin, 1988. En effet, Michel Henry assume de publier en 1988 un ouvrage proposant notamment une définition de l’Art (« l’essence de l’Art ») dont le paradigme est la peinture abstraite, et dans lequel il n’est à aucun moment question, ni de quelque manière que ce soit, d’œuvres postérieures à Kandinsky ou de formes d’art autres que ses formes traditionnelles (peinture, sculpture, représentation théâtrale, etc.), à l’exclusion des formes contemporaines (installation, performance, etc.).
3 Michel Henry, Marx, II, Une Philosophie de l’économie, Paris, Éditions Gallimard, 1976, voir notamment le chapitre VII, « L’Économie comme aliénation de la vie ».
4 Daniel Soutif, « Du bon et du mauvais usage de l’objet », dans Transversalité, n° 1, 1990.
5 « Que l’œuvre d’art présentifie plutôt qu’elle ne représente ne lui retire pas la propriété de différer des autres œuvres » (Daniel Soutif, art. cit., p. 39).
6 Karl Marx, Le Capital, trad. fr. J.-P. Lefebvre, Paris,Éditions sociales, 1976, Section I, chapitre premier, IV, « Le Caractère fétiche de la marchandise et son secret ».
7 Daniel Soutif renvoie à l’article de Jean-Pierre Vernant « De la présentification de l’invisible à l’imitation des apparences », dans Image et signification, Rencontres de l’Ecole du Louvre, Documentation Française, Paris, 1983.
8 « Hegel cite également “les statues miraculeuses de la Sainte Vierge” dans lesquelles la force du divin agit comme leur étant immanente, comme y étant réellement présente, au lieu d’être seulement rattachée à ces statues comme une signification à son symbole » (Daniel Soutif, art. cit., p. 37).
9 Daniel Soutif, art. cit., p. 38.
10 Je peux comparer un ensemble de dés à jouer à un dispositif de cloisons et d’éclairages. Mais comment comparer une installation de James Turrel avec une installation de Robert Fillioux ? Les expériences qu’ils nous donnent respectivement à vivre sont si éloignées et si incommensurables qu’il manque un champ commun pour les comparer. Les dispositifs objectifs sont comparables, mais les vécus effectifs dans lesquels les deux œuvres sont éprouvées ne le sont pas. Nous nous référons ici pour l’exemple à deux œuvres : un Skyspace de James Turrell, une œuvre composée d'une pièce, peinte d'une couleur neutre, possédant une ouverture dans son plafond éclairé par des lumières qui peuvent changer de couleur, et permettant d’observer le ciel comme s’il était encadré. L’œuvre de Robert Fillioux, intitulée Eins, un, one…(1984) est composée de 16000 dés à jouer de tailles et de couleurs différentes ne portant sur toutes leurs face que le chiffre 1.
11 Le concept de vie noté « Vie » est introduit par Michel Henry dans Phénoménologie matérielle, Paris,PUF, 1983, troisième partie, « Pathos-avec », et développé dans C’est moi la vérité, Paris Éditions du Seuil, 1996.
12 Ces points ne peuvent bien sûr pas être abordés ici, je les discute de manière détaillée dans ma thèse de doctorat Ipséité et transcendance, qui sera déposée en 2016 à l’Université de Montpelier III.