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- Volume 17 (2013)
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Gestion de la fertilisation azotée des cultures de plein champ. Perspectives d’amélioration de l’efficience d’utilisation de l’azote sur base du suivi du statut azoté de la biomasse aérienne
Résumé
L’amélioration de l’efficience d’utilisation de l’azote par les cultures est devenue impérative dans le contexte économique et environnemental actuel et à venir. Le fractionnement des apports d’engrais azotés est une approche pertinente pour une meilleure adéquation entre les besoins de la culture et les fournitures en azote. La mise au point de méthodes de suivi du statut azoté de la biomasse des cultures est requise pour définir les doses et moments optimum d’apports des fractions. Cet article passe en revue les méthodes existantes et leurs conditions ou potentialités d’utilisation et de mise en œuvre. Après un bref rappel du concept de statut azoté des cultures, les principales méthodes existantes sont présentées pour leur précision, leur spécificité et leur sensibilité sur base des études réalisées au CRA-W (Département Productions et filières, Unité Stratégies phytotechniques) ces 20 dernières années, plus particulièrement en culture de pomme de terre. Les méthodes et résultats décrits portent sur le test de la teneur en nitrate dans le jus de pétioles à l’aide d’un réflectomètre, la mesure de la teneur en chlorophylle des feuilles à l’aide d’un chlorophyllomètre manuel, les mesures de fluorescence chlorophyllienne à l’aide de fluorimètres portables et la mesure de la réflexion de la lumière incidente par la biomasse à l’aide d’un radiomètre portable (télédétection rapprochée au sol) ou par analyse d’images satellites (télédétection spatiale). Les conditions d’utilisation et de mise en œuvre de ces méthodes dans des systèmes d’aide à la décision sont décrites dans les grandes lignes, en mentionnant l’intérêt des valeurs relatives des mesures versus les valeurs absolues, et la nécessité d’établissement de valeurs seuils. La combinaison des valeurs de statut azoté dans des modèles de recommandation de fumure azotée est illustrée à l’aide d’un système mis au point au CRA-W pour la culture de pomme de terre.
Abstract
Nitrogen fertilization management of open-field crops. Opportunities for improvement of nitrogen use efficiency based on crop nitrogen status monitoring. The improvement of nitrogen use efficiency in crops is currently an important issue in farming due to current and future economical and environmental constraints. Splitting of N fertilizer application is the most suitable approach for providing an optimal match of N need and supply. The implementation of monitoring methods to assess crop N status is required to define the relevant amounts and periods required for split applications. This paper discusses the available methods of split N fertilizer application and their mode of use and implementation. After a short overview of the concept of crop N status, the main existing methods to estimate nitrogen needs are examined for their accuracy, specificity and sensitivity based on research conducted at CRA-W (Production and Sectors Department, Crop Production Systems Unit) over the last two decades, focusing specifically on the potato crop. The methods and the results described relate to the petiole sap nitrate concentration test assessed via a reflectometer, the measurement of leaf chlorophyll concentration with a handheld chlorophyll meter, leaf chlorophyll fluorescence readings with handheld fluorimeters, and the measurement of crop light reflectance with a handheld radiometer (ground-based remote sensing) or with satellite imagery (spatial remote sensing). Conditions for implementing such methods within decision support systems are briefly described, by focusing on the need to use relative values rather than raw values taken from the readings, and also on the requirement for threshold value definition. The integration of crop nitrogen status values into N fertilization recommendation models is illustrated through a Decision Support System created at CRA-W for the potato crop.
Table of content
1. Introduction
1En matière de fertilisation azotée, il est démontré que les excès d’apports d’engrais azotés par rapport aux besoins de cultures mènent à une diminution de l’efficience d’utilisation de l’azote des engrais par la biomasse produite, et sont sources de pollutions des eaux de surface ou souterraines. À l’inverse, une déficience en azote, même temporaire, mène le plus souvent à des réductions significatives de rendement. Par ailleurs, dans ce domaine, les agriculteurs wallons, comme leurs collègues européens, sont mis sous pression croissante suite à la mise en œuvre de directives européennes telles que la Directive Nitrates 91/676/EEC et la Directive Cadre Eau 2000/60/EC, ainsi que suite aux augmentations de prix des engrais azotés, ces dernières années, qui doivent encourager à une utilisation plus parcimonieuse des engrais. Dans un tel contexte, il est essentiel d’aider les producteurs en développant des outils et des stratégies de gestion de l’azote.
2Lorsque l’on applique une dose d’azote recommandée en totalité à la plantation, au semis ou à la reprise de végétation, l’établissement de cette dose recommandée ne peut jamais se faire de manière précise. Il est impossible de prédire exactement les besoins totaux en azote de la culture et les fournitures en azote minéral par le sol en cours de saison (Vos et al., 2000). Ces variables complexes sont influencées par plusieurs facteurs prévisibles ou imprévisibles tels que les conditions climatiques, les propriétés chimiques ou physiques du sol, le type et l’évolution de la matière organique incorporée au sol antérieurement, les pratiques culturales, la durée de la culture et la classe de précocité de la variété cultivée.
3Les stratégies de fertilisation azotée qui combinent le fractionnement de la dose totale recommandée à l’échelle de la parcelle agricole avec l’évaluation du besoin en azote en cours de saison culturale peuvent aider largement à mieux faire coïncider les besoins et les fournitures en azote. Il en résultera un accroissement de l’efficience d’utilisation de l’azote de l’engrais appliqué (Vos et al., 2000 ; Alva, 2004). Ces stratégies ont pour objectif final d’aider à la décision quant à la nécessité d’appliquer des fractions complémentaires d’azote et à la quantité d’azote à appliquer.
4Des outils de suivi de l’azote des cultures pour déterminer rapidement le statut azoté de la biomasse sont requis pour développer de telles stratégies. L’utilité d’estimer le statut azoté de la biomasse est basée sur la considération que, plutôt que de tenter d’estimer avec précision la fourniture en azote minéral par le sol, il peut être plus simple de s’intéresser à la culture elle-même comme indicatrice de son besoin en azote. La biomasse produite est en effet souvent considérée comme intégrant bien les effets des conditions apparaissant durant la saison de croissance (Schröder et al., 2000). Pour être utilisables dans la pratique, les outils d’évaluation rapide du statut azoté doivent répondre à trois conditions principales : les mesures doivent être justes et précises (c’est-à-dire que les valeurs doivent être proches de la valeur réelle et être répétables), la mesure doit être sensible (c’est-à-dire que la détection précoce d’une déficience en azote doit être possible pour permettre l’application d’une dose complémentaire utile pour la croissance de la culture), la mesure doit être spécifique (c’est-à-dire qu’elle doit idéalement être exclusivement reliée à la fourniture en azote et à la concentration en azote dans la plante sans interférence avec d’autres facteurs externes). Par ailleurs, la méthode doit être facile à mettre en œuvre (c’est-à-dire qu’elle doit être d’emploi aisé, peu couteuse et rapide en visant une utilisation large de la méthode par des agriculteurs ou des consultants).
5Après un bref rappel sur le concept du statut azoté des cultures, cet article passe en revue les acquis des recherches du CRA-W en matière d’évaluation rapide du statut azoté des cultures à l’aide de différents outils, en axant particulièrement sur la culture de pomme de terre. Les conditions de mise en œuvre des méthodes rapides d’évaluation du statut azoté sont passées en revue, avant de donner un aperçu des perspectives de développement de ces outils dans la pratique.
2. Le concept de statut azoté des cultures
6L’utilisation de méthodes de diagnostic rapide du statut azoté basées sur l’analyse de plantes ou de parties de plantes nécessite de définir la notion de concentration critique en azote (Nc) dans la plante. Nc représente la concentration minimum en azote requise pour atteindre le taux de croissance maximum de la culture. La diminution de Nc de la culture en cours de saison peut être reliée à l’accumulation de matière sèche de la biomasse par la relation suivante (Greenwood et al., 1986 ; Greenwood et al., 1990) :
7Nc = a (W)-b
8avec Nc la concentration critique en azote en kg N·t-1 de biomasse sèche, W la production de biomasse sèche de la culture en t·ha-1, et a et b sont des paramètres estimés. Le paramètre a est la concentration en N pour 1 t·ha-1 de matière sèche, et le paramètre b représente le coefficient de dilution de N dans la biomasse.
9L’indice de nutrition azotée (INN) est déterminé comme le rapport entre la concentration actuelle en azote dans la biomasse sèche et Nc. L’INN est considéré comme le meilleur indicateur du statut azoté de la culture (Lemaire et al., 1995). Pour les valeurs INN inférieures à 1, la plante est considérée déficiente en N, alors que pour des valeurs supérieures, l’azote est considéré en excès. Une valeur égale ou proche de 1 indique une concentration suffisante en azote dans la culture.
10L’intérêt majeur de cette méthode analytique laborieuse (échantillonnage et traitement destructif de plantes) est de pouvoir être utilisée comme référence pour calibrer des méthodes indirectes plus simples et plus rapides permettant d’évaluer le statut azoté de la culture.
3. Description et évaluation des méthodes indirectes pour l’évaluation rapide du statut azoté. Application au cas de la culture de pomme de terre
11Le suivi indirect du statut azoté d’une culture peut être réalisé à différentes échelles de la biomasse produite : les tissus végétaux, la feuille, la plante entière et la biomasse aérienne ou canopée.
12Le tableau 1 décrit les différentes techniques disponibles présentées dans cet article, et qui sont aussi les plus courantes, soit opérationnelles, soit encore à l’étude.
3.1. La teneur en nitrate du jus de pétiole ou de tige
13Le test de la teneur en nitrate dans les pétioles en pomme de terre a été développé par des scientifiques américains (Williams et al., 1990) qui ont montré que la concentration en nitrate des pétioles exprimée en matière sèche est un indice fiable du statut azoté de la culture et un indicateur sensible de l’activité de prélèvement de l’azote tout au long de la saison culturale. D’autres chercheurs ont développé un test plus rapide basé sur la concentration en nitrate du jus de pétiole (CNJP) (Errebhi et al., 1998), qui peut être mesuré à l’aide d’électrodes spécifiques nitrate ou de bandelettes réactives et d’un réflectomètre manuel (Nitsch et al., 1991 ; Haase et al., 2000). En Europe, le test a été étudié par plusieurs scientifiques pour la culture de pomme de terre (Van Loon et al., 1987 ; Olivier et al., 1999). De même, une revue critique de ce test en a révélé plusieurs faiblesses (MacKerron et al., 1995). Une synthèse détaillée des nombreux résultats obtenus sur cette méthode par le CRA-W et d’autres équipes de recherche à l’étranger a été publiée par Goffart et al. (2008). Les potentialités de cette méthode sont résumées au tableau 4. Les principales limitations sont l’échantillonnage destructif et laborieux, les fortes variations entre mesures indépendantes et la non-prise en compte des formes d’azote autres que le nitrate dans la plante.
3.2. La concentration en chlorophylle des feuilles et la fluorescence chlorophyllienne
14Pour la détermination indirecte de la concentration en chlorophylle à l’échelle de la feuille ou de la plante, plusieurs méthodes non invasives sont disponibles ou bien ont été étudiées, en particulier en pomme de terre (Booij et al., 2000). La plus couramment utilisée consiste en des mesures, à l’aide d’un chlorophyllomètre, qui peuvent être reliées à la concentration en chlorophylle des feuilles. Une revue très complète sur les potentialités et l’utilisation du chlorophyllomètre (par exemple, le modèle scientifique SPAD502, Minolta, Osaka, Japon) ou son équivalent commercial, le Hydro N-tester (HNt - Yara, Oslo, Norvège), pour estimer le statut en azote de la pomme de terre, a été réalisée par Gianquinto et al. (2004). Les potentialités de cet outil sont résumées dans le tableau 4. Les principaux avantages de cette méthode sont la faible variation entre les valeurs indépendantes et la facilité de mesure. La limitation majeure réside dans le fait que les mesures montrent peu ou pas de discrimination entre les doses croissantes d’azote, excepté pour des situations peu ou pas fertilisées.
15D’autres méthodes basées sur la mesure de la fluorescence chlorophyllienne sont aussi utilisées pour l’estimation du statut en azote des feuilles (Tremblay, 2004). Ces méthodes sont basées sur la fluorescence de la chlorophylle induite par des rayonnements électromagnétiques dans l’ultraviolet et dans le visible, combinée à la prise en compte de l’absorbance des rayons ultraviolets par les composés polyphénoliques de l’épiderme des feuilles (Campbell et al., 2007). Ces méthodes ont une sensibilité potentiellement supérieure pour évaluer le statut azoté de la culture car la variation de la concentration en phénols (flavonols) en relation avec le statut azoté peut être détectée avant que la teneur en chlorophylle ou l’indice de surface foliaire ne soient modifiés (Cartelat et al., 2005). Récemment, des fluorimètres portables basés sur ce principe, le Dualex et le Multiplex, ont été développés par la société Force-A (Université Paris-Sud, Orsay, Paris, France). Leurs potentialités ont été étudiées pour l’évaluation du statut azoté du maïs (Tremblay et al., 2007), et sont actuellement à l’étude au CRA-W dans le cadre d’une thèse de doctorat pour évaluer le statut azoté de la culture de pomme de terre. Les premiers résultats de Ben Abdallah et al. (communication personnelle) (Tableau 2) indiquent que ce sont les indices combinant sous forme de rapport les concentrations en flavonols et en chlorophylle qui sont les plus sensibles pour évaluer le statut azoté de la pomme de terre. Ces résultats sont en accord avec des résultats observés sur d’autres espèces cultivées (Cartelat et al., 2005 ; Tremblay et al., 2007), où de tels indices accroissent aussi la discrimination entre les traitements azotés, ce qui n’est pas le cas en considérant les concentrations séparément. Comme le montre le tableau 2, ce type d’indice présente aussi une bonne précocité de discrimination entre statuts azotés (et donc un bon potentiel de mise en évidence précoce d’une entrée en carence azotée) et aussi une stabilité dans le temps (indépendance vis-à-vis des dates de mesure).
3.3. La réflexion de la lumière par la biomasse aérienne (ou canopée)
16À l’échelle de la canopée, la plupart des méthodes disponibles pour le suivi de la culture sont non invasives et sont principalement basées sur des mesures de la fraction de lumière incidente réfléchie par la canopée. Ces techniques relèvent de la télédétection qui est aussi basée sur les propriétés spectrales de la biomasse aérienne. La télédétection peut être réalisée avec des capteurs optiques situés à différentes échelles spatiales : soit au sol (on parle alors de télédétection rapprochée), soit dans les airs (télédétection aérienne à l’aide de capteurs embarqués dans des avions ou des drones), soit dans l’espace (télédétection spatiale à l’aide de capteurs embarqués sur des satellites [Hatfield et al., 2008]). Elles visent toutes à estimer des variables biophysiques de la canopée, particulièrement l’indice de surface foliaire (LAI = Leaf Area Index), paramètre d’intérêt pour l’évaluation du statut azoté car le LAI, la concentration en azote de la plante et la teneur en chlorophylle sont des variables très étroitement liées (Lemaire, 1997). Parmi les outils optiques expérimentés au CRA-W en télédétection rapprochée, le radiomètre Cropscan (Cropscan, Rochester, USA) est un appareil manuel portable passif, en ce sens qu’il mesure la réflexion de la lumière incidente du soleil (gammes des rayonnements électromagnétiques du visible et du proche-infrarouge dans notre cas). D’autres appareils plus sophistiqués et embarqués sur tracteur existent : le N-sensor (Yara, Oslo, Norvège) testé et développé en Europe, et basé sur des mesures réalisées à l’aide de capteurs passifs ou actifs situés sur la cabine du tracteur, le Greenseeker (NTech Industries, Ukiah, USA) ou le Crop Circle (Holland Scientific, Lincoln, USA) équipés de capteurs passifs ou actifs (Samborski et al., 2009) et développés aux États-Unis.
17Au départ de la réflexion de la lumière par la biomasse mesurée pour différentes bandes de longueurs d’ondes situées dans le visible et le proche-infrarouge, il est possible de déterminer des indices de végétation (IV) utilisables pour caractériser le statut azoté de la culture. Les IV les plus intéressants pour le statut azoté combinent les bandes de longueurs d’onde du vert, du rouge et du proche-infrarouge. Comparativement au chlorophyllomètre, l’utilisation de la réflectance au sol permet de considérer une plus grande surface échantillonnée, de l’ordre de 0,5 m2 de surface au sol par mesure individuelle. Cependant, particulièrement pour une culture comme la pomme de terre, les IV doivent intégrer le fait que la réflexion mesurée provient de la proportion de la végétation couvrant le sol, mais aussi de la surface du sol. De plus, la disposition architecturale des tiges et des feuilles peut varier avec la croissance des plantes. Des IV spécifiques ont été développés pour tenter de diminuer ou supprimer le bruit de fond dû à la réflexion de la lumière par le sol (citons par exemple le SAVI – Soil Adjusted Vegetation Index, développé par Huete en 1988). Il en résulte une meilleure linéarité entre la biomasse (ou d’autres variables biophysiques) et les IV. Des avancées doivent encore être réalisées pour mettre au point des IV qui intègrent mieux des facteurs qui interfèrent avec la mesure de reflectance, comme les angles de position foliaire et la distribution du feuillage. Ces facteurs peuvent aussi être liés au stress, au génotype, à la présence d’adventices ou de maladies ou à des dégâts d’insectes.
18Les télédétections aérienne et spatiale sont basées sur les mêmes propriétés spectrales que la télédétection rapprochée, la différence majeure étant que leur utilisation dépend de l’acquisition d’images aériennes ou satellitaires numériques, soit à l’échelle de la parcelle agricole ou d’une zone plus grande (région). Comparativement aux méthodes comme le chlorophyllomètre à l’échelle de la feuille (qui considère 30 mesures ponctuelles par ha) ou encore à la télédétection au sol à l’aide d’un radiomètre portable ou embarqué, cette résolution géographique plus élevée est un avantage certain, puisque plusieurs dizaines à plusieurs centaines (voire milliers) de parcelles agricoles peuvent être comprises dans leur entièreté dans une seule image. Il en résulte une possibilité de suivi de la biomasse sur toute la surface de la parcelle, pixel par pixel. Les technologies liées à ces approches sont aussi en développement rapide, tout d’abord en termes de résolution radiométrique (caractéristiques des capteurs), spectrale (nombre et largeur des bandes de longueurs d’onde utilisée), spatiale (taille d’un pixel de l’image numérisée) et temporelle (fréquence de retour du capteur au-dessus de la surface considérée). Ensuite, en matière de plate-forme utilisée pour l’embarquement des capteurs optiques : drone ou avion sans pilote au niveau aérien et plate-forme satellitaire pour le niveau spatial. Par ailleurs, de nouvelles constellations de satellites présentant des améliorations potentielles sensibles pour des évaluations agronomiques à l’échelle parcellaire (notamment en résolutions spectrale, spatiale et temporelle) sont maintenant disponibles, telles que Pléiades, Rapid-Eye ou Sentinel. Le développement récent de capteurs hyperspectraux (c’est-à-dire avec des bandes de longueurs d’ondes très étroites et plus nombreuses) ouvre maintenant la voie pour des investigations plus précises en ce qui concerne la détection de déficience en N dans la biomasse d’une parcelle (Haboudane et al., 2008), particulièrement en considérant le red-edge (point d’inflection dans la courbe de réflexion de la lumière incidente entre les longueurs d’onde du rouge et du proche-infrarouge).
19Les potentialités offertes en particulier par le satellite européen SPOT-5 (Satellite Pour l’Observation de la Terre – 5) en matière de caractérisation du statut azoté des cultures de froment d’hiver et de pomme de terre en Wallonie ont été étudiées dans le cadre d’un projet au CRA-W de 2008 à 2010 (projet Mimosa, Goffart et al., 2010). SPOT-5 est un satellite équipé de capteurs multi-spectraux (bandes de longueurs d’onde dans le vert (G) : 500 – 590 nm, dans le rouge (R) : 610 – 680 nm, dans le proche-infrarouge (NIR) : 790 – 890 nm, dans l’infrarouge moyen (SWIR) : 1 580 – 1 750 nm), présentant une haute résolution spatiale en image couleurs (pixels de 10 m) utile pour l’application étudiée, et avec une résolution temporelle de 3 à 4 jours (période de retour). Les résultats de ce projet ont clairement mis en évidence une très bonne capacité des images satellites à discriminer entre des doses azotées croissantes et avec une faible variation des IV entre pixels d’une même zone (Figure 1).
20Cette discrimination s’est avérée possible même en considérant au sein d’un champ des zones constituées de pixel unique. Les indicateurs du statut azoté de la biomasse issus des capteurs SPOT 5 sont apparus également en très bonne relation avec l’azote prélevé par la culture via des coefficients de détermination tout à faits corrects (Tableau 3). Il est intéressant de noter aussi au tableau 3 que les coefficients sont plus élevés lorsque l’on considère des valeurs relatives plutôt que des valeurs absolues des indicateurs du statut azoté (les valeurs relatives étant obtenues dans ce cas par la différence entre des zones de références non fertilisées et le reste de la parcelle fertilisée).
21À côté de ces résultats très prometteurs, il faut mentionner les limitations de la télédétection spatiale dans ses possibilités actuelles :
22– couts relativement plus élevés que les méthodes de télédétection au sol pour l’acquisition des images satellite commerciales ou pour un vol aérien ;
23– résolution temporelle (= fréquence de retour du satellite ou d’un vol aérien programmé au-dessus du champ considéré) plus faible que pour la télédétection au sol ;
24– présence d’une couverture nuageuse limitante en télédétection spatiale pour les longueurs d’onde du visible et dans le proche-infrarouge ;
25– temps de pré-traitement des images pour différentes corrections (géographique, atmosphérique, radiométrique) qui retarde l’acquisition de l’information utile pour la prise de décision rapide sur la gestion de l’azote à l’échelle de la parcelle (utilité de l’apport azoté complémentaire).
26– limitation due à l’angle de vue lorsque l’image n’est pas acquise à la verticale de la parcelle (« nadir »), un angle de maximum 30° étant généralement toléré ;
27– vu les couts élevés de cette technique, sa mise en œuvre et sa commercialisation doivent concerner un grand nombre de parcelles et d’utilisateurs.
28Le tableau 4 synthétise l’ensemble des potentialités des méthodes décrites pour l’estimation du statut azoté de la culture de pomme de terre sur base des résultats de différentes études réalisées au CRA-W ces 20 dernières années avec différents outils de mesures.
4. Perspectives d’utilisation des outils de mesure du statut azoté des cultures
29Les outils de mesure rapide du statut azoté des cultures trouveront leur intérêt sur base des trois conditions suivantes :
30– la prise en compte de valeurs relatives des mesures du statut azoté ;
31– l’établissement de valeurs seuils d’entrée en carence azote ;
32– l’intégration des valeurs mesurées du statut azoté dans des outils d’aide à la décision.
33Comme déjà mentionné, les valeurs mesurées générées par les outils de suivi du statut azoté ne sont pas spécifiques de l’azote car il existe de nombreuses interactions avec d’autres facteurs influençant la teneur en chlorophylle dans la plante. Il est scientifiquement admis qu’afin d’atténuer voire de supprimer l’influence de facteurs non liés aux besoins en azote de la culture dans l’utilisation de la chlorophylle ou d’IV comme indicateur du statut azoté, il est nécessaire d’utiliser une parcelle de référence interne à la parcelle agricole considérée et de la localiser dans une zone représentative de ce champ, ou du moins de zones supposées ou évaluées homogènes (Schröder et al., 2000 ; Raun et al., 2002).
34Le type de zone de référence peut être défini soit comme une fenêtre non fertilisée (zéro N), soit comme une fenêtre sur-fertilisée, ces deux approches étant basées respectivement sur le concept de réponse à l’azote (Schröder et al., 2000 ; Weier et al., 2001 ; Raun et al., 2002) ou sur le concept de suffisance en azote (Schröder et al., 2000 ; Varvel et al., 2007). L’intérêt des valeurs relatives du statut azoté par rapport aux valeurs absolues est illustré au tableau 3 dans le cadre des travaux réalisés au CRA-W portant sur la mesure de la réflexion en culture de pomme de terre au départ des informations d’images satellite.
35Pour être utiles dans des démarches stratégiques visant à décider du besoin en azote complémentaire en cours de saison, les valeurs relatives de mesure du statut azoté doivent être confrontées à des valeurs seuils critiques, qui varient durant la saison, et en-dessous desquelles le rendement de la culture est limité suite à une teneur en azote trop faible dans la biomasse. À cause de la faible spécificité et de la sensibilité moyenne de la plupart des méthodes rapides disponibles pour l’évaluation du statut azoté de la culture, les valeurs seuils relatives sont recommandées par rapport aux valeurs seuils absolues. Dans le cadre des travaux réalisés au CRA-W, Denuit et al. (2002) et Olivier et al. (2006) ont proposé des valeurs seuils relatives pour les mesures avec le chlorophyllomètre respectivement en cultures de froment et de pomme de terre.
36Le but final des mesures du statut azoté est de combiner ou d’intégrer les valeurs dans des modèles afin de construire des systèmes d’aide à la décision (SAD) pour la gestion de la fertilisation azotée.
37Deux approches peuvent être considérées :
38– soit la combinaison de l’établissement prévisionnel d’un conseil de fumure azotée à l’échelle de la parcelle agricole avec le suivi du statut azoté de la culture ;
39– soit l’intégration des valeurs de statut azoté dans des modèles de simulation de croissance de la culture.
40Sur base de la première approche, Goffart et al. (2004) ont développé au CRA-W pour la pomme de terre un SAD utilisant le logiciel de conseil de fumure azotée Azobil (Machet et al., 1990) et le chlorophyllomètre SPAD/HNt. Le logiciel Azobil est basé sur le bilan prévisionnel en N à l’échelle de la parcelle. Ce SAD mène à une efficience accrue de l’utilisation de l’azote de l’engrais azoté (Goffart et al., 2005).
41Dans la seconde approche, les valeurs de statut azoté peuvent être intégrées dans un SAD basé sur des modèles de simulation de croissance qui visent une prédiction quantitative et dynamique des besoins en azote de la culture pour des conditions locales spécifiques. La possibilité de combiner de tels modèles avec des mesures de télédétection à l’échelle de la canopée a été investiguée en profondeur pour la culture de pomme de terre par Jongschaap (2006a) et Jongschaap (2006b).
5. Conclusion
42L’évaluation du statut azoté combinée au fractionnement des engrais azoté est une pratique pertinente pour mieux faire correspondre les besoins en azote d’une culture et les fournitures en azote du sol et des engrais. Les recherches sont en cours dans de nombreux pays sur les SAD combinant les modèles de bilan en azote ou de simulation de croissance des cultures avec le monitoring du statut azoté en cours de saison. Ces SAD visent à permettre d’améliorer la gestion et l’efficience de l’azote via un meilleur positionnement des apports d’engrais azotés, à la fois dans l’espace et dans le temps en se basant sur les besoins actuels en azote de la biomasse.
43Pour permettre l’adoption large de ces systèmes de monitoring, il est nécessaire de réaliser une comparaison et une validation des outils dans un grand nombre de situations pédoclimatiques. Leur mise en œuvre requiert l’utilisation généralisée de valeurs relatives des mesures, que ce soit pour les valeurs observées ou pour les valeurs seuils ou les valeurs critiques d’entrée en carence azotée de la biomasse.
44Parmi les différentes méthodes non destructrices du feuillage, développées pour l’évaluation du statut azoté, les mesures de la réflexion de la lumière par la canopée sont potentiellement les plus prometteuses, principalement parce qu’elles intègrent l’ensemble du volume de la canopée et permettent de considerer, lors de la prise d’échantillons, des surfaces plus grandes de biomasse que les autres méthodes. De plus, l’imagerie par télédétection aérienne ou spatiale n’est pas limitée par des techniques d’interpolation géostatistique comme le sont les analyses de données issues d’un quadrillage d’échantillons ponctuels de sol ou de plantes. Cependant, pour ces tests basés sur la réflexion de la lumière incidente, il est indispensable d’approfondir encore leur faisabilité, leur précision et leur sensibilité en relation avec la plate-forme idéale à utiliser, à savoir pour des mesures au sol, aériennes ou spatiales. Une attention particulière doit être accordée également aux méthodes basées sur la fluorescence chlorophyllienne, étant donné qu’elles semblent permettre une meilleure discrimination de statuts azotés moins contrastés et également plus de précocité dans la mise en évidence d’une entrée en carence azotée, ce qui permettrait d’intervenir plus tôt en culture avec un apport complémentaire en azote.
45Le défi majeur pour ces méthodes reste de pouvoir déterminer avec suffisamment de précision la quantité complémentaire d’engrais azoté à appliquer lorsque les outils détectent une entrée en carence imminente ou présente. Une des manières de palier à cette limitation est de combiner les tests avec des modèles de simulation de croissance des cultures. De tels modèles existent ou sont à l’étude, mais l’essentiel est qu’ils puissent « tourner » avec un nombre limité de données d’entrée d’acquisition aisée afin de pouvoir donner une estimation pertinente dans un grand nombre de situations pédoclimatiques.
46Il est également essentiel de considérer les aspects pratiques et économiques d’utilisation des outils de mesure du statut azoté de la biomasse et des SAD qui en découlent. Il est important que les outils jugés pertinents soient utilisables sur un grand nombre de cultures, de manière à répartir les couts d’acquisition et/ou d’utilisation sur de grandes surfaces cultivées et pour un grand nombre d’utilisateurs. Plusieurs outils doivent aussi idéalement être disponibles pour permettre à des agriculteurs de différentes régions d’adopter le ou les outils les mieux adaptés à la taille de leur exploitation, à leurs conditions économiques et aux caractéristiques culturales et pédoclimatiques. À l’échelle de la Wallonie, l’acquisition des informations sur la biomasse des cultures par télédétection spatiale et aérienne revêt un potentiel évident, vu les évolutions technologiques rapides dans ce domaine. Cette approche permet aussi de mutualiser les informations pour différentes cultures et différentes applications dans la gestion agronomique des parcelles. Il faut toutefois garder à l’esprit que l’accès opérationnel, à grande échelle, aux données de télédétection demandera la mise en place sur le WEB de connexions et de réseaux de bases de données permettant à l’agriculteur de disposer rapidement et en temps réel d’information pour la gestion azotée de chacune des parcelles agricoles qu’il exploite.
47Remerciements
48Les auteurs remercient le personnel de l’Unité Stratégies phytotechniques et de l’Unité Fertilité des sols et protection des eaux du CRA-W qui ont collaboré aux nombreux travaux réalisés et mentionnés dans cet article, et en particulier Marguerite Olivier, Daniel Chaboteaux, Luc Thomas, Laetitia Van Den Wyngaert, Daphnée Mathieu, Jacques Detal, Rudy Chanet, Daniel Deloze, Bernard Balzat†, Brigitte Maloteaux, Véronique Dethier, Frédéric Tasiau, Maurice Lambert†.
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About: Jean-Pierre Goffart
Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W). Département Productions et filières. Unité Stratégies phytotechniques. Bâtiment A. Petermann. Rue du Bordia, 4. B-5030 Gembloux (Belgique). E-mail : goffart@cra.wallonie.be
About: Morgan Abras
Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W). Département Productions et filières. Unité Stratégies phytotechniques. Bâtiment A. Petermann. Rue du Bordia, 4. B-5030 Gembloux (Belgique).
About: Feriel Ben Abdallah
Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W). Département Productions et filières. Unité Stratégies phytotechniques. Bâtiment A. Petermann. Rue du Bordia, 4. B-5030 Gembloux (Belgique).