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Typologie des systèmes de stockage et de conservation du maïs dans l'est et le sud du Sénégal
Editor's Notes
Reçu le 15 novembre 2010, accepté le 23 juin 2011
Résumé
Une enquête a été réalisée au Sénégal oriental dans les départements de Tambacounda, Bakel, Kédougou et en Casamance continentale dans les départements de Kolda, Sédhiou et Vélingara auprès de 330 utilisateurs de maïs dans 185 villages. Il en est ressorti six principaux types et deux modes de stockage. Des différences sont relevées en rapport avec les ethnies qui n'adoptent pas les mêmes modes de stockage. L'impact des types et modes de stockage sur le niveau des pertes, la perception qu'ont les producteurs sur les principaux déterminants du stockage, les spécificités inhérentes aux ethnies, aux localités ainsi que les pesticides et produits naturels utilisés dans les traitements post-récolte sont passés en revue.
Abstract
Typology of maize storage and conservation systems in the East and the South of Senegal. A survey was conducted in Senegal in the Eastern departments of Tambacounda, Bakel and Kedougou and in Casamance mainland in the departments of Kolda, Sedhiou and Velingara encompassing 330 maize users in 185 villages. Six major types and two modes of storage were found. Differences are presented in relation to ethnic groups who do not adopt the same methods of storage. The impact of types and storage methods are reviewed with regard to loss levels, perception of the producers on the main storage determinants, specificities inherent to ethnic groups, localities as well as pesticides and natural products used in post-harvest treatment.
Table of content
1. Introduction
1Le maïs est une denrée de base pour beaucoup de pays africains. En Afrique occidentale, le maïs est aujourd'hui classé filière agricole majeure et bénéficie de ce fait d'un important soutien politique. Sa valeur ajoutée est estimée à plus de 2 milliards d'euros, profite principalement aux populations rurales et assure plus de 10 millions d'emplois permanents (Baris, 2009). Au Sénégal, bien que la consommation de céréales soit le régime de base des populations, il est à noter que le riz a longtemps et continue d'occuper une place de choix au niveau des habitudes alimentaires. Toutefois, à la suite de la crise économique de ces dernières années, les populations, notamment urbaines, se tournent davantage vers les produits locaux dont le maïs. Cette céréale, quoique secondaire en termes d'importance de la production, est quand même bien ancrée dans certaines localités du pays. Sa culture est aujourd'hui sujette à la quantité de pluies que reçoivent les différentes zones agroécologiques. Il en résulte que la culture du maïs est confinée principalement dans les régions de Fatick, Kaolack, Kolda, Tambacounda et Ziguinchor. Elle se pratique aussi en zones plus sèches, en l'occurrence la Vallée du fleuve Sénégal, essentiellement lors des décrues.
2La production de maïs a évolué en dents de scie avec une croissance relativement constante de 1960 à 1990 et une légère baisse entre 1991 et 2000 (Ndiaye et al., 2005). Toutefois, en 2003, le maïs fut choisi comme « speculation test » dans un vaste programme gouvernemental dont l'objet est à court terme la réalisation de la sécurité alimentaire du pays. C'est ainsi que la production atteint un niveau jamais égalé, soit près de 510 236 t, d'après les Services Agricoles et les Services de la Prévision et des Statistiques (Fall et al., 2004). Comme corollaire, il y a eu naturellement des problèmes de stockage et de transformation. Cette situation a aussi fait que le maïs, jusqu'ici culture de subsistance plutôt restreinte dans certaines parties du territoire national du fait des déficits pluviométriques des zones nord et centre, tend à devenir, à l'image de l'arachide et du coton, une culture de rente. Il se pose alors naturellement des problèmes liés à l'adéquation et à l'efficacité des systèmes de conservation et de transformation.
3Le but de ce travail est de caractériser le savoir traditionnel en matière de stockage et de conservation des stocks de maïs. La prévention des pertes par l'utilisation de pesticides de synthèse ou de plantes insecticides est largement abordée.
2. Matériel et méthodes
2.1. Conduite des enquêtes
4Deux diagnostics participatifs ont été conduits respectivement dans les régions de Kolda au niveau des départements de Kolda, Vélingara et Sédhiou et de Tambacounda dans les départements de Tambacounda, Bakel et Kédougou ; ces régions ont été choisies sur base de leur représentativité dans la culture du maïs du Sénégal. C'est principalement le dispositif de terrain de l'Agence Nationale de Conseil Agricole et Rural (ANCAR) qui s'est chargé de l'administration du questionnaire. Dans les poches non couvertes, le dispositif de la Société de Développement et des Fibres Textiles (SODEFITEX) a été mis à contribution.
5Afin de lever toute équivoque sur la compréhension des points abordés, le questionnaire est présenté à chaque « administrateur ». En outre, au moins deux cibles sont auditionnées en leur présence. Une trentaine de paramètres ont été définis dans l'ensemble.
6Dans la région de Kolda, ce sont 18 communautés rurales qui ont reçu la visite de l'ANCAR contre 15 pour Tambacounda, compte non tenu des agents de la SODEFITEX. Cependant, il est à signaler que la priorité a été donnée à l'importance de la production maïsicole de chaque zone. D'autre part, l'administration des questionnaires tient compte des différentes ethnies présentes dans les localités cibles en vue d'en ressortir d'éventuelles pratiques spécifiques. Tous les utilisateurs du maïs regroupés sous le terme « producteur » sont concernés par les questionnaires : producteurs, ménagères, meuniers, boulangers traditionnels, unités de transformation, etc. En somme, 25 questionnaires ont été remis par communauté rurale et un effectif total de 330 dont les 220, soit 66,7 %, sont localisés à Kolda, contre 33,3 % à Tambacounda, a été auditionné. Dans l'ensemble, six départements, Kolda (26,1 %), Sédhiou (22,4 %), Vélingara (18,2 %), Tambacounda (14,8 %), Kédougou (16,1 %), Bakel (2,4 %), soit 185 villages, ont été visités (Figure 1).
2.2. Exploitation des données
7Les résultats des enquêtes ont été analysés sur le plan statistique. De ce fait, les réponses de toutes les questions ont été traitées sur Excel puis codifiées. Le logiciel SPSS 15.0 nous a permis par la suite de faire des tableaux de fréquence, des comparaisons de moyennes avec le test de Student-Newman-Keuls à une probabilité de 5 %, mais également des tableaux dynamiques croisés entre paramètres.
3. Résultats
3.1. Représentativité des différentes ethnies diagnostiquées
8Seize ethnies ont été recensées, dont la représentativité dans le questionnaire dépend de leur importance dans les deux régions. C'est l'ethnie Peul (comportant plusieurs sous-groupes) avec 49 % qui s'est révélée dominante autant à Kolda qu'à Tambacounda ; viennent ensuite les Socé (10,9 %) et les Malinké (8,2 %). Ce sont les Bédick et les Bassari qui sont les moins représentés avec respectivement 0,6 et 0,3 %. Les autres ethnies se répartissent comme suit : Diola (5,8 %), Balante (4,8 %), Diakhanké (3,9 %), Kalonké et Sarakholé (3,3 %), Mandjack (2,1 %), Mankagne (1,8 %), Kognadji, Dialonké et Wolof (1,5 %) et Bambara (1,2 %).
3.2. Types de stockage rencontrés dans la zone
9Six principaux types de stockage ont été recensés chez 73 % des producteurs (Tableau 1). Certains producteurs étalent d'abord les épis de maïs sur des claies puis les stockent dans des sacs après égrenage (claie + sac, soit 8,1 %). L'enquête a révélé l'existence d'autres types de stockage assez marginaux. Il s'agit de la conservation des épis de maïs dans des enclos de bambou (2,7 %), des épis ou des grains de maïs dans les chambres à habitation (2,1 %) et au-dessus des toits des maisons (2,7 %). Il a été aussi recensé l'utilisation de paniers, de bidons, de claies installées au-dessus d'un foyer, de cuisine et de cases. Les figures 2 à 5 montrent quelques systèmes typiques de stockage de ces zones.
3.3. Modes de stockage pratiqués
10Deux modes de stockage ont été rencontrés : en épis et en grains. Leur fréquence est quasiment la même avec environ 40 % d'adoption. Par contre, 17 % des producteurs pratiquent à la fois les deux modes de stockage. La durée du stockage est de 6 mois en moyenne, compte non tenu du mode adopté.
3.4. Perception de certains aspects liés au stockage du maïs
11Le tableau 2 résume la perception qu'ont les producteurs vis-à-vis de quelques points relatifs au stockage du maïs. Ainsi, 30 % parmi eux ne savent pas que les attaques constatées sur le maïs en stock débutent pendant le séchage des épis au champ. La présence de moisissures dans les stocks de maïs est évoquée dans 56 % des cas. Les deux types de stockage en épis et en grains montrent une différence de sensibilité certaine à l'égard des insectes pour 83 % des producteurs. Quatre-vingt-deux pour cent des réponses obtenues révèlent l'existence de pertes pondérales à la suite des attaques d'insectes. Parmi eux, 37 % disent avoir au moins une fois vu leur stock de maïs complètement anéanti par les insectes. Comme corollaire de leur infestation, 82 % des producteurs font une évaluation qualitative du maïs infesté en cours de stockage. Toutefois, moins de 50 % d'entre eux sont conscients des nuisances associées à la prolifération des insectes inféodés aux stocks de maïs.
12Pour ce qui est des systèmes de stockage utilisés actuellement, plus de la moitié des producteurs les jugent efficaces et capables de contenir les quantités récoltées. Vingt-huit pour cent de ceux-ci ont déjà essayé des systèmes et méthodes autres que ceux dont ils disposent habituellement, 56 % les jugent satisfaisants. Cette même proportion de producteurs est encline à expérimenter d'autres systèmes ou moyens de stockage au vu de leur efficacité et/ou de leur convenance par rapport à leurs stocks. Leur choix porte exclusivement sur les magasins, le traitement des stocks, les silos métalliques, les greniers et les claies.
3.5. Traitement des stocks
13La protection des stocks de maïs par des pesticides ou à l'aide de plantes indigènes est une pratique observée chez 41 % des producteurs. C'est la denrée qui est traitée dans 72 % des cas contre 42 % pour les locaux de stockage. Près de 45 % des producteurs ayant recours au traitement utilisent des végétaux à la place de pesticides. Cependant, seuls moins de 10 % des maïsiculteurs ont reçu une formation leur permettant d'appliquer des traitements. On constate aussi que 40 % seulement de ceux qui pratiquent la fumigation affirment prendre suffisamment de précautions pour assurer l'étanchéité du local de traitement.
14Parmi ceux qui se servent des produits chimiques, un seul connaissait la matière active de la substance qu'il utilise. En outre, malgré le fait qu'ils traitent les stocks, 60 % des producteurs ignorent si les produits sont autorisés pour le traitement des stocks, et du maïs en particulier ; 36 % se fondent sur l'avis des commerçants pour le choix des produits. Sur le pourquoi des traitements, les réponses sont très disparates. Trente-sept pour cent disent les appliquer sur les semences, 27 % pour la lutte contre les insectes et 27 % prétendent le faire par habitude. Un pourcentage faible, soit 5 %, font leur choix sur avis des agents de l'agriculture.
15Les pesticides utilisés dans la conservation du maïs.
16Nature des pesticides. Au total, 20 % des producteurs utilisent des pesticides et 6 % d'entre eux disent avoir recours à des poudres sans en connaitre leur nom ; 2,4 % mettent des fongicides et 1 % de la K-Othrine. D'autres produits avec une utilisation plus limitée sont cités : raticides, thioral, atrafor, furadan, endosulfan, etc. Il a été également mentionné l'emploi de liquides, sans aucune précision qui permette d'identifier noms, matières actives et doses des substances mises en cause.
17Doses. Il a été noté une grande disparité sur les quantités de pesticides impliquées dans la conservation du maïs. En fait, pour les poudres à poudrer, les doses les plus fréquemment pratiquées sont 100 à 125 g.100 kg-1 de grains (5,7 %) ; 200 g.100 kg-1 (1,8 %). En somme, 3,3 % des agriculteurs affirment ne pas doser ou méconnaissent la dose ou en appliquent de manière imprécise. Pour ce qui est de la fumigation plus rarement pratiquée (1,8 %), on relève entre autres les doses de 3 comprimés de phostoxin pour 5 t ou encore 2 comprimés par 100 kg.
18Les produits naturels recensés dans le traitement des stocks de maïs.
19Nature. Les producteurs de maïs ont recours à plusieurs produits et matières pour la protection de leurs stocks. Dix plantes et du sel de cuisine ont été recensés dans l'ensemble. Le neem (Azadirachta indica A.Juss.) est la plus utilisée (51,6 %). Nous avons ensuite respectivement Hyptis spicigera Lam. (13,54 %), le traitement composite associant à la fois plusieurs produits, par exemple neem-Khaya senegalensis (Desr.) A.Juss. (12,5 %). Les autres traitements cités sont Acacia sp., Cacia sp., Citrus sinensis (L.) Osbeck, Khaya senegalensis (3,1 %), Ziziphus mauritiana Lam. et Lippia chevalieri Moldenke (1,6 %). Le sel (4,7 %) est la seule matière identifiée en dehors des végétaux dans la protection des stocks de maïs.
20Doses et rémanence. Les quantités mises en jeu n'ont pu être déterminées pour cause de trop grande variation dans les données ne permettant pas une évaluation statistique. L'essentiel des producteurs situe la rémanence des parties des plantes et autres produits appliqués sur le maïs à 6 mois. Les temps d'efficacité les plus cités sont 2 (18 %), 3 (27 %) et 6 mois (23 %). Néanmoins, certains affirment avoir une protection assurée jusqu'à 12 (9 %) voire 24 mois (1,3 %).
3.6. Évaluation des pertes
21Au niveau départemental. Le tableau 3 montre que les pertes sont plus faibles à Kolda et significativement plus élevées à Kédougou. À Bakel, la faiblesse des effectifs (2,4 %) n'autorise pas une comparaison avec les autres localités. Globalement, la durée de stockage varie peu et se situe autour de 6 mois. La corrélation très significative P = 0,001 entre les modes de stockage et les départements (χ2 = 52,381 ; ddl = 30) révèle des pratiques de stockage spécifiques aux localités. Il y a une très forte tendance à conserver le maïs en épis à Kolda et à Vélingara. A contrario, à Tambacounda et Kédougou, c'est le stockage en grains qui domine au niveau des producteurs. Par ailleurs, dans tous les départements, le maïs en épis est par la suite égrené.
22Au niveau des ethnies. Les taux de pertes du maïs stocké fluctuent selon les ethnies. C'est avec les Mankagne qu'on observe les niveaux les plus faibles avec à peine 2 %, contrairement aux Bambara et Dialonké, soit 27 à 30 %. Dans la plupart des ethnies, les renseignements obtenus situent les pertes entre 15 et 23 %. Par contre, les durées de stockage les plus longues s'observent avec les Kognadji puis viennent respectivement les Sarakholé, Kalonké, Mandjack, Mankagne et les Dialonké. Chez toutes ces ethnies, le maïs est conservé au moins 6 mois au cours de l'année. L'épuisement des stocks intervient plus tôt chez les Diola puis respectivement chez les Malinké, Diakhanké et Balante, quels que soient le mode et le type de stockage pratiqués (Tableau 4).
23Les pertes en rapport avec les modes de stockage. Le croisement entre les facteurs modes de stockage et pertes montre une probabilité P = 0,09 (χ2 = 9,351 ; ddl = 2). Les pertes sont donc indépendantes des modes de stockage. Elles sont sensiblement égales sur épis (20 %) et sur grains de maïs (17,6 %). Toutefois, le stockage des épis suivi d'un égrenage du maïs (épis-grains) donne des taux de pertes significativement plus élevés, soit 27 %.
24Croisement modes de stockage * ethnie. La relation entre les modes de stockage pratiqués et les ethnies est hautement significative, P = 0,000 (χ2 = 68,916 ; ddl = 30). Les ethnies n'adoptent donc pas les mêmes modes de stockage. Chez les Socé, Diola, Kalonké, Dialonké et Kognadji, le stockage se fait en priorité en épis, tandis que chez les Malinké, Diakhanké et Mankagne, c'est principalement sous forme égrenée que le maïs est conservé. Les Sarakholé, Mandjack et dans une moindre mesure les Peuls pratiquent de manière égale les deux modes. Les Bassari et Bédick ont aussi montré une nette préférence, mais leur effectif est faible pour permettre une conclusion pertinente (Tableau 4).
25Croisement modes de stockage * types de stockage. La corrélation entre mode et type de stockage révèle une étroite relation, P = 0,000 (χ2 = 258,202 ; ddl = 24). Parmi les types de stockage les plus répandus, il ressort que les épis de maïs se gardent principalement sur les claies (86 %) et greniers (64 %) et les grains conservés dans des sacs et magasins. Dans les enclos et les cuisines, le mode de stockage est exclusivement en épis ; c'est le cas dans une moindre mesure des toits. Hormis les sacs et les magasins, le stockage en grains s'observe dans les fûts (95 %) et paniers. Le maïs enfumé dans des claies passe de l'état épis à l'état grain à près de 40 % (Tableau 5).
4. Discussion
26Ce diagnostic couvrant six départements producteurs de maïs a permis de mettre en évidence les pratiques liées au stockage du maïs et de situer le niveau de technicité des producteurs quant à la conservation de leur récolte.
27Les deux principaux modes de stockage en épis et en grains sont pratiqués à égale importance. Chez certains, les épis sont égrenés dès allègement des travaux champêtres vers janvier-février, puis les grains mis en sacs. D'ailleurs, la plupart des producteurs pensent que « l'épi offre une certaine protection aux grains contre les attaques d'insectes, d'où une plus grande sensibilité du maïs égrené ». Un paramètre non pris en compte et qui pourrait avoir son importance est la présence des spathes, en ce sens qu'elles constituent une barrière physique quand elles recouvrent entièrement les grains. Les types de stockage, plus nombreux, sont pour la plupart rudimentaires. La disponibilité des matériaux locaux et des moyens financiers semblent guider les producteurs dans leur choix du type de stockage, notamment la construction de magasins en dur. Les claies, sacs et greniers sont utilisés à plus de 60 %. Dans la pratique de stockage à proprement parler, le constat est que les principes de base tels qu'entre autres une bonne siccité des grains, le dépôt sur fardage et l'aération du local ne sont souvent pas respectés. Ce qui est plus préoccupant, c'est le stockage d'épis encore humides qui engendre des attaques anormalement élevées de nuisibles au tout début du stockage, les moisissures en particulier. Leur présence est bien évidemment liée aux risques de voir les stocks contaminés par des mycotoxines.
28Les taux de pertes au cours du stockage nous montrent qu'autant les épis que le maïs égrené sont sujets aux attaques des insectes et des moisissures. Toutefois, ce sont plutôt les attaques des insectes qui sont perçues au niveau du producteur comme pertes en ce sens qu'elles réduisent subséquemment le poids de la denrée en cas de forte infestation. Les taux évalués peuvent devenir énormes en six mois seulement, estimés à près de 18 % avec le maïs égrené, 20 % avec la conservation en épis et près de 27 % dans le cas d'un stockage en épis suivi d'un égrenage ; il n'en demeure pas moins que bon nombre de producteurs affirment avoir au moins une fois un stock complètement anéanti par les insectes. Au Burundi, la Direction de la Défense des Cultures estimait les pertes dues à la présence des insectes à 2,4 % en 6 mois de stockage, ce qui est bien inférieur aux résultats de cette étude. Pourtant, les producteurs ne disposaient pas de moyens de stockage plus sophistiqués (Direction de la Défense des Cultures, 1991).
29Les niveaux de perte entre ethnies révèlent des différences. Comme cause, on peut penser à la performance des structures de stockage de chaque ethnie, et singulièrement le type de matériau disponible dans leurs localités respectives. L'échantillonnage disproportionné entre ethnies peut entrainer des disparités liées à la faiblesse de certains effectifs par rapport à d'autres. La répartition des ethnies au niveau des départements s'est reflétée sur les niveaux de pertes des ethnies dans les différentes localités. C'est ainsi que les pertes plus élevées observées chez les Dialonké et Bédick se sont répercutées dans le département de Kédougou où ils sont plus nombreux. L'instruction des producteurs, paramètre non pris en compte, devrait contribuer à une meilleure compréhension des mesures adéquates à prendre pour la protection des stocks, surtout au début du stockage. Ce problème est plus préoccupant avec les 18 % de producteurs qui ignorent totalement l'existence des pertes en poids. Tran (1990) a identifié en Côte d'Ivoire les principaux insectes qui pondent sur maïs dès le champ en cas de prolongement du séchage. Ce sont entre autres Sitophilus sp., Cathartus quadricollis (Guérin-Méneville, 1844) et Carpophilus dimidiatus (Fabricius, 1792). Philogène et al. (1989) puis Vowoter et al. (2004) citent quant à eux Sitophilus sp. et Prostephanus truncatus (Horn, 1878) ; le premier prolifère surtout sur maïs égrené et le second affectionne davantage les épis. Ces auteurs précisent en outre que les nouvelles variétés de maïs mises au point avant tout pour leur fort rendement sont particulièrement sensibles à ce type d'insectes. Il est donc très intéressant de tester la résistance de nos variétés à ces ravageurs.
30Les moisissures, bien qu'occasionnant des diminutions de poids plus faibles que les insectes, sont aussi des facteurs d'altération qualitative à considérer. Des études mycologiques menées au Bénin ont montré une prévalence de plus de 70 % d'attaque par principalement des Fusarium sp. et des Aspergillus sp. (Fandohan et al., 2005). Sur le plan sanitaire, les propriétés cancérigènes des mycotoxines produites par ces espèces ne sont plus à démontrer. Les producteurs font généralement une évaluation qualitative (notamment le gout), mais la plupart d'entre eux méconnaissent les nuisances associées à ces attaques. Les appréciations faites se limitent à des vomissements, maux de ventre et diarrhées.
31Les capacités de stockage des systèmes actuellement utilisés, jugés dans 50 % des cas efficaces et aptes à contenir les récoltes par les producteurs, servent pour toutes les céréales. C'est d'ailleurs un point critique dans leur système de conservation car elle permet une infestation croisée entre céréales. Le jugement du niveau de satisfaction des systèmes de stockage dépend naturellement de la production de chaque paysan. En effet, les petits producteurs ont moins de mal à contenir et conserver leurs stocks en utilisant de petits conteneurs tels que les fûts métalliques, paniers, bidons, etc.
32Dans la gestion des ravageurs, les producteurs qui traitent se servent de pesticides et de plantes insecticides. Cependant, cette pratique semble plutôt localisée dans le département de Kédougou. Selon ces derniers, on estime la rémanence des essences utilisées en moyenne à 6 mois, mais il est cité des cas où elle couvre toute la durée de la saison sèche, surtout avec H. spicigera. Le paradoxe est que les producteurs ne systématisent pas le traitement des stocks de maïs par cette plante dont l'efficacité semble reconnue dans presque toute la zone de Kédougou. Par ailleurs, les paysans ne font pas une évaluation des parties des plantes les plus actives contre les ravageurs, même avec le neem où ce sont les feuilles qui sont utilisées sous forme de poudre ou de bouillie. Ce sont pourtant les graines qui contiennent le taux le plus élevé de matière active. Le séchage à l'ombre est aussi nécessaire dans ce cas pour éviter la destruction des substances actives du neem (azadirachtine) par une exposition prolongée à la lumière (COLEACP, 2011). Ainsi, des pertes dépassant parfois 20 % en 6 mois de stockage sont déplorées. Ces dernières années, l'intérêt accordé aux biopesticides végétaux a entrainé la découverte scientifique de beaucoup de plantes aromatiques dont H. spicigera et L. chevalieri. L'application d'huiles essentielles de H. spicigera sur Sitophilus zeamais (Motschulsky, 1855) donne des mortalités de 66 à 70 % par contact et 96 à 99,2 % par fumigation (Noudjou-Wandji, 2007) ; Habiba (2007) rapporte une mortalité de 96 % par exposition aux vapeurs d'huiles essentielles de Xylopia aethiopica (Dunal) A.Rich. Il est ressorti de ces études que l'origine géographique tient un rôle central dans la composition biochimique et par conséquent, dans l'efficacité des huiles essentielles. Pour beaucoup de plantes, les volatiles libérés tels les composés terpéniques sont responsables de la toxicité envers les insectes (Tchoumbougnang et al., 2005 ; Mevy et al., 2007).
33Trop peu de producteurs qui utilisent les pesticides sont habilités à le faire. Par manque de formation, il y a ignorance de la nature des produits appliqués, d'où la multitude de doses évoquées pour un même produit. Les traitements souvent à base de poudres à poudrer s'effectuent à mains nues et sans protection respiratoire, nonobstant les risques d'intoxication. La couleur du sachet contenant le produit est le principal critère de distinction. Tout ceci montre le danger qu'encourent les producteurs face aux pesticides ; danger lié à la nature du pesticide en question indépendamment de la dose utilisée. Selon l'Organisation Mondiale de la Santé, chaque année, les pesticides causent accidentellement quelque 20 000 décès et près de 750 000 personnes souffrent de leurs effets chroniques spécifiques ou non, principalement dans les pays en développement (Africa Stockpiles Programme, 2003).
34La fumigation est plus rarement effectuée mais ceux qui la pratiquent, outre les doses requises, semblent méconnaitre complètement l'impact du mode d'action et le pouvoir pénétrant de ces pesticides. En fait, des producteurs fumigent avec des sacs en propylène tissé ou mettent des comprimés entre des sacs. De façon plus naturelle, les épis subissent une exposition à la chaleur et à la fumée des foyers improprement appelée fumigation. Cette pratique semble donner de bons résultats. Cependant, il existe des risques réels d'accumulation d'hydrocarbures aliphatiques polycycliques (HAP) résultant d'une combustion incomplète, ces composés sont cancérigènes. Une évaluation de leur présence s'avère utile.
5. Conclusion
35Ce diagnostic est intéressant à plusieurs égards. Les modes et types de stockage, le manque de formation, les mauvaises conditions d'entreposage ainsi que certaines pratiques coutumières spécifiques aux ethnies sont parmi les conditions qui favorisent la déperdition des récoltes de maïs. Les pertes à ce niveau peuvent être élevées autant sur épis que sur grains. La découverte de P. truncatus dans les zones de Kédougou et de Kolda (Guèye et al., 2008) impose plus d'attention pour circonscrire sa progression. Les insectes responsables des dégâts sont donc à identifier avec une attention particulière. Le traitement des stocks est apparu comme le problème le plus épineux à résoudre, eu égard à la nocivité des produits mis en cause, à leur méconnaissance et aussi au non-respect des bonnes pratiques de traitement. Compte tenu de cette situation, l'utilisation de tout moyen naturel de lutte contre les nuisibles est à encourager dans la perspective de limiter l'épandage de pesticides synthétiques. Dans ce cadre, la présence de plantes telles que H. spicigera et L. chevalieri dans les zones est et sud du pays et Boscia senegalensis (Pers.) Lam. bien répartie dans le Nord plaident pour une étude systématique de l'efficacité des traitements en conditions contrôlées (tests de laboratoire) qui seront suivis de tests en milieu paysan sur les principaux insectes déprédateurs des céréales (S. zeamais, Tribolium castaneum (Herbst, 1797), P. truncatus) et des légumineuses (Caryedon serratus (Olivier, 1790) et Callosobruchus maculatus (Fabricius, 1775)). Cependant, tout ceci devrait se faire dans le respect de critères de durabilité pour une gestion raisonnée de la biomasse en plantes dotées d'effets insecticides.
36Remerciements
37Les auteurs remercient vivement le Fonds des Recherches Agricoles et Agroalimentaires (FNRAA) pour avoir supporté financièrement ce travail. Nous sommes aussi très reconnaissants à l'égard des Conseillers agricoles et ruraux de l'ANCAR pour avoir remis les questionnaires aux paysans.
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