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- Volume 15 (2011)
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Étude chimique et biologique des huiles essentielles de Juniperus phoenicea ssp. lycia et Juniperus phoenicea ssp. turbinata du Maroc
Notes de la rédaction
Reçu le 12 avril 2010, accepté le 16 novembre 2010
Résumé
Les rameaux et les fruits des sous-espèces lycia (plaine) et turbinata (montagne) de Juniperus phoenicea (Cupressacées), cueillis au Maroc, ont été soumis à l'hydrodistillation. La composition chimique des huiles essentielles obtenues a été analysée par CG et CG/SM. Les rendements en huiles essentielles sont variables selon la sous-espèce et la partie de la plante étudiée. Les huiles essentielles de ces essences forestières sont largement dominées par l'α-pinène et peuvent constituer une source importante en ce constituant bien recherché sur le marché international. Une efficacité des huiles essentielles des rameaux de la sous-espèce lycia contre les champignons de pourriture du bois a été également mise en évidence.
Abstract
Chemical and biological study of essential oils of Moroccan Juniperus phoenicea ssp. lycia and Juniperus phoenicea ssp. turbinata. The composition of the essential oils of the branches and berries of Juniperus phoenicea (Cupressaceae), J. phoenicea ssp. lycia (plain) and J. phoenicea ssp. turbinata (mountain), obtained by hydrodistillation, collected from Morocco, was analyzed by GC and GC/MS. The yields of essential oils were varying in function of the subspecies and of the part of the plant studied. The essential oils of these tree species are largely dominated by α-pinene and may be an important source of this component of a great interest on the international market. The effectiveness of essential oils from branches of the subspecies lycia against fungi decay wood has also been emphasized.
Table des matières
1. Introduction
1D'origine américaine, asiatique, africaine et européenne, le genre Juniperus (Cupressacées) comprend un grand nombre d'espèces (environ soixante) avec des variétés rigides aux aiguilles piquantes et des variétés souples aux feuillages en écailles (Hagar, 1979 ; Adams, 1998 ; Adams, 2004).
2Au Maroc, les genévriers se présentent sous forme de cinq taxons : Juniperus oxycedrus, Juniperus communis, Juniperus phoenicea (ssp. lycia et ssp. turbinata) et Juniperus thurifera (Benabid, 2000 ; Aafi et al., 2002), occupant une superficie d'environ 244 837 ha, soit 5,1 % de la surface forestière du Maroc (sans les formations d'Alfa) (Benzyane et al., 1999). L'aire de répartition du genévrier rouge (Genévrier de Phénicie) s'intercale entre les formations steppiques de basse altitude et les formations forestières et préforestières à chêne vert. Cette position confère au J. phoenicea un rôle écologique considérable du fait qu'il se comporte comme un élément de forte résistance à l'érosion éolienne et à la pression anthropique (Aafi et al., 2000 ; Benabid, 2000 ; Aafi, 2003). On le distingue des autres genévriers par la couleur rouge de ses fruits, par son port ramifié et moins puissant, par l'aspect touffu de ses rameaux cylindriques et enfin, par son absence de la haute montagne aux altitudes supérieures à 2 200 mètres (Auclair, 1993).
3Les sous-espèces lycia du littoral (plaine) et turbinata de montagne (continentale) tiennent une grande place au Maroc et forment des écosystèmes très ouverts et plus ou moins conservés. Actuellement, la sous-espèce lycia se trouve localisée au niveau des sites de Mehdia et d'Essaouira sur la côte atlantique et celui de Saidia sur la côte méditerranéenne. Elle se développe sur les sables littoraux entre le niveau de la mer et 100 m d'altitude (étages inframéditerranéen et thermoméditerranéen) et les bioclimats semi-aride et subhumide chauds et tempérés (Aafi et al., 2000).
4En montagne (basse, moyenne et haute), la sous-espèce turbinata est très répandue. Elle apparait depuis le thermoméditerranéen jusque vers le montagnard méditerranéen. Sa présence s'étend sur une frange altitudinale allant de 1 000 à 2 200 m et occupe les bioclimats semi-aride et aride supérieur frais, froids et très froids. Au niveau du site d'Assif Almal, la sous-espèce turbinata apparait entre 600 et 1 500 m d'altitude (Aafi et al., 2002).
5Les rameaux, les feuilles et les fruits de genévrier de Phénicie ou genévrier rouge sont utilisés en médecine traditionnelle et leurs composés chimiques sont incorporés dans des préparations pharmaceutiques d'usage particulièrement antiseptique attribué à la présence d'huiles essentielles (Watt et al., 1962 ; Stassi et al., 1996 ; Medini et al., 2006). Les cônes, les rameaux, mais surtout les jeunes pousses préparées en infusion ont des effets diurétiques, stomachiques et digestifs (Bellakhder, 1997 ; Barrero et al., 2004). Les feuilles sont utilisées sous forme de décoction contre le diabète, la diarrhée et le rhumatisme, alors que les fruits séchés et réduits en poudre peuvent guérir les ulcérations de la peau et les abcès (Uphof, 1968 ; Hagar, 1979 ; Le Floch, 1983 ; Qnais et al., 2005).
6Plusieurs travaux ont étudié la composition chimique de l'huile essentielle du genévrier rouge dans différentes régions de part et d'autre du bassin méditerranéen, telles que le Portugal (Adams et al., 1996 ; Cavaleiro et al., 2000), l'Espagne (Adams et al., 1996), la Corse (Rezzi et al., 2001), la Grèce (Adams et al., 1996), la Tunisie (Akrout et al., 2001 ; Bouzouita et al., 2008), l'Égypte (Afifi et al., 1992 ; El-sawi et al., 2007) et l'Arabie saoudite (Dawidar et al., 1991). La plupart des huiles ont une teneur élevée en α-pinène. Au Maroc, la caractérisation chimique des huiles essentielles des rameaux de la sous-espèce turbinata a été étudiée dans la région de Marrakech (Haut Atlas) (Barrero et al., 2004 ; Adams et al., 2006 ; Achak et al., 2008). Cependant, et à notre connaissance, la composition chimique des huiles essentielles des fruits de la sous-espèce turbinata et celle des rameaux et des fruits de la sous-espèce lycia du Maroc, ainsi que les propriétés antifongiques et antibactériennes de leurs essences, n'ont fait l'objet d'aucune étude auparavant.
7Dans ce travail, nous nous sommes intéressés à l'identification des profils chimiques et à l'étude biologique des spectres d'activité antimicrobienne des huiles essentielles des rameaux et des fruits de Juniperus phoenicea ssp. lycia récoltés à Mehdia (plaine) et de Juniperus phoenicea ssp. turbinata à Assif Almal (montagne) au Maroc, en vue de leur valorisation sur le plan aromatique et médicinal pour une meilleure exploitation.
2. Matériel et méthodes
2.1. Matériel
8Matériel végétal. Les rameaux et les fruits des deux sous-espèces de J. phoenicea étudiées ont été collectés en mars et juin 2009 dans deux sites au Maroc. Il s'agit de Mehdia (Plaine du Gharb, nord-ouest du Maroc) et Assif Almal (Haut Atlas, sud du Maroc) ayant pour altitudes respectives 20 m et 1 400 m. Ces deux sous-espèces ont été identifiées par Abderrahman Aafi, botaniste au Centre de Recherche forestière à Rabat (Maroc).
9Micro-organismes étudiés. Seize souches microbiennes (ci-dessous) ont été choisies pour leur pathogénicité et leur implication fréquente dans la contamination des denrées alimentaires pour les unes et leur détérioration des bois d'œuvre et produits dérivés pour les autres :
10– bactéries : Escherichia coli, Bacillus subtilis, Staphylococcus aureus, Micrococcus luteus, Morganella morganii, Citrobacter freundii, Shigella sonnei, Proteus vulgaris et Pseudomonas aeruginosa ;
11– moisissures : Aspergillus niger, Penicillium digitatum et Penicillium expansum ;
12– champignons de pourriture de bois d'œuvre : Gloeophyllum trabeum, Poria placenta, Coniophora puteana et Coriolus versicolor.
13Les souches bactériennes sont sous forme de lots ATCC (American Type Culture Collection) ; elles sont entretenues par repiquage sur gélose nutritive favorable à leur croissance, TSA (Tryptic Soy Broth Agar, Sigma). Les moisissures et les champignons appartiennent à la collection de la mycothèque du Laboratoire de Mycologie du Centre de Recherche Forestière (Maroc). Ils sont cultivés sur le milieu nutritif PDA (Potato Dextrose Agar, Merck).
2.2. Méthodes
14Distillation des huiles essentielles. La distillation des huiles essentielles a été effectuée par la technique d'hydrodistillation sur un appareil de type Clevenger (Clevenger, 1928). Au cours de chaque essai, 100 g de matière première fraiche a été traitée. Des essais préliminaires ont montré que la durée d'épuisement total de la plante en huile essentielle est de l'ordre de 90 min. Trois répétitions ont été réalisées par échantillon. Auparavant, l'humidité des différents échantillons a été déterminée afin d'exprimer les rendements en huiles essentielles (volume en ml) par rapport à 100 g de la matière sèche. Les huiles essentielles ont été stockées à 4 °C dans l'obscurité en présence de sulfate de sodium anhydre.
15Analyse chromatographique. Les analyses chromatographiques ont été effectuées sur un chromatographe en phase gazeuse à régulation électronique de pression de type Hewlett-Packard (série HP 6890), équipé d'une colonne capillaire HP-5 (5 % phényl-méthyl-siloxane) ; (30 m x 0,25 mm, épaisseur du film : 0,25 μm). La détection est assurée par un détecteur à ionisation de flamme (FID) (250 °C) alimenté par un mélange de gaz H2/Air. Le gaz vecteur utilisé est l'azote avec un débit de 1,7 ml.min-1. L'appareil est équipé d'un injecteur PVT (Température de Vaporisation Programmée) de type Split-splitless. Le mode d'injection est Split (rapport de fuite : 1/50, débit : 66 ml.min-1). Le volume injecté est de 1 μl. La programmation de température va de 50 à 200 °C pendant 5 min, avec un gradient de 4 °C.min-1. L'appareil est piloté par un système informatique de type « HP ChemStation » gérant le fonctionnement de l'appareil et permettant de suivre l'évolution des analyses chromatographiques.
16L'identification des constituants a été réalisée en se basant sur leurs Indices de Kováts (IK) et sur la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (GC/MS). Cette dernière est réalisée sur un chromatographe en phase gazeuse de type Hewlett-Packard (série HP 6890) couplé avec un spectromètre de masse (série HP 5973). La fragmentation est effectuée par impact électronique sous un champ de 70 eV. La colonne utilisée est une colonne capillaire type HP-5 SM (5 % phényl-méthyl-siloxane) ; (30 m x 0,25 mm, épaisseur du film : 0,25 μm). La température de la colonne est programmée de 50 à 200 °C à raison de 4 °C.min-1. Le gaz vecteur est l'hélium dont le débit est fixé à 1,5 ml.min-1. Le mode d'injection est Split (rapport de fuite : 1/70, débit 112 ml.min-1). L'appareil est piloté par un système informatique gérant une bibliothèque de spectres de masse NIST 98.
2.3. Procédure microbiologique
17Nous avons utilisé la technique de dispersion des huiles essentielles dans l'agar agar à 0,2 % (Remmal et al., 1993 ; Satrani et al., 2001). Les huiles essentielles sont diluées d'abord au 1/10e dans la solution d'agar agar. Des quantités de cette dilution ont été ajoutées aux tubes à essais contenant la gélose nutritive pour les bactéries et le PDA pour les moisissures et les champignons de pourriture des bois d'œuvre. Ils sont ensuite stérilisés à l'autoclave (20 min à 121 °C), refroidis à 45 °C et versés dans des boites de Petri. Les concentrations finales en huiles essentielles sont : 1/100, 1/250, 1/500 et 1/1 000 (V/V). Des témoins, constitués du milieu de culture plus la solution d'agar agar à 0,2 % seule, sont également préparés.
18Pour les bactéries et les moisissures, l'ensemencement se fait par stries à l'aide d'une anse de platine calibrée afin de prélever le même volume d'inoculum. Ce dernier se présente sous forme de bouillon de culture de 24 h pour les bactéries et sous forme d'une suspension dans l'eau physiologique de spores provenant d'une culture de 7 jours dans le PDA pour les moisissures. Pour les champignons de pourriture des bois, l'ensemencement se fait par dépôt de fragments de 1 cm2 de diamètre, prélevés à partir de la périphérie d'un tapis mycélien et provenant d'une culture de 7 jours dans le PDA.
19La température d'incubation est de 37 °C pendant 24 h pour les bactéries et de 25 °C pendant 7 jours pour les moisissures et les champignons de pourriture des bois d'œuvre. Chaque essai est répété trois fois afin de minimiser l'erreur expérimentale.
3. Résultats et discussion
3.1. Rendement et composition chimique
20Les rendements en huiles essentielles obtenus à partir des échantillons des fruits des deux sous-espèces turbinata et lycia sont respectivement 1,10 % ± 0,03 et 1,02 % ± 0,02. Ils sont supérieurs à ceux issus des rameaux avec 0,98 % ± 0,03 pour Assif Almal et 0,90 % ± 0,05 pour Mehdia. On note aussi que les rendements en huiles essentielles des rameaux et des fruits de la sous-espèce turbinata sont supérieurs à ceux de la sous-espèce lycia. Toutefois, ces taux restent plus élevés que ceux des genévriers rouges de la Grèce (0,21 % pour les rameaux) (Adams et al., 1996), de la sous-espèce turbinata d'Espagne (0,30 % pour les rameaux) (Adams et al., 1996), d'Égypte (0,36 % pour les rameaux ; 0,96 % pour les fruits) (El-Sawi et al., 2007) et de la sous-espèce eu-mediterranea du Portugal (0,41 % pour les rameaux) (Adams et al., 1996). Cette variation dans le rendement peut être attribuée non seulement à la partie de la plante étudiée, mais également à l'emplacement géographique spécifique de cette espèce.
21Les résultats relatifs à la composition chimique des huiles essentielles extraites des rameaux et des fruits des deux sous-espèces de J. phoenicea sont dressés dans le tableau 1. L'analyse de la composition chimique montre une variation quantitative et qualitative du profil chimique des huiles étudiées. Vingt-huit et dix-neuf constituants sont détectés respectivement pour les échantillons des rameaux et des fruits provenant de genévrier rouge de la plaine, contre trente-six et vingt-cinq constituants respectivement pour les rameaux et les fruits dérivant de genévrier rouge de la montagne.
22Trois constituants chimiques dominent l'huile essentielle des rameaux de J. phoenicea ssp. lycia, il s'agit de l'α-pinène (34,23 %), le δ-3-carène (20,64 %) et le limonène (14,56 %) accompagnés d'autres constituants avec des pourcentages moins importants : acétate d'α-terpényl (6,80 %), β-pinène (4,65 %), terpinolène (4,12 %) et α-phellandrène (2,19 %). En revanche, un seul constituant, l'α-pinène, est majoritaire dans l'huile essentielle des fruits de Mehdia avec un pourcentage de 79,08 % (Figure 1). D'autres composés sont également présents dans cette essence, mais à des teneurs relativement faibles : δ-3-carène (5,72 %), β-pinène (3,10 %) et limonène (3,09 %). On note aussi que certains composés tels que le myrcène, l'α-terpinène, le myrcénol, le trans-pinocarvéol, le terpinen-4-ol, l'α-terpinéol et le citronellol sont spécifiques à l'huile essentielle des rameaux de J. phoenicea ssp. lycia. Inversement, l'α-fenchène, le camphène, le verbenène et l'α-humulène sont caractéristiques de l'essence des fruits de cette sous-espèce.
23Les essences de J. phoenicea ssp. turbinata sont largement dominées par l'α-pinène avec 74,03 % pour les rameaux et 89,31 % pour les fruits. D'autres composés ont été également identifiés à des pourcentages relativement faibles, tels que le germacrène B (2,98 %) et l'E-β-caryophyllène (2,38 %) dans l'huile essentielle des rameaux et le β-pinène (2,12 %) dans celle des fruits (Figure 2). De même, on trouve dans l'huile essentielle de cette sous-espèce certains composés tels que le myrcène, le β-phellandrène, le linalool, l'α-terpinéol et le citronellol qui sont distinctifs de l'essence des rameaux, alors qu'on peut citer l'α-fenchène, le verbenène, le sabinène, le δ-3-carène, le p-cymène, le terpinolène et le terpinéol comme typiques de l'huile essentielle des fruits.
24Par ailleurs, certains composés de l'huile essentielle extraite des rameaux de la sous-espèce lycia de Mehdia sont absents dans celle de la sous-espèce turbinata d'Assif Almal (Tableau 1). Il s'agit essentiellement du δ-3-carène, du sabinène, de l'α-terpinène, du terpinolène et du terpin-4-ol. Inversement, d'autres composés comme le camphène, le linalool, le camphre, le bornéol, le trans-carvéol et l'acétate de myrtényl sont spécifiques à l'huile essentielle des rameaux de la sous-espèce turbinata. De même, on note aussi que l'α-phellandrène et le germacrène D sont typiques de l'huile essentielle des fruits de la sous-espèce lycia, alors que d'autres constituants tels que le terpinéol, le bicyclosesquiphellandrène et le δ-cadinène sont distinctifs de celle des fruits de la sous-espèce turbinata.
25Globalement, des différences entre les huiles essentielles des deux sous-espèces ont été observées. L'α-phellandrène est spécifique des huiles essentielles (rameaux et fruits) de la sous-espèce lycia de la plaine (Tableau 1). En revanche, les huiles essentielles des rameaux et des fruits de la sous-espèce turbinata de la montagne sont caractérisées par la présence de deux constituants, le cis-hydrate de pinène et le β-elemène. Ces produits peuvent servir donc comme marqueurs pour différencier entre les deux sous-espèces lycia et turbinata de J. phoenicea du Maroc.
26Cette différence de la composition chimique observée entre les deux sous-espèces et entre les deux parties de la plante pourrait s'expliquer par une adaptation aux facteurs biotiques et abiotiques, tels que le climat spécifique aux régions de provenance des échantillons, aux facteurs géographiques comme l'altitude et la nature du sol qui orientent la biosynthèse vers la formation préférentielle de produits précis (Brada et al., 2007 ; Ghanmi et al., 2007).
27Les fruits de la sous-espèce lycia ainsi que les rameaux et les fruits de la sous-espèce turbinata de cette essence forestière peuvent être considérés comme une source importante en α-pinène qui représente environ les ¾ de leurs huiles essentielles. En effet, ce constituant entre dans la fabrication de beaucoup de produits (tels que les parfums et la vitamine E) et revêt un grand intérêt pour les industries chimique et cosmétique (Ghanmi et al., 2007).
28En étudiant l'huile essentielle des rameaux de la sous-espèce turbinata de la région de Marrakech au Maroc, Achak et al. (2008) ont montré qu'elle est dominée par l'α-pinène (35,46 %) et le δ-3-carène (7,6 %), ce qui est proche de l'huile essentielle des rameaux de la sous-espèce lycia de Mehdia, sauf pour le taux du δ-3-carène qui est plus important dans cette dernière. Cependant, les taux des autres constituants sont largement différents. El-Sawi et al. (2007) ont rapporté que les huiles essentielles des fruits et des rameaux de J. phoenicea d'Égypte sont caractérisées par la dominance de l'α-pinène (39,3 % pour les fruits ; 38,22 % pour les rameaux) et le sabinène (24,29 % pour les fruits ; 0,02 % pour les rameaux). Cette composition est différente de celle des rameaux et fruits des deux sous-espèces étudiées. Au cours d'une étude menée sur les huiles essentielles extraites à partir des rameaux et des fruits de J. phoenicea d'Italie, Angioni et al. (2003) ont trouvé que les principaux constituants sont l'α-pinène (87,5 % pour les fruits ; 48,90 % pour les rameaux), le δ-3-carène (3,61 % pour les fruits ; 22,82 % pour les rameaux) et le β-phellandrène (2,81 % pour les fruits ; 10,01 % pour les rameaux). Cette composition chimique est sensiblement similaire aux huiles essentielles des rameaux et des fruits de la sous-espèce lycia de Mehdia (Tableau 1). On peut donc conclure que la composition chimique des huiles essentielles ne varie pas seulement en fonction de la partie de la plante de la sous-espèce étudiée, mais aussi selon le mode d'extraction et l'origine de cette espèce (Adams et al., 1996 ; Koukos et al., 2000 ; Hojjati et al., 2009).
3.2. Activité antimicrobienne des huiles essentielles
29Les résultats obtenus pour l'activité antimicrobienne des huiles essentielles des rameaux et des fruits des deux sous-espèces de J. phoenicea sont présentés dans le tableau 2.
30Globalement, les huiles essentielles des deux sous-espèces ont montré leur efficacité contre certaines bactéries et la totalité des moisissures et champignons de pourriture de bois testés.
31On remarque que les bactéries ont manifesté une certaine résistance aux huiles essentielles des rameaux des deux sous-espèces du genévrier rouge, à l'exception de Micrococcus luteus qui a été inhibé à la concentration de 1/250 V/V (à l'égard des huiles essentielles des rameaux des deux sous-espèces), Staphylococcus aureus (vis-à-vis de l'huile essentielle des rameaux de la sous-espèce lycia de la plaine) et Pseudomonas aeruginosa (à l'égard des huiles essentielles des rameaux des deux sous-espèces) qui ont été inhibées à la concentration de 1/100 V/V. Quant aux moisissures et champignons de pourriture de bois, les plus sensibles étaient Penicillium expansum (vis-à-vis de l'huile essentielle des rameaux de la sous-espèce turbinata), Gloeophyllum trabeum, Poria placenta et Coniophora puteana (à l'égard des huiles essentielles des rameaux des deux sous-espèces) qui ont été inhibés à la concentration 1/500 V/V, alors que Coriolus versicolor (à l'égard des huiles essentielles des rameaux des deux sous-espèces) a été inhibé à 1/250 V/V et Aspergillus niger et Penicillium digitatum (vis-à-vis de l'huile essentielle des rameaux de la sous-espèce turbinata) ont été inhibés à 1/100 V/V.
32Les huiles extraites des fruits de la sous-espèce turbinata ont une activité inhibitrice vis-à-vis des sept champignons testés à la concentration de 1/100 V/V et ne possèdent aucune activité contre les bactéries, même à la plus grande concentration testée, alors que les huiles des fruits de la sous-espèce lycia ne présentent aucun pouvoir bactériostatique et fongistatique aux concentrations utilisées (Tableau 2).
33On note donc qu'il y a une efficacité d'inhibition plus marquée des huiles essentielles des rameaux de J. phoenicea des deux sous-espèces par rapport aux huiles essentielles des fruits. Ceci a été observé aussi par d'autres auteurs comme El-sawi et al. (2007) au cours de leurs travaux sur l'activité antimicrobienne des huiles essentielles des rameaux et des fruits de J. phoenicea d'Égypte. Il corrobore aussi les résultats d'Angioni et al. (2003) en étudiant l'activité antimicrobienne des huiles essentielles des rameaux et des fruits de quelques espèces de genévrier sur un certain nombre de micro-organismes.
34Les huiles essentielles des essences forestières étudiées ont exercé une importante activité inhibitrice vis-à-vis des champignons de pourriture du bois d'œuvre. Ainsi, on remarque que déjà à la concentration 1/250 V/V de l'huile essentielle des rameaux de Mehdia, tous les champignons de pourriture du bois ont été inhibés. Ces résultats préliminaires peuvent faire l'objet d'études plus approfondies (mode d'application, faisabilité, cout, etc.) pour l'exploitation des propriétés des huiles essentielles de ces deux plantes dans le domaine de la préservation du bois d'œuvre à l'échelle industrielle.
35L'activité antimicrobienne des huiles essentielles du genévrier rouge peut être expliquée par son profil chimique riche en hydrocarbures terpéniques, notamment le δ-3-carène et l'α-pinène. Ce dernier présente plusieurs activités biologiques : il est antibactérien, anti-inflammatoire, antiviral, expectorant, sédatif, herbicide et insectifuge (Duke, 1998 ; Ghanmi et al., 2007). Aussi, en raison de la complexité de la composition chimique des huiles essentielles, l'activité antimicrobienne observée peut être due à la présence d'interaction entre les différents constituants.
4. Conclusion
36Par notre étude, nous avons pu montrer que le rendement, la composition chimique et l'activité antimicrobienne des huiles essentielles varient en fonction de la sous-espèce du genévrier rouge et dépendent de la partie traitée de cette essence forestière. Ainsi, les huiles issues des rameaux de J. phoenicea sont dominées par l'α-pinène (74,03 %) pour la sous-espèce turbinata de la montagne et l'α-pinène (34,23 %) et le δ-3-carène (20,64 %) pour la sous-espèce lycia de la plaine. Celles des fruits sont très riches en α-pinène (79,08 % pour la sous-espèce lycia et 89,31 % pour la sous-espèce turbinata). Par ailleurs, nous avons noté la présence de certains constituants comme distinctifs à chaque sous-espèce et qui peuvent constituer des indicateurs pour différencier les deux sous-espèces marocaines du genévrier rouge.
37Vu leur grande richesse en α-pinène, fort demandé sur le marché international, les deux sous-espèces peuvent donc constituer une source importante de ce principe actif.
38Les bioessais ont montré que les huiles essentielles des rameaux sont plus efficaces que celles des fruits contre les souches de bactéries et les espèces de champignons testés. Ainsi, les champignons de pourriture du bois étaient très vulnérables aux huiles des rameaux du genévrier rouge de la plaine. Cet effet inhibiteur laisse entrevoir des perspectives d'application dans les domaines de l'industrie alimentaire, cosmétique, pharmaceutique et celle de la préservation des bois.
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A propos de : Nazik Mansouri
Université Sidi Mohamed Ben Abdellah. Faculté des Sciences et Techniques. Laboratoire de Biotechnologie microbienne. BP 2202. MA-30000 Fès (Maroc) – Centre de Recherche Forestière. BP 763. Agdal. MA-10050 Rabat (Maroc).
A propos de : Badr Satrani
Centre de Recherche Forestière. BP 763. Agdal. MA-10050 Rabat (Maroc). E-mail : badrsat@yahoo.fr
A propos de : Mohamed Ghanmi
Centre de Recherche Forestière. BP 763. Agdal. MA-10050 Rabat (Maroc).
A propos de : Lahsen El Ghadraoui
Université Sidi Mohamed Ben Abdellah. Faculté des Sciences et Techniques. Laboratoire de Biotechnologie microbienne. BP 2202. MA-30000 Fès (Maroc)
A propos de : Abderrahman Aafi
Centre de Recherche Forestière. BP 763. Agdal. MA-10050 Rabat (Maroc).