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Les cotonniers (Gossypium hirsutum L.) génétiquement modifiés, Bt : quel avenir pour la petite agriculture familiale en Afrique francophone ?
Résumé
Les cultivars de cotonniers génétiquement modifiés sont aux portes de l’Afrique francophone après avoir été massivement adoptés en Afrique du Sud. Afin d’anticiper les effets des cotonniers Bt sur le petit paysannat, nous nous livrons à une analyse simple de la rentabilité de cette culture sur base de résultats obtenus en Afrique du Sud et de données recueillies par des collègues au Mali. Si la commercialisation du cotonnier Bt peut se justifier clairement sur le plan technique par la crainte d’une amplification de la résistance des chenilles carpophages aux insecticides, la rentabilité de cette innovation est par contre bien moins certaine. Le profit réalisé par le paysan dépendra essentiellement du niveau du rendement conditionné par des aléas d’ordre climatique, agronomiques et environnementaux et du prix de la licence technologique à charge du paysan. Pour un prix d’achat du coton-graine de 210 FCFA, le prix de 25 USD par ha semble être la limite au-delà de laquelle le paysan court un risque financier. Dans le contexte actuel de baisse des prix d’achat, la contribution financière du paysan à toute redevance technologique est questionnable. Au niveau de l’ensemble de la filière, le succès de l’adoption du cotonnier Bt en Afrique francophone sera probablement fonction de plusieurs éléments : 1) la prévention des résistances à la toxine Bt ; 2) le renforcement du contrôle intégré des insectes piqueurs ; 3) la modernisation du système de production de semences et 4) l’amélioration du système de vulgarisation et de suivi agricole. Le cotonnier Bt doit être considéré comme un élément du management intégré de la culture et pas comme la solution unique à l’allègement de la pauvreté.
Abstract
Gnetically modified cotton (Gossypium hirsutum L. Bt.): what future for small family farms in French-speaking Africa? After a massive adoption in South Africa, genetically modified cultivars are at the door step of francophone Africa. In order to anticipate the impact of Bt cotton on small-scale farming we propose a simple profit analysis of the crop based on our results found in South Africa and data collected by our colleagues in Mali. Whereas the introduction of Bt cotton can be justified by a threat of the appearance of the bollworm resistance to insecticides, its profitability seems to be uncertain. The farmer profit margin depends on yield level linked with climatic, agricultural and environmental conditions and with the technology fee which the farmer must be charged for. With a 210 FCFA purchase price for raw cotton, a 25 USD fee per hectare seems to be the upper limit for which the farmer wouldn’t be exposed to financial risk. Given the recent drop of the purchase price, the existence of a technology fee supported by the small-scale farmer is very questionable. At a more general level of the cotton sector, the success of Bt adoption rests on several keys: 1) the prevention of the Bt-toxin resistance; 2) the strengthening of the control of stinging pests; 3) the updating of the seed production sector and 4) the improvement of the extension and training network. Bt cotton must be considered as a tool which is part of the integrated crop management but not as the solution of the poverty alleviation.
Table of content
1. Introduction
1Depuis 10 ans, la culture de plantes génétiquement modifiées (PGM) ne cesse de s’accroître dans le monde. En 2005, la surface totale plantée en PGM était de 90 millions d’hectares dont un peu plus d’un dixième occupés par les cotonniers transgéniques (ISAAA, 2006). Arrivée au seuil de 30 % des surfaces cotonnières du globe, la culture des cotonniers (Gossypium hirsutum L.) génétiquement modifiés (CGM) infléchi sa croissance depuis 2004 (James, 2005 a, b). Dans le futur à moyen terme, à l’exception du Brésil, les pays adoptants des CGM ont peu de chance de voir leur surface cotonnière s’accroître significativement (Estur, 2006 ; Fok et al., 2006). Pour augmenter leur part du marché, les sociétés commercialisant les CGM doivent dès lors s’attaquer à des marchés actuellement exempts de semences transgéniques. L’Afrique, avec plus de 4 millions d’hectares, était jusque récemment un terrain relativement vierge dans ce domaine puisque seule l’Afrique du Sud (35 000 ha de coton dont 89 % de CGM) commercialise les CGM depuis 1997. La conquête du continent par les CGM semble inéluctable et déjà le Burkina Faso, l’égypte, le Kenya, le Sénégal, la Tanzanie et le Zimbabwe les ont introduit dans des essais variétaux (AfricaBio, 2005).
2L’introduction de cette semence « high-tech », originellement destinée à l’agriculture intensifiée, est un véritable enjeu pour l’agriculture paysanne africaine. L’objet de cet article est d’estimer la pertinence de l’introduction des CGM, et plus particulièrement celle du cotonnier Bt, en Afrique à partir de l’expérience acquise par le Cirad (Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement - France) en Afrique du Sud entre 2000 et 2005. La première partie de la communication restituera les principaux résultats obtenus en Afrique du Sud durant 2 campagnes agricoles, de 2003 à 2005. La deuxième partie de l’article synthétisera la situation de la culture cotonnière dans les pays producteurs de l’Afrique francophone. La troisième partie sera consacrée à la discussion de la rentabilité de la culture du cotonnier Bt, à travers divers scénarios, avec une attention toute particulière à la récente chute du prix du coton au Mali.
2. Les CGM en Afrique
3Trois types de transgènes sont commercialisés en Afrique du Sud. Bollgard I® (gène Cry1Ac, dérivé de Bacillus thuringiensis Berliner [Bt]) conférant une résistance au complexe des chenilles carpophages (Perlak et al., 2001), est incorporé dans le cultivar NuOpal. RoundUp Ready®, évènement recombinant exprimant l’enzyme CP4 EPSPS conférant une tolérance au Glyphosate, est introgressé dans le cultivar Opal RR. Fin 2005, le « stacked gene », combinaison des gènes Cry1Ac et RR, a reçu l’autorisation de commercialisation. Le petit paysannat cotonnier sud-africain, essentiellement concentré sur les Makhathini Flats (KwaZulu Natal), a rapidement adopté le cultivar Bt (Figure 1) et le cultivait à raison de 90 % de la production en 2005. La commercialisation plus tardive du cultivar RR est uniquement le fait des grandes exploitations intensives. Sa part de marché est très réduite en agriculture traditionnelle étant donné la forte disponibilité d’une main-d’œuvre bon marché pour les opérations de sarclage.
4La transgénèse ouvre d’autres horizons encore plus prometteurs, notamment en ce qui concerne la tolérance aux stress abiotiques (sécheresse, température, etc.), la résistance aux nématodes ainsi qu’à l’amélioration de la qualité technologique de la fibre et de la graine (Hake, 2004 ; Hamill, 2005 ; Zhang et al., 2005).
5Les premières variétés destinées à l’Afrique francophone seront dotées de gènes Bt : soit un seul gène Cry1Ac ou Cry2Ab (Tabashnik et al., 2002) soit la combinaison des 2, Cry1Ac + Cry2Ab (Bollgard II ®), afin d’améliorer le contrôle de Spodoptera spp. et de retarder autant que possible le développement d’une résistance du complexe des chenilles carpophages aux ∂-endotoxines-Bt. C’est de ces types de transgènes, conférant une résistance aux insectes, qu’il sera traité dans la suite de l’étude.
3. Le contexte sud-africain
3.1. Des rendements moyens encore faibles en agriculture pluviale avec le cotonnier Bt
6Comme dans la plupart des zones cotonnières du continent, la petite agriculture familiale sud-africaine se pratique très habituellement en système pluvial. Dans de nombreux cas, le niveau d’intensification est faible : le travail du sol est souvent inadapté, l’usage de la fumure organique ou minérale est rare et la maîtrise de l’enherbement est défaillante.
7L’examen de l’historique des rendements de 1992 (période « pré-transgénique ») à 2005 suggère que les rendements moyens de coton-graine en agriculture pluviale ne se sont pas améliorés, contrairement à ce qu’il est observé en culture irriguée (Figure 2). Les contraintes climatiques et un itinéraire technique inadapté en système pluvial semblent avoir estompé les gains de rendement espérés par l’adoption des cultivars Bt. Il existe de nombreuses causes à cette situation : une d’elles résiderait dans la chute de l’expression de la toxine Bt lors de stress abiotiques (Kranthi et al., 2005 ; Chen et al., 2005). L’analyse comparative des rendements en coton-graine sur 2 saisons agricoles, entre petites exploitations Bt et non-Bt d’un même district (Figure 3), indique cependant une légère tendance à l’amélioration du rendement moyen dans les champs Bt. Toutefois, l’extrême variabilité des rendements dans chaque échantillon (CV = 41 % pour Bt, CV = 63 % pour non-Bt) ne permet pas de déceler une différence statistiquement significative (Hofs et al., 2006 a). En conséquence, il est fort probable que l’effet de la technologie Bt ne soit pas uniforme : certains paysans en tireraient mieux profit que d’autres.
3.2. Une réduction de l’usage des pyréthrinoïdes
8Le principal argument de vente de la technologie Bt réside dans l’attendue réduction des quantités de produits insecticides appliqués sur le cotonnier et, consécutivement, de leur impact sur les coûts de production (Thirtle et al., 2003). Une étude détaillée des programmes de lutte phytosanitaire dans les paysannats des Makhathini Flats a permis de nuancer ces affirmations. Hofs et al. (2006 b) montrent que les quantités de pyréthrinoïdes utilisées principalement dans la lutte contre Helicoverpa armigera Hübner et Earias sp. sont significativement réduites chez le cotonnier Bt mais ne sont pas complètement supprimées. L’introduction du Bt dans les champs a induit une économie de 2 pulvérisations sur 5 voire 6 au total (Hofs et al., 2006 b). Par ailleurs, l’usage des autres classes d’insecticides tels que les organophosphorés, généralement plus dommageables pour la santé humaine que les pyrethrinoïdes, ne fléchit aucunement (Figure 4) en raison de l’existence de ravageurs insensibles aux ∂-endotoxines. Dans certaines régions, l’émergence et la prolifération de pestes considérées autrefois comme secondaires (Green et al., 2001 ;Wu et al., 2002 ; Hofs et al., 2005) auraient pour conséquence d’accroître la consommation d’organophosphorés.
3.3. Un coût technologique élevé
9Si l’usage des semences Bt permet d’espérer une économie significative en insecticides pyréthrinoïdes, il n’en demeure pas moins qu’il implique un coût additionnel appelé licence, directement répercuté sur le prix de la semence. Le coût moyen de la licence par unité de surface est par exemple de 66 USD par ha pour Bollgard I ® et de 99 USD pour Bollgard II ® (Grain, 2004). Jusqu’en 2005 en Afrique du Sud, le prix de la licence était modulée en fonction du système de production : l’exploitant cultivant sous irrigation payait le prix plein alors que l’agriculteur en système pluvial ne payait que 50 % de la licence, compte tenu de la plus faible espérance de rendement. à partir de la campagne agricole 2005–2006, le tarif de faveur accordé aux détenteurs de champs non irrigués (parmi lesquels les petits planteurs) a été aboli. Cette mesure aura pour conséquence de limiter l’accès des agriculteurs les plus démunis aux semences Bt, trop chères pour leur budget.
3.4. Un profit à relativiser
10Compte tenu de la grande dispersion des rendements autour d’une moyenne relativement faible et du nombre de traitements phytosanitaires, le revenu net du paysan adoptant le cotonnier Bt est très variable et peut même devenir négatif (Hofs et al., 2006 b).
11Le revenu du paysan des Makhathini Flats est conditionné par de nombreux facteurs tels que les aléas climatiques, l’évolution des cours du marché du coton et son niveau de technicité. Des essais factoriels combinant 2 niveaux de protection phytosanitaire et de fumure, menés dans des parcelles paysannes Bt durant la période 2002–2003, ont démontré que la maîtrise du complexe parasitaire dans son entièreté était le facteur prédominant de réussite de la culture Bt sur les Makhathini Flats (Hofs, Marais, 2004).
4. Le cas particulier de l’Afrique francophone
4.1. Des niveaux de rendement satisfaisants
12Les variétés vulgarisées en Afrique francophone sont le résultat de programmes de sélection initiés dans les années 1950 par l’IRCT. Cette recherche de longue haleine a abouti à la création de cultivars performants adaptés aux contraintes de la petite agriculture. En Afrique de l’Ouest et du Centre, les rendements moyens en coton-graine des grands pays producteurs se situent aux environs d’une tonne par ha (ICAC, 2002 ; Mendez del Villar et al., 2006). Bien que ces moyennes soient satisfaisantes compte tenu du contexte agronomique, elles peuvent néanmoins cacher de grandes variations. C’est le cas, par exemple, du Mali où le rendement varie fortement en fonction du degré d’équipement de l’exploitation : en 2004, les exploitations pratiquant la culture manuelle produisaient 45 % de moins par ha que les exploitations les plus performantes (Nubukpo, Keita, 2006). En outre, tous les pays africains de la Zone Franc ne sont pas égaux en productivité : les faibles rendements moyens du Tchad et de la République Centrafricaine sont du même ordre de grandeur que ceux obtenus en petite agriculture sud-africaine.
4.2. Une agriculture soumise aux aléas climatiques et aux pressions biotiques
13L’aléa pluviométrique est prépondérant dans conduite de la culture cotonnière (Crétenet et al., 2006). L’examen des statistiques pluviométriques au Mali et au Bénin (Crétenet, Guibert, données non publiées) révèle 2 types d’incident climatique fréquents en zone cotonnière : l’irrégularité dans le démarrage des pluies et la manifestation de périodes de sécheresse en cours de floraison. Dans ce dernier cas, ces trous pluviométriques ont pour effet d’induire un stress hydrique pouvant provoquer la perte d’une partie des organes fructifères (Cognée 1968 ; 1974).
14Le contrôle efficace des ravageurs représente toujours un enjeu majeur dans un contexte de renforcement des résistances aux insecticides vulgarisés depuis une vingtaine d’années (Brévault, Achaleke, 2005 ; Martin et al., 2005). La résistance de Helicoverpa armigera semble actuellement maîtrisée au prix d’un accroissement des coûts de la protection insecticide engendré par l’augmentation des doses et le choix des matières actives. Le nombre moyen de traitements insecticides, variant de 5 à 8 selon la région (Hillocks, 2005) reste toutefois acceptable et nettement inférieur à ce qu’a connu la Chine avant 1996 (Fok et al., 2006). Il n’en demeure pas moins que le contexte parasitaire évolue en devenant plus complexe : depuis peu, la protection phytosanitaire doit faire face aux attaques de plus en plus prononcées de ravageurs considérés autrefois comme pestes secondaires : Aphis gossypii Glover et Bemisia tabaci Gennadius (Vaissayre et al., 2006).
4.3. Une agriculture familiale organisée, sur la voie de la conduite raisonnée
15Dans les principaux pays producteurs, la majorité des exploitations agricoles disposent de l’équipement et des intrants nécessaires à une conduite efficace de la culture. Par exemple, Nubukpo et Keita (2006) indiquent qu’au Mali 81 % des exploitations possèdent au moins une unité d’attelage (matériel agraire compris). L’usage de l’engrais est généralisé, même si, dans 19 % des exploitations, les quantités ne représentent que le tiers de celles utilisées dans les exploitations plus performantes (Mendez del Villar et al., 2006).
16Même si l’encadrement agricole mérite d’être amélioré (Vaissayre et al., 2006), la maîtrise des techniques agronomiques et phytosanitaires semble mieux acquise en Afrique francophone qu’en Afrique australe.
4.4. Un marché de la semence encore rudimentaire
17La semence certifiée est produite par la compagnie cotonnière nationale, même lorsqu’il y a eu privatisation. Contrairement à l’Afrique du Sud où elle est multipliée et commercialisée sous le contrôle d’une société semencière privée (DeltaPine & Land), la semence des pays de la Zone Franc est multipliée par vagues successives dans la zone contrôlée par la société cotonnière qui se charge de l’égrenage de l’entièreté de la production. Le pouvoir germinatif moyen de 70 %, nettement inférieur aux standards des semenciers privés (minimum de 85 %), oblige le paysan à utiliser de plus grandes quantités (20 kg) de semences à l’hectare.
18Seuls 3 pays (le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso) produisent et distribuent de la semence délintée. Ailleurs, le planteur reçoit de la semence « vêtue » connue pour germer plus lentement. La semence est vendue à un prix inférieur à son prix de revient, voire donnée au planteur (cas du Mali). Pour les graines délintées, le prix fixé correspond généralement au coût du traitement ou de l’enrobage (au Sénégal, il correspond à 0,18 USD par kg).
5. Rentabilité du cotonnier Bt en petit paysannat d’Afrique francophone
19Si l’introduction d’un cultivar Bt est techniquement justifiée dans le contexte de l’apparition d’une résistance aux pyréthrinoïdes, encore faut-il que l’opération soit économiquement rentable pour le petit paysan. Dans la situation de l’Afrique francophone, la protection chimique au travers de la Stratégie de Management de la Résistance (Martin et al., 2005 b ; Ochou, Martin, 2002), est certes coûteuse telle qu’elle est pratiquée actuellement. Toutefois elle permet de maintenir les populations de H. armigera en dessous du seuil d’incidence économique et maintient les rendements à un niveau acceptable (Tableau 1).
20Une tentative d’estimation de l’impact du coton Bt en Afrique francophone a été réalisée par Elbehri et MacDonald (2004). Dans cette étude, les auteurs qui s’inspirent des résultats de Ismael et al. (2002), commentés dans Hofs et al. (2006 b), ne font aucune distinction entre la petite agriculture sud-africaine et celle pratiquée en Afrique francophone et concluent que le cotonnier Bt aura un impact positif sur la filière. Néanmoins, la prédiction des résultats du cotonnier Bt dans les agrosystèmes africains ne peut être qu’imprécise car elle dépend de nombreux facteurs à la fois agronomiques, économiques et environnementaux. Le prix d’achat du coton-graine, qui varie suivant le pays et l’année, est l’élément déterminant entrant dans le calcul du profit. Conscients de ces sources de variation, nous présentons une simulation simplifiée qui permettra de tirer des recommandations générales dans le cadre de l’introduction du cotonnier Bt en Afrique francophone.
5.1. Analyse économique
21Pour cette simulation, nous prendrons l’exemple du Mali en utilisant, dans un premier temps, des données récentes publiées dans l’étude de Mendez del Villar et al. (2006) auxquelles nous appliquerons notre raisonnement reposant sur les résultats obtenus en Afrique du Sud.
22L’analyse reposera sur 2 scénarii principaux soumis à la variation du coût de la licence technologique Bt.
23Le premier scénario se fonde sur un prix d’achat du coton-graine de 210 FCFA ; antérieur à 2005 et pris en compte dans Mendez del Villar et al. (2006). Le deuxième tient compte des récents développements de la politique cotonnière dans certains pays, dont le Burkina Faso et le Mali, qui se sont traduits pour ce dernier par l’annonce, en 2005, d’une baisse d’environ 20 % du prix d’achat du coton-graine (soit un prix de 170 FCFA).
24La connaissance du coût de la licence technologique est déterminante dans le calcul de la rentabilité de la culture Bt. Comme ce prix est inconnu et encore en discussion en vue de la prochaine commercialisation de cultivars Bt au Burkina Faso, il nous est apparu réaliste de prendre en compte 2 niveaux : 25 USD par ha (coût en culture pluviale pour Bollgard I®, avant 2006, en Afrique du Sud) et 50 USD, prix minimum pronostiqué par de nombreuses ONG (Grain, 2004 ; ACB, 2005).
25Pour chaque scénario, 3 paramètres seront estimés :
26– le seuil de rentabilité, exprimé en kilo de coton-graine à produire par hectare ;
27– l’accroissement éventuel de rendement par rapport à la culture non-transgénique nécessaire pour atteindre le seuil de rentabilité (A.R.S.R.) ;
28– l’accroissement de rendement nécessaire à l’obtention d’un profit égal à celui réalisé en culture non transgénique (A.R.E.P.).
29La nomenclature de la typologie des exploitations (noté de A à D en fonction du capital décroissant(1)) suit celle présentée par Nabukpo et Seita (2006).
30Partant de l’hypothèse selon laquelle l’adoption du cotonnier Bt en petit paysannat n’induit pas de modifications des dépenses, à l’exception de celles liées à la protection phytosanitaire (Hofs et al., 2006), c’est ce dernier poste budgétaire qui entrera en ligne de compte dans le calcul de la profitabilité. Le coût de la protection insecticide du cotonnier Bt présente 2 composantes : le coût de la licence et celui des insecticides chimiques. Ce dernier est estimé à 40 % des dépenses en insecticides (Tableau 1) sachant qu’il est généralement reconnu que le coût du contrôle chimique des chenilles carpophages entre pour 50 à 60 % du poste (Martin et al., 2005). Les exploitations de type D devraient pourtant échapper à cette règle car, au vu du faible coût (14,64 USD par ha) de la lutte chimique, la consommation de produits insecticides est nettement inférieure à celle des autres classes et par conséquent le contrôle des ravageurs est probablement moins efficace.
5.2. Espérance d’accroissement du profit dans un environnement optimal
31Avec un coût de 25 USD par ha et un prix d’achat « fort » tel qu’il était fixé avant 2005, la rentabilité des exploitations se maintient pour peu qu’elles ne soient pas tributaires de la culture manuelle (Tableau 2). Dans ce dernier cas, l’introduction du cultivar Bt devrait engendrer un gain de rendement de 7,6 % pour atteindre le seuil de rentabilité et dépasser de 9 % le niveau du rendement en culture non-Bt. Si l’on se réfère aux résultats de nos travaux en Afrique du Sud, cet accroissement est possible lors d’une campagne « normale » (non soumise à des facteurs limitants). Dans ces conditions, une augmentation sensible des rendements pourrait être espérée dans les exploitations de type D par l’amélioration de la protection conférée par la toxine Bt.
5.3. Accroissement du risque en conditions limitantes
32L’apparition de facteurs limitants influence fortement le résultat financier de la campagne cotonnière. Ils peuvent être de 3 ordres : économiques, climatiques et techniques.
33Dans le cas d’un prix d’achat du coton-graine fort, la fixation des frais de licence à 50 USD par ha (Tableau 2) conduirait la culture manuelle (classe D) à la perte sans un accroissement de rendement supérieur à 17,2 %. Le reste des exploitations serait amené à améliorer légèrement (de 0,5 % à 1,6 %) leur production pour rester rentables et a fortiori garder le même niveau qu’en culture non transgénique (de 4,6 % à 7,3 %).
34La chute du prix d’achat du coton-graine, qui réduit déjà le revenu brut et peut se traduire par une marge nulle voire négative pour le paysan en filière non-Bt (Nubukpo, Keita, 2006), aggraverait la situation financière des exploitations cultivant le coton Bt (Tableau 3). Compte tenu du réajustement des seuils de rentabilité, le maintien des niveaux de profit tels qu’ils étaient observés avant 2005 impliqueraient, selon la typologie des exploitations, des accroissements de rendement de 24,1 % à 36,1 % pour une licence de 25 USD par ha et de 30,8 % à 47,8 % pour une licence de 50 USD par ha. Sachant que les performances du Bt sont très variables et ne dépassent pas, en moyenne, 12 % de gain de production, son introduction payante ne résoudra en rien les problèmes actuels du petit paysannat.
35Le risque financier encouru par le petit agriculteur pourrait encore s’aggraver si l’efficacité du cultivar Bt est affectée par la réduction de l’expression de la toxine dans la plante suite à des conditions climatiques (sécheresse et hautes températures) ou simplement phtytotechnique défavorables. La petite agriculture manuelle à faibles intrants serait la plus touchée et risquerait de disparaître.
5.4. La maîtrise de l’outil Bt
36Le succès de l’introduction du cotonnier Bt est subordonné à une série de conditions qui devront être scrupuleusement respectées.
37La gestion de la résistance des insectes ciblés à la toxine dès l’introduction au champ est primordiale pour la durabilité de la culture du cotonnier Bt. Si le monitoring des refuges (Bates et al., 2005) est facilement réalisable dans les zones de grandes exploitations (en Australie, USA, Afrique du Sud, etc.), il l’est certainement moins dans les régions de petit paysannat caractérisé par un grand nombre d’exploitations sur de petites superficies. L’expérience du Cirad sur les Makhathini Flats a montré que la réglementation concernant l’établissement de refuges (5 à 20 % de la surface cultivée en cotonnier Bt) était très peu respectée. Cette constatation semble d’ailleurs être indirectement corroborée par des études de Monsanto sur l’utilité des plantes sauvages comme refuges alternatifs dans la même région (Green et al., 2003). Cette question fait partie des préoccupations de la recherche-développement des pays concernés (Nibouche et al., 2003).
38Toujours dans le domaine de la lutte contre les ravageurs, la réduction du nombre de traitements insecticides résultant de l’usage des cotonniers Bt induit, au niveau régional, des proliférations d’insectes piqueurs (Miridae, Pentatomidae) considérés jadis comme pestes secondaires. Il est très probable que le développement de ces populations et les dégâts qui leur sont attribués obligeront, à terme, les paysans à accroître le nombre d’applications (Green et al., 2001 ; Fok et al., 2006).
39Le système de multiplication et de distribution de semences tel qu’il est actuellement opérationnel en Afrique francophone, ne permet pas de commercialiser de la semence à haut potentiel. Pour atteindre cet objectif, les compagnies cotonnières devront se convertir en professionnels de la semence et offrir au client un produit délinté, traité et doté d’un pouvoir germinatif supérieur à 85 %. Ce renforcement des soins à prodiguer à la semence entraînera certainement des coûts qui se répercuteront en aval de la filière.
40Enfin, il ne faut pas perdre de vue que les CGM de première et deuxième génération ont d’abord été mis au point pour l’agriculture intensifiée. L’introduction des CGM, et du cotonnier Bt en particulier, demandera un perfectionnement, voire des adaptations des itinéraires et l’intensification de la vulgarisation et de l’information.
6. Conclusion
41L’expansion de culture des CGM semble déjà être en bonne voie en Afrique sub-saharienne. Il convient néanmoins de préparer cette introduction de façon à en limiter les effets non désirés. La technologie Bt doit être considérée comme un outil faisant partie de la conduite intégrée de la culture, ayant ses exigences et surtout des limites.
42Du prix à payer par le paysan, dépendra la rentabilité et le succès économique de la culture transgénique. Pour un prix d’achat du coton-graine fixé à 210 FCFA, un coût de licence supérieur à 25 USD par ha générera un risque financier considérable pour les exploitations les moins intensifiées qui pourraient disparaître si une alternative non CGM ne s’offre pas à elles. Dans le contexte actuel de certaines filières, comme au Mali ou au Burkina Faso, en raison de la baisse des prix d’achat, l’introduction payante des cotonniers Bt est questionnable. Il est évident que cet aspect financier devra faire l’objet d’une négociation avec les organisations paysannes qui devront défendre fermement les intérêts de leurs membres face à l’état et aux multinationales motivées par un profit rapide et important. Dans le cas particulier de la fixation du nouveau mécanisme des prix au Mali, l’introduction payante du cotonnier Bt est simplement irréaliste.
43L’adoption du cotonnier Bt exigera la réorganisation de la diffusion semencière et entraînera des modifications institutionnelles visant un partage équitable des coûts pour les paysans.
44Cet article avertit les acteurs des filières de production cotonnière en Afrique sub-saharienne, et particulièrement en Afrique francophone, du danger d’une prise de décision hâtive en matière d’introduction du cotonnier Bt.
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Notes
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