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- volume 12 (2008)
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Modélisation empirique des principaux déterminants socio-économiques de la gestion des exploitations agricoles au Sud-Ouest du Burkina Faso
Editor's Notes
Reçu le 8 décembre 2005, accepté le 5 mars 2007
Résumé
L’étude vise à identifier les règles de décision et les déterminants socio-économiques de la dynamique des ressources organiques d’un terroir villageois puis de quantifier leur impact sur la dynamique de ces ressources organiques. Les principaux résultats des enquêtes réalisées auprès des producteurs révèlent que la majorité des règles collectives de gestion des ressources naturelles sont édictées et gérées par les pouvoirs locaux (coutumiers et administratifs). Elles concernent les règles de gestion collectives d’accès aux terres de culture, aux parcours, à l’habitat et à la brousse. Les règles individuelles quant à elles sont variées et couvrent la production, la consommation, la commercialisation et les relations entre exploitations. Les enquêtes fermées menées auprès d’une centaine de producteurs choisis de façon raisonnée ont permis de déterminer des relations mathématiques entre les besoins des exploitations agricoles et l’utilisation de la ressource organique par ceux-ci. Ces relations ont permis de mettre au point des modèles statistiques empiriques (besoins en terre à cultiver, besoins en céréales alimentaires, besoins en argent) par système de production. Les besoins en bois de chauffe ont été établis à partir de données d’enquêtes. Ces besoins exprimés en kilogramme de bois consommé par jour et par personne ont été établis aussi bien pour la saison sèche (0,97 kg par personne et par jour) que pour la saison humide (1,36 kg par personne et par jour). La consommation moyenne en bois par personne et par jour montre une décroissance exponentielle quand augmente l’effectif de l’exploitation agricole. Lorsque la terre est disponible, le besoin en terre de culture est principalement fonction de la disponibilité de la force de travail. Le besoin en céréales alimentaires est constant (180 kg par personne et par an). Il est identique dans les deux systèmes de production étudiés. Le besoin en argent quant à lui est fonction de la surface des productions de rente, des produits d’élevage et de la pratique ou non d’activités extra-agricoles par l’exploitant.
Abstract
Empirical modelisation of socio-economic determinants in smallholder farming management in southwest of Burkina Faso. The study aims at identifying farmer’s decision rules and the socio-economic determinants of organic resource dynamics. Decision rules study and socio-economic determinants of organic resource dynamics allowed quantification of their impact on these organic resource dynamics. The main results of the investigations reveal that principal decision rules are edicted and managed by local authorities. These decision rules concern collective management and access to the cultivated land, grazing land, and homestead and to the bush. Farmers have also a diversity of individual rules covering production, consumption, marketing and relations between themselves. Survey of a sample of one hundred farmers selected for their representativity allowed to quantify relations between farm needs and their organic resource use. These relations permitted developing empirical statistical models (needs of land to cultivate, food grains needs, cash needs, fuel wood needs) depending on farming system. Fuel wood needs were established with survey measured data. These needs expressed in kilogramme consumed wood per day per person were established for the dry season (0.97 kg per person and per day) and for the wet season (1.36 kg per person and per day). Average fuel wood consumption per person and per day has an exponential decay when the household size increases. When land is available, land need for cultivation mainly depends on labour availability. Food grain needs is constant (180 kg per person and per year). It is the same in both farming systems studied. Money needs depend on cash crop surfaces, livestock’s products and extra agricultural activities of the farmer.
Table of content
1. Introduction
1Les zones de front pionnier se caractérisent par leur colonisation récente par des populations migrantes. Souvent sous-peuplées à l’origine, on observe dans ces zones une dynamique démographique liée aux naissances mais surtout aux migrants. Cette dynamique entraîne une croissance de la population. La croissance de la population accentue la pression sur les ressources naturelles entraînant la baisse de leur disponibilité. Le Sud-Ouest du Burkina Faso est une zone d’accueil de migrants venant d’horizons divers : du Sahel, de la zone soudanienne mais aussi de l’extérieur du pays. Ces migrants sont en quête de nouvelles terres pour les cultures et de pâturages pour leurs troupeaux. Les potentialités en ressources naturelles du Sud-Ouest du Burkina Faso attirent les populations des zones défavorisées fuyant la surpopulation et les mauvaises conditions climatiques (Barbier et al., 2002 ; Henry et al., 2003). Ces migrants côtoient les populations autochtones (premiers occupants). Des conflits fréquents naissent pour l’appropriation et la gestion des terres (Hagberg, 2001).
2Dans cet article, nous allons quantifier l’impact de deux systèmes de production, dans un même milieu biophysique, sur l’évolution des ressources naturelles. Pour cela, nous allons étudier les déterminants des besoins socio-économiques dans les deux systèmes (Autochtones et Migrants).
2. Problématique
3La matière organique joue un rôle important dans les écosystèmes des zones de savanes d’Afrique de l’Ouest. Le taux du carbone du sol est un bon indicateur de la qualité biologique et minérale. Par ailleurs, la quantité de biomasse au-dessus d’un sol détermine l’ampleur des processus productifs des populations rurales. Or, ces quantités de ressources carbonées baissent dans les terroirs des zones de savane (Pieri, 1992 ; Ker, 1995 ; Reenberg, 1996).
4Les facteurs qui expliquent cette raréfaction sont le changement climatique et la pression humaine. L’impact de la baisse de la pluviosité explique en partie la baisse des ressources carbonées. Deux sécheresses importantes (1972-1973 et 1983-1984) ont marqué la zone de savane, en particulier le Sahel, ces 30 dernières années (Breman et al., 1995). La baisse de la pluviosité et la variabilité climatique réduisent la productivité végétale et ainsi l’étendue et la densité du couvert végétal de cette zone. Les activités humaines (défriches agricoles, coupe de bois, élevage, pâturage et feux de brousse) contribuent à la diminution de ces ressources. Pour satisfaire leurs besoins en terres à cultiver, les populations rurales défrichent les savanes arborées et arbustives. Les céréales produites étaient, jusqu’à récemment, destinées à couvrir les besoins alimentaires. De plus en plus, les productions agricoles et les produits d'élevage sont vendus pour satisfaire les besoins en argent1. La consommation de bois (90 % des besoins d’énergie dans les pays en développement) (Breman et al., 1995), 93-97 % des besoins en énergie de la population rurale (Benjaminsen, 1996), quant à elle, est satisfaite par les prélèvements dans la forêt ou la brousse dans bien des cas.
5Il est donc nécessaire de comprendre comment ces populations rurales déterminent leurs besoins en surface à cultiver, les quantités de céréales à produire ou leurs besoins en argent et les quantités de bois de chauffe dont elles ont besoin en vue d’une planification pour une gestion durable des ressources naturelles.
6A l’échelle des exploitations agricoles, la programmation linéaire (procédure mathématique) a été largement utilisée pour optimiser l’allocation des ressources rares dans les exploitations (Barbier et al., 1999 ; Bontkes et al., 2003). Des modèles bioéconomiques (économique et biophysique) ont été utilisés dans le but de prévoir la dynamique des ressources. Cependant, ceux-ci présentent des insuffisances, notamment l’absence d’interactions entre agents du modèle et entre agents et leur environnement ainsi que l’absence de dynamique sociale (Barbier et al., 1999). Pour prendre en compte les aspects dynamique et prédictif dans la gestion des ressources naturelles et suivre les changements d’usage des terres, ce sont des modèles dynamiques de simulation spatialement explicites qu’il faut (Stéphenne et al., 2001 ; Verburg et al., 2001) ou, mieux, il faut intégrer les modèles dynamiques spatialement explicites et des modèles d’optimisation (Verburg et al., 1999 ; Lambin et al., 2000). C’est pourquoi cette étude a été menée pour établir des modèles empiriques à coupler avec d’autres modèles biophysiques (modèles de stocks parcellaires de C, N dans les sols et la végétation) en vue de calibrer un système multi-agents appelé MIROT2. Celui-ci simule la dynamique des ressources organiques à l’échelle du terroir.
7Cette étude vise donc à identifier les règles de gestion des exploitations agricoles et, sur la base de ces règles, à décrire et quantifier par des relations mathématiques les liens entre les besoins socio-économiques et les déterminants de la dynamique des ressources organiques dans les exploitations agricoles dans un terroir de savane d’Afrique de l’Ouest.
8Le village étudié, Torokoro, se situe au Sud-Ouest du Burkina Faso dans une zone dite de front pionnier (Figure 1). Le site a été choisi en raison de la disponibilité de données sur le milieu physique et les systèmes de production. Celles-ci ont été acquises dans le cadre du projet de recherche et de développement conduit par l’INERA. La superficie du terroir est de 15000 hectares entièrement appropriés par les grandes concessions autochtones qui contrôlent l’installation des migrants. Le climat de type sud soudanien est favorable à l’agriculture. L’année est subdivisée en deux saisons. Une saison de pluie, avec des pluviosités annuelles de 900 à 1200 mm, qui s’étale de mi-mai à mi-octobre et une saison sèche pendant laquelle souffle généralement un vent chaud et sec, l’harmattan.
9La typologie des systèmes de production3 dans le terroir distingue deux systèmes de production, le système de culture semi-permanent pratiqué par les autochtones (AU) et le système de culture à rotation triennale pratiqué par les migrants (MI). Les principales cultures sont l’igname (Discorea sp.), le maïs (Zea mays), le sorgho (Sorghum bicolor), les plantations d’anacardiers (Anacardium occidentale) et le cotonnier (Gossypium hirsutum) introduit depuis moins de 15 ans. L’igname, le coton et l’anacarde sont les principales productions de rente. Le maïs constitue la base de l’alimentation mais peut être vendu tout comme le sorgho. Ce dernier est aussi destiné à la fabrication de la bière locale appelée « Dolo ». L’élevage, en raison des épizooties fréquentes, est faiblement développé et peu intégré à l’agriculture. L’alimentation du bétail est principalement assurée par les parcours naturels toute l’année.
10Les déterminants socio-économiques ont été appréhendés à l’échelle de l’exploitation agricole. Celle-ci a été conceptualisée en termes de flux entrant et sortant et des stocks de C dans les différents compartiments (végétaux, animaux, stockage, cours de la concession4, lieu de recyclage) (van den Bosch et al., 1998). L’exploitation agricole dispose de moyens de production (matériel, humain, terres, capital, cheptel) qu’elle combine pour obtenir des productions et des revenus (agricoles, financiers, etc.). Les activités génèrent des flux de matières entrant et sortant de l’exploitation. Ceux-ci sont orientés des espaces de production de biomasse (parcelles) vers les espaces de concentration (stockage, habitat) ou vers le marché. Les sorties de carbone sont essentiellement dues aux prélèvements pour les usages domestiques (récoltes, bois de feu, bois d’œuvre, produits ligneux, alimentation du bétail) et la vente de bois. Les entrées de carbone quant à elles sont constituées par les achats de nourriture (céréales et autres) et de bois de feu provenant du marché. Les flux internes sont les ordures ménagères et les excréments humains et animaux.
11Les hypothèses qui sous-tendent cette démarche sont :
12– Les exploitations agricoles ont des règles de décision qui sont influencées par des facteurs internes (endogènes) et des facteurs qui leur sont externes (exogènes).
13– Les exploitations agricoles prennent l’essentiel des décisions en début de saison des pluies et font des estimations ou des prévisions de leurs besoins (terre à cultiver, céréales à consommer et en argent).
14Il est possible de quantifier par des relations mathématiques empiriques les déterminants et les besoins des exploitations agricoles.
15Pour cela, les objectifs spécifiques suivants sont poursuivis :
16– Identifier et décrire les règles de décision des exploitations agricoles.
17– Traduire par des modèles mathématiques les relations entre les déterminants socio-économiques et les besoins des exploitations agricoles (besoins en terre, besoins en céréales, besoins en argent, besoins en bois de chauffe).
3. Matériel et méthodes
18Trois dispositifs d’enquête ont été mis en œuvre. Une première enquête réalisée à partir d’un questionnaire a permis de recueillir les données quantitatives auprès d’un échantillon raisonné de 100 exploitations (un tiers des exploitations). L’échantillon a été constitué au prorata des groupes sociaux (recensement en 2000). Un second dispositif d’enquête a permis de comprendre et d'identifier les règles de décision et de gestion collective et individuelle. Le troisième dispositif d’enquête a permis d’estimer la consommation de bois d’énergie en saison humide et en saison sèche. Les outils de la Méthode Accélérée de Recherche Participative (MARP) ont été utilisés pour les enquêtes collectives (classification préférentielle, interview semi-structurée, triangulation et restitution) (Gueye et al., 1991). Pour les autres enquêtes, des questionnaires pré-établis et testés ont été utilisés.
19La modélisation économétrique des données de l’enquête quantitative a été faite par une approche empirique. Pour cela, l’enquête rurale rapide (ERR) a permis pour chaque type de besoin de détecter les principaux déterminants à partir des règles des exploitants agricoles. Par exemple, pour le besoin en surfaces nécessaires à la production d’igname, l’hypothèse testée est que la force de travail dont dispose l’exploitation détermine la surface à emblaver. Pour la consommation de céréales, l’hypothèse est que celle-ci est fonction de l’effectif de l’exploitation. Il en est de même de la consommation en bois qui est fonction de la taille de l’effectif de la concession. Le besoin en argent a pour indicateur les surfaces des cultures vendables (maïs, riz, arachide), des cultures de rente (coton, igname, anacarde) mais aussi du bétail disponible. Des modèles linéaires, mais aussi non linéaires, ont été définis et testés en se basant sur les données quantitatives de l’enquête.
20Deux logiciels statistiques ont été utilisés pour la modélisation économétrique en raison de leur adaptation à ce type d’analyse. Le modèle linéaire généralisé (GLM) a été utilisé pour l’établissement de modèles statistiques empiriques avec le logiciel SPSS (1999). L’algorithme de Levenberg-Marquardt (estimation par la méthode des moindres carrés) a été utilisé pour mettre au point les modèles non linéaires avec le logiciel StatSoft (1995). Les tests statistiques ont été évalués à partir du test de Fisher noté F et du seuil de probabilité qui lui est associé, noté p. Les tests sont effectués au seuil de 5 % ou de 1 %. Le coefficient de détermination r2 a été utilisé pour apprécier l’intensité des liaisons décrites par les équations.
4. Règles de décision à Torokoro
21Les règles communes concernent la gestion des terres, les formes d’accès à la terre (héritage, don, prêt), la « vente » de terres, la gestion des points d’eau pour l’alimentation humaine et animale pendant la saison sèche (Tableau 1). L’accès des animaux à la brousse est contrôlé. L’accès au bois est libre pour tous dans tous les espaces. L’accès aux fruits des ligneux est réglementé ainsi que la gestion des feux annuels. Les feux de brousse sont gérés de manière commune dans les espaces communs aux exploitants, mais sont interdits dans le reste du terroir.
22Les décideurs des règles communes font partie d'un cercle restreint de locaux (responsable administratif villageois (RAV), chef de terre, chef de village, chef de quartier) et extérieurs (représentants de l’administration). Le poids des premiers occupants (autochtones) est prépondérant dans le respect des règles communes relatives à la gestion des ressources naturelles. Ils interviennent surtout dans les conflits et s’appuient sur des règles définies par la coutume et par l’administration.
23Les chefs de quartier s’occupent de leurs communautés et règlent les conflits internes. L’administration s’occupe des relations qui dépassent la compétence des villageois et des communautés. Les relations entre exploitations sont de type privé. Ces règles collectives permettent de définir les relations de collaboration, d’échange, de négociation ou marchandes à l’échelle du terroir pour la gestion des ressources. Elles sont utilisées dans le modèle terroir SMA. Les règles individuelles mettent en relation l’usage de ressources et les déterminants socio-économiques. Les règles de gestion individuelles sont du ressort des exploitations agricoles (Tableau 2).
24Les règles individuelles sont prises à l’échelle des exploitations agricoles. Les éléments pris en compte pour estimer une surface donnée sont des déterminants de celle-ci (Tableau 2). Elles concernent les surfaces à cultiver, la gestion des stocks, la commercialisation, etc. C’est le chef d’exploitation qui prend les décisions mais celles-ci s’appliquent à toute la concession. Les règles individuelles ont été utilisées pour modéliser le comportement des agents du modèle SMA mais aussi pour modéliser de façon empirique les différents besoins.
5. Besoins des exploitations agricoles
25Les comportements des exploitants relèvent d’abord d’une logique de recherche de la sécurité alimentaire. Une fois celle-ci assurée, les exploitants cherchent des revenus financiers. Pour satisfaire ces deux objectifs complémentaires, les producteurs ont besoin de terre, de main-d’œuvre et de bois. Ce sont ces besoins que nous analysons dans ce chapitre. Nous n’avons pas considéré le cas de l’eau qui est relativement abondante dans la zone.
5.1. Besoin alimentaire
26L’aliment de base est le maïs. Le sorgho et l’igname sont plutôt cultivés pour la vente, mais ils peuvent aussi être consommés. Les résultats d’enquête montrent que la consommation moyenne est de 172 ± 5 kg de céréales par an et par personne. Elle est de 166 ± 6 kg pour les migrants et de 188 ± 8 kg pour les autochtones, mais cette différence n’est pas statistiquement significative au seuil de 5 % (F = 3,671 ; p = 0,058) (Tableau 3).
27La gestion des stocks de céréales est quotidienne et reste sous le contrôle du chef d’exploitation. Le principal déterminant de cette consommation est le nombre de personnes présentes dans la concession. Ils prennent en compte les imprévus tels que les étrangers et certains faits sociaux majeurs (mariages et funérailles) et la production de bière (Figure 2). Plus la taille de la famille est grande, plus la quantité consommée est élevée. Ce constat est valable dans les deux principaux groupes sociaux. L’effectif des concessions n’étant pas significativement différent dans les deux groupes, les consommations par concession sont équivalentes (Tableau 3).
28Les céréales nécessaires à la consommation sont déterminées par la comparaison de la récolte présente à la récolte passée (année n-1). Les quantités à stocker sont estimées par rapport aux quantités qui ont été mangées par les membres de la famille en année n-1. Une quantité additionnelle est ajoutée au stock pour les imprévus. Dans les familles autochtones et migrantes, le modèle de consommation alimentaire est identique. Un seul modèle a été établi pour décrire la consommation céréalière dans les exploitations agricoles de ce terroir villageois. La consommation de céréales en kilogramme par exploitation et par an est principalement fonction de la taille des exploitations agricoles. L’équation s’écrit : Consommation céréalière = 176 * effectif de l’exploitation agricole ; n = 100, r2 = 0,91 ; F = 978 ; p = 0,000.
29Le vécu des années antérieures est déterminant. En effet, par expérience, les exploitants mettent en relation les quantités de récolte de l’année antérieure (n-1) et les surfaces des mêmes années. Ces souvenirs sont intégrés dans le raisonnement du producteur pour apprécier les quantités de récolte nécessaires l’année en cours (n). Par principe, le producteur stocke d’abord toutes les récoltes de maïs et de sorgho. La vente de l’excédent n’intervient qu’en milieu de saison quand les nouvelles récoltes espérées s’annoncent prometteuses. Des ventes ponctuelles de sorgho sont opérées pour satisfaire des besoins précis. L’igname est vendue à la récolte (août/septembre et décembre).
5.2. Besoin en argent
30Les sources monétaires proviennent de la vente des produits agricoles (végétaux et animaux) et des activités extra-agricoles. Les résultats d’enquête montrent que chez les autochtones, 47 % de l’argent proviennent des productions végétales, 24 % de l’élevage et 29 % des activités extra-agricoles tandis que chez les migrants, 59 % proviennent de l’élevage, 26 % des productions végétales et 25 % des activités extra-agricoles. Cependant, dans les deux cas, les pourcentages liés à l’élevage sont à relativiser en raison de la présence dans les deux groupes de quelques gros éleveurs. En fait, la grande majorité des exploitants n’ont qu’un très petit élevage.
31Trois productions végétales sont essentiellement orientées vers le marché. Il s’agit de l’igname produite par les autochtones, du coton produit par les migrants et des amandes d’anacardiers, communes aux deux groupes. En plus de ces cultures de rente, le sorgho, le maïs, le riz, l’arachide, le niébé et le sésame peuvent aussi être vendus. Chez les autochtones, les résultats d’enquête montrent que les ventes incluent principalement l’igname (50 %), l’anacarde (23 %), le maïs (16 %) et le sorgho (9 %). Chez les migrants, les ventes sont plus diversifiées avec l’anacarde (29 %), le coton (21 %), le maïs (23 %), le sorgho (12 %), l’arachide (8 %), le riz (4 %) et le niébé (3 %).
32Les apports du coton, de l’anacarde et du maïs sont équivalents dans le système migrant. Les revenus animaux sont principalement dus à la vente de bovins dans les deux groupes. En moyenne, une exploitation agricole autochtone a un stock annuel d’argent de 396 856 ± 140596 FCFA (605 ± 214,34 euros) contre 387 834 ± 82 226 FCFA (591,25 ± 125,35 euros) pour une exploitation de migrants, soit par tête respectivement pour les deux catégories 31883 ± 6 024 FCFA (48,61 ± 9,18 euros) et 29 847 ± 6 280 FCFA (45,5 ± 9,57 euros) (Tableau 4). Les stocks d’argent par exploitation (F = 0,003 ; p = 0,955) et par tête (F = 0,036 ; p = 0,849) ne sont pas statistiquement différents dans les deux systèmes de production du terroir. Le stock moyen annuel pour une exploitation agricole est de 390398 ± 70 702 FCFA (595,16 ± 107,78 euros), soit par tête 30 425 ± 4 793 FCFA (46,38 ± 7,31 euros), indépendamment du statut.
33L’argent, géré par le chef d’exploitation, a des destinations diverses. Les revenus de l’igname vont d’abord au paiement de la main-d’œuvre salariée. Le reste va à la famille. Les dépenses sociales occupent une place importante dans l’utilisation du produit des ventes (mariages, dons, cérémonies coutumières, aumônes). Il en est de même des besoins ponctuels (achat de médicaments pour soins, dettes à payer). L’épargne bancaire ou dans les caisses populaires n’existe pas. L’achat d’animaux constitue une des formes d’épargne (capital vivant). Globalement, le besoin en argent vise la satisfaction des besoins immédiats de la famille. Les indicateurs subjectifs ont aussi leur place, notamment la comparaison de son propre bien-être à celui d’autrui (exemple : si mon voisin a une mobylette, je dois en acquérir une également). Les besoins matériels de la famille (jeunes, femmes, enfants, élèves) renvoient à la taille de celle-ci. La gestion de l’argent se fait au coup par coup, il ne s’agit donc pas d’une gestion planifiée a priori mais d’une utilisation à la demande selon les disponibilités.
34L’indicateur des besoins en argent varie selon les groupes sociaux. Chez les autochtones, la taille du champ d’igname est le principal déterminant. La surface en maïs et en sorgho vient ensuite ainsi que la surface de la plantation d’anacardiers. Chez les producteurs de coton, les surfaces en maïs, sorgho et cotonnier déterminent les besoins monétaires. La surface des plantations est également déterminante pour certaines exploitations. La possession de bovins et des petits ruminants est un déterminant des besoins en argent. La vente des amandes d’anacarde ne vient pas en tête des productions qui procurent le plus d’argent (sa vente est étalée dans le temps), contrairement aux céréales pour lesquelles la vente concerne des sommes importantes.
35Deux modèles ont été établis correspondant à chaque type d’exploitation agricole (autochtone et migrante). Dans le système autochtone, le besoin monétaire est fonction de la surface en igname et de celle en sorgho. L’équation s’écrit : Besoin monétaire = 82 025 * surface en igname + 69 550 * surface en sorgho (r2 = 0,83). Dans le système migrant, l’équation s’écrit : Besoin monétaire = 129 869 * surface en maïs (r2 = 0,50). Le besoin est exprimé en FCFA et les surfaces en hectares.
5.3. Besoin en terre
36La disponibilité des terres à cultiver n’est pas la même dans les deux systèmes de production. Pour le moment, les autochtones en disposent à volonté, ce qui n’est pas le cas des migrants (Tableau 5). Chez les autochtones, la surface disponible par exploitation est de 30,93 ± 3,85 ha contre seulement 7,93 ± 0,93 ha chez les migrants. Les migrants n’ont donc pratiquement pas de réserve de terre, mais il existe des moyens pour desserrer cette contrainte. Souvent les migrants étendent discrètement la surface cultivée sans nécessairement demander aux autochtones. Parfois aussi, ils plantent des arbres (anacardier) sans permission dans les parcelles empruntées. Quand le conflit émerge, l’administration tend à donner raison au planteur contre le propriétaire traditionnel. Quand la famille du migrant s’accroît, les migrants demandent de nouvelles parcelles. S’ils n’en reçoivent pas dans le village, ils déménagent vers des villages où les autochtones sont plus accueillants.
37Les surfaces cultivées des autochtones sont de 6,15 ± 0,69 ha contre seulement 4,67 ± 0,34 ha chez les migrants. Le rapport surface cultivée sur surface disponible est donc de 23 % (n = 27) chez les autochtones contre 73 % (n = 72) chez les migrants. On peut supposer trois raisons à cette différence :
38– les migrants n’obtiennent plus de terre des autochtones ;
39– les migrants ont adopté un système plus intensif basé sur le coton, l’engrais et le fumier ;
40– les autochtones choissent un système extensif pour mieux marquer l’appropriation des réserves foncières.
41Le marché de la terre est apparu avec le retour des Burkinabè de Côte d’Ivoire au début des années 2000. Les prix avoisinent 20 000 à 25 000 FCFA par hectare (soit 30,49 à 38,11 euros par hectare) pour une parcelle non plantée, 40 000 à 50 000 FCFA par hectare (soit 69,98 à 76,22 euros par hectare) pour une parcelle plantée en anacardiers. Ces transactions vont probablement se généraliser à cause de la forte demande des migrants (surtout des expatriés de Côte d’Ivoire) et des besoins en argent des propriétaires de terres. Toutefois, l’Etat reste le propriétaire du domaine foncier national et peut intervenir à tout moment pour réglementer ces transactions.
42Le ratio surface en céréales / surface cultivée est de 73 % chez les autochtones contre 87 % chez les migrants. La surface cultivée augmente avec le nombre d’actifs de l’exploitation, ce qui est normal. La surface cultivée par actif est plus élevée chez les autochtones 0,67 ± 0,08 ha (n = 27) contre 0,45 ± 0,03 (n = 72) chez les migrants (Tableau 5). Ceci traduit probablement la moindre disponibilité de terres chez les migrants et des pratiques plus intensives.
43La surface céréalière par tête dans les deux systèmes n’est pas significativement différente (0,40 ± 0,02 ha ; n = 100). La proportion de céréales diminue quand augmente la taille de l’exploitation, ce qui traduit une orientation plus commerciale des plus grandes exploitations. Les grandes exploitations sont en fait des exploitations où le chef de famille est âgé et où les fils n’ont pas encore pris leur autonomie. De telles exploitations sont un peu mieux protégées contre les risques et peuvent ainsi mieux diversifier leurs activités.
44Le système des autochtones est caractérisé par l’abondance de terre. Le principal facteur limitant est la force de travail. L’assolement est classique tout comme la succession culturale sur une parcelle. Après la défriche, c’est l’igname qui est cultivée (Figure 3). La surface cultivée en igname est principalement fonction de la main-d’œuvre disponible (familiale, salariée ou entraide) que peut mobiliser l’exploitant. La surface d’igname va conditionner l’ensemble des surfaces cultivées les années suivantes mais aussi l’assolement d’une année donnée. Par exemple, la surface du champ de maïs de l’année en cours (n) est égale à la surface du champ d’igname de l’année écoulée (n-1) si aucun facteur externe (pluie tardive) ou propre à la famille (réduction de la force de travail) n’affecte cette surface. L’ajustement entre surface en maïs et en sorgho est fait en fonction de la maîtrise du calendrier cultural. La jachère intervient après 5 à 6 ans de mise en culture et peut durer 10 ans ou plus. Lorsque la parcelle est plantée en anacardiers, elle peut encore être cultivée pendant 4 à 5 ans, puis devient une plantation pure, jusqu’à 40 ans environ avant d’être défrichée.
45Dans le système migrant, la primauté est donnée au maïs et au sorgho mais le coton tient une place croissante dans l’assolement (Figure 4). On trouve aussi de l’arachide, du niébé, du sésame, du riz et des plantations d’anacardiers. Le système migrant est un peu plus intensif avec une surface plus réduite et une plus grande utilisation d’intrants notamment sur la sole cotonnière.
46L’anacardier est devenu un élément essentiel du système agraire du Sud du Burkina Faso. L’anacardier fournit des revenus importants pour peu de travail, mais sert aussi à marquer la propriété de la terre. La plantation d’anacardiers occupe souvent la moitié des terres disponibles surtout chez les migrants. Au fil des années, la possibilité d’association de céréales avec les plantations détermine les surfaces restantes pour les autres cultures. Une partie des terres est réservée aux cultures annuelles.
47Pour les autochtones, différents modèles de besoins en terre à cultiver ont été établis. Trois modèles sont proposés :
48– Igname = 0,411 * actifs totaux (r2 = 0,73)
49– Maïs = 0,345 * actifs totaux + 1,06 si l’exploitant a recours à la main-d’œuvre extérieure (F = 11,12 ; p = 0,003)
50– Maïs = 0,345 * actifs totaux - 0,216 si l’exploitant n’a pas recours à la main-d’œuvre extérieure (F = 11,12 ; p = 0,003)
51– Sorgho = 0,812 * surface en maïs (r2 = 0,73 ; F = 65,211 ; p = 0,000).
52Pour les migrants, la terre peut être limitante. Les trois modèles de détermination des surfaces à cultiver ont été définis. Pour le moment, le cotonnier n’est cultivé que si l’exploitation agricole est équipée en traction animale. La surface moyenne est de 2,5 ha par cultivateur de coton.
53Les autres besoins en surface s’expriment par des équations linéaires.
54Le besoin de surface en maïs :
55– Maïs = 0,124 * actifs totaux + 0,098 * surface disponible + 1,259 (r2 = 0,89) si l’exploitant a recours à la main-d’œuvre extérieure
56– Maïs = 0,125 * actifs totaux + 0,098 * surface disponible + 0,779 (r2 = 0,89) si l’exploitant n’a pas recours à la main-d’œuvre extérieure.
5.4. Besoin en bois
57La disponibilité du bois mort est élevée dans ce terroir en raison de sa situation dans la zone à forte potentialité ligneuse. Les exploitations agricoles s’approvisionnent directement sur leurs champs et/ou dans la brousse. Pendant la saison humide, le bois est prélevé dans les champs et stocké le soir par les femmes dans la cour des concessions. Le stockage continue, même si les besoins du moment sont satisfaits, constituant ainsi un stock pour la période chaude et sèche. Les résultats des pesées montrent qu’en saison sèche, la consommation par tête est de 0,97 ± 0,06 kg par personne et par jour dans l’ensemble des exploitations car il n’y a pas de différence significative entre les deux systèmes (F = 1,739 ; p = 0,192). En saison humide, la consommation par personne et par jour mesurée est de 1,36 ± 0,12 kg, non statistiquement différente dans les deux principaux groupes sociaux (F = 0,032 ; p = 0,860).
58L’effectif des exploitations agricoles est le principal déterminant des besoins en bois de chauffe. Les grands ménages consomment proportionnellement moins de bois (Figure 5).
59Un modèle pour chaque saison (sèche, humide) a été élaboré. En raison de la similitude du modèle de consommation, un seul modèle mathématique a été décrit par saison pour les deux groupes. Il s’agit d’un modèle de décroissance exponentielle en fonction de l’effectif des exploitations.
60En saison sèche, la consommation (kg par personne et par jour) = 3,87 * Exp (-0,26 * effectif) + 0,76 (n = 70 ; r2 = 0,52).
61En saison humide, la consommation (kg par personne et par jour) = 3,49 * Exp (-0,47 * effectif) + 0,74 (n = 81 ; r2 = 0,27).
62Le bois est principalement utilisé par les exploitations agricoles pour la cuisson des aliments. Les prélèvements pour d’autres usages domestiques (hangars, clôtures, case, artisanat divers) sont négligeables.
6. Discussion
63L’identification et la description des règles collectives et individuelles ont permis dans une première phase de connaître les principaux déterminants des besoins socio-économiques. Dans une deuxième phase, la modélisation utilisée permet de décrire des modèles statistiques empiriques. Les modèles empiriques établis ne décrivent pas des relations de cause à effet, mais mettent en évidence l’association entre les déterminants et l’utilisation des ressources. Ces régressions ne peuvent cependant pas être extrapolées à d’autres sites.
64En dépit de la grande diversité des acteurs du terroir, les vrais tenants et gestionnaires des ressources sont les premiers occupants (autochtones). Toutes les ressources sont appropriées et gérées localement. Les règles individuelles relèvent du niveau de l’exploitation agricole et couvrent tous les aspects (production, stockage, consommation, commercialisation). Il existe une diversité de règles et de décisions individuelles, pourtant toutes cohérentes et répondant à des stratégies variées. Ces règles ne sont pas figées. Elles évoluent dans le temps sous l’effet de facteurs endogènes et surtout exogènes. Elles ne peuvent être cernées que sur le court terme car ce type d’agriculteurs a un horizon de planification relativement court, 2 à 3 ans selon Scoles et al. (1994).
65Au Burkina Faso, les régimes alimentaires sont dominés par les produits céréaliers qui fournissent 67 % des calories consommées pour une consommation moyenne de 190 kg par personne et par an (Sadaoc, 1999). Nos enquêtes estiment une consommation moyenne de céréales calculée par personne et par an de 170 kg. Cette quantité est inférieure aux chiffres de la FAO (300 kg par personne et par an) (Stéphenne et al., 2001). Elle est cependant proche de celle généralement estimée dans la zone par d’autres sources (150-200 kg par personne et par an) (Ruas et al., 1991 ; Barbier, 1999).
66Dans cette zone du Burkina Faso, les ménages consomment 1,8 à 2,9 repas par jour en fonction de la situation économique du moment et des stocks d’aliments (Lykke et al., 2002). Dans ces milieux, les repas non comptabilisés (légumineuses, tubercules, repas divers, boissons) sont autant de compléments alimentaires pour les populations rurales. En raison de régimes alimentaires similaires (consommation de céréales et essentiellement de maïs), on n’a pas de différence entre les groupes pour le besoin en céréales alimentaires. Le principal déterminant de ce besoin est l’effectif de l’exploitation.
67Le besoin moyen en argent par personne et par an est d’environ 30 000 FCFA (45,73 euros) qui est proche du salaire minimal mensuel interprofessionnel garanti (SMIG), 28 811 FCFA (43,92 euros). En moyenne, l’exploitant rural a un douzième de revenu minimum annuel officiel. Les besoins en argent sont très proches entre autochtones et migrants même si les sources d’argent varient (vente igname pour les premiers et vente de coton et de maïs pour les seconds et, dans une moindre mesure, animaux pour les peuls). Les besoins en argent sont clairement exprimés à travers une diversité d’activités socio-économiques, notamment les productions agricoles, l’élevage et les activités extra-agricoles. Les déterminants et les modèles sont propres à chaque groupe.
68Les différences de surface cultivée entre exploitations agricoles sont la conséquence des différences, dans les deux systèmes, pour l’accès à la terre. Les propriétaires terriens (autochtones) ont plus de terres disponibles dans leur domaine. Ils ne sont donc pas limités par ce facteur. Les surfaces cultivées sont plus vastes chez les autochtones. En effet, la rotation culturale et l’assolement sont classiques dans le système de production à base d’igname tandis que dans le système à base de coton, la surface déjà plantée en anacarde va conditionner la répartition des surfaces restantes entre cotonnier et céréales sur le reste de l’exploitation. La surface moyenne cultivée est de 0,5 ha par actif et par an. Ceci correspond à un besoin de 2,5 ha pour une famille de 5 actifs (taille moyenne des exploitations agricoles rurales). En raison de l’absence d’apports de fertilisants chez les autochtones et de très peu chez les migrants, tous maintiennent des parcs arborés (Vitellaria paradoxa et Parkia biglobosa) qui contribuent au maintien de la fertilité des champs (Traore et al., 2004).
69L’estimation de la consommation de bois est proche de 1 kg (0,97) par personne et par jour en saison sèche et de 1,36 kg par personne et par jour en saison humide. Ces consommations sont proches de 1,13 et 1,49 kg, consommation estimée dans cinq villages du Mali (Benjaminsen, 1996) ou proches de 1 kg par personne et par jour estimé également dans deux villages du Mali, de 1,09 kg dans deux zones, soudanienne et guinéenne (Bertrand, 1979). Des estimations de consommation faites au Burkina Faso pendant la période 1960–1975 mettaient en évidence des consommations qui variaient de 1 à 1,5 kg par personne et par jour en milieu rural et de 3 à 4 kg par personne et par jour en milieu urbain (Bertrand, 1979). La FAO propose une moyenne journalière par personne de 1,69 kg (FAO, 1982). Des estimations de consommation ont été faites récemment au Mali, une moyenne de 0,75 kg par personne et par jour a été estimée soit 275 kg par personne et par an (Bazile, 1998). En milieu rural, il existe trois niveaux de consommation domestique liés au niveau de dégradation du couvert végétal, ainsi au Burkina Faso la consommation varie de 0,76 kg par personne et par jour dans les zones à faible disponibilité à 1 kg par personne et par jour dans les zones à moyenne disponibilité pour atteindre 1,2 kg par personne et par jour dans les zones à grande disponibilité (Bationo, 1993). En effet, la consommation augmente quand augmente la disponibilité du bois (Bazile, 1998). Les autres déterminants des consommations sont la taille de l’exploitation, le niveau de revenu, la disponibilité de la ressource et le prix des combustibles ligneux (Bationo, 1993). L’utilisation de foyers améliorés entraîne des économies pouvant aller de 30 à 40 % (Jorez, 1991). En plus de ces déterminants, la structure des familles et les régimes alimentaires expliquent en partie le niveau de la consommation en bois (Bazile, 1998). Contrairement aux idées reçues, les migrants et les autochtones ont des consommations voisines pour trois raisons : disponibilité de la ressource, accès libre et habitudes alimentaires très proches. Les variations entre la saison humide et la saison sèche sont principalement dues au taux d’humidité plus important pendant la saison humide. Le taux d’humidité en saison sèche a été estimé à 25 %. L’effet d’échelle pourrait expliquer la diminution de la consommation en bois par tête quand augmente l’effectif de l’exploitation agricole.
7. Conclusion
70Les exploitants agricoles établissent des règles de décision basées sur leur expérience et couvrant les domaines traditionnels du fonctionnement des exploitations (production, consommation, commercialisation, migration, gestion du risque). Les règles sont généralement dynamiques, individuelles ou collectives. Ces décisions sont relativement simples et changent en fonction de l’environnement immédiat naturel, économique ou familial ; par exemple, l’évolution de la production d’igname d’une culture traditionnelle vers une culture essentiellement monétaire. Il y a monétarisation de l’économie agricole paysanne avec apparition croissante d’une logique de maximisation du profit. L’accès à la terre a évolué des formes classiques (don, héritage, prêt) vers d’autres formes d’accès monétarisé, même si l’Etat est seul propriétaire du domaine foncier national. Les règles de décisions et de gestion ont permis de formaliser la collaboration et les interactions entre exploitants agricoles ainsi que les stratégies de gestion des exploitants. Elles ont servi à définir les paramètres pertinents pour la modélisation statistique des besoins. Ces règles de décision ne sont pas différentes entre autochtones et migrants.
71Contrairement aux hypothèses de départ et des idées répandues dans la littérature sur le comportement des migrants par rapport aux autochtones, les besoins alimentaires, les besoins en terre, les besoins en argent et les besoins en bois de chauffe sont similaires dans les deux systèmes de production étudiés.
72Le niveau et l’intensité des activités mises en œuvre par les exploitations agricoles déterminent la consommation des ressources. Ces modèles de besoins en surfaces à cultiver, en céréales alimentaires, en argent et en bois de chauffe ont été traduits en relations mathématiques qui permettront de calibrer un modèle multi-agent, MIROT.
73Quelques questions essentielles sont soulevées dans ce terroir quant à la gestion des ressources. En effet, l’apparition des transactions financières sur le foncier peut influencer l’occupation du domaine foncier du terroir. La monétarisation croissante de l’économie agricole par la vente de pratiquement tous les produits végétaux (anacarde, coton, igname, riz, maïs, sorgho) et animaux va affecter l’environnement économique du terroir et pourrait en retour affecter les échanges de celui-ci avec l’extérieur (flux entrant et sortant de matières).
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