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- Volume 20 (2016)
- Numéro 3
- Diagnostic de contamination des agrosystèmes périurbains de Dakar par les éléments traces métalliques
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Diagnostic de contamination des agrosystèmes périurbains de Dakar par les éléments traces métalliques
Nota's van de redactie
Reçu le 3 juin 2015, accepté le 11 janvier 2016
Résumé
Description du sujet. Le maraichage est particulièrement développé au sein de l’agriculture urbaine et périurbaine dans la région de Dakar. L’application répétée de matières organiques dans ces agrosystèmes engendre sur le long terme de forts apports d’éléments traces métalliques (ETM).
Objectifs. L’objectif est de diagnostiquer la contamination en ETM de ces agrosystèmes.
Méthode. Pour quatre sites, nous comparons les teneurs en Cu, Zn, Pb et Cd des parcelles cultivées depuis longtemps et des parcelles connexes non cultivées, dans les couches de sol travaillées et en profondeur.
Résultats. Les deux types de sols présents (Arénosol et Fluvisol) sont caractérisés par des fonds pédogéochimiques en ETM significativement différents. Dans les couches de sol 0-20 et 20-40 cm des quatre sites étudiés, les teneurs en ETM sont significativement plus élevées (p < 0,05) dans les parcelles cultivées que dans les parcelles non cultivées. Les Arénosols présentent des teneurs en ETM significativement supérieures (p < 0,05) aux Fluvisols excepté pour le Cd. Les contaminations en Cu, Zn et Pb pour l’Arénosol cultivé s’expliquent par les apports fréquents de boues de station d’épuration, de fientes de volaille ainsi que par l’irrigation avec des eaux usées partiellement traitées. Les contaminations en Cd pour le Fluvisol résultent des apports réguliers de phosphates naturels et s’observent sur tout le profil de sol.
Conclusions. La réalisation d’analyses de sols et de matières organiques permettrait d’ajuster les quantités apportées et ainsi de réduire la contamination par les ETM de ces agrosystèmes.
Abstract
Diagnosis of periurban Dakar (Senegal) agrosystem contamination by trace elements
Description of the subject. Urban and periurban market gardening is widespread in the Dakar area of Senegal. Repeated long-term application of organic matter results in high inputs of trace elements (TE).
Objectives. The aim is to assess TE contamination in suburban agrosystems.
Method. At four sites, we compared the Cu, Zn, Pb and Cd content in the surface layers and sublayers of plots cultivated over a long period with the content found in adjacent uncultivated plots.
Results. The two prevailing soil types (Arenosol and Fluvisol) were characterized by significantly different background soil geochemical TE content. In the 0 – 20 and 20 – 40 cm soil layers at the four studied sites, TE content was significantly higher (p < 0.05) in the cultivated plots than in the non-cultivated plots. Arenosols showed a significantly higher (p < 0.05) TE content than Fluvisols. An exception to these results was found in cultivated Arenosols, where Cd, Cu, Zn and Pb contamination was observed. This could be explained by the frequent input into these soils of sewage sludge, poultry droppings, and irrigation with only partially treated wastewater. Cadmium contamination of cultivated Fluvisols was the result of regular natural phosphate inputs, as observed throughout the soil profile.
Conclusions. Analysis of soils and organic matters would enable adjustment of the quantities of organic matter applied and could lead to a reduction in TE contamination within these agroecosystems.
Inhoudstafel
1. Introduction
1L’augmentation de la population urbaine des grandes villes africaines engendre des besoins en denrées alimentaires croissants, corrélés avec une augmentation de la production de matières organiques tels que les déchets urbains (boues de station d’épuration [STEP], eaux usées domestiques), les effluents d’élevages (fientes, fumiers) et les sous-produits agro-industriels (De Bon et al., 2009). Pour intensifier l’agriculture périurbaine dans un contexte d’enchérissement des engrais minéraux, le recyclage des matières organiques est fréquent. Leur utilisation permet d’assurer la conservation voire l’amélioration de la fertilité des sols tropicaux, souvent pauvres en matières organiques (Feder, 2013). En outre, cette pratique de recyclage répond autant à une nécessité agronomique (Bonny, 2011) qu’environnementale puisqu’elle permet de valoriser les flux de matières organiques produites (Feder et al., 2015).
2Si les matières organiques sont riches en éléments d’intérêt agronomique (C, N, P, K), elles sont également potentiellement chargées en contaminants tels que les éléments traces métalliques (ETM). L’application répétée de matières organiques peut se traduire par l’une ou plusieurs des conséquences suivantes : accumulation des ETM dans les horizons de surface des sols agricoles, exportation par les cultures de ces ETM, transfert vers les couches plus profondes et les ressources en eau souterraine (Legros et al., 2013). Quels que soient les compartiments impactés, la connaissance du devenir des ETM dans un écosystème donné permet d’anticiper les risques et d’adapter les solutions (Wassenaar et al., 2014).
3Dans la région de Dakar, l’agriculture périurbaine assure plus de 70 % du ravitaillement en légumes de la ville de Dakar (Ba Diao, 2004). Elle se pratique principalement dans les bassins de productions maraichères de Pikine et de Rufisque où les sols sont respectivement des Arénosols et des Fluvisols. L’épandage massif de matières organiques sur ces sols et l’utilisation des eaux usées, partiellement épurées ou brutes, pour l’irrigation des cultures induisent des risques de contaminations des récoltes et de l’environnement. Afin de diagnostiquer la contamination en ETM des sols de ces agrosystèmes, nous allons :
4– déterminer le fond pédogéochimique de l’Arénosol et du Fluvisol à partir d’échantillons de sols non cultivés,
5– quantifier l’enrichissement en ETM dans les couches de surface de l’Arénosol et du Fluvisol cultivés,
6– comparer cet enrichissement avec d’autres situations en pays développés.
2. Matériel et méthodes
2.1. Sélection et caractéristiques des sites d’étude
7Des enquêtes (par questionnaire) auprès de 40 exploitations ont permis de sélectionner quatre sites présentant des parcelles représentatives parmi celles ayant reçu des apports importants de matières organiques dans les bassins de Pikine et de Rufisque (Figure 1). Les quatre sites présentant des sols cultivés et non cultivés (Tableau 1) ont été sélectionnés sur la base des informations suivantes :
8– usage fréquent et important d’une ou plusieurs matière(s) organique(s),
9– durée d’exploitation des parcelles cultivées,
10– manifestation de symptômes de phytotoxicité ou d’anomalies chez les plantes au niveau des parcelles cultivées (relatés ou constatés in situ),
11– présence d’un sol non cultivé à proximité du sol cultivé afin de pouvoir comparer l’impact des pratiques agricoles sur les teneurs en ETM.
12Les sites 1 et 2 du bassin maraicher de Pikine sont irrigués avec des eaux usées partiellement épurées en provenance de la station d’épuration de Pikine située à moins d’un kilomètre et parfois mélangées avec des eaux de la nappe à partir des céanes (large ouverture conique de 2 à 3 m de profondeur avec un chemin d’accès). Avant 2008 et la construction de la station d’épuration de Pikine, les eaux usées brutes étaient utilisées sans traitement. En revanche, pour irriguer leurs cultures, les agriculteurs des sites 3 et 4 du bassin maraicher de Rufisque n’ont accès qu’à l’eau potable traitée et distribuée par la Société des Eaux du Sénégal.
13Les agriculteurs des sites 1 et 2 du bassin maraicher de Pikine ont fertilisé leurs champs avec des combinaisons variées de matières organiques incluant les boues de STEP, les fientes et des fumiers (chevaux, bovins, caprins). Pour les sites 3 et 4 du bassin maraicher de Rufisque, les agriculteurs ont utilisé essentiellement des combinaisons diverses de fientes et de fumiers. Les fientes sont généralement constituées d’un mélange de déjections de poules (pondeuses ou de chair) et de copeaux de bois utilisés comme litière dans les poulaillers. Sur tous les sites, des engrais minéraux (NPK, urée et phosphate naturel) ont également été utilisés.
14Dans le bassin maraicher de Pikine (sites 1 et 2), les cultures dominantes sont la laitue (Lactuca sativa) et la tomate (Lycopersicon esculentum var.). À Rufisque (sites 3 et 4), les spéculations dominantes sont le chou pommé (Brassica oleracea), la carotte (Daucus carota var.) et le poivron (Capsicum annuum L.).
2.2. Échantillonnage et analyses chimiques des sols
15Pour chacun des quatre sites, le protocole d’échantillonnage des sols a été identique pour les parcelles cultivées (PC) et non cultivées (PNC). Les sols ont été échantillonnés à la tarière en cinq points différents de la parcelle et à cinq profondeurs : 0-20, 20-40, 40-60, 60-80 et 80-100 cm. Les masses égales de chacune des cinq aliquotes ont ensuite été mélangées afin de constituer un échantillon composite.
16Les échantillons ont été séchés à l’air libre et tamisés à 2 mm. Les teneurs totales en phosphore (Ptot.) et en quatre ETM, Cu, Zn, Pb et Cd, ont été déterminées par spectrométrie d’émission atomique couplée à un plasma inductif (ICP-AES ; JY 138 Ultrace, Jobin Yvon, France) après une calcination des échantillons de sols à 450 °C pendant 2 h suivie d’une dissolution totale réalisée en utilisant un mélange d’acides fluorhydrique (HF), nitrique (HNO3) et perchlorique (HClO4) (AFNOR, 2001). Les limites de détection et de quantification étaient respectivement de 0,4 et 1,2 mg·kg-1 pour le Zn, 0,15 et 0,45 mg·kg-1 pour le Cu, 0,15 et 0,45 mg·kg-1 pour le Pb et 0,003 et 0,01 mg·kg-1 pour le Cd. L'incertitude de mesure était inférieure à 10 %.
17Tous les matériels utilisés pour la digestion totale des ETM ont été préalablement trempés dans une solution d’acide nitrique à 5 % (v/v) pendant une nuit puis rincés avec de l’eau Milli-Q.
2.3. Caractéristiques pédologiques des sites d’étude
18Le bassin maraicher de Pikine est localisé sur des Arénosols (IUSS Working Group WRB, 2006) formés à partir de sables siliceux (alluvions éoliennes anciennes et dunes vives). Le bassin maraicher de Rufisque est situé sur des Fluvisols formés à partir de calcaires et de marnes. Une étude préalable a révélé que les Arénosols sont de texture sableuse et faiblement calcaires, tandis que les Fluvisols sont sablo-argilo-limoneux et modérément calcaires (Hodomihou et al., 2015). Les valeurs des pH mesurés dans les couches superficielles de ces sols (Tableau 2) révèlent que les Arénosols sont légèrement acides ou neutres, tandis que les Fluvisols sont alcalins. Pour la couche 0-20 cm, les teneurs en carbone organique des Arénosols sont comprises entre 0,1 et 1,0 % et pour les Fluvisols entre 1,0 et 2,0 %. Les rapports C/N témoignent d’une bonne décomposition de la matière organique des sols. Pour la couche 0-20 cm, la CEC (capacité d’échange cationique) des Arénosols varie de 0,8 à 3,4 cmol(+)·kg-1, tandis que celle des Fluvisols varie de 18,9 à 24,2 cmol(+)·kg-1 (Tableau 2). La forte CEC des Fluvisols serait due à l’argile de type montmorillonite contenue dans ces sols (Maignien, 1959), tandis que la faible CEC des Arénosols serait en relation étroite avec leur texture typiquement sableuse. Pour la couche 0-20 cm respectivement pour les sites 1 et 2, les sites cultivés de l’Arénosol présentent des teneurs en phosphore total de 970 et 562 mg·kg-1, tandis que pour les sites non cultivés les teneurs sont de 154 et 108 mg·kg-1. Pour la couche 0-20 cm et respectivement pour les sites 3 et 4, les sites cultivés du Fluvisol présentent des teneurs en phosphore total de 2 176 et 1 396 mg·kg-1, tandis que pour les sites non cultivés les teneurs sont de 1 758 et 582 mg·kg-1.
2.4. Méthode de diagnostic de la contamination des sols par les ETM
19La méthode de diagnostic de contamination des sols par les ETM est basée sur la comparaison des teneurs totales de ces éléments dans les couches de sols des PC et des PNC. Le facteur d’enrichissement (FE) en ETM des couches des PC par rapport aux couches des PNC a été calculé par la formule 1 :
20En outre, les Incréments Annuels Moyens des Teneurs (IAMT) en ETM ont été estimés par la formule 2.
21Nous faisons l’hypothèse qu’avant la mise en exploitation des sites, les teneurs en ETM des sols PC et PNC du même site étaient identiques.
22Les IAMT des ETM exprimés en mg·kg-1·an-1 ont été convertis en g·ha-1·an-1 en utilisant pour chaque site la densité apparente et l’épaisseur des couches 0-20 et 20-40 cm.
2.5. Précision et analyse statistique
23Pour chaque élément, trois sous-échantillons (ou aliquotes) de chaque échantillon composite ont été analysés. En outre, deux échantillons de sols certifiés (CRM 7001 [sol sableux] et CRM 7004 [sol limoneux]) ont été utilisés pour valider les résultats, en conformité avec la certification ISO 9001 du laboratoire. Les écarts par rapport aux valeurs certifiées de ces contrôles ont toujours été inférieurs à 5 %.
24Le logiciel XLSTAT (version 01.04.2014) a été utilisé pour les statistiques descriptives. Pour chaque paramètre analytique, la moyenne et l’écart-type des trois mesures ont été calculés et le test de comparaison des moyennes a été fait.
3. Résultats et discussion
3.1. Détermination du fond pédogéochimique naturel pour l’Arénosol et le Fluvisol
25Le fond pédogéochimique est défini comme la teneur d’un élément dans un horizon de sol résultant de l’évolution géologique et pédologique, à l’exclusion de tout apport d’origine anthropique (Baize et al., 2002). Le fond pédogéochimique dépend étroitement de la composition du matériau géologique parental, ou roche-mère, dont le sol est issu. Selon Chassin et al. (1996), les teneurs en ETM observées dans les couches profondes des sols se rapprochent du fond géochimique. Compte tenu de l’identification d’un horizon de surface faiblement différencié pour les deux sols étudiés (Arénosol et Fluvisol), nous avons défini le fond pédogéochimique à partir des teneurs moyennes en ETM des couches profondes (en dessous de 40 cm de profondeur) au sein des parcelles non cultivées pour chacun des quatre sites (Tableau 3). Cette considération des couches profondes pour la définition du fond pédogéochimique de ces sols permet d’éviter l’impact potentiel de sources de pollution de surface (dépôts atmosphériques, cycles de Cu et Zn de la végétation naturelle). Pour les quatre sites, les couches analysées pour chaque PNC présentent des teneurs quasiment constantes pour les profondeurs supérieures à 40 cm (Figure 2). Cette homogénéité des teneurs en ETM des couches avec la profondeur indique que les éléments sont hérités uniquement de la roche mère sans apport anthropique. Pour Cu, Zn, Pb et Cd, le fond pédogéochimique est significativement différent (p < 0,05) entre les deux sols, ce qui indique que ces deux sols se sont développés sur des roches mères de compositions en ETM différentes. Les teneurs des quatre ETM de l’Arénosol sont toujours inférieures à celles du Fluvisol. Les teneurs moyennes mesurées dans les deux sols sont toujours proches voir inférieures aux minimas relevés dans la littérature spécifiquement pour chacun des deux types de sols (Kabata-Pendias, 2011).
3.2. Enrichissement des teneurs totales en ETM des couches de surface (0-20 et 20-40 cm) des sols cultivés
26Dans les couches superficielles 0-20 et 20-40 cm, les teneurs en ETM des échantillons composites prélevés dans les parcelles cultivées sont significativement supérieures (p < 0,05) à celles des parcelles non cultivées, quel que soit le site ou le sol considéré. Cela se traduit par des facteurs d’enrichissement (FE) positifs (Tableau 4) qui indiquent une contamination en ETM des couches superficielles. Ceci s’explique par les pratiques culturales en lien avec l’application de matières organiques et à l’irrigation des cultures par des eaux usées partiellement ou non épurées. Ces résultats sont similaires à ceux reportés par d’autres auteurs (Baize et al., 2006 ; Houot et al., 2009 ; Diacono et al., 2010 ; Legros et al., 2013) qui ont montré que l’épandage répété de matières organiques entraine une accumulation des ETM dans les horizons de surface des sols. Les FE montrent une contamination généralement plus élevée en ETM des couches de surface 0-20 et 20-40 cm du site 1 par rapport au site 2 pour l’Arénosol, ainsi que du site 3 par rapport au site 4 pour le Fluvisol à l’exception du Zn (site 1 versus site 2) et du Cd (site 3 versus site 4). Pour l’Arénosol, cela s’explique par l’exploitation plus longue pour le site 1 que pour le site 2 (respectivement mis en culture en 1973 et 1985), ainsi que par l’usage plus important de boues de STEP sur le site 1 comparativement au site 2 (Tableau 1). Pour le Fluvisol, ce résultat s’explique principalement par des quantités de fientes de volailles apportées deux fois supérieures pour le site 3 (Tableau 1). Toutefois, ces résultats issus d’enquêtes sont insuffisants pour calculer des quantités d’ETM apportées sur plusieurs années. Il est important de souligner que les FE déterminés dans cette étude sont particulièrement élevés : compris entre 100 et 708 % pour l’Arénosol et entre 0 et 242 % pour le Fluvisol (couche 0-20 cm). Dans d’autres études menées sur de grandes cultures recevant moins de matières organiques, les facteurs d’enrichissement les plus élevés mesurés dans les couches superficielles des parcelles ayant reçu quatre épandages de composts entre 1998 et 2006 sont de 20 % pour le Cu, 5 % pour le Zn et nul ou négatif pour le Pb et le Cd (Houot et al., 2009).
27Pour les sites 1 et 2, les couches 0-20 cm présentent des FE significativement plus forts que les couches 20-40 cm. En revanche, pour les sites 3 et 4, les couches 0-20 et 20-40 cm présentent des FE similaires. Ce résultat est cohérent avec la durée pendant laquelle les sites ont été cultivés ainsi qu’avec la nature de l’eau d’irrigation et les apports de fertilisants minéraux. En effet, les sites 1 et 2 ont été cultivés depuis plus longtemps (date de mise en culture : 1973 et 1985) que les sites 3 et 4 (date de mise en culture : 1988 et 1990). En outre, l’eau d’irrigation utilisée sur les sites 1 et 2 n’était pas traitée jusqu’en 2008 et contenait de fortes quantités d’ETM (Gueye-Girardet, 2010). Sur les sites 3 et 4, l’eau d’irrigation utilisée a toujours été l’eau traitée et potable distribuée par la Société des Eaux du Sénégal. Enfin, les engrais minéraux et notamment le phosphate naturel, naturellement riche en Cd, ont été fortement utilisés sur les sites 3 et 4 contrairement aux sites 1 et 2 (Tableau 2). Les différences de teneurs en Ptot. entre les parcelles cultivées et non cultivées des sites 3 et 4 pour les couches 0-20 et 20-40 cm confirment ces forts apports de phosphates. Par ailleurs, les parcelles cultivées sur l’Arénosol ne sont pas labourées profondément (< 20 cm), contrairement aux parcelles cultivées sur le Fluvisol qui sont régulièrement labourées jusqu’à une profondeur d’environ 30 à 40 cm. Ces pratiques culturales expliquent donc pourquoi pour l’Arénosol les FE sont plus élevés en surface (0-20 cm) qu’en profondeur (20-40 cm), alors que pour le Fluvisol, les FE entre les couches 0-20 et 20-40 cm sont similaires.
3.3. Évolution des teneurs en ETM de l’Arénosol et du Fluvisol dans les couches profondes (40 à 100 cm de profondeur)
28Les teneurs en ETM des parcelles cultivées de l’Arénosol ne présentent pas d’évolution majeure en dessous des couches de surface (Figure 2A). À partir de la couche 40-60 cm de profondeur et jusqu’à la base du profil, les teneurs des ETM ne sont pas significativement différentes (p< 0,05) du fond pédogéochimique, excepté pour le Cu (80-100 cm) et le Cd (60-80 cm).
29Les teneurs en ETM des parcelles cultivées du Fluvisol montrent une différenciation majeure dans les couches de sol profondes (Figure 2B). Pour le site 3, les teneurs en Cu, Zn et Cd sont significativement plus élevées (p < 0,05) pour la parcelle cultivée que pour la parcelle non cultivée et identiques pour le Pb. Cela signifie que le Cu, Zn et Cd, qui sont déjà présents en plus forte quantité dans les couches de surface, ont également enrichi les couches profondes de 40 à 100 cm de profondeur. Le travail du sol n’a jamais été réalisé sur des profondeurs supérieures à 40 cm. La présence d’ETM en deçà de cette profondeur résulterait donc d’un transfert par lixiviation favorisé par les irrigations et les pluies. Pour le site 4, dans les couches profondes (40 à 100 cm), les teneurs en Cu, Zn et Pb sont significativement plus élevées (p < 0,05) pour la parcelle non cultivée que pour la parcelle cultivée. Tous les autres paramètres mesurés pour les couches 40 à 100 cm de profondeur (C, N, Ptot. et CEC) ne présentent pas de différences significatives entre PC et PNC (Tableau 2). Toutefois, la parcelle cultivée est située topographiquement dans la partie basse du site 4, alors que la parcelle non cultivée est située dans une partie plus haute. La topographie influence fortement les propriétés physico-chimiques des sols à l’échelle du paysage, du fait que la plupart des terres de bas versant s’enrichissent en limon, argile, matière organique et éléments minéraux par rapport aux terres adjacentes de haut versant (Hook et al., 2000). De plus, dans les zones de bas versant, l’accumulation de l’eau favorise l’infiltration et les écoulements hypodermiques. De ce fait, sur la parcelle cultivée uniquement, des taches d’oxydoréduction ont été observées à partir de 80 cm de profondeur lors de l’échantillonnage. Ces processus d’oxydoréduction peuvent être attribués au battement de la nappe. Ainsi, les faibles teneurs en ETM des couches profondes de la parcelle cultivée par rapport à la parcelle non cultivée pourraient s’expliquer par des processus géochimiques de dissolution. En effet, l’alternance des conditions d’oxydoréduction à cette profondeur pourrait induire une dissolution des oxyhydroxydes de Fe, Mn et Al, susceptible de libérer les ETM qui sont ensuite lixiviés (Davranche et al., 2003). Cela illustre la difficulté de trouver deux parcelles strictement semblables d’un point de vue pédologique, même lorsqu’elles sont situées très proches l’une de l’autre.
30Pour les sites 3 et 4, les teneurs en Cd des parcelles cultivées sont significativement supérieures (p < 0,05) aux parcelles non cultivées sur tout le profil. Le Cd présente les FE les plus élevés pour les sites 3 et 4, dans les couches de surface (Tableau 4). Ces enrichissements proviennent des amendements en phosphates naturels utilisés sur ces sites à raison d’environ 300 kg·ha-1 tous les deux ans. En effet, la contamination en Cd des sols agricoles liée à l’utilisation d’engrais phosphatés a été soulignée par Mar et al. (2012) qui ont reporté des teneurs en Cd variant de 37 à 221 mg·kg-1 dans les phosphates naturels du Sénégal. Les couches profondes (40-100 cm) des parcelles cultivées des sites 3 et 4 présentent également des teneurs en Cd significativement supérieures (p < 0,05) aux parcelles non cultivées. Ces enrichissements résultent donc d’un transfert du Cd depuis les couches de surface.
3.4. Comparaison de la contamination en ETM des bassins maraichers de Pikine et Rufisque avec d’autres sites
31En considérant que les apports s’accumulent dans les couches superficielles, nous avons utilisé les incréments annuels moyens des teneurs en ETM de la couche 0-40 cm des quatre sites étudiés pour cette analyse comparative. Ainsi, les apports annuels des ETM dans les couches superficielles des quatre sites sont nettement supérieurs à ceux des mêmes ETM dans les couches agricoles d’autres pays (Tableau 5). Pour les sites 1, 2 et 3, les quantités d’ETM apportés annuellement présentent le même ordre que pour les autres pays : Zn > Cu > Pb et Cd. Cet ordre est analogue aux teneurs mesurées dans les matières organiques qui sont épandues (Belon et al., 2012 ; Tella et al., 2013). Cette similitude indique que pour les quatre sites du Sénégal comme pour ceux des pays développés, les boues de STEP et les effluents d’élevage constituent les sources majeures en ETM des sols agricoles (Luo et al., 2009 ; Belon et al., 2012). Plusieurs études ont souligné que l’épandage de boues de STEP engendre des augmentations significatives en Zn, Cu, Pb et Cd (Nicholson et al., 2003 ; Baize et al., 2006 ; Houot et al., 2009). Il convient de noter que le site 4 se distingue avec un ordre des apports annuels en ETM différent : Zn > Cd > Pb > Cu et nous n’observons pas de contamination pour le Cu et une plus forte contamination par le Cd que par le Pb. Ainsi, le site 4 semble peu impacté par des apports de matières organiques, qui sont presque toujours chargés en Cu, mais il est sans doute impacté par des fertilisants phosphatés (phosphates naturels) chargés en Cd.
32Les apports annuels en Cd, Cu, Pb et Zn des 4 sites étudiés, à l’exception du Cu pour le site 4, sont très nettement supérieurs aux apports annuels mesurés en France, Chine, Grande-Bretagne, Suisse, Pays-Bas ou Allemagne (Tableau 5). Les apports les plus élevés concernent le Zn avec des valeurs comprises entre 1 369 et 5 818 g·ha-1·an-1 au Sénégal contre des valeurs comprises entre 454 et 1 539 g·ha-1·an-1 pour les autres pays. Les apports de Zn sur les parcelles de maraichage sont ainsi sept à huit fois supérieurs au Sénégal. Or, les boues de STEP produites à Dakar ne sont pas particulièrement riches en Zn lorsque l’on compare leurs teneurs en ETM avec les inventaires réalisés en Europe (Tella et al., 2013). Par contre, les boues de STEP produites à Dakar sont apportées plusieurs fois par an, alors que dans les pays européens, les apports de boues ne sont réalisés qu’une fois par an et sont interdits en maraichage. Ainsi, la différence entre les sites sénégalais et ceux des pays développés s’explique donc essentiellement par le contraste entre les situations agronomiques qui sont comparées et par des dispositifs règlementaires et des usages différents. En effet, pour les données de la littérature, il s’agit le plus souvent de cultures pérennes qui ne requièrent pas d’apport de matière organique à une fréquence aussi élevée qu’en contexte de maraichage. En effet, les systèmes maraichers présentent des cycles culturaux courts et les apports de matières organiques y sont fréquents (Ba Diao, 2004). Une étude portant sur les systèmes maraichers urbains au Burkina Faso a révélé une grande diversité des pratiques de fertilisation entre et au sein des différents sites, en raison des propriétés chimiques contrastées des sols et de la proximité et de la disponibilité des sources de fertilisants (Kiba et al., 2012). Ces auteurs ont par ailleurs signalé que la contamination en ETM des sols et des légumes qui y sont cultivés, variait selon les sites.
4. Conclusions
33En contexte tropical, l’intensification des cultures maraichères au sein de l’agriculture urbaine et périurbaine d’une grande ville comme Dakar a engendré de fortes contaminations par les ETM. Les différents types de matières organiques utilisés, principalement les boues de STEP et les fientes de volailles, mais également les eaux d’irrigation, expliquent ces contaminations des couches de surface des sols. Malgré un fond pédogéochimique inférieur à la moyenne des sols mondiaux, toutes les parcelles cultivées étudiées dans les bassins maraichers de Pikine et de Rufisque présentent des enrichissements en ETM très forts par rapport aux parcelles non cultivées. En effet, les apports annuels en ETM sont significativement plus élevés que dans la plupart d’autres pays développés. En outre, dans le bassin maraicher de Rufisque, les forts apports de phosphates naturels induisent des contaminations en Cd marquées.
34L’innocuité et la durabilité des systèmes maraichers dans la région urbaine et périurbaine de Dakar sont donc confrontées à l’usage massif de ces matières organiques riches en ETM. En effet, de nombreuses parcelles sont exploitées depuis longtemps notamment dans le bassin maraicher de Pikine, le plus proche de la ville de Dakar. Afin d’améliorer la durabilité de ces écosystèmes, la principale voie à privilégier consisterait à diversifier les matières organiques apportées notamment en favorisant celles présentant les teneurs en ETM les plus faibles tels que le fumier de cheval, sans que cela soit une source d’autres contaminations. Par ailleurs, une meilleure connaissance des matières organiques fréquemment utilisées par les agriculteurs leur permettrait d’apporter des doses plus adaptées aux différentes cultures. De même, des analyses de sol ponctuelles leur permettraient également de tenir compte des arrières effets des apports intensifs de matières organiques et de mieux ajuster les doses apportées. En outre, il serait nécessaire de compléter ce diagnostic de contamination en ETM des systèmes maraichers périurbains de Dakar en précisant la spéciation et la mobilité des ETM dans les sols, et ainsi définir leurs potentiels de disponibilité et biodisponibilité dans le système sol-eau-plante.
35Remerciements
36Les auteurs tiennent à remercier le CORAF/WECARD (Conseil Ouest et Centre Africain pour la Recherche et le Développement Agricoles) qui a soutenu financièrement ce travail par l’entremise du projet « Externalités négatives de l’intensification des sols cultivés en milieu périurbain : méthodes et outils d’évaluation et pratiques alternatives ». Nous remercions également le CIRAD (Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement) pour l’allocation de recherche qui nous a été octroyée dans le cadre du programme « Doctorants du Sud » et le LMI IESOL (Laboratoire Mixte International « Intensification écologique des sols cultivés en Afrique de l’Ouest ») pour son accueil. Par ailleurs, nous remercions l’unité de service « Analyses des eaux, sols et végétaux » du CIRAD à Montpellier pour l’utilisation de leur équipement pour les analyses de laboratoire.
Bibliographie
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