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- Volume 19 (2015)
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Bilan et apports de différentes Analyses Sociales du Cycle de Vie menées dans le secteur des agro-industries
Editor's Notes
Reçu le 9 mars 2015, accepté le 16 septembre 2015
Résumé
Introduction. Le consommateur attache de plus en plus d’importance à la durabilité de ses achats. Le secteur de l’agro-industrie est bien conscient de cette problématique et cherche à garantir la durabilité de ses produits.
Littérature. Parmi d’autres méthodologies et outils déjà développés (ISO 26000, SA 8000, etc.), l’Analyse Sociale du Cycle de Vie (ASCV) apparait comme une méthodologie de choix lorsqu’il s’agit d’évaluer les impacts socio-économiques globaux d’une filière. Cette méthodologie, dont les lignes directrices ont été publiées en 2009, est relativement récente. Le cadre de l’ASCV n’est donc pas encore clairement fixé, mais diverses études apportent leur contribution au développement de la méthode. L’objectif de cet article est de fournir un retour d’expériences aux acteurs des filières agro-industrielles et aux praticiens de la méthodologie ASCV, afin de baliser les futures approches ASCV menées dans le secteur de l’agro-industrie. Les articles passés en revue dans cette synthèse bibliographique ont été sélectionnés sur base d’une recherche dans la base de données Scopus de 2000 à nos jours, complétée par une analyse de conférences internationals majeures. Au niveau de l’agro-industrie, les études déjà développées, et passées en revue dans le cadre de cet article, ont permis de mettre en avant l’utilité de la base de données des points chauds sociaux, la nécessité de faire intervenir les acteurs directement concernés lors de la mise en œuvre de l’ASCV, la dépendance de l’ASCV au contexte géographique, la nécessité de développer des liens de causalité entre indicateurs et catégories d’impact telles que les conditions de travail, la gouvernance, etc.
Conclusions. L’ASCV est une méthode encore récente, qui nécessite des approfondissements méthodologiques afin de pouvoir être standardisée. Considérant la vision globale des impacts socio-économiques que cet outil peut offrir, l’ASCV reste un choix pertinent dans toute analyse de durabilité de filières.
Abstract
Assessment and contributions of different Social Life Cycle Assessments performed in the agribusiness sector
Introduction. Consumers are attaching increasing importance to the sustainability of the products they purchase. The agribusiness sector is well aware of this trend and is making efforts to guarantee product sustainability.
Literature. Social Life Cycle Assessment (S-LCA) is a widely used methodology (like others in this field, such as ISO 26000 and SA 8000) for evaluating the social impact of the activities involved in the life cycle of a product. The S-LCA guidelines were published in 2009 and therefore the framework for this methodology is not yet well established. Nevertheless, some S-LCA studies have been completed and have contributed to the development of the methodology. The objective of this paper is to give feedback to the agribusiness sector and researchers regarding prospects for future use of Social Life Cycle Assessment in the agribusiness sector. Papers selected for this literature review have been chosen on the basis of Scopus’s query from 2000 to the present day. Scopus’s query contains analyses of major international conferences. The case studies in the agribusiness sector that are reviewed in this paper highlight the usefulness of a social hotspots database, the need for stakeholder involvement in S-LCA implementation, the link between S-LCA and its regional context, and the benefits of developing causal links between indicators and impact categories, such as working conditions and governance.
Conclusions. Further methodological investigation needs to be conducted in order to standardize this new methodology. Its ability to provide an overview of assessment of socioeconomic impacts makes it a good choice for evaluating the aspect of social impact as part of sustainability studies.
Table of content
1. Introduction
1À côté des dimensions agronomiques et environnementales, l’analyse de la durabilité de l’agriculture et des filières agro-industrielles se doit, comme pour tout secteur d’activité, d’intégrer tant la dimension humaine que les dynamiques sociales et économiques qui en accompagnent le développement (Karami et al., 2010). Les méthodes développées devront être à même de prendre en compte la complexification des rôles et les impacts des décisions posées par toute partie prenante et ce, tant au niveau environnemental, économique que sociétal. Cette complexification découle, entre autres, de la privatisation des compétences publiques, de l’importation massive de produits d’autres continents ou des spécialisations géographiques (ISO 26000, 2011).
2Or, à l’heure actuelle, suite à divers scandales et à l’évolution des attentes sociétales qui en découlent, le consommateur en arrive à se poser différentes questions au moment de ses actes d’achat (Kleine, 2013). Dans ce contexte, différentes méthodes voient le jour afin de permettre, d’une part, aux filières d’évaluer leur durabilité socio-économique et, d’autre part, aux consommateurs de comparer, sur base de différents critères importants à leurs yeux (éthique, équité, etc.), les produits qu’ils consomment (Tableau 1).
3Comme il a été souligné dans le tableau 1, le point crucial pour toutes ces méthodes et outils est l’accessibilité des données ainsi que le type de données à récolter. À titre d’exemples, la norme ISO 26000 (ISO 26000, 2011) ou encore le standard international SA 8000 (SAI, 2014) sont relatifs à des comportements de l’entreprise vis-à-vis de diverses thématiques (respect des droits de l’Homme, conditions de travail, etc.). Les données nécessaires à l’évaluation de ces dimensions sont relatives aux actions menées au sein même de l’entreprise (par exemple, existe-t-il des moyens déjà mis en place pour intégrer le respect des droits de l’Homme dans l’entreprise), afin d’identifier les points critiques à surveiller. La norme ne vise pas à mesurer l’impact de ces actions sur divers acteurs, pour certains extérieurs à l’entreprise, ce qui rend les données nécessaires à la mise en œuvre de la norme plus accessibles (démarche volontaire et en interne), comme pour le GRI (Global Reporting Initiative) (www.globalreporting.org, consulté le 10/08/2014). Il s’agit avant tout d’une mesure des performances internes afin d’en permettre une amélioration continue. L’Analyse Sociétale du Cycle de Vie (ASCV) couvre également davantage de thématiques que la SA 8000. La SEEBalance® couvre elle les trois piliers mais se place à l’heure actuelle à l’échelle de l’entreprise.
4Au final, nombre des méthodes et outils mentionnés dans le tableau 1 sont relatifs à l’entreprise et à son fonctionnement interne, mais n’apportent pas de vision globale des impacts socio-économiques tout au long de la filière (la méthode IDEA et le global GRASP ne concernent que la production agricole), depuis la production jusqu’à la consommation, ce que permet l’ASCV (UNEP/SETAC, 2009), même si la question de l’accessibilité des données pour cette dernière est plus critique.
5La pensée « Cycle de vie » est ainsi reconnue comme un outil de référence en matière d’évaluation des impacts réels et potentiels d’un produit ou d’un système de production, de l’étape d’extraction des matières premières à l’étape d’élimination des déchets associés à l’utilisation d’un produit en passant par l’étape de production (Boeglin et al., 2005).
6L’agro-industrie participe au développement économique en créant de l’emploi et en apportant de la valeur ajoutée aux produits. Ainsi, la contribution des agro-industries au développement économique est, en moyenne, de 61 % dans les pays dont le PIB (Produit Intérieur Brut) est basé sur l’agriculture, de 42 % dans les pays en transition et de 37 % dans les pays en développement urbanisés (ONU, 2008). Enfin, « the European Technology Platforms Food for Life » a défini la production alimentaire durable comme le défi le plus important à remplir par l’industrie alimentaire européenne (Notarnicola, 2011). Au vu de l’importance de l’agro-industrie, il semble utile de proposer un outil permettant d’évaluer les performances sociales et économiques associées aux conditions de production et de transformation y ayant lieu.
2. Études de cas dans le secteur de l’agro-industrie : état des lieux
2.1. Objectif et méthodologie
7Dans ce contexte, l’objectif de cet article est de fournir un retour d’expériences aux acteurs des filières agro-industrielles et aux praticiens de la méthodologie ASCV, afin de baliser les futures approches ASCV menées sur ce secteur et d’identifier les questions méthodologiques posées au travers de ces cas d’étude.
8Les cas d’étude en ASCV analysés dans cet article ont été extraits de plusieurs recherches sur la base de données Scopus, de 2000 à nos jours. Les mots-clefs identifiés sont : « social life cycle » ET « agri-business » OU « agriculture » OU « agro-food system » OU « agro-industry ». « Social life cycle assessment », « S-LCA » ou « social-LCA » ont également été entrés dans la recherche sans différences de résultats. Le seul critère de sélection retenu est le fait d’avoir réalisé une ASCV et non un autre type d’étude socio-économique. Ces résultats ont été complétés par l’analyse des contributions aux conférences telles que « LCA Food » (2012 à 2014), « Séminaires internationaux en ACV sociale » (du deuxième au quatrième), « LCA Agri-food Asia » (2014), ayant fait l’objet de compte-rendus. Un cas particulier est le 3e séminaire international en ACV sociale : il n’existe pas de compte-rendu de cette conférence mais vu son importance, une recherche a été effectuée dans Scopus sur base du nom de l’auteur y ayant réalisé une présentation. Enfin, après lecture des sources bibliographiques des articles sélectionnés, les références non encore prises en compte ont pu être consultées. Une analyse des résultats obtenus révèle que, sur base de la différenciation fournie par Scopus, 57 % des références identifiées sont des articles scientifiques, 21 % des synthèses bibliographiques et 11 % des papiers de conférence. Le reste concerne des chapitres de livres, des éditoriaux ou des livres. Enfin, le nombre de documents identifiés est passé de 4 de 2003 à 2009 à 5 en 2009 et enfin à 18 en 2014, ce qui démontre l’intérêt croissant pour l’ASCV.
9L’agro-industrie est ici définie sur base d’un document de la Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO) (http://www.fao.org/docrep/w5800f/w5800f12.htm, consulté le 10 janvier 2015), comme étant « la partie du secteur manufacturier qui transforme les matières premières et les demi-produits provenant du secteur agricole au sens large, c’est-à-dire y compris la foresterie et la pêche ». Dans le cas de cet article, nous nous intéressons aux filières agro-industrielles tout en intégrant également l’étape de production ainsi que la fourniture des intrants agricoles.
2.2. Cadre méthodologique de base de l’ASCV
10Les lignes directrices de 2009. Ce paragraphe décrit brièvement le premier guide méthodologique de référence en matière d’ASCV, guide qui date de 2009 et qui fut publié par l’UNEP-SETAC. Bien que d’autres études d’importance aient été publiées avant ce guide, ces dernières ne seront pas décrites dans cet article qui se centre sur les cas développés après la publication des lignes directrices. Les lignes directrices définissent les impacts sociaux comme les conséquences des relations sociales entretenues dans le cadre d’une activité ou engendrées par elle ou par des actions préventives ou de renforcement prises par les parties prenantes. Comme pour l’AECV (Analyse Environnementale du Cycle de Vie), le cadre définit les étapes de l’ASCV : objectif et champ d’application (finalité de l’étude, unité fonctionnelle, définition des frontières du système étudié, identification de points chauds, etc.), analyse de l’inventaire (collecte de données, évaluation de la qualité des données, etc.), évaluation des impacts (agréger les données dans les [sous-]catégories) et interprétation (identification des enjeux, conclusions et recommandations). Les lignes directrices définissent également les catégories (et sous-catégories) d’impact (droits humains, conditions de travail, etc.) touchant directement les parties prenantes (travailleurs, communautés locales, sociétés, consommateurs et acteurs de la chaine de valeur).
11La méthodologie étant récente, des besoins en recherche afin de l’améliorer y ont été mentionnés (UNEP/SETAC, 2009). Le besoin en études de cas y était fixé comme une priorité, y compris les études permettant de concilier ASCV, AECV et ACCV (Analyse des Coûts du Cycle de Vie). Le tableau 2 présente les diverses études de cas d’ASCV au sein de la filière agro-industrielle. Ces différentes études seront développées plus avant dans la suite du document en mettant en avant les innovations mobilisées. Les autres besoins en matière de recherche sur l’ASCV en 2009 étaient de prévoir des formations sur l’ASCV, développer des outils relatifs aux traitements des données, détailler l’approche par les parties prenantes, développer des modèles de présentation des résultats, documenter les pratiques utilisées pour fixer les limites du système, développer des modèles de caractérisation, des liens de causalité, etc. (UNEP/SETAC, 2009). Le développement de bases de données permettant de détecter des « points chauds » était également jugé primordial à l’époque.
12Développer une ASCV jusqu’à l’étude des impacts sur l’entreprise implique d’intégrer cette dernière dans l’étude. À ce niveau, il est pertinent de se poser la question des attentes (pertinence, faisabilité, etc.) de l’entreprise par rapport à l’ASCV (Jørgensen et al., 2009). Selon Jørgensen et al. (2009), trois cas d’utilisation de l’ASCV intéressent les entreprises : comparer des produits, évaluer les différentes étapes de production du produit (afin d’identifier des impacts potentiels auprès de leurs fournisseurs, se conformer à un code de conduite demandé par des clients potentiels, etc.) et attribuer plus d’importance aux impacts sociaux. Néanmoins, les entreprises elles-mêmes éprouvent des difficultés à récolter de l’information précise, auprès de leurs fournisseurs par exemple, ce qui empêche d’opérer une analyse sociale du cycle de vie complète. Développer des bases de données plus spécifiques par secteur pourrait pallier en partie à ce problème (Jørgensen et al., 2009), si l’échelle géographique adoptée n’est pas trop vaste.
13Apparition d’un nouveau courant méthodologique : l’ACV sociale des capacités. En parallèle de la méthodologie inspirée par les Guidelines (Andrews et al., 2009a), un autre courant méthodologique se développe : l’ACV sociale des capacités, qui repose sur le modèle à capitaux multiples (MCM).
14Le MCM se base sur une interprétation de la croissance économique de Adam Smith et David Ricardo. Il résulte de l’accumulation de capital (compris comme moyens de production au sens économique) à la disposition de travailleurs (Falque et al., 2013). Plusieurs études et modèles ont défini les types de capitaux admis dans ce modèle. Aujourd’hui, la croissance se définit comme une combinaison de la variation des quantités de différents capitaux, qui sont (Falque et al., 2013) : le capital économique (divisé en capital technique et financier), le capital naturel, le capital humain, le capital social et le capital institutionnel (ce capital est encore controversé). La mobilisation du capital humain nécessite des capabilités (ou capacités d’accès), c’est-à-dire la possibilité pour une personne de réaliser des actes fondamentaux, tels que se déplacer, assurer la couverture de ses besoins nutritionnels, etc. (Falque et al., 2013).
15L’ACV sociale des capacités vise à coupler une analyse de filière avec une approche MCM ne retenant que cinq des classes de capital à l’exclusion du capital naturel, ceci dans le but de mesurer les variations de capacités des acteurs résultant des pratiques sociales des entreprises (Falque et al., 2013). Un cas d’étude de ce nouveau mouvement en matière d’ASCV est présenté au paragraphe 2.3.3.
2.3. Les divers apports méthodologiques à l’ASCV
16Objectifs et champ d’application. Outre les traditionnelles catégories de parties prenantes définies dans les lignes directrices de l’ASCV (UNEP/SETAC, 2009), d’autres catégories de parties prenantes sont mentionnées ou analysées dans diverses contributions scientifiques. Par exemple, Paragahawewa et al. (2009) incluent les générations futures (déjà proposé par Schmidt et al., 2004) dans leur cadre d’analyse mais se rendent compte que la définition de « générations futures » n’est pas la même pour tous les praticiens ASCV. Hormis via des impacts environnementaux et des paramètres biophysiques (disponibilité en énergies non renouvelables, etc.), les auteurs ne savent pas comment mesurer exactement les impacts sociaux sur des personnes qui ne sont pas encore nées. Ainsi, dans des analyses complétant l’AECV par l’ASCV, il faut tenir compte du risque de double comptage si cette catégorie de parties prenantes est intégrée. De plus, Gipmans et al. (2014) utilisent deux autres catégories de parties prenantes, les agriculteurs et la communauté internationale. Enfin, une nouvelle catégorie de partie prenante a été utilisée par Neugebauer et al. (2014) : les animaux. Les auteurs cherchent à évaluer les impacts sur le bien-être animal le long de la chaine de production de viande de porc.
17À l’heure actuelle, il est très difficile de généraliser de manière systématique les impacts identifiés à l’échelle des divers acteurs étant donné que la majorité des impacts sociaux dépendent du comportement de gestion des acteurs (entreprises, organismes, etc.) (Dreyer et al., 2006). Ainsi, l’étude menée par Franze et al. (2011) compare le cycle de vie de la production de roses en Équateur et aux Pays-Bas (de la production au conditionnement) sur base de la méthodologie de l’UNEP/SETAC (2009). Les auteurs soulèvent la nécessité d’avoir recours à des données spécifiques aux sites étudiés, étant donné que les impacts sont davantage liés au management de l’entreprise qu’aux processus. Bien que l’ASCV, selon le guide de l’UNEP/SETAC, suive les étapes de l’AECV en ce qui concerne l’unité fonctionnelle (UF), le débat est loin d’être clos : 34 % des 35 cas d’études considérés (tous secteurs confondus) choisissent une UF numérique, alors que 51 % choisissent une UF non numérique et enfin, 14 % n’en choisissent pas selon Petti et al. (2014). Comme mentionné dans Macombe et al. (2011a) et Macombe et al. (2011b), l’UF peut être identifiée selon le service fourni. Si un produit assume plusieurs services, il est envisageable de proposer une UF par service, si aucune comparaison entre produits n’est envisagée. Certains utilisent l’UF uniquement pour lister les principaux inputs et services impliqués dans le cycle de vie (Couture et al., 2012). En AECV, l’UF s’exprime selon le processus de production. Comme mentionné dans l’étude de Manik et al. (2013), en ASCV, il existe des données qu’il n’est pas pertinent d’exprimer en fonction d’un process. Il est donc impossible de les agréger selon une unité fonctionnelle le long du cycle de vie. L’organisation peut également être choisie comme base de l’unité, comme décrit dans le cadre méthodologique de Ramirez et al. (2014). Rares sont les études qui utilisent sur la totalité de l’analyse une unité fonctionnelle : ainsi, Lagarde et al. (2013), dans leur cas d’étude (calcul du nombre d’emplois créés et détruits par une nouvelle filière agricole), utilisent comme UF 164 tonnes de viande de porc par an, ce qui correspond à la quantité de viande produite en un an par les nouvelles unités de production.
18En matière de délimitation du système, toutes les études ne mentionnent pas forcément la méthode utilisée : 40 % des 35 cas d’études ont choisi comme périmètre du berceau à la tombe selon l’étude de Petti et al. (2014). Le plus souvent, le manque de données limite de lui-même le système à délimiter (Martínez-Blanco et al., 2014). Certains délimitent leurs systèmes sur base de la définition de hotspots1, via une base de données (Social Hotspot Database), par la littérature (Andrews et al., 2009) ou encore sur base du contexte géographique (Siebert et al., 2014). D’autres (Martínez-Blanco et al., 2014), dans le cas de fertilisants et de compost industriel, ont délimité leur système en incluant les flux significatifs en termes de quantité et de temps de travail, ce qui aboutit à des frontières quasi similaires à celles de l’AECV. Le périmètre de l’étude peut également être délimité autrement. Macombe et al. (2013) ont ainsi, en comparant divers processus de fabrication de biodiesel, éliminé la partie des chaines de production qui sont identiques suivant les différents procédés de fabrication (ici, le stockage, la distribution et le processus de combustion). Un cas a été relevé où les limites de l’ASCV et de l’AECV sont identiques, mais rien n’est précisé sur la manière dont les acteurs ont été sélectionnés au sein de ces limites (Busset et al., 2014). Enfin, comme suggéré par Lagarde et al. (2013), ne doivent être admis dans le périmètre du système de l’ASCV d’un produit X que les organismes (utilisateurs finaux, produits complémentaires, produits de substitution, fournisseurs, etc.) dont le comportement change suite à un changement dans le modèle de production de X.
19Analyse de l’inventaire du cycle de vie. Lors de la publication des Guidelines, il était fait mention des besoins en identification des processus socialement significatifs, ainsi que du développement de bases de données. Depuis lors, la SHDB (base de données de points chauds, différenciés selon le secteur et le pays) a été créée, ce qui permet d’identifier des points chauds sociaux, à l’échelle d’un pays ou d’un secteur. Cette base de données, accessible via Internet (http://socialhotspot.org/) est encore en cours de développement. Déjà mentionnée par Vickery-Niederman et al. (2012), des études, e.a. Vuaillat et al. (2013), ont été réalisées depuis cette SHDB pour identifier les hotspots et/ou les utiliser dans leur analyse. Néanmoins, on peut constater que, dans certains cas, cette base de données n’est pas encore suffisamment complète pour être systématiquement utilisée. Ainsi, dans le cas de particularités sectorielles ou géographiques, une approche à une échelle plus fine que l’échelle nationale est nécessaire. Or, les données présentes dans la SHDB se situent encore, à l’heure actuelle, à l’échelle des États. Il est également possible, mais plus fastidieux, d’avoir recours aux parties prenantes pour déterminer ces hotspots (Manik et al., 2013).
20La SHDB se base notamment sur des conventions et normes internationales pour fixer les niveaux de certains indicateurs. Cette approche, tout en prenant en compte la disponibilité des données, a été mobilisée par Kruse et al. (2008) pour définir un set d’indicateurs dans la filière de la production du saumon, allant du producteur au consommateur. Ils l’ont complétée par des indicateurs (salaire adéquat qui permette à une personne de survivre, accès à l’eau potable, etc.) d’intérêt pour les acteurs (c’est-à-dire capables de mesurer spécifiquement les différences entre acteurs du même secteur, entre entreprises par exemple). Les auteurs développent notamment des indicateurs appelés « descriptifs » (âge minimum des travailleurs, accès à l’eau potable [proxy pour évaluer les conditions de travail], etc.), c’est-à-dire non forcément liés à une unité commune, pouvant être qualitatifs et permettant, par exemple, de mettre le focus sur un sujet clef au sein d’un process spécifique. Ces indicateurs ne sont, par contre, pas forcément généralisables à d’autres secteurs ou d’autres process (Kruse et al., 2008). À noter que l’utilisation de proxy est parfois recommandée lorsqu’il existe un risque que les indicateurs soient influencés par la manière dont l’indicateur est collecté, par exemple (Jørgensen et al., 2007).
21Un exemple d’utilisation de la SHDB est donné par Benoît Norris et al. (2011b), qui se basent sur celle-ci pour évaluer les hotspots de la production de jus d’orange aux États-Unis. Deux listes de pays et de secteurs impliqués dans la chaine de production du jus d’orange sont créées, à partir de deux méthodes.
22La première liste a été établie de la manière suivante : les heures de travail par dollar d’output sont calculées en divisant le salaire total payé par dollar d’output selon le pays et le secteur par la moyenne des salaires horaires payés dans ce pays et dans ce secteur. On obtient ainsi des heures par dollar d’output pour la production du secteur considéré, dans le cadre de cette étude, les fruits et légumes aux États-Unis. Ces pays et secteurs sont ensuite classés sur base de l’indicateur obtenu.
23La deuxième liste est issue de recherches sur les matériaux, composants et ressources nécessaires à la production de jus d’orange dans un container Tetrapak™. Les pays produisant, assemblant, etc., ces composants sont ensuite recensés via la littérature. En ce qui concerne la deuxième liste et sur base de la littérature, les principales matières premières produites ou exportées sont les oranges, les fertilisants, les pesticides, l’eau, les énergies fossiles et les machines. Les pays participant principalement à la production ou à l’exportation de ces matières premières sont listés.
24Les deux listes sont ensuite combinées en supprimant les pays et les secteurs qui ne contribuent pas à plus de 5 % au total des heures de travail. Une exception est faite pour le Brésil, qui ne participe que très peu aux heures de travail, mais qui occupe une place prédominante dans la production et l’exportation d’oranges. Les pays et secteurs ainsi définis sont ensuite caractérisés via un hotspot index, déterminé en divisant le nombre de thèmes sociaux à hauts ou très hauts risques du secteur par le nombre total de hotspots (quel que soit le niveau de risque) que le secteur concerné peut obtenir au sein d’un pays multiplié par 100 (Benoît Norris et al., 2011b).
25Une autre utilisation de la SHDB, plus récente, a été réalisée par le bureau de consultance Evea® en 2012. Il s’agissait d’évaluer les impacts sociaux et environnementaux d’un produit biobasé, fabriqué au Brésil et destiné à être utilisé dans le packaging d’un produit cosmétique d’une entreprise. Après avoir défini le cycle de vie, les questions d’intérêt ont été identifiées via la SHDB. L’évaluation des impacts s’est ensuite basée sur une échelle qualitative, intégrant l’identification de thématiques sensibles au niveau social et l’existence ou non de procédures de contrôles efficaces de ces thématiques (Vuaillat et al., 2013).
26L’UNEP/SETAC a également développé une fiche par sous-catégorie d’impact (soit 31 au total), qui décrit notamment des exemples d’indicateurs pertinents pour la sous-catégorie d’impact considérée, ainsi que les unités de mesure et les sources de données (Benoît-Norris et al., 2011a). À titre d’exemple, pour la catégorie de partie prenante « travailleur » et la sous-catégorie d’impact « salaire juste », dans le cadre d’une analyse spécifique et non générique, l’indicateur « les travailleurs ayant le salaire le plus bas considèrent que ce salaire suffit à combler leurs besoins » peut être mobilisé. Les sources de données sont issues d’interviews avec les travailleurs et diverses associations comme pour l’étude de Benoît Norris et al. (2013). Martínez-Blanco et al. (2014) utilisent cette référence dans le cadre de leur étude sur la production de fertilisants.
27Une autre possibilité est d’utiliser les rapports GRI (directement issus des entreprises) mais comme le soulignent Usubharatana et al. (2014), beaucoup de données ne sont pas communiquées, étant jugées confidentielles. Les rapports GRI devraient encore évoluer pour pouvoir être plus facilement réalisables et comparables. Étant donné qu’il est fréquemment impossible de trouver une information suffisamment précise au sein d’un secteur ou d’une région donnés, une enquête par questionnaires est généralement organisée afin de mettre en œuvre une ASCV, comme notamment Prasara et al. (2014) ou encore Moriizumi et al. (2010), qui se basent uniquement sur des données de terrain pour la réalisation de leur approche, respectivement sur la culture de la canne à sucre au Nord-Est de la Thaïlande et la gestion de plantations de mangroves en Thaïlande également.
28Évaluation des impacts du cycle de vie. La méthodologie d’évaluation des impacts n’est pas encore fixée en matière d’ASCV. Dans une des premières études, réalisée par Franze et al. (2011), l’auteur évalue les impacts selon qu’ils ont un effet positif, indifférent, légèrement négatif, négatif ou très négatif sur la partie prenante considérée, sur base d’autres études ou d’accords internationaux. À chaque niveau d’effet est associé un code couleur (Franze et al., 2011). Cette démarche appartient à la catégorie d’évaluation de type « check-list » (Chhipi-Shrestha et al., 2014), qui évalue l’impact selon sa présence/absence. Néanmoins, les relations causales, qui permettraient notamment de passer du niveau d’indicateur à celui de la catégorie d’impact, ne sont pas encore connues suffisamment que pour être généralisées et réalisées de manière systématique.
29Après une première tentative de modélisation des impacts par Weidema (2006), Feschet et al. (2013) proposent d’adapter la courbe de Preston (méthode empirique d’évaluation des impacts selon Chhipi-Shrestha et al. (2014) et de l’appliquer à un cas d’entreprise bananière au Cameroun. Cette courbe établit une relation entre l’espérance de vie à la naissance et le « PIB parité pouvoir d’achat par habitant » de plusieurs pays. L’auteur souhaite l’appliquer au sein d’un secteur économique pour un pays donné et ainsi évaluer voire prévoir l’impact sur la santé de la population d’un changement dans un secteur économique. À l’origine, la courbe de Preston est une relation empirique reliant l’espérance de vie à la naissance (proxy de la santé de la population) et le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat (proxy pour le revenu réel). Cette relation est fortement corrélée pour des niveaux de revenus et de santé mais nettement moins pour des changements de ces deux composantes, ce qui traduit la non-linéarité de la relation. Ainsi, une variation de revenus ne sera pas aussi corrélée à une variation de santé qu’un niveau de revenu ne l’est avec un niveau de santé. Afin de pouvoir approcher la relation réelle par une relation linéaire, différentes conditions doivent être remplies : le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat doit être inférieur à $ 10 000, être appliqué à un secteur ayant un poids important au niveau de l’économie (en termes de valeur ajoutée directe et indirecte), concerner une activité économique du secteur régulière et sur le long terme et, enfin, concerner un réel partage de la valeur ajoutée au sein du pays. Pour ce faire, il faut donc disposer de données comptables clairement assignables à un produit en particulier (Feschet et al., 2013). Ces auteurs appliquent ainsi cette relation à une compagnie majeure de l’industrie bananière du Cameroun, de la production aux portes du port camerounais. Cette étude arrive à la conclusion que 200 000 t de bananes exportées chaque année par cette entreprise permettent à l’ensemble de la population camerounaise de gagner 5 jours d’espérance de vie (Feschet et al., 2013).
30Les autres études de cas menées depuis la publication des Guidelines n’utilisent pas de liens de cause à effet pour évaluer les impacts sociaux, la majorité de ces liens reste à définir.
31Jørgensen et al. (2010) évoquent néanmoins la notion d’implémentation et de non-implémentation du cycle de vie. Ainsi, s’il n’est pas possible de connaitre les impacts à une phase de la production d’un produit, il est peut-être plus facile d’analyser les conséquences de la non-réalisation de ladite étape.
32Ainsi, Blom et al. (2009) comparent les impacts sociaux de trois biocarburants différents : l’éthanol, le biodiesel et le biogaz. Son unité fonctionnelle est la conduite d’une voiture durant 100 km et le système va de la production au transport à la pompe. L’auteur se base sur les Guidelines de l’UNEP/SETAC (2009) pour son étude. Les données utilisées sont issues de la littérature, d’Internet, de journaux et de différentes interviews. L’agrégation se base sur des valeurs de référence telles que le salaire minimum, des moyennes mondiales, etc. et sur une échelle type : -1 pour une ou plusieurs questions d’intérêt ayant un impact positif, 0 pour un effet neutre ou si pas de données et +1 pour un effet négatif (méthode de graduation, sur base de Chhipi-Shrestha et al., 2014). Ainsi, les informations trouvées sur le travail forcé ou le travail des enfants durant l’étape de la culture de la canne à sucre au Brésil dégradent l’indicateur quantifiant la catégorie « droits humains » de l’ASCV du bioéthanol (Blom et al., 2009).
33Au niveau de l’évaluation et de l’agrégation des impacts, d’autres techniques ont également été utilisées.
34Ainsi, pour Andrews et al. (2009), le facteur de caractérisation est, par exemple pour l’indicateur « certifié SA 8000 », 0 (non certifié), 1 (certifié) ou inconnu (méthode de « check-list » selon Chhipi-Shrestha et al., 2014). Ensuite, l’auteur agrège ses résultats le long de la chaine d’approvisionnement selon le principe suivant : si un service, une unité, etc. est entièrement certifié SA 8000, toutes les heures de travail enregistrées pour ce service, cette unité, etc. seront automatiquement certifiées SA 8000. Ensuite, ce nombre d’heures est divisé par le nombre total d’heures de travail sur la chaine d’approvisionnement afin d’obtenir une proportion de la chaine de valeur qui est certifiée, non certifiée ou inconnue. Pour cette démarche, il faut disposer de données suffisamment précises et entièrement comparables entre sites de production ou entre pays, par exemple (Andrews et al., 2009).
35Un autre moyen d’agréger les informations récoltées tout en pouvant comparer différents pays de production, par exemple, est d’agréger selon la répartition des heures de travail. Ramirez et al. (2014) ont ainsi présenté une étude pilote portant sur la commercialisation d’un savon à base de cacao. Tout au long de la chaine, les entreprises étaient évaluées selon qu’elles remplissaient toutes les bonnes pratiques en matière d’impact social, satisfaisaient aux exigences de base, avaient une situation meilleure que la situation générale locale ou présentaient une situation plus déplorable que celle rencontrée dans le contexte local (méthode de « graduation » sur base de Chhipi-Shrestha et al., 2014). Une agrégation était ensuite effectuée selon la répartition des heures de travail, ce qui permet la comparaison de diverses filières : savon avec cacao et sans cacao (Ramirez et al., 2014).
36Dans l’absolu, il faudrait également replacer les impacts sociaux dans un contexte temporel dynamique : afin d’atteindre cet objectif, pour chaque étape de la production de fromage, Paragahawewa et al. (2009) tentent d’utiliser la formule suivante, développée par Labuschagne et al. (2006) (méthode « empirique » selon Chhipi-Shrestha et al., 2014) :
37avec SII, indicateur d’impact social ; Qx, impact social dû à un process ou l’activité d’une compagnie ; Cc, facteur de caractérisation pour une catégorie d’impact ; Nc, facteur de normalisation calculé comme l’inverse de la mesure cible (niveau critique) de la catégorie d’impact ; Sc, importance relative de la catégorie d’impact mesurée comme un ratio de la situation actuelle par rapport à la valeur critique. Sc est donc égal au rapport entre le niveau d’impact actuel et un niveau critique.
38Paragahawewa et al. (2009) proposent donc d’intégrer la prise en compte de la variation temporelle de Sc. Le rapport modifié donne alors la somme du niveau actuel de l’impact social et sa variation entre la situation actuelle et future par rapport toujours à un niveau critique. Ces auteurs apportent ainsi une originalité en souhaitant intégrer la variation dans le temps de ces impacts sociaux, en comparant leur situation par rapport à un niveau critique.
39Ensuite, Manik et al. (2013) (méthode de « graduation », selon Chhipi-Shrestha et al., 2014) passent par la vision des parties prenantes pour évaluer les impacts sociaux. Ils ont ainsi étudié les impacts sociaux du biodiesel à partir d’huile de palme en Indonésie. Les critères à étudier ont été choisis sur base des Guidelines UNEP/SETAC, complémentés par des avis d’experts et d’une recherche dans la littérature. Les experts ont donné un poids à ces critères afin de leur donner un ordre de priorité. Une fois pondérés, les critères ont été soumis aux représentants des parties prenantes. Chacun devait évaluer ses attentes au niveau des différents critères mais aussi sa vision de la situation actuelle. L’écart entre la vision de la situation actuelle et les attentes est ensuite calculé et multiplié par le poids donné au critère avant d’être sommé selon les catégories d’impact. Cette démarche est répétée pour les différents produits (Manik et al., 2013). Enfin, afin d’illustrer le courant de l’ASCV des capacités, le cas d’étude développé par Yildirim (2014) est développé ici. Pour le capital humain (ensemble de ressources humaines accumulées et structurées), l’auteur retient comme sous-classes de capital (donc comme ressources humaines), l’éducation, les conditions de travail, la santé, la sécurité et la parité. Ces sous-classes sont ensuite décrites par divers indicateurs selon les maillons de la chaine. Ainsi, pour la sous-classe éducation, les effets potentiels2 générés par cette sous-classe de capital sont : accès à l’enseignement (indicateurs : présence d’aide, présence d’école), accès à une formation qualifiante interne (indicateurs : niveau de formation, professionnelle ou non, nombre d’heures de formation, qualifiante ou non) et accès à une formation qualifiante diplômante (indicateurs : diplômante ou non) (Falque et al., 2013 ; Yildirim, 2014).
3. Discussion et conclusions
40Peu de cas existent en ce qui concerne la comparaison, sur base d’une ASCV, de différentes utilisations de matières premières dans l’agro-industrie. Sur base des études développées ci-avant, il apparait que les cas développés le sont essentiellement pour les pays émergents ou en développement, alors que, tous secteurs confondus, le nombre de cas développés en Europe est normalement plus important (Mattioda et al., 2015)
41Sur base du tableau 2, il faut également noter qu’il existe peu de cas d’études du secteur Feed et du secteur Fuel. Ces deux secteurs pouvant être liés via l’utilisation des co-produits, il pourrait s’avérer intéressant d’évaluer les interactions entre eux.
42À l’heure actuelle, l’ASCV peine à évaluer les impacts d’une filière, par exemple étant donné son état d’avancement. Il est possible d’évaluer des performances mais encore difficilement des impacts de manière globale (Macombe et al., 2013). Enfin, l’ASCV ne représente pas encore un outil assez abouti que pour être utilisé à des fins de communication. Enfin, étant donné que peu d’études intègrent le consommateur (Chhipi-Shrestha et al., 2014) dans les catégories étudiées, il n’est pas possible de connaitre leurs attentes via une ASCV.
43En ce qui concerne le retour vers les praticiens de l’ASCV, beaucoup de cas d’études sont basés sur la méthodologie développée par l’UNEP/SETAC (UNEP/SETAC, 2009 ; Petti et al., 2014). Néanmoins, en ce qui concerne la méthodologie d’évaluation des impacts ou encore les parties prenantes et les catégories d’impacts à considérer, le choix est encore souvent laissé à l’avis de l’auteur, selon les objectifs à remplir ou encore la disponibilité des données. Ainsi, comme souligné par Wu et al. (2014), les consommateurs ne sont que rarement considérés dans les études ASCV en agro-industrie. Hormis lors d’études menées sur base de l’approche participative (Nemarumane et al., 2013 ; Mathe, 2014 ; De Luca et al., 2015), il n’existe pas encore de méthode universelle quant au choix des parties prenantes ou des impacts à considérer. En matière d’évaluation des impacts, l’étude de Feschet et al. (2013) permet de développer des liens de causalité entre indicateurs et catégories d’impact, ce qui manque encore cruellement à l’ASCV. Comme développée par Manik et al. (2013), une forte implication des acteurs (définition des hotspots, évaluation des impacts, etc.) dans la réalisation de l’ASCV permet de parer à de nombreuses difficultés méthodologiques : manque de données, évaluation des impacts, etc. Étant donné le manque de données de terrain, la SHDB permet également de centrer l’analyse sur les hotspots relevés dans les divers secteurs ou pays concernés par l’étude. Néanmoins, l’analyse pour certains thèmes peut nécessiter plus de finesses dans le cas de secteurs de pays industrialisés. Ainsi, pour une analyse de revenus par exemple, il faudra également tenir compte des inégalités de revenus présentes au sein du pays, même si le pays a une moyenne supérieure à la moyenne mondiale.
44Malgré ces besoins de développement méthodologique, l’intérêt de l’industrie et du monde de la recherche pour l’ASCV est soutenu, comme le soulignent les projets développés par des bureaux d’étude à ce sujet, notamment l’étude de Vuaillat et al. (2013).
45En termes de développement méthodologique, de nombreuses évolutions sont encore possibles.
46Les catégories d’impact et les sous-catégories d’impact peuvent être développées et précisées, ainsi que les catégories de parties prenantes. Ainsi, la catégorie « générations futures » est mentionnée dans les Guidelines, mais n’est pas encore officiellement intégrée. Son rôle (notamment son interaction avec l’AECV) est encore discuté (Paragahawewa et al., 2009). De même, l’intégration de l’État en tant que partie prenante est envisageable.
47La définition du champ de l’étude se base beaucoup sur la SHDB afin de se centrer sur les hotspots. La validation par les parties prenantes à cette étape pourrait être bénéfique pour tenir compte de particularités régionales ou sous-sectorielles plus spécifiques. Cette définition du champ d’étude doit toujours être clairement mentionnée dans toute étude afin de permettre toute comparaison inter-études (Lagarde et al., 2013).
48L’entreprise ou le secteur est souvent considéré comme unité. Le lien avec l’utilité du produit et l’unité fonctionnelle devrait encore être étudié et ce, afin de pouvoir plus aisément coupler AECV et ASCV (Couture al., 2012).
49En matière d’analyse d’inventaire, l’ASCV souffre beaucoup du manque de données, surtout si on cherche à affiner le degré d’analyse en approchant une filière, unité de production bien déterminée, au départ de données locales (approches top-down ou bottom-up d’après Dreyer et al., 2006). Il n’existe, à l’heure actuelle, pas encore de base de données spécifiques disponible pour un nombre conséquent de secteurs permettant de donner plus d’informations que les hotspots ou encore le respect de normes internationales.
50Au niveau de l’évaluation des impacts, différentes méthodologies sont mobilisées. Elles nécessitent de bien préciser les liens de causalité entre les différents niveaux étudiés : indicateurs/sous-catégories d’impact/catégories d’impact, ce qui laisse place à des innovations potentielles.
51En conclusion, depuis la publication des lignes directrices de l’UNEP/SETAC en 2009, de nombreuses études ont été réalisées afin de rendre cette méthode opérationnelle. Du point de vue du secteur de l’agro-industrie, peu d’études existent sur le secteur « Feed ». Qui plus est, elles sont davantage développées hors Europe. À l’avenir, et ce afin de pouvoir mener une ASCV complète à l’échelle d’une filière, il convient donc d’établir une méthode reconnue pour objectiver le choix du périmètre d’études (catégories de parties prenantes, catégories d’impacts étudiées, etc.), de définir des indicateurs sectoriels pouvant être généralisés et étudiés à une échelle géographique plus précise qu’à l’échelle d’un pays et de définir une méthode permettant de modéliser les impacts à plus ou moins long terme que ce soit sur la filière étudiée ou sur les filières pouvant être impactées (filières de substitution, filières concurrentes, etc.). Ces éléments rendront possible l’utilisation généralisée de l’ASCV par les acteurs des filières, ainsi que son utilisation dans la communication interne et externe à l’entreprise.
52Liste des abréviations
53ACCV :Analyse des Couts du Cycle de Vie
54ACV : Analyse du Cycle de Vie
55AECV : Analyse Environnementale du Cycle de Vie
56ASCV : Analyse Sociétale du Cycle de Vie
57GRASP : Global GAP (Good Agricultural Practices) Risk Assessment on Social Practice
58GRI : Global Reporting Initiative
59IDEA : Indicateur de Durabilité des Exploitations Agricoles
60MCM : Modèle à Capitaux Multiples
61PIB : Produit Intérieur Brut
62SHDB : Social Hotspots Database
63UF : Unité Fonctionnelle
64Remerciements
65Nous tenons à adresser nos plus vifs remerciements aux nombreuses personnes ressources de la filière céréalière wallonne sollicitées dans le cadre de nos recherches et qui nous ont aimablement communiqué des données et prodigué des conseils. Le projet ALT-4-CER, au sein duquel est menée cette recherche, est financé par le Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W) grâce aux fonds libérés par la loi de défiscalisation des institutions de recherche (dite Loi Moerman).
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Notes
1 Hotspost ou points chauds : processus élémentaires situés dans une région où la situation peut sembler problématique, où les questions sociales présentent un risque ou, au contraire, une opportunité. Les thèmes sociaux d’intérêt renvoient à des questions susceptibles de menacer le bien-être social ou de contribuer à son développement (UNEP/SETAC, 2009).
2 Effets potentiels : changements entre une situation de référence et une situation projetée (ex : création d’emplois) qui se transformeront en impacts (ex : amélioration du bien-être) au contact de certaines catégories de public cible (Falque et al., 2013).