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- Volume 19 (2015)
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- Caractérisation des systèmes sols-plantes dans les collines de l’arc cuprifère du Katanga (synthèse bibliographique)
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Caractérisation des systèmes sols-plantes dans les collines de l’arc cuprifère du Katanga (synthèse bibliographique)
Editor's Notes
Reçu le 11 mars 2014, accepté le 9 janvier 2015
Résumé
Introduction. L’arc cuprifère du Katanga regorge d’importantes réserves en cuivre et en cobalt dans son sous-sol. En plus de cette ressource, s’ajoute une diversité végétale spécifique aux sols des affleurements métallifères. Le fonctionnement des écosystèmes cupro-cobaltifères est étudié dans le cadre de l’élaboration et la mise en œuvre de programmes de conservation de la biodiversité préalables à l’exploitation minière des collines.
Littérature. Cette étude fait un état des connaissances sur les sols de l’arc cuprifère du Katanga et propose des pistes de recherches pouvant contribuer à la connaissance du fonctionnement de ce milieu aux conditions édaphiques inhabituelles. Sont principalement ciblés, le fonds géochimique et la biodisponibilité des éléments.
Conclusions. Même si les études actuelles ont permis d’importants progrès dans la connaissance des relations entre propriétés des sols et distribution dans l’espace des communautés végétales, la mobilité du cuivre et du cobalt dans ces systèmes n’est pas encore complètement comprise.
Abstract
Characterization of soil-plant systems in the hills of the copper belt in Katanga. A review
Introduction. The Copper belt of Katanga presents huge resources of Cu and Co-ore. On the copper hills of the area, mineralized rock outcrops and a specific flora have developed as a response to the high levels of Cu and Co in the soil. Soil-vegetation relationships need to be understood in order to develop biodiversity conservation programs prior to industrial mining of the copper hills.
Literature. This paper reviews the current knowledge regarding soil characterization in the copper hills of Katanga and makes proposals for further research on the influence of the very specific chemical conditions of contaminated soils on the vegetation there. The focus is on the geochemical background and the bioavailability of Cu and Co. Much progress has been made recently regarding the identification of soil-vegetation relationships.
Conclusions. Despite advances in this area, the issue of Cu and Co mobility within soil-plant systems is not yet entirely resolved.
Table of content
1. Introduction
1Le Katanga, situé au sud-est de la République Démocratique du Congo, dispose d’importantes réserves en cuivre et cobalt ainsi qu’en zinc, en uranium ou en manganèse et son milieu biophysique y a été étudié par de nombreux auteurs (Robert, 1940 ; Duvigneaud, 1958 ; François, 1973 ; Cailteux, 1978 ; Malaisse et al., 1979 ; Malaisse et al., 1994 ; François, 2006) (Figure 1).
2Les principaux gisements métallifères du Katanga sont localisés au sein d’une vaste structure plissée et faillée en arc de cercle s’étendant de Kolwezi à la Zambie, la « Katangan copper belt » ou arc cuprifère katangais. Ces gisements, par le jeu de l’érosion différentielle, ont pris la forme de collines alignées contrastant sur les vastes surfaces pénéplanées et au sommet desquelles affleurent des roches affectées par les minéralisations métallifères. Les sols développés sur les roches minéralisées en héritent d’importantes concentrations en métaux. Le Cu, par exemple, peut atteindre des concentrations dépassant 3 % (Duvigneaud et al., 1963 ; Malaisse et al., 1979) dans les sols des pelouses sur colluvions. Sur ces sols à contrainte chimique forte, s’est développée une végétation à dominance herbacée (« des collines toutes pelées à contours arrondis » selon Duvigneaud [1958]) tranchant sur la forêt claire du type Miombo alentour.
3La flore métallifère du Katanga compte plus de 600 espèces réparties dans 160 sites ; parmi les espèces qui la composent, 32 sont considérées comme endémiques strictes des sols riches en Cu (Faucon et al., 2010). Organisée en groupes de végétation (Duvigneaud et al., 1963 ; Malaisse et al., 1994 ; Leteinturier et al., 1999), la flore du Cu se distribue suivant un gradient de teneurs en Cu et Co le long des versants qui diminue depuis les affleurements minéralisés en position sommitale jusqu’aux dépôts colluviaux de piémont.
4Ces écosystèmes uniques au monde se trouvent aujourd’hui très menacés par l’exploitation minière industrielle qui procède par destruction totale des collines, des écosystèmes et des paysages (Leteinturier et al., 1999 ; Leteinturier, 2002 ; Saad et al., 2012). En se référant à leur statut UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature), 65 % des espèces strictement endémiques sont actuellement en danger critique, d’où un besoin urgent de protéger les espèces de cette flore (Faucon et al., 2010 ; Saad et al., 2012). Parmi les alternatives en la matière, la conservation des espèces en dehors de leurs sites naturels est la voie qui a été privilégiée par la Société qui exploite le complexe Tenke-Fungurume. L’élaboration et la mise en œuvre des plans de conservation exigent que les connaissances sur les relations entre sols et plantes au sein des écosystèmes cuprifères soient développées (Saad et al., 2012).
5La biodisponibilité des métaux dans les sols des collines et leur devenir dans les systèmes sols-plantes sont des questions centrales dans la compréhension du déterminisme spatial des espèces métallicoles sur les collines cuprifères. Historiquement, de nombreuses études ont été menées sur la tolérance des espèces cupro-cobalticoles et leur capacité à accumuler Cu et/ou Co (Reilly, 1969 ; Baker et al., 1983 ; Brooks et al., 1987 ; Malaisse et al., 1999 ; Chipeng et al., 2010 ; Faucon et al., 2012). Toutefois, il a fallu attendre plus longtemps pour que la caractérisation des conditions édaphiques dans lesquelles croissent ces espèces soit davantage investiguée (Faucon et al., 2009 ; Faucon et al., 2011 ; Saad et al., 2012 ; Ilunga wa Ilunga et al., 2013 ; Séleck et al., 2013).
6L’objectif de cet article est de faire un bilan des connaissances en matière de caractérisation des systèmes sols-plantes dans les collines cupro-cobaltifères du Katanga et d’en dégager les pistes de recherche encore nécessaires dans une optique de conservation/restauration des écosystèmes.
2. Contexte biophysique du Katanga méridional et mobilité des éléments traces
2.1. Cadre géologique
7La géologie du Katanga méridional, au sud de Tenke et Fungurume, est caractérisée par des formations et des géostructures héritées de phases de sédimentation et d’orogenèse datant de 550 à environ 900 millions d’années (Tableau 1). Les formations du super-groupe du Katanga se seraient déposées dans un large bassin sédimentaire en eaux peu profondes entre les cratons du Congo au Nord et du Kalahari au Sud (Robert, 1940 ; Cailteux, 1990 ; Dewaele et al., 2006 ; François, 2006 ; Kampunzu et al., 2009 ; Fay et al., 2012). L’ensemble des dépôts katanguiens, d’origines sédimentaire et évaporitique, a une épaisseur supérieure à 5 000 m. Ceux-ci sont divisés en trois groupes, Roan, Nguba et Kundelungu, séparés par des formations de tillites conglomératiques connues sous le nom de Grand et Petit Conglomérats (Cailteux, 1990). Les formations dans lesquelles les minéralisations sont principalement trouvées actuellement appartiennent aux trois premiers sous-groupes du Roan. La lithologie de ceux-ci est dominée par une formation détritique massive ou faiblement stratifiée (Roches Argilo-Talqueuses, RAT) d’épaisseur inconnue à la base et des dolomies sus-jacentes, tandis que les formations postérieures présentent un caractère terrigène plus marqué (shales, shales dolomitiques, grès, etc.). Une stratification plus fine est donnée par Kampunzu et al. (2009).
8L’orogenèse lufilienne (vers -550 Ma) a provoqué un plissement intense, des failles et la formation d’un large arc plissé. Le sous-groupe des Mines (R-2) aurait glissé sur les RAT lors d’un évènement de charriage important vers le nord pour acquérir cette structure en écailles redressées telle qu’on peut l’observer actuellement. La dolomie aurait ensuite été partiellement remplacée par de la silice. L’origine des minéralisations en Cu et Co dans les roches du sous-groupe des Mines n’est pas complètement élucidée. Il semble que celle-ci se soit déroulée en plusieurs phases :
9– une minéralisation syngénétique (sédimentation synchrone de clastes minéralisés et non-minéralisés arrachés au continent) modifiée lors de la diagenèse des formations du Roan sous forme de sulfures ;
10– une redistribution des métaux par dissolution dans les gisements primaires et re-précipitation de sulfures dans les fractures des roches lors du métamorphisme consécutif à l’orogenèse ;
11– une transformation par altération des sulfures en oxy-hydroxydes, silicates et carbonates de Cu et de Co dans la zone superficielle (< 100 m de profondeur) des gisements (Dewaele et al., 2006 ; Kampunzu et al., 2009 ; Fay et al., 2012).
12Des teneurs significativement élevées en Cu peuvent également être trouvées dans d’autres types de gisements, dont les gisements Zn-Pb au sein des formations carbonatées du groupe Nguba, dont Kipushi a représenté le site d’extraction de minerais le plus important en Afrique centrale entre 1922 et 1993 (Kampunzu et al., 2009).
2.2. Géomorphologie, climat et végétation
13Le Katanga a connu depuis le Crétacé trois phases d’érosion intense, consécutives à la surrection de cette région, qui ont abouti à la formation de trois surfaces pénéplanées, dont la troisième est celle de la plaine de Lubumbashi à une altitude comprise entre 1 200 et 1 300 m (Duvigneaud, 1958). L’individualisation de grands ensembles de plaines (Upemba) ou de plateaux et de monts (Kundelungu, Biano) au nord de Kolwezi serait due à des effondrements et relèvements tectoniques intervenus au milieu du quaternaire. Néanmoins, la zone qui présente les occurrences de minéralisation les plus fortes peut être rattachée à la vaste pénéplaine de Lubumbashi où les reliefs résiduels ont été conservés en raison de leur résistance à l’érosion plus importante.
14Le climat du Katanga méridional est de type subtropical humide avec une saison humide comprise entre mi-novembre et début mars et une saison sèche de mai à septembre. La pluviométrie annuelle moyenne se situe autour de 1 250 mm, dont la moitié tombe durant les mois de décembre à février. La température moyenne annuelle est d’environ 20 °C avec la plus basse au début de la saison sèche (15-17 °C en juillet) et la plus élevée (22-23 °C) en octobre. L’altitude moyenne du plateau à 1 200 m tempère ces variations climatiques. Pour ce qui concerne les extrêmes de température, celles-ci varient de 2 °C la nuit à 38 °C le jour.
15Selon Duvigneaud (1958), le climat du Katanga méridional confère à la zone un caractère aride et très ensoleillé en saison sèche et à la végétation la nécessité de s’adapter par des caractères xéromorphes. Phytogéographiquement, la région appartient au centre d’endémisme zambézien. Plus de la moitié des espèces y sont endémiques. La végétation dominante est une forêt claire à Brachystegia, communément appelée Miombo. Divers faciès du Miombo, ainsi que des formations de type steppe ou savane, co-existent en fonction des conditions édaphiques dictées principalement par la nature de la roche-mère, la position dans le relief et la profondeur utile du sol (Duvigneaud, 1958).
2.3. Les écosystèmes cupro-cobaltifères
16Les écosystèmes cupro-cobaltifères du Katanga consistent en plages de végétation basse présentes sur des collines qui tranchent sur la forêt claire de piémont. Les collines de cuivre abritent plus de 500 espèces végétales connues, dont 44 sont considérées comme métallicoles et 32 comme endémiques (Faucon et al., 2010).
17Le schéma couramment admis (Duvigneaud, 1958 ; Duvigneaud et al., 1963 ; Malaisse et al., 1994 ; Leteinturier et al., 1999 ; Malaisse et al., 1999 ; Leteinturier, 2002 ; Saad et al., 2012) considère qu’une colline-type est constituée d’une pente au sommet de laquelle affleurent les roches minéralisées et le long de laquelle un gradient de contamination en Cu et en Co d’origine colluviale contraint la végétation. Le gradient s’exprime par des teneurs totales de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers de mg∙kg-1 de Cu et plusieurs centaines de mg∙kg-1 de Co dans les parties sommitales pour plusieurs centaines de mg∙kg-1 de Cu et moins de 100 mg∙kg-1 de Co dans les parties basses (Tableau 2). Par comparaison, les sols des forêts claires présentent généralement des teneurs en Cu inférieures à 100 mg∙kg-1 (Duvigneaud et al., 1963).
18La végétation s’organiserait sur cette trame contaminée en huit communautés décrites par Leteinturier et al. (1999) : de haut en bas, une savane boisée sur les sols moyennement épais situés en amont des affleurements contaminés, une communauté sur affleurements de roches non ou peu minéralisées, une steppe enrochée à Xerophyta equisetoides, une savane steppique à Loudetia simplex et Monocymbium ceresiiforme sur le versant colluvial, une ceinture de savane arbustive à Uapaca robynsii sur les sols moins contaminés. À l’intérieur de cette séquence, trois types de pelouses peuvent apparaitre, sur les affleurements minéralisés et les zones remaniées par les travaux d’extraction, sur les colluvions les plus riches et sur les sols les plus compacts.
19Les écosystèmes cupro-cobaltifères constituent donc des systèmes dans lesquels des sols, formés par l’altération de matériaux parentaux plus ou moins minéralisés et des processus d’érosion/dépôt le long d’un versant et d’un piémont de colluvionnement, conditionnent chimiquement la sélection d’une végétation tolérante organisée en communautés identifiables dans l’espace. Ce qui suppose qu’il y ait mobilisation chimique et transfert physique du Cu et du Co au sein des systèmes roches-sols-plantes organisés selon le relief.
2.4. L’offre du sol, facteur clé dans les relations sols-plantes
20Le Cu et le Co, comme les autres éléments traces (ET), se trouvent dans le sol sous diverses formes chimiques et la mobilité d’un élément traduit sa capacité à passer d’un compartiment où il se trouve retenu avec une certaine énergie vers un autre où il est moins retenu. Leur répartition entre les différentes phases solides du sol n’est toutefois pas figée dans le temps (Baize, 1997). De fait, sous l’action de processus majoritairement (bio-)chimiques (dissolution/précipitation, sorption/désorption), des formes peu mobiles peuvent être mobilisées (Bourrelier et al., 1998 ; Adriano et al., 2004). Les teneurs mobiles sont dès lors définies comme le pool des éléments qui se retrouve facilement dans la solution du sol sous forme d’ions libres et de complexes inorganiques et organiques (Ge et al., 2000). Ce pool est estimé par l’emploi de réactifs d’extraction au pH du sol, tandis que les teneurs mobilisables sont définies comme le pool d’ET potentiellement solubles et échangeables, dosé par des extractions à pH défini et inférieur à cinq, quel que soit le réactif utilisé (Celardin, 2002).
21Les fractions en solution peuvent passer vers un organisme récepteur (Baize, 1997 ; Naidu et al., 2008a ; Naidu et al., 2008b ; Naidu et al., 2008c). La biodisponibilité est la capacité d’un élément à être absorbé par des bactéries, des végétaux, des animaux ou l’homme. Les teneurs biodisponibles présentent ainsi un caractère de durée dans le temps et se rapprochent du concept de teneurs mobilisables. Néanmoins, le caractère biodisponible d’un contaminant ne peut être estimé que pour une espèce ou un groupe d’espèces déterminées (Bourrelier et al., 1998). La biodisponibilité d’un élément dans le sol est un concept qui est donc intimement lié à l’organisme biologique considéré. La phytodisponibilité d’un élément trace se définit ainsi souvent opérationnellement comme la quantité d’éléments prélevée par une plante durant son développement (Bourrelier et al., 1998). Cependant, toutes les plantes ne se comportent pas de la même manière au contact des éléments en traces et la phytodisponibilité ne peut être réduite à une mesure de concentration dans la plante à partir du moment où les excès dans le sol s’accompagnent de risques de toxicité ou lorsque les exigences des plantes diffèrent. La biodisponibilité doit donc plutôt être considérée pour ce qu’elle est réellement, à savoir l’offre du sol, un ensemble de fractions d’un élément dans le sol qui sont susceptibles de passer facilement dans la solution du sol. Il s’agit alors de connaitre la distribution d’un élément dans les différents compartiments et leur réactivité avec la solution du sol en fonction des conditions physico-chimiques de celle-ci.
22À ces deux processus, mobilité chimique et disponibilité biologique, s’additionnent des processus physiques qui provoquent la migration des ET dans le paysage. Le premier est l’érosion qui induit la dispersion des métaux vers les eaux superficielles par transport particulaire (Chassin et al., 1996). Le second est la lixiviation qui correspond au transfert des ET sous forme ionique vers le bas des profils ou vers les nappes. Des transferts sous des formes associées aux fractions colloïdales du sol peuvent également entrainer des métaux verticalement ou latéralement par les eaux gravitaires (Citeau et al., 2009). Il faut encore ajouter les processus de bioturbation, principalement ceux réalisés par les populations lombriciennes, ou par les termites dans le cas spécifique du Katanga, dont les déplacements physiques peuvent entrainer les particules solides verticalement dans les profils. En outre, les parois des galeries de lombrics sont des interfaces physico-chimiques réactives, le long desquelles la spéciation des ET diffère du sol avoisinant, ce qui peut induire une augmentation des flux de sortie des ET par l’eau de percolation (Ablain, 2002).
23Dans les écosystèmes cupro-cobaltifères, le milieu édaphique est caractérisé par un environnement chimique, physique et biologique qui génère des contraintes pour les organismes vivants. Les propriétés des sols dépendent pour partie des propriétés des matériaux parentaux à partir desquels ils se forment. La réserve en éléments minéraux d’un sol est soit directement héritée de la roche-mère, soit résulte de transformations pédogénétiques. La composition chimique des sols et leurs propriétés physico-chimiques influencent ensuite la composition de la solution du sol par laquelle doivent se faire les transferts vers les racines des plantes. Nous avons voulu développer particulièrement les deux points d’accroche de ce système dans cette revue bibliographique :
24– que sait-on de la composition chimique des roches qui arment les écosystèmes des collines et de leur influence sur la composition chimique des sols ?
25– comment la biodisponibilité du Cu et du Co dans les écosystèmes est-elle abordée ?
3. Le fonds géochimique, source d’éléments traces métalliques dans les sols des collines
3.1. Le sous-groupe des Mines dans le district de Tenke-Fungurume
26Les minéralisations de cuivre et cobalt dans le district de Tenke-Fungurume sont principalement situées dans les formations du sous-groupe des Mines (Batumike et al., 2006 ; François, 2006 ; Kampunzu et al., 2009 ; Fay et al., 2012). Les roches sont, de bas en haut de la séquence stratigraphique (tableau 2), d’abord constituées de roches massives à grains relativement fins, des pélites, riches en chlorites et dolomitisées, connues sous le nom de Roches Argilo-Talqueuses ou RAT. Les RAT sont couvertes par des dolomies (D-Strat, RSF et RSC) diversement silicifiées et structurées en association avec des bancs, des lentilles ou des nodules de roches terrigènes ou de minéraux secondaires. L’épaisseur totale de ces bancs est de l’ordre de 40 m. Ensuite, l’épaisse formation des Shales Dolomitiques (SD1a ou SDB et SD1b ou SDS) présente une alternance de bancs tantôt plus argileux, tantôt plus dolomitiques, tantôt encore plus gréseux. Le membre SD2, plus connu sous le sigle CMN, est également assez caractéristique avec la présence de nombreux bancs de shales noirs alternant avec des dolomies plus claires. La figure 2 illustre les principales roches du sous-groupe des Mines du complexe Tenke-Fungurume.
27Les minéraux de Cu et de Co se sont concentrés principalement dans les quelques décamètres de roches de la RAT grise au Shale de base. On y distingue :
28– le gisement inférieur, constitué de la RAT grise, du D-Strat et du RSF,
29– la zone de transition, dans le RSC,
30– le gisement supérieur dans le SDB et partiellement le SDS.
31Les processus de minéralisation sont complexes mais les premiers ont principalement concerné les sulfures comme la carrollite (CuCo2S4), la chalcopyrite (CuFeS2) et la chalcocite (Cu2S), tandis que les processus d’altération et d’oxydation supergènes sont intervenus plus tard et ont provoqué la formation d’hétérogénite (CoOOH), de malachite (Cu2(CO3)(OH)2), de cuprite (Cu2O), de cuivre natif, de chrysocolle ((Cu,Al)2H2Si2O5(OH)4·nH2O) et de dolomie cobaltifère à sphérocobaltite (CoCO3) (De Putter et al., 2010 ; Decrée et al., 2010 ; Schuh et al., 2012). Les minéraux sulfurés primaires se concentrent dans la partie inférieure des gisements et les minéraux secondaires dans la zone oxydée jusqu’à une profondeur de 100 à 150 m, variable selon les sites.
3.2. Composition chimique des roches
32Des gammes de teneurs totales dans les roches sont présentées par Kampunzu et al. (2009) après compilation de plusieurs études sur des sites d’extraction minière à Kolwezi, Kambove et Luiswishi (Tableau 2).
33La comparaison des chiffres avec des compositions moyennes de référence (« Upper Crust Composition » et « Post-Archean Australian Shale » (Taylor et al., 1985 ; Nyakairu et al., 2001)) montre que l’environnement des coupes est globalement riche en Mg et Ca et pauvre en Al, Fe, K et Na, ce qui est cohérent avec le caractère dolomitique des formations. Les gammes de variation sont également relativement importantes pour certains éléments au sein des différentes formations. La plupart d’entre elles sont constituées de bancs plus ou moins épais et interstratifiés et il n’est dès lors pas étonnant que selon que l’échantillon ait été prélevé dans un banc silteux, un shale ou une dolomie, la composition en soit différente. Les teneurs plus élevées en K2O dans les shales est attribuée à la présence de minéraux argileux de type illite et muscovite (Kampunzu et al., 2009).
34En ce qui concerne les éléments traces, on constate d’emblée les très fortes teneurs en Cu dans l’ensemble des formations R2-1 et R2-2 du sous-groupe des Mines, ainsi que celles en Co principalement dans les RAT grises et les shales de surface. La variabilité apparait à nouveau très importante, en raison du caractère stratifié des différentes formations. Des teneurs très élevées en Ni sont également observées. Les teneurs les plus élevées sont trouvées dans les gisements inférieurs et supérieurs, mais localement le RSC peut montrer des niveaux très élevés également. Par contre, les niveaux de teneurs en Cr, en Pb et en Zn n’ont rien d’exceptionnel.
4. Teneurs en Cu et en Co dans les sols des collines et biodisponibilité
4.1. Caractérisation de la biodisponibilité par les propriétés des sols
35Il est intéressant de constater que la signature géochimique des différentes roches, bien qu’empreinte de variabilité, est assez spécifique. Qu’en est-il dans les sols développés à partir de ces matériaux ?
36Les premières études, essentiellement centrées sur Cu et Co, donnent peu d’indications sur les teneurs en éléments majeurs. En outre, les chiffres publiés concernent essentiellement des teneurs totales. Les études les plus récentes sur les collines de l’Arc katangais (Faucon et al., 2011 ; Saad et al., 2012 ; Ilunga wa Ilunga et al., 2013 ; Séleck et al., 2013) se sont davantage focalisées sur les teneurs biodisponibles, ainsi que sur les facteurs physico-chimiques de la biodisponibilité. Les caractéristiques mesurées sur les sols des collines par ces auteurs sont synthétisées au tableau 3. Au sein des collines, les unités de végétation dominantes en termes d’étendue sont les savanes steppiques et les steppes. Dans le cas de l’étude de Saad et al. (2012), seules ces unités ont été échantillonnées. Ces unités sont principalement situées sur les versants en aval des affleurements de RSC-RSF. Pour ce qui concerne les teneurs totales, on constate que les teneurs mesurées sur les 10 premiers centimètres des sols sont inférieures (Al, Fe), du même ordre de grandeur (Mn) ou largement supérieures (Cu, Co) à celles de la composition moyenne de l’écorce terrestre (Tableau 2). Les gammes de variation pour Al et Mn sont comparables à celles observées sur les roches de type RAT, tandis que celles de Fe sont plus larges et s’approchent davantage de celles des shales. On sait que la pédogenèse en milieu tropical engendre une accumulation relative du fer. Pour trancher entre une origine d’héritage ou de pédogenèse, il conviendrait de caractériser les formes sous lesquelles le fer se trouve.
37En ce qui concerne les teneurs disponibles, une très grande variabilité est observée pour chaque étude. Les ordres de grandeur d’une étude à l’autre sont toutefois assez proches. Seules les données de Colinet et al. (2007) apparaissent nettement plus variables que les autres, mais il s’agit de données récoltées sur un nombre de sites beaucoup plus grand, dont des gisements de type Cd-Pb-Zn, comme en témoignent les valeurs disponibles de ces éléments. Les teneurs les plus faibles en ET correspondent assez bien aux niveaux mesurés dans le Miombo par Faucon et al. (2011). Les teneurs en éléments majeurs Ca, Mg, K et P varient de 1 à 100 voire plusieurs centaines et traduisent des différences de richesse trophique entre des milieux relativement pauvres et des milieux eutrophes, car au moins aussi riches en éléments que les sols agricoles les plus riches de Région wallonne (Genot et al., 2009). Le faible niveau de développement des sols sur pente forte s’accorde avec ces constats de richesse chimique sous l’influence des roches-mères.
38En milieu contaminé, la mobilité des ET dépend de l’action de facteurs de type chimique (potentiel rédox, pH, capacités d’échanges cationique [CEC] et anionique [CEA], spéciation, concentration), biologique (activité des bactéries, de la rhizosphère, des champignons et plantes supérieures) et physique (structure et perméabilité) (Bruemmer et al., 1986 ; Msaky et al., 1990 ; Ernst, 1996 ; Garcia-Sanchez et al., 1999 ; Lock et al., 2001 ; Adriano et al., 2004 ; Naidu et al., 2008b). Les constituants et les propriétés des sols contaminés doivent donc clairement affecter le devenir des ET au sein de ceux-ci. Jusqu’à présent, seuls le pH et le statut en matière organique totale (C et N) ont été mesurés dans les sols des collines. Cela permet de constater que l’horizon de surface des sols y est légèrement à modérément acide (pH entre 5,0 et 6,5) et assez riche en matière organique. Il y a donc un manque de données quant à la nature des constituants des sols et aux propriétés de leur complexe d’échange.
4.2. Caractérisation de la biodisponibilité par les réponses végétales
39Une biodisponibilité élevée des ET dans les sols engendre un stress chimique auquel la plante peut être sensible ou tolérante. Un certain nombre de réponses végétales sont interprétées comme autant d’indications biologiques de teneurs biodisponibles élevées dans le sol : présence d’espèces tolérantes et absence d’espèces sensibles, concentration de l’élément dans la plante, caractères morphologiques de la plante, indices visuels et biochimiques de stress.
40Duvigneaud (1958) soulevait déjà des questions sur le fonctionnement des systèmes sols-plantes : quels sont les niveaux de tolérance ou d’exigence en éléments traces des différentes espèces ? Quels sont les rapports entre teneurs dans la plante et teneurs dans le sol ? Certaines espèces cupro-cobalticoles du Katanga ont été proposées comme indicateurs géobotaniques des substrats minéralisés pour la prospection minière (Paton et al., 1996).
41Les approches « tolérance » et « indication/accumulation » ont dominé la vision des naturalistes de la deuxième moitié du 20e siècle. Ainsi les travaux de Duvigneaud et al. (1963), Malaisse et al. (1979, 1994, 1999) ou Leteinturier (2002) ont permis de recenser de nombreuses espèces cupro-cobaltifères. L’analyse d’échantillons de plantes et de sols récoltés sur le terrain (Reilly, 1969 ; Morrison et al., 1979 ; Baker et al., 1983 ; Brooks et al., 1987 ; Leteinturier et al., 1999) a contribué à caractériser les stratégies de tolérance de plusieurs de ces espèces.
42Plus récemment, la tolérance des espèces métallifères au Cu ou au Co a été étudiée en conditions plus contrôlées, soit en hydroponie, soit en pots sur des mélanges sable/tourbe ou sur des sols contaminés prélevés sur sites. Citons Chipeng et al. (2010) pour Haumaniastrum katangense, Faucon et al. (2012) pour Crepidorhopalon perennis and Crepidorhopalon tenuis, Shutcha et al. (2010) pour trois graminées.
43Les études menées sur sites au cours des cinq dernières années (Faucon et al., 2009 ; Ilunga wa Ilunga et al., 2013 ; Séleck et al., 2013) reposent sur une approche d’écologie fonctionnelle des communautés végétales et plus seulement d’une espèce particulière isolée. La composition et l’assemblage des espèces, ainsi qu’un certain nombre de traits morphologiques, comme la taille des plantes, la largeur des feuilles, etc. sont enregistrés. Dans la reconstruction des écosystèmes, la compréhension de cet aspect ainsi que des interactions potentielles entre espèces au sein d’une communauté apparait indispensable (Shutcha et al., 2010).
5. Conclusions et perspectives
44La mise en œuvre de la conservation ex situ exige qu’à un moment donné, la biodiversité conservée regagne son milieu naturel (rétablissement des espèces). Réaliser un déplacement d’une biodiversité de son milieu naturel vers un autre ainsi que sa réintroduction dans un nouveau milieu demandent une reconstitution des principaux facteurs favorables à leur développement. Reconstituer un écosystème exige non seulement une bonne connaissance des espèces (inventaire biologique et leurs comportements) à conserver (Leteinturier et al., 1999), mais également une bonne connaissance de leur milieu physique et chimique ainsi que le fonctionnement de celui-ci (Saad et al., 2012 ; Séleck et al., 2013).
45À côté de la conservation par banque de graines, une meilleure connaissance du milieu édaphique des espèces conservées est à développer. Malgré les nombreuses études déjà réalisées, un certain nombre de questions persistent quant à la caractérisation du milieu édaphique dans les écosystèmes cupro-cobaltifères et les relations entre propriétés des sols et développement des communautés végétales. En particulier : est-ce que le Cu et le Co sont les seuls éléments qui déterminent la distribution des espèces dans les sols des anomalies ? Quelle est la mobilité réelle du Cu et du Co à l’échelle de l’agrégat ? Du profil ? De la toposéquence ? Quel est le rôle des autres propriétés du sol ? Les modèles sont-ils génériques pour les différentes collines de l’arc cuprifère ou spécifiques à chaque colline ? Pourra-t-on extrapoler les résultats des expériences de conservation d’habitats à d’autres collines ?
46Nous pensons nécessaire de poursuivre les investigations sur les écosystèmes cupro-cobaltifères en matière de fractionnement du cuivre et du cobalt sur les différents constituants solides du sol et de réactivité entre ces phases solides et la solution du sol. L’importance des interactions entre éléments au sein de celle-ci mériterait également d’être davantage creusée. La modélisation géochimique pourrait s’avérer utile pour progresser sur ces questions.
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