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- Volume 17 (2013)
- numéro 4
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Vers une intégration du sorgho comme matière première pour la brasserie moderne (synthèse bibliographique)
Editor's Notes
Reçu le 6 décembre 2012, accepté le 8 mai 2013
Résumé
Malgré l’utilisation récente du sorgho en brasserie, la quantité des études réalisées sur l’utilisation de cette céréale en malterie et en brasserie est loin d’être rudimentaire. Les connaissances sur la biochimie du maltage du sorgho ne font que s’accumuler. Bien que l’intérêt de l’utilisation du sorgho en brasserie ne soit plus à démontrer, les possibilités et les limites d’utilisation de cette céréale en brasserie moderne ne sont pas clairement élucidées – le maltage et toutes les transformations prenant place lors de ce process étant loin d’être totalement connus. Cette revue présente une synthèse des connaissances sur les propriétés du sorgho intéressant aussi bien le malteur que le brasseur : composition du grain, biochimie et physiologie du maltage, problématiques du brassage, les rudimentaires travaux de fermentation, etc. Les avancées et difficultés rencontrées lors du maltage du sorgho sont ainsi présentées en fonction des attentes du brasseur.
Abstract
Towards the integration of sorghum as an adjunct in the modern brewery industry. A review. Despite the relatively recent use of sorghum in brewing, the accumulated information from studies on the use of this cereal in malting and brewing is far from basic; the biochemistry of sorghum malting consolidates this knowledge. Despite the interest accorded to demonstrating the use of sorghum in brewing, the possibilities and limitations of using this cereal in the modern malting and brewing industries have not yet been fully elucidated. Furthermore, all the transformations involved in these processes are far from being completely understood. This review provides a wealth of knowledge on the properties of sorghum, which is of interest to both the maltster and the brewer, such as: grain composition, malted grain biochemistry and physiology, brewing and fermentation of sorghum, etc. The progress and difficulties encountered during sorghum malting are presented in a way that will be helpful to the brewer.
Table of content
1. Introduction
1Le sorgho (Sorghum bicolor [L.] Moench) est une céréale bien connue dont l’aire d’origine possible serait entre l’Ouest de l’Éthiopie et l’Est du Tchad (Murty et al., 2001). Elle est la cinquième céréale mondiale en termes de production après le blé, le riz, le maïs et l’orge, avec 55 à 60 millions de tonnes produites par an – production qui était évaluée à 55 721 588 t en 2010 (http://faostat.fao.org). La difficulté de cultiver de façon rentable l’orge de brasserie sous les tropiques incite de plus en plus les brasseurs travaillant en Afrique à penser à d’autres céréales comme compléments ou substituts au malt d’orge. En effet, au début de l’implantation des brasseries modernes en milieux tropicaux, cette céréale ne faisait pas partie des principales cultures de la région tropicale. La plupart des programmes publics de développement de l’agriculture étaient axés sur la production d’autres sources d’amidon comme le riz, le maïs et le manioc. Avec la perturbation climatique, la sècheresse croissante, le sorgho devint de plus en plus important et fut intégré comme ressource pouvant assurer la sécurité alimentaire de nombreuses populations. L’utilisation du sorgho en brasserie, bien que récente, prend un regain d’intérêt, aussi bien pour la production de bières sans gluten que pour sa richesse en polyphénols, malgré toutes les difficultés rencontrées.
2Les limites de l’utilisation du sorgho en brasserie sont nombreuses : méthodes de purification trop performantes pour retirer l’enveloppe du grain (traitements chimiques plus ou moins délicats utilisant des produits comme la soude caustique, le formaldéhyde, l’acide chlorhydrique), la contamination fongique impliquant la production des mycotoxines (les conditions des pays chauds étant favorables au développement des moisissures et à la production des mycotoxines) ; la faible digestibilité de ses constituants majeurs caractérisée par les températures d’empesage élevées de ses amidons, la possibilité de formation des ponts disulfures pour protéines riches en résidus soufrés rendant difficile la digestibilité des protéines et, partant, la solubilisation de l’azote ; les faibles activités β-amylasique et β-glucanasique du malt ; des teneurs élevées en β-glucanes faiblement déstructurés, ayant un impact sur le rendement d’extraction, la filtrabilité du mout et la stabilité ultérieure de la bière ; la présence d’énormes quantités de polyphénols avec un effet non négligeable sur le travail des enzymes, et la formation de trouble aussi bien au chaud qu’au froid (Beta et al., 2000 ; Murty et al., 2001).
3Cette revue présentera, de façon non exhaustive, un aperçu des connaissances actuelles sur les constituants majeurs et les activités enzymatiques du sorgho pouvant jouer un rôle sur la processabilité de ses malts. Dans cette revue, l’état des connaissances actuelles sur les propriétés du sorgho ayant trait à son utilisation comme matière première en malterie et brasserie est discuté. L’objectif de ce travail est de montrer que les connaissances scientifiques actuelles sur le sorgho ne sont plus rudimentaires et devraient permettre son utilisation comme substitut ou complément au malt d’orge en brasserie moderne. C’est ainsi qu’après chaque description d’une caractéristique, les attentes des malteurs et des brasseurs sont brièvement présentées.
2. Les constituants majeurs
2.1. L’amidon du sorgho
4L’amidon est de loin le constituant le plus abondant du grain de sorgho (65 à 85 % de matière humide) (Dicko et al., 2006). Il est insoluble dans l’eau à l’état natif et est stocké sous forme de granules constituées de deux polymères principaux, à savoir l’amylose et l’amylopectine. Chez le sorgho, comme d’ailleurs chez les autres céréales, la teneur en amylose varie en fonction de la variété. Boudries et al. (2009) ont trouvé des teneurs moyennes en amylose de l’ordre de 24,8 % (sorgho rouge) et 27,2 % (sorgho blanc) – valeurs qui dépassent les limites proposées par Dicko et al. (2006). Signalons ici l’existence des variétés cireuses (waxy sorghum) dont l’amidon ne contient pas, ou très peu, d’amylose (Myer et al., 1985). Les granules d’amidon du sorgho ont des diamètres compris entre 5 et 25 µm, avec une valeur moyenne autour de 15 µm (Dicko et al., 2006).
5Les propriétés physicochimiques, thermiques et rhéologiques des amidons sont tributaires des diverses interactions qui ont lieu avec les autres constituants (lipides, eau, protéines, etc.) (Sang et al., 2008). La teneur en amylose, par exemple, affecte considérablement la gélatinisation et la rétrogradation de l’amidon, la viscosité de la pâte et la digestibilité de l’amidon par les amylases (Boudries et al., 2009). Il est aussi connu, par exemple, que la formation du complexe amylose-lipides réduit l’accessibilité des liaisons osidiques aux sites des amylases (Tester et al., 2006). La température d’empesage des amidons de sorgho (67 à 81 °C pour les variétés cultivées en Inde) est bien supérieure à celle de l’amidon du malt d’orge (51 à 60 °C) (Dufour et al., 1992). Comme l’ont montré Adebowale et al. (2005), les traitements thermiques à humidité intermédiaire (Heat Moisture treatment) induisent une diminution de la capacité de gonflement et la solubilité des amidons de sorgho. Plusieurs auteurs ont soutenu le fait que même chauffé jusqu’à 98 à 100 °C, la digestibilité de l’amidon du sorgho reste faible. Les interactions entre amidons et protéines du sorgho peuvent diminuer la digestibilité aussi bien des uns que des autres (Duodu et al., 2002). Et, inversement, un traitement aux protéases peut être préconisé avant la liquéfaction de l’amidon pour améliorer la digestibilité de ce dernier (Pérez-Carrillo et al., 2007).
6Les brasseurs attendent de l’amidon qu’il soit liquéfié, empesé sans former une solution pâteuse salissant les vaisseaux et totalement saccharifié lors du brassage. Tout ceci passe par un travail qui commence au trempage des grains et doit normalement et complètement s’arrêter en chaudière d’ébullition.
2.2. Les protéines du sorgho
7Les protéines représentent 7 à 15 % du poids sec du grain de sorgho (Dicko et al., 2006), mais des valeurs encore plus petites ou plus grandes ont déjà été proposées (Lasztity, 1996). Les protéines des grains peuvent être groupées en quatre classes en fonction de leur solubilité ; il s’agit des albumines (solubles dans l’eau), des globulines (solubles dans des solutions salines diluées), des glutélines (extractibles dans les solutions acides ou basiques diluées) et des prolamines (solubles dans l’alcool) – les prolamines étant les plus abondantes des protéines du sorgho (kafirines) (Hamaker et al., 1995). En fonction de leur solubilité, de leur structure et de leur composition en acides aminés, les prolamines sont subdivisées en sous-classes (α-prolamines, β-prolamines, γ-prolamines et δ-prolamines). Les prolamines du sorgho forment des structures cylindriques qui sont rendues rigides par la présence des γ-prolamines qui cimentent en quelque sorte les unités de la sous-classe « α » rendant difficile le travail enzymatique. La sous-classe α-prolamine (22-28 kDa) serait essentiellement localisée à l’intérieur de la structure protéique et constituerait au-delà de 66 à 84 % (Lasztity, 1996) de protéines totales du sorgho. Les β-prolamines (19-20 kDa) (7 à 8 %) et γ-prolamines (27-28 kDa) (9 à 12 %) (Lasztity, 1996) seraient présentes à l’extérieur de la structure formant une espèce de ciment pour les briques que sont les α-prolamines (Watterson et al., 1993 ; Mazhar et al., 1995). Les δ-prolamines (13 kDa) riches en méthionine (Belton et al., 2006) seraient présentes en très petites quantités dans le sorgho et très peu caractérisées (Lasztity, 1996). Les α-kafirines du sorgho auraient une faible teneur en cystéine, alors que les β et γ-kafirines contiendraient des teneurs en cystéines respectivement autour de 5 et 7 % (% molaire) (Shull et al., 1992), ce qui peut être à l’origine du développement des arômes soufrés. Selon Hamaker et al. (1995), il conviendrait mieux de classifier les protéines du sorgho en kafirines et non-kafirines pour permettre de mieux opposer d’un côté les kafirines, prolamines de nature homogène, et de l’autre les non-kafirines impliquées dans les fonctions cellulaires diverses.
8Plusieurs facteurs affectent la digestibilité des protéines du sorgho. Des pourcentages de digestibilité de 96 % (digestibilité in vitro par la pepsine) ont été obtenus après cuisson et traitement, par des agents réducteurs comme le bisulfite de sodium, de la farine de sorgho sans tannins condensés (Rom et al., 1992) alors que Arbab et al. (1997) ont obtenu, après cuisson de la farine de sorgho riche en tannins condensés, un pourcentage de digestibilité in vitro à la pepsine de 12 %. Des facteurs endogènes comme la formation des ponts disulfures et non disulfures, l’hydrophobicité des kafirines et des changements dans la structure secondaire des protéines et exogènes comme la structure du grain, la présence des composés polyphénoliques, l’acide phytique, l’amidon et les autres polysaccharides, influent sur la digestibilité des protéines du sorgho – la présence des ponts disulfures ayant une part plus importante dans la réduction de la digestibilité des protéines du sorgho (Duodu et al., 2003).
9Les protéines du sorgho sont riches en résidus prolines et ressemblent ainsi aux protéines salivaires avec lesquelles elles ont une grande affinité (Butler et al., 1984 ; Emmambux et al., 2003). Elles forment, avec les composés phénoliques du sorgho (acides phénoliques, flavonoïdes, etc.), des complexes qui contribuent pour beaucoup à la réduction de leur digestibilité. La lysine et la thréonine sont les deux acides aminés limitants dans le sorgho – mais signalons tout de même qu’il existe à l’heure actuelle des variétés à très haute teneur en lysine.
10Ce que veulent les brasseurs, c’est que les protéines soient hydrolysées au maltage de sorte qu’au cours de l’extraction du grain (brassage), les acides aminés et les peptides nécessaires au maintien du pouvoir tampon du mout, à la croissance de la levure, à la tenue et à la stabilité de la mousse, etc. se solubilisent en quantité et qualité nécessaires.
2.3. Les polyphénols du sorgho
11Le sorgho renferme plusieurs classes de polyphénols. On trouve aussi bien des acides phénoliques de type benzoïque (acide protocatéchique, acide p-hydroxybenzoïque, acide gallique, acide vanillique, etc.) que cinnamique (acide férulique, p-coumarique et sinapique) (Hahn et al., 1984 ; Beta et al., 1999). Les plus abondants des acides phénoliques seraient l’acide férulique et l’acide p-coumarique (Hahn et al., 1984). Ces composés existent soit sous forme libre, soit sous forme estérifiée et sont concentrés dans la couche externe du grain (Waniska, 2000 ; Awika et al., 2004). Selon les mêmes auteurs, ces composés sont indésirables du fait de leurs effets carcinogènes, hépatotoxiques, goitrogéniques, etc. Il est cependant possible de les éliminer par un simple traitement à la chaleur. Le sorgho ne contiendrait pas d’acide tannique ni de tannins hydrolysables (Waniska, 2000 ; Awika et al., 2004), mais contient, par contre, des procyanidines : (+)-catéchine, (-)-épicatéchine, (+)-gallocatéchine, (-) -galloépicatéchine et leurs polymères (Awika et al., 2003). Les sorghos rouges sont en général plus riches en tannins condensés que l’orge (Dykes et al., 2007). Des teneurs en tannins condensés de l’ordre de 0,01 à 3,48 % Equivalent Catéchine (E.C.) ont été obtenues par Earp et al. (1981). Des anthocyanidines ont aussi été trouvées dans le sorgho. Les plus abondantes sont les 3-deoxyanthocyanidines, comme par exemple l’apigéninidine et la lutéolinidine (Awika et al., 2004). Ces composés sont très intéressants pour des applications alimentaires du fait de leur stabilité thermique et de la stabilité de leur coloration (Awika et al., 2004). On trouve aussi des flavanones : naringénine (sorgho brun et rouge) (Awika et al., 2004) ; des flavan-4-ols (sorgho blanc et sorgho rouge) et des stilbènes. Le trans-resvératrol et le trans-picéide ont aussi été découverts dans le sorgho rouge (Bröhan et al., 2011).
12Les composés polyphénoliques du sorgho – qui d’un côté se sont montrés capables de protéger les grains contre les attaques fongiques, les insectes et les oiseaux ce qui, sans doute, est un avantage agronomique – réduisent la digestibilité enzymatique aussi bien des protéines que des amidons et autres polysaccharides (Earp et al., 1981 ; Serna-Saldivar et al., 1995). La formation des complexes protéines-tannins qui, pour le cas du sorgho, se ferait majoritairement par des liaisons hydrogènes et par la formation des associations du type hydrophobe, permettrait dans les conditions optimales aux tannins du sorgho de précipiter au moins 12 fois leur poids propre de protéines (Butler et al., 1984).
13Pour les malts utilisables en brasserie, le brasseur attend que la teneur en polyphénols soit telle qu’elle rende possible la précipitation du surplus des protéines non hydrolysées ou mieux non solubilisées (responsables de l’instabilité ultérieure de la bière : formation de troubles) et ce, au brassage majoritairement, à l’ébullition et à la filtration bière. Il faut tout de même aussi un peu de polyphénols pour assurer un certain pouvoir antioxydant à la bière. Certaines bières contiendraient d’ailleurs plus de proantocyanidines que certains vins blancs (USDA, 2004).
2.4. L’humidité des grains
14L’humidité des grains est un facteur important, aussi bien dans la conservation et le transport que lors des différents traitements subis par les grains. Les valeurs d’humidité des grains de sorgho seraient comprises entre 8 et 12 % (poids humide) (Dicko et al., 2006). S’il est important de réduire l’humidité des grains pour permettre un bon stockage et une réduction du cout de transport, lors du trempage et de la germination, cette humidité atteint jusque 35 à 40 %, voire un peu plus (Ogbonna et al., 2004). L’activité de l’eau ainsi modifiée permet de créer les conditions nécessaires à la synthèse et à la mobilisation des enzymes hydrolytiques, et aussi à toute une série de réactions biochimiques dont le résultat se résume en ce qu’il convient d’appeler la « désagrégation du grain ». Cette augmentation de l’humidité crée aussi des conditions favorables au développement des bactéries, levures et moisissures ainsi qu’à l’activation des spores. Et, si les conditions de température et d’humidité sont réunies, la production des mycotoxines devient plus que probable.
15À la fin de la germination, lorsque toutes les transformations attendues ont eu lieu, l’humidité des grains est réduite par séchage, jusqu’autour de 3,5-4 % pour les malts pâles et 1,5-2 % pour les malts foncés (Esslinger et al., 2005) si l’on s’en tient aux valeurs obtenues avec le malt d’orge. Cette réduction de l’humidité est importante pour permettre l’arrêt, sinon la réduction de la vitesse, des réactions biochimiques ayant pris place dans le grain et de faciliter les opérations ultérieures : transport, stockage, mouture, etc. Lors du maltage, ce n’est pas seulement l’humidité finale des grains qui est intéressante, mais aussi toute la cinétique de réhumidification des grains. Lors du trempage par exemple, la vitesse de réhumidification est tributaire du traitement utilisé (Bwanganga et al., 2012).
2.5. Les lipides
16Les lipides représentent, dans les grains de sorgho, entre 1,5 à 6 % de matière humide (Dicko et al., 2006). Parmi les problèmes majeurs auxquels l’industrie brassicole moderne est confrontée figurent ceux liés à la stabilité de la bière et du développement des flaveurs indésirables lors du vieillissement. Contrairement au vin qui s’améliore en vieillissant, le vieillissement de la bière s’accompagne de l’apparition de flaveur qui altèrent sa qualité (Vanderhaegen et al., 2006). L’un des points focaux est l’apparition des composés du type (E)-2-nonénal (par exemple, le trans-2 nonénal responsable de l’arôme de carton) à travers le mécanisme d’oxydation des lipides, à côté de la formation d’arômes soufrés surtout pour une céréale comme le sorgho dont les protéines (kafirines) contiennent des fractions non négligeables d’acides aminés soufrés (Shull et al., 1992). Les lipides du sorgho, composés majoritairement d’acides gras polyinsaturés (Dicko et al., 2006), ne sont pas à l’abri de l’attaque par les lipoxygénases – enzymes actives aux températures de touraillage du sorgho.
2.6. Les polysaccharides non amylacés
17À part l’amidon qui est le polysaccharide majoritaire, le grain de sorgho contient toute une série de polysaccharides (arabinoxylanes, β-glucanes, pentosanes, celluloses, etc.) dont le rôle aussi bien lors du maltage que du brassage n’est pas à négliger. Les différentes proportions de chacun d’entre eux sont présentées dans la revue proposée par Dicko et al. (2006). La déstructuration et l’hydrolyse des polysaccharides constituant les parois de l’endosperme sont parmi les objectifs majeurs du maltage et du brassage du sorgho (Taylor et al., 2006). Les β-(1,3),(1,4)-glucanes – polymères de β-D-glucose – sont les constituants majeurs de l’enveloppe des graminées ; leur décomposition pendant le maltage et leur solubilisation au brassage constituent deux étapes importantes du process, en ce sens qu’elles influent sur la viscosité du mout et la stabilité ultérieure de la bière. Les parois de l’endosperme du sorgho sont en grande partie extractibles dans les solutions alcalines (Glennie, 1984). Lors du brassage, il est important que ces polysaccharides, les β-glucanes en l’occurrence, soient hydrolysés à un niveau tel que leur teneur résiduelle n’affecte pas la filtration du mout et de la bière, la floculation de la levure et la stabilité ultérieure de la bière.
3. La problématique de l’hydrolyse des constituants du grain
3.1. Les enzymes hydrolysant l’amidon
18Les enzymes hydrolysant les liaisons glucosidiques sont groupées dans ce que l’on appelle la famille 13 des glucosides hydrolases (Svensson et al., 2002). Ces enzymes hydrolyseraient la liaison glucosidique suivant un mécanisme classique de substitution nucléophile. Deux mécanismes sont proposés dans la littérature (une substitution nucléophile d’ordre 1 et une substitution nucléophile d’ordre 2) (Takashi et al., 2005). Le Pouvoir Diastasique (Diastatic Power : DP) est une expression de l’activité enzymatique (quantité et type d’enzymes impliquées). Les enzymes dont l’activité collective convient d’être résumée en DP sont : α-amylase, β-amylase, α-glucosidase et limite dextrinase (Evans et al., s.d). L’α-amylase existe sous deux formes dans le sorgho, à savoir l’isoforme 1 et l’isoforme 2, lesquelles ont des masses moléculaires comprises entre 41 500 – 42 700 Da (Mundy, 1982). Cet auteur a en effet trouvé, par analyse immunoélectrophorétique et par électrodiffusion, une identité entre l’isoforme 1 du sorgho (qui n’existe que sous forme de trace dans les grains crus) et l’isoforme 2 de l’orge, aucune identité n’étant trouvée entre l’isoforme 2 du sorgho et les amylases de l’orge.
19La β-amylase [α-1,4-D-glucan maltohydrolase, EC 3.1.1.2], plus sensible à la température que l’α-amylase (Lewis et al., 2006), est une préoccupation majeure lors du maltage du sorgho (Taylor et al., 2006). Les facteurs influençant la synthèse de cette enzyme durant le maltage ont été étudiés par Taylor et al. (1993) et Bwanganga et al. (2013a). Ces résultats ont montré par exemple que, contrairement à l’α-amylase, la température de germination influe négativement sur la vitesse de synthèse de l’activité β-amylase. Des modèles mathématiques (modèle de Weibull à 4 paramètres) ont été proposés (Bwanganga et al., 2013a) pour permettre de trouver un compromis entre ces deux enzymes (α et β-amylases) qui sont importantes pour l’hydrolyse de l’amidon.
20L’α-glucosidase (EC 3.2.1.20) catalyse l’hydrolyse du maltose en deux unités glucose, le terme maltase en est le synonyme. Son rôle, lors de la germination du grain, est important, à savoir la production de glucose à partir du maltose, des oligosaccharides, des dextrines et amidons (Briggs et al., 2004) – le glucose étant facilement assimilable par le germe. Sa présence en quantité élevée dans le malt de sorgho est souvent vue comme un défaut, en ce sens qu’il n’est pas important de transformer le maltose en glucose – le maltose ne posant aucun problème d’assimilation par la levure. Alors que le maltose est le sucre principal dans le mout de malt d’orge, c’est le glucose qui est le principal sucre dans un mout de malt de sorgho – ce qui est souvent attribué à la faible activité β-amylasique du mout de malt de sorgho (Agu et al., 1996a), mais d’autres auteurs pensent que l’activité α-glucosidase élevée des malts de sorgho aurait une contribution non négligeable à cette anomalie (Taylor, 1992). L’hydrolyse du maltose durant le brassage peut aussi être vue comme un moyen de lever l’inhibition créée par l’augmentation de la concentration en maltose sur l’activité β-amylase.
21La dextrinase limite (EC 3.2.1.41) est une enzyme hydrolysant les liaisons α-(1,6) dans les α et β-dextrines dérivant de l’amylopectine, elle-même dérivée de l’amidon et d’autres oligo-saccharides des céréales. Les dextrines qui sont des sucres non assimilables par la levure sont importantes pour donner à la bière du corps et son petit caractère sucré.
22Un autre problème posé par l’utilisation du sorgho en brasserie est la saccharification incomplète de son amidon, impliquant l’obtention des extraits peu fermentescibles (Taylor et al., 2006). Cette saccharification incomplète a été attribuée aux températures élevées de gélatinisation des amidons (Dufour et al., 1992), à l’inhibition partielle de l’activité amylasique par d’importantes quantités de tannins naturellement présentes dans diverses variétés de sorgho (surtout les sorghos rouges), au faible pouvoir diastasique endogène (activités α et β-amylases) des grains de sorgho et à ses parois cellulaires insuffisamment dégradées pendant la germination (Etokakpan et al., 1990) et empêchant un ramollissement de l’endosperme et une digestion optimale des amidons faiblement dispersés. Certaines variétés de sorgho ont des teneurs en α-amylase supérieures à celles de l’orge (Aniche et al., 1990).
23La β-amylase n’existerait quasi pas dans les grains crus de sorgho – même pas sous forme liée : pas d’augmentation de la teneur en β-amylase après traitements par les agents réducteurs ou la papaïne –, mais est synthétisée pendant le maltage (Taylor et al., 1993). Plusieurs traitements visant à améliorer la qualité des malts du sorgho sont évalués en termes d’activités d’enzymes précises : α-amylase, β-amylase, etc. Le scénario du brassage est tellement dynamique que l’activité globale des enzymes in situ est loin d’être la somme des activités individuelles (Lewis et al., 2006).
3.2. Les peptidases du sorgho
24Le deuxième constituant majeur du sorgho est sa fraction protéique. Les peptidases (protéases ou enzymes protéolytiques) sont des enzymes qui brisent les liaisons peptidiques des protéines. On parle alors de coupure protéolytique ou de protéolyse. La conversion des protéines en peptides et acides aminés solubles est l’une des transformations les plus importantes qui ont lieu pendant le maltage et le brassage (Evans et al., 1990). La teneur en acides aminés et en peptides dans le mout est l’un des paramètres importants dans l’appréciation de la qualité du mout et même plus important que la teneur en azote soluble total (Agu et al., 1996a). L’utilisation des réserves protéiques du grain est tributaire de l’activation des enzymes protéolytiques (endopeptidases, exopeptidases et dipeptidases) (Jensen, 1994). Certaines de ces enzymes sont particulièrement thermosensibles (endoprotéases), alors que d’autres peuvent encore travailler à des températures relativement élevées – en l’occurrence les carboxypeptidases A qui sont des exo-enzymes (Lewis et al., 2006). Il est donc crucial, à moins de recourir à l’utilisation des enzymes exogènes, que les endopeptidases travaillent correctement lors du trempage, de la germination et des phases enzymatique et germinative du touraillage.
25Les endoprotéases sont des enzymes importantes en brasserie, en ce sens que le rendement au brassage, la fermentabilité du mout, la stabilité de la mousse et la coloration finale de la bière sont affectés par le degré de protéolyse. Aussi, le pouvoir tampon du mout est fortement dépendant de la contribution des acides aminés (Lewis et al., 2006). Un autre problème qui affecte la solubilisation de l’azote est la présence des inhibiteurs à faibles poids moléculaires (low-molecular-weight : LMW) des endoprotéinases (Jones, 2001). Selon cet auteur, ces inhibiteurs forment des complexes avec les protéinases – complexes qui ne se dissocient qu’après ébullition (100 °C), alors qu’à 70 °C presque toute l’activité enzymatique du mout est détruite.
3.3. Les β-glucanases du sorgho
26Les β-glucanases sont des enzymes hydrolysant les β-glucanes. Alors que le sorgho grain contient moins de β-D-glucanes que l’orge, les malts de sorgho et leurs mouts en contiennent plus que ceux de l’orge (Etokakpan, 1992). L’absence d’enveloppe pailleuse, la présence d’énormes quantités de polyphénols donnant possibilité à la formation des complexes « protéines-tannins » et la température élevée de gélatinisation de l’amidon du sorgho ont parfois été envisagées comme facteurs à l’origine de cette anomalie. Mais il apparait que le niveau de β-glucane solubilases et de (1,3)-β-glucanases pendant le maltage avec une faible activité (1,3),(1,4)-β-glucanase (Etokakpan, 1992) soit à l’origine de la teneur élevée en β-D-glucanes dans les mouts de sorgho. Plusieurs chercheurs se sont focalisés sur l’étude des β-glucanases aussi bien de l’orge que du sorgho. Onwurah et al. (1996) ont trouvé, dans les malts de sorgho, deux isoformes de β-glucanases désignées par Forme I et Forme II – lesquelles formes présentent respectivement les activités exo-β-(1,3)-glucanase (libération du glucose) et endo-β-(1,4)-glucanase (libération des oligosaccharides principalement). L’activité de la β-glucanase augmente après addition d’acide gibbérellique, mais selon Aisien et al. (1986), par exemple, il n’y aurait aucune évidence que la réponse de l’acide gibbérellique comme inducteur de la production d’enzymes α-amylase, protéase, pentosanases et endo-β-glucanases chez l’orge soit équivalente à celle du sorgho. Il a récemment été montré que lorsque Bacillus subtilis S499 est utilisé comme starter dans les solutions de trempage, l’activité β-glucanase est significativement améliorée (Bwanganga et al., 2012 ; Bwanganga et al., 2013b).
3.4. L’utilisation des enzymes exogènes
27Plusieurs enzymes exogènes sont actuellement utilisées en brasserie. Les β-glucanases pour la dégradation des β-glucanes et les xylanases pour l’élimination des pentosanes lorsque des grains crus sont utilisés (Lewis et al., 2006). Des protéinases et des amylases sont utilisées lors des brassages hautes densités, « high gravity brewing », les amyloglucosidases sont utilisées aussi bien en brassage qu’en fermentation, l’acétoacétate décarboxylase en fermentation pour contourner la production du diacétyle, de la papaïne et de la propyl endopeptidase en maturation pour l’élimination des polypeptides à l’origine du trouble dans la bière, de la glucose oxydase/catalase dans les bières conditionnées pour l’élimination de l’oxygène, etc. (Lewis et al., 2006).
28Dans certains pays d’Afrique (Kenya, par exemple) voire d’Asie (Japon, par exemple), des réductions de taxes allant jusqu’à 50 % sont obtenues lorsque l’on utilise des grains crus (Goode et al., 2005). Des combinaisons optimales d’enzymes issues de certaines bactéries peuvent donner à partir des grains crus des mouts de bonne qualité (Goode et al., 2005). Odibo et al. (2002) ont obtenu avec des enzymes exogènes des mouts de sorgho, de ces mouts ils ont – par évaporation – obtenu des extraits qui ont pu être conservés pendant une période plus ou moins longue et ce, dans un état suffisamment stable que pour pouvoir être utilisés lorsque cela est nécessaire pour le brassage. Signalons tout de même que le maltage est une étape qui ne représente qu’environ 3,5 % du cout total de production de la bière (Goode et al., 2005). Le recours aux enzymes exogènes, généralement bactériennes, n’est encore une fois qu’une preuve d’un défaut d’optimisation du maltage : l’idéal pour le brasseur étant de tout tirer de sa matière première.
4. L’obtention d’un malt de sorgho de qualité
29Le maltage est un processus biologique complexe impliquant toute une série de réactions biochimiques et physiologiques qui induisent in fine, dans les grains, des transformations morphologiques (développement de l’embryon, des radicelles), le développement des enzymes hydrolytiques et des modifications de la structure de la graine (protéolyse, dégradation des parois cellulaires, etc.) (Bamforth et al., 1993). Le maltage du sorgho – comme celui de l’orge – est réalisé en trois étapes principales : le trempage, la germination et le touraillage.
4.1. Le trempage des grains de sorgho
30Le trempage est une étape très critique lors du maltage du sorgho en ce sens qu’il implique une augmentation de l’humidité des grains (35 à 40 %, voire un peu plus) (Ogbonna et al., 2004) et donc, de l’activité de l’eau, créant ainsi des conditions favorables au développement des bactéries, levures et moisissures ainsi qu’à l’activation des spores. Il existe plusieurs techniques de trempage. Certains essais sont réalisés sans aération, d’autres avec des périodes à aération et sans aération cycliques, d’autres encore avec aération continue durant toute la durée de trempage. Les effets de la durée de trempage, de la température et de l’aération sur la qualité du malt en termes de pouvoir diastasique, d’acides aminés libres (Free Amino Nitrogen : FAN) et d’extrait à l’eau chaude (Hot Water Extract : HWE) ont été étudiés (Dewar et al., 1997a ; Elmaki et al., 1999).
31Le couple température - temps de trempage s’est montré capable d’améliorer les qualités du malt ; les optima de pouvoir diastasique, quantité d’acides aminés libres et rendement en extrait des grains ont été obtenus à la température de trempage de 25 °C par Dewar et al. (1997a). Les conditions de trempage (température et durée) affectent différemment les activités enzymatiques. Il a par exemple été montré qu’à température élevée (35 °C), les activités α et β-amylases augmentent rapidement avec la durée de trempage, atteignent un maximum puis diminuent et que la phase de diminution est plus abrupte pour la β-amylase comparée à l’α-amylase pour un cultivar de sorgho rouge utilisé par Bwanganga et al. (2012). Des traitements chimiques tels que l’addition de l’acide chlorhydrique, du formaldéhyde, de l’hydroxyde de calcium ou de la soude caustique dans les eaux de trempage sont utilisés pour améliorer la vitesse d’absorption de l’eau par les grains de sorgho pendant le trempage (ce qui permet de réduire le temps de maltage), réduire la teneur en polyphénols et augmenter le pouvoir diastasique (Dewar et al., 1997b ; Beta et al., 1999). Le formaldéhyde permettrait de polymériser les composés phénoliques comme les tannins, donnant ainsi des résines phénol-formaldéhyde, ce qui entraine l’inactivation des tannins. Le trempage dans une solution alcaline a aussi été envisagé comme traitement permettant de lutter contre le développement des moisissures pendant le maltage du sorgho (Lefyedi et al., 2006) et selon Lefyedi et al. (2007), ce traitement peut être remplacé par l’utilisation des micro-organismes comme Pedioccocus pentosaceus et Saccharomyces sp. utilisés comme starters dans les eaux de trempage. Les bactéries utilisées par Lefyedi et al. (2007) – en l’occurrence Pediococcus pentosaceus et Lactobacillus plantarum – étant listées parmi les micro-organismes contaminants de la bière (Sakamoto et al., 2003), une souche de Bacillus subtilis S499 – non pathogène, déjà utilisée pour lutter contre les champignons au champ (biopesticides), non listée parmi les pathogènes de la bière – a été utilisée pour lutter contre le développement des moisissures lors du maltage d’une variété de sorgho rouge (Bwanganga et al., 2012) et des pourcentages d’inhibition des moisissures atteignant jusque 99,99 % ont été obtenus. Lorsque les biocontrôles sont utilisés lors du trempage du sorgho, la solution de trempage doit être bien aérée pour limiter la compétition en oxygène entre la grande population microbienne utilisée et les grains trempés et pour permettre d’éliminer le CO2 produit lors de la respiration des grains (Bwanganga et al., 2012). Cette aération permet d’améliorer la germination des grains et, partant, les propriétés du malt (Bwanganga et al., 2012). D’autres facteurs inhérents au grain peuvent plus ou moins influencer la teneur en eau finale du grain, il s’agit – entre autres – de la dureté et de la grandeur du grain, etc., et avoir un effet sur la synthèse et/ou l’activation des enzymes et par conséquent, sur le travail des enzymes lors du maltage.
4.2. La germination des grains de sorgho
32La deuxième phase du maltage est la germination. La germination des grains trempés se fait en absence de lumière sous atmosphère saturée d’eau. L’humidité des grains, la température, la durée de germination et l’aération sont des facteurs à maitriser pour l’obtention d’un malt de qualité. Les travaux d’Ahmed et al. (1996) ont montré que la durée de germination permettait d’augmenter la teneur en tannins (220, 410 et 400 mg de tannins par 100 g de sorgho sont passés, après 5 jours de germination, à 330, 500 et 470 mg par 100 g respectivement), le pouvoir diastasique et le contenu en acide cyanhydrique. La diminution de la teneur en polyphénols pendant le maltage se ferait donc au trempage (Nwanguma et al., 1996) et par perte des radicelles au touraillage (Butler, 19821 cité par Nwanguma et al., 1996). Une diminution de 71,4 % de polyphénols a été obtenue par Iwuoha et al. (1997) après 6 jours de germination avec le formaldéhyde dans les eaux de trempage. Des diminutions de la teneur en tannins jusque 99 % ont par ailleurs déjà été obtenues (Elmaki et al., 1999).
33Selon Elmaki et al. (1999), les teneurs en protéines brutes, en fibres, en lipides et en cendres diminuaient légèrement avec la durée de germination aussi bien pour le sorgho sans tannins que pour celui riche en tannins. Les protéines du sorgho étant en général pauvres en lysine, il a été démontré que la germination permettait d’augmenter la teneur en lysine (Wu et al., 1980). Selon Agu et al. (1997b), la température de germination influe sur le développement des radicelles et sur le développement de l’activité β-amylasique aussi bien pour le sorgho que pour l’orge. Elle permet en plus d’améliorer l’activité α-amylasique, la teneur en azote total et le pourcentage en extrait pour le sorgho, mais non pour l’orge (Agu et al., 1997b). La synthèse des arômes soufrés, en l’occurrence le DiMéthyleSulfure (DMS), aussi bien au maltage que lors de la fermentation, est d’un intérêt non négligeable. Cette synthèse passe par un intermédiaire (le S-méthyl méthionine) qui est un dérivé de la méthionine – un acide aminé présent dans le malt comme résultat de l’hydrolyse des protéines du grain. Le management de la synthèse des précurseurs de ces arômes doit en grande partie être fait lors du maltage. On sait par exemple que le malteur peut, en fonction de la teneur en DMS désiré, augmenter ou réduire la durée de la germination pour obtenir un malt plus ou moins désagrégé. À la fin de la germination, on obtient ce qu’on appelle le malt vert qui doit ainsi être séché et conservé pour utilisation.
4.3. Le touraillage du malt vert
34Le touraillage de l’orge, qui est réalisé dans le souci d’arrêter les transformations biochimiques qui ont pris place dans le malt vert, consiste en un séchage à des températures atteignant jusqu’à 200 °C durant lequel l’humidité des grains passe de 41-46 % (malts pâles) et 48-50 % (malts foncés), à 3,5-4 % pour les malts pâles et 1,5-2 % pour les malts foncés (Esslinger et al., 2005). Des touraillages ont aussi été réalisés à des températures allant de 35 à 50 °C (Agu et al., 1996b). Et il a été démontré que le pouvoir diastasique et l’activité cellulasique des malts de sorgho diminuaient avec la température de touraillage quand celle-ci passait de 35 à 45 °C (jusque 12,4 % pour le DP et 12,6 % pour l’activité cellulasique de diminution par rapport au malt vert de sorgho) (Agu et al., 1996b). Le touraillage, comme tout traitement thermique, modifie la structuration de l’amylose et de l’amylopectine ainsi que les interactions diverses existant entre l’amidon et les autres composés de la matrice ce qui, en somme, détermine les propriétés de l’amidon (Boudries et al., 2009). Ces propriétés permettent de déterminer les applications potentielles de l’amidon et influent sur le travail enzymatique (Boudries et al., 2009).
4.4. L’écosystème microbien du maltage
35Lors du maltage, un certain nombre de réactions biochimiques prennent place. Ces réactions, qui sont attribuées au processus biologique sous-jacent qui est la germination, peuvent plus ou moins être modulées par la présence d’une communauté microbienne dont le rôle lors du processus de maltage – bien que pas totalement connu – n’est plus à démontrer. Selon Laitila (2007), le processus de maltage peut être considéré comme un écosystème impliquant deux groupes métaboliquement actifs, à savoir les grains en germination et la flore microbienne en présence. Tout changement de cet écosystème microbien influerait sur le process et, partant, sur les propriétés du produit fini (Laitila, 2007). L’infection des malts par les moisissures du genre Fusarium, par exemple, est connue comme étant à l’origine du « gushing » (Sarlin et al., 2005). Il a été montré que de petites quantités de protéines, les hydrophobines, isolées des espèces des moisissures du genre Fusarium, Nigrospora et Trichoderma agissaient comme facteurs à l’origine du « gushing » dans la bière (Sarlin et al., 2005).
36Plusieurs moyens de lutte contre le développement des moisissures et la production des mycotoxines lors du maltage du sorgho ont été préconisés (Lefyedi et al., 2006 ; Lefyedi et al., 2007 ; Bwanganga et al., 2012) ; l’effet des traitements chimiques (comme l’utilisation de la soude dans les eaux de trempage) et celui des starters microbiens, comme Lactobacillus plantarum, Pediococcus pentosaceus, Saccharomyces sp. et Bacillus subtilis, ont été mis en exergue. Des travaux sur la lutte contre les moisissures et le développement des mycotoxines doivent être faits. Les arguments qui militent en faveur des biocontrôles prennent davantage le dessus (San-Lang et al., 2002), car le devenir de nombre des produits chimiques utilisés dans la lutte contre le développement microbien est de plus en plus discuté (dégradabilité, compatibilité environnementale, pollution, etc.).
37Notons que les objectifs du malteur pendant le touraillage (rendement au point de vue thermique, toute l’économie du séchage) ne coïncident pas forcément aux attentes du brasseur. L’optimisation du maltage doit tenir compte des cahiers de charge des brasseurs dont le degré de sévérité est parfois extrême, sans oublier toutes les contraintes technologiques imposées par le process.
5. Le brassage du sorgho
38Lors du brassage, les différentes enzymes développées au maltage sont mises dans les conditions de travail (température, pH, humidité) pour l’obtention d’un mout contenant les substances utiles au travail de la levure. La composition aussi bien quantitative que qualitative du mout oriente aussi bien le métabolisme principal de la levure (utilisation préférentielle de tel ou tel composé, etc.) que le métabolisme secondaire (production d’esters, d’alcools secondaires, d’arôme, etc.) et donc, le profil final de la bière (Engan, 1970). Selon qu’il s’agit d’un brassage par décantation ou par infusion, les caractéristiques du mout obtenu avec le malt de sorgho changent. Il a été démontré par Igyor et al. (2001) qu’une décantation est meilleure pour le malt de sorgho qu’une infusion qui est plutôt adaptée pour le malt d’orge. Selon ces auteurs, la température a une influence non négligeable sur la qualité du mout et la décantation à 100 °C est celle ayant donné le meilleur résultat. Lors du brassage du sorgho à 65 °C, l’hydrolyse de l’amidon n’est pas complète ce qui, selon Agu et al. (1998) et Ogul et al. (2006), n’est pas forcément un problème d’insuffisance d’activité enzymatique, mais serait plutôt causé par les facteurs affectant l’empesage de l’amidon.
39La teneur en azote soluble dans le mout obtenu avec le malt de sorgho est inférieure à celle obtenue avec le malt d’orge, même quand les deux maltages ont été conduits dans les conditions optimales de température (30 °C pour le sorgho et 17 °C pour l’orge) (Agu et al., 1999). La teneur en azote soluble diminue plus ou moins fortement après l’ébullition de sorte que, dans certains cas, on obtient avec le sorgho jusque 8,2 % de différence entre les ratios SN/TN avant et après ébullition (Bwanganga et al., 2012) – valeur qui est de loin supérieure à celle préconisée pour le mout de malt d’orge (Lewis et al., 2006). Un autre problème qui inquiète souvent les brasseurs utilisant le sorgho est la viscosité élevée du mout qui influe sur sa filtrabilité. Cette viscosité élevée est souvent attribuée à la présence d’énormes quantités de β-glucanes dans le mout due à la faible activité β-glucanasique (Agu et al., 1999). Aussi, la température optimale de la β-glucanase (37 °C pour la forme I et 45 °C pour la forme II) est inférieure aux températures de brassage, cette enzyme voit donc son activité fortement réduite pendant le brassage, laquelle activité avait déjà été réduite pendant le touraillage (Woodward et al., 1982).
40L’utilisation des enzymes exogènes est devenue pratique courante lors du brassage du sorgho faute d’optimisation des diagrammes de brassage (Goode et al., 2002 ; Ogul et al., 2006) et le sorgho non malté est souvent utilisé au Nigéria pour la production des bières de type européen (Agu et al., 1997a). Des brassages avec 100 % de sorgho non malté ont été réalisés avec addition d’enzymes exogènes et les paliers de 50, 95 et 65 °C ont été utilisés (Goode et al., 2002). Des diagrammes de brassage sont proposés dans la revue présentée par Ogbonna (2011).
6. La fermentabilité des mouts du sorgho
41La fermentation est une phase importante de la fabrication de la bière. En brasserie, cette phase, difficile à bien mener, est loin d’être réduite en la seule transformation des sucres fermentescibles en alcool – le profil aromatique de la bière étant plus ou moins fortement dominé par les sous-produits du métabolisme de la levure. Plusieurs facteurs de la fermentation peuvent influer sur le profil final de la bière : les conditions de température, de pH, de pression, de potentiel redox, d’agitation, la composition du mout (densité, teneur en azote soluble mesurée par le FAN, le profil en acides aminés, les acides amers du houblon, les acides gras en solution, la présence d’ions minéraux, etc.), et la quantité, le type et l’état physiologique des cellules de levure ensemencées. La composition des mouts obtenus avec le sorgho, malté ou non, est différente de celle de mout de malt d’orge classique. Il en résulte, par exemple, que les bières obtenues avec les mouts de sorgho utilisés comme grains crus avec des enzymes exogènes contiennent de faibles niveaux d’acétate d’éthyle et des niveaux élevés de 2- et 3-méthyle butanol (Bajomo et al., 1994). Selon ces auteurs, le profil aromatique est fortement tributaire du pool d’acides aminés (quantité et types), ce profil dépendant lui-même du travail des protéases lors du maltage et du brassage.
7. Conclusion et perspectives
42Des travaux visant à démontrer l’aptitude de certaines variétés de sorgho au maltage et au brassage ne font que s’accumuler : de l’établissement de la différence de structure entre le grain de sorgho et celui de l’orge à l’obtention des bières 100 % sorgho non malté, en passant par tous les traitements visant à améliorer la qualité de la bière finie (Taylor et al., 2006). Tous ces auteurs sont presque unanimes pour affirmer que la température de gélatinisation élevée de l’amidon du sorgho, le rôle inhibiteur de ses protéines et éventuellement des arabinoxylanes, des β-glucanes sur l’hydrolyse et la gélatinisation de l’amidon, les faibles activités β-amylasique et β-glucanasique – sans parler des teneurs élevées en polyphénols, de la faible digestibilité des constituants de la paroi de l’endosperme et de la couche à aleuronne, et des contaminations fongiques – sont les quelques problèmes qui inquiètent encore les brasseurs utilisant le sorgho. Très peu d’études seulement ont été menées sur la fermentation des mouts de sorgho.
43Si les solutions optimales à ces problèmes ne sont pas toutes obtenues, la connaissance des mécanismes sous-jacents est loin d’être un mystère pour la science actuelle. Plusieurs scénarii peuvent être envisagés pour réaliser le défi de la substitution du malt d’orge par celui du sorgho en brasserie moderne (…), mais le choix du scénario le plus réaliste ne peut passer que par toute une série d’essais guidés par l’empirisme et la somme des connaissances actuelles.
44Remerciements
45Les auteurs remercient le Conseil de Recherche de Gembloux Agro-Bio Tech pour le soutien financier accordé à Jean-Claude Bwanganga pour la réalisation de sa thèse de doctorat.
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Notes
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