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Extrême droite et fédéralisme
Table of content
«Trois faits essentiels nous apparaissent tout d’abord :
1° L’homme vit dans un état de solidarité naturelle et nécessaire avec tous les hommes. C’est la condition de la vie ;
2° La société humaine ne se développe que par la liberté de l’individu. C’est la condition du progrès ;
3° L’homme conçoit et veut la justice. C’est la condition de l’ordre»
Léon Bourgeois, Essai d'une philosophie de la solidarité, 1902.
«Les libertés ne sont que des chances offertes à l’esprit de liberté»
Emmanuel Mounier, cité par Beaufays in Alen et al., 1994, p. 125.
Introduction
1Les articles qui composent ce numéro mettent en lumière des situations contrastées. La nature institutionnelle des systèmes politiques étudiés varie d’un cas à l’autre : fédéralisme d’origine centripète (Etats-Unis), fédéralisme d’origine centrifuge (Belgique) ou régionalisme d’origine centrifuge (Italie et Royaume-Uni). Les partis et mouvements d’extrême droite analysés différent également sur des points importants. La Droite religieuse américaine, les partis d’extrême droite belges francophones, flamand, italiens et britannique divergent autant dans leur organisation et leur stratégie politique que sur des points de programme fondamentaux.
2Il n’est pas étonnant dès lors que chaque étude de cas révèle une configuration spécifique où extrême droite et fédéralisme développent des rapports particuliers. Par exemple, selon les phénomènes d’extrême droite considérés, fédéralisme et revendications institutionnelles sont des éléments idéologiques et programmatiques plus ou moins centraux. De même, les référents nationalistes/régionalistes/autonomistes sont plus ou moins développés et plus ou moins aboutis sur le plan institutionnel. Par ailleurs, ils prennent une place plus ou moins proéminente dans la hiérarchie des programmes à côté des thèmes classiques que sont l’insécurité, l’immigration et le conservatisme social et moral par exemple.
3Ces différences, nombreuses et importantes, rendent la comparaison et la généralisation difficiles. Certaines questions méritent néanmoins d’être soulevées : au-delà des idiosyncrasies nationales ou régionales, comment penser les rapports entre le fédéralisme et l’extrême droite ? Existe-t-il entre ces deux concepts, derrière la complexité et la diversité des réalités qu’ils recouvrent, des relations privilégiées ?
4Dans le cadre de ces interrogations et en guise de conclusion, ce texte propose de discuter brièvement certaines articulations théoriques possibles entre extrême(s) droite(s) et fédéralisme(s).
Le fédéralisme comme cadre d’action et comme enjeu
5Les rapports entre extrême droite et fédéralisme peuvent être abordés sous des angles différents. Le fédéralisme peut, par exemple, être posé soit comme cadre d’action institutionnel soit comme objet de positionnement et de revendication politiques1.
6Dans la première hypothèse, le fédéralisme (ou le régionalisme) est la règle du jeu que les partis et mouvement d’extrême droite vont devoir respecter – tout en la remettant en cause, certes, mais là on touche à la deuxième perspective énoncée au paragraphe précédent, celle du fédéralisme comme objet de revendication. Il constitue dès lors une contrainte structurelle qui influence la stratégie des acteurs.
7En effet, la structure fédérale – comme toute structure étatique – ne sera pas sans influence sur le nombre des acteurs, leurs caractéristiques, leur jeu, les influences réciproques, les rapports de force, les conflits entre légitimités (pour la définition de la «légitimité primordiale» notamment), les relations d’allégeance, le sentiment d’identité «nationale», la dynamique de l’évolution de l’Etat, etc. (Beaufays in Alen et al., 1994).
8Cette influence de la structure institutionnelle ne concerne pas que les partis et mouvements d’extrême droite. Elle s’exerce bien entendu sur l’ensemble des acteurs.
9A côté de ce rôle de «régulateur» pour le jeu des acteurs, le fédéralisme (ou le régionalisme) peut constituer un «enjeu», un objet de revendication, de critique, de positionnement, en bref, un élément de programme pour l’extrême droite. Pour appréhender la logique des relations entre fédéralisme et extrême droite de ce point de vue, il est utile de se pencher au préalable sur une particularité commune aux différents discours d’extrême droite.
«Rendre le pouvoir au peuple»
10Une des constantes du discours d’extrême droite porte sur le caractère non légitime des démocraties représentatives. Un trait discursif récurrent consiste à affirmer la nécessité de «rendre le pouvoir au peuple». Selon les contextes «nationaux», le «peuple» prendra néanmoins des contours différents en fonction notamment des traditions et des idéologies politiques spécifiques.
11Il sera «belge» (et donc «fédéral» par acceptation du cours des choses) pour le Front National et le Front Nouveau de Belgique. Il sera «flamand» (et donc «régional»/»fédéré» en attendant toutefois la création d’un Etat indépendant qui donnerait au «peuple», à la «communauté» flamande une forme étatique) pour le Vlaams Blok. Il sera «britannique» pour le British National Party ; «padanien» pour la Lega Nord mais «italien» pour l’Alleanza Nazionale.
12On le voit, au sein d’un contexte national déterminé, les positions de l’extrême droite sur le fédéralisme sont conditionnées par leur conception particulière de la «communauté» légitime, signifiante, «naturelle». En d’autres termes, si ces partis ont en commun de prétendre défendre une «communauté nationale», un «peuple», ils divergent sur la définition à donner à cette «communauté», à ce «peuple». Les cas de la Lega Nord et de l’Alleanza Nazionale sont significatifs de ce point de vue. «Padanie» d’un côté, «Italie» de l’autre, on est en présence d’un conflit de légitimités et d’allégeances. Pour en revenir un instant au fédéralisme comme cadre d’action, il faut noter que cette divergence fondamentale n’empêche pas ces partis de participer à une même coalition gouvernementale au niveau de l’Etat «central». De même, il est intéressant d’étudier les problèmes stratégiques et discursifs rencontrés par les partis qui remettent en cause la légitimité d’un niveau de pouvoir lorsqu’ils sont confrontés à l’exercice (ou à la possibilité de l’exercice) du pouvoir à ce niveau. Par ailleurs, ces questions sont révélatrices du caractère artificiel de toute distinction stricte entre fédéralisme comme règle du jeu et fédéralisme comme enjeu. Revenons néanmoins à cette deuxième perspective.
13L’extrême droite développe un discours et une idéologie autour de concepts tels que ceux de «communauté», de «nation», de «peuple», de «solidarité communautaire». Ils participent d’une logique de clôture et d’exclusion. A partir d’un discours général sur la diversité humaine et la diversité des peuples, le droit à un Etat indépendant pour un «peuple» est revendiqué.
14Le fédéralisme comme théorie et comme réalité politique est confronté à des problématiques parallèles. Il part d’une réflexion sur des questions connexes voire identiques. Quelles sont les communautés politiques légitimes auxquelles il convient d’accorder une autonomie (dont il faut par ailleurs décider des contours) ? Quelles sont les frontières et les modalités de la solidarité entre entités ? Etc.
15En un sens, le fédéralisme a précisément pour objectif de répondre à ces questions, de gérer les conflits politiques et les tensions qui en découlent d’une manière démocratique et pacifique. Fédéralisme et extrême droite offrent, d’une certaine manière, des réponses différentes à des questions similaires. Dans cette perspective, il serait intéressant d’étudier dans quelle mesure certaines formes d’extrême droite se rattachent à certaines formes de fédéralisme. La notion de «peuple»/»communauté» pourrait servir de clé pour l’articulation de ces deux éléments.
16Afin de développer et d’étayer le raisonnement, il convient de revenir brièvement sur les concepts d’Etat, de nation, d’Etat-nation, de nationalisme et d’identité nationale.
Etat, nation, Etat-nation et identité nationale
17L’Etat dont il est question dans les théories fédéralistes et celui que revendique une extrême droite pour un «peuple» donné se recoupent bien entendu sur un certain nombre de points généraux et fondamentaux. Dans les deux cas, l’Etat peut se concevoir comme une «entreprise politique de caractère institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique» (Weber, cité par Birnbaum in Hermet et al., 1998, p. 100). Sous un angle fonctionnel, l’Etat est toujours, en tant qu’appareil de pouvoir, un prestataire de services dans le but de garantir ce qui apparaît historiquement et géographiquement comme ses fonctions essentielles : «assurer la survie de l’Etat vis-à-vis de l’extérieur et maintenir l’ordre intérieur selon le rapport de force établi» (Beaufays in Alen et al., 1994, p. 106). Ces éléments de définition au cœur du phénomène générique de l’Etat vont, dans le cadre des manifestations concrètes de ce dernier, recouvrir des réalités sociales, politiques, institutionnelles, culturelles et juridiques différentes. Ce niveau de généralité ne nous donne pas d’outils adaptés pour étudier les relations entre fédéralisme et extrême droite. Il est donc nécessaire de recourir à d’autres approches.
18Il est parfois fait référence au concept d’Etat sous l’angle des conditions spécifiques présumées nécessaires à son existence. Dehousse (1995, p. 17-18) cite l’existence conjuguée d’un territoire (compris comme espace clairement délimité), d’une population (comprise comme un ensemble d’individus liés par la nationalité), d’un gouvernement (compris comme des institutions maintenant l’ordre et exerçant un contrôle sur le territoire et la population qui s’y trouve) ainsi que la détention par ce gouvernement de la souveraineté (comprise comme le fait de disposer du pouvoir du dernier mot sur le territoire, de n’être soumis à aucune autorité supérieure).
19Le fédéralisme compris comme forme d’organisation de l’Etat devra définir les contours de chacun de ces éléments. L’extrême droite doit faire de même lorsqu’elle revendique et affirme la légitimité exclusive d’une «communauté politique» à forme étatique pour un «peuple» donné (pensons à la «staatkundige gemeenschap» du Vlaams Blok) : quelles frontières ? Quelle souveraineté ? Pour quel «peuple» ?
20Dans ce contexte, une problématique fondamentale pour la définition de l’Etat est celle de la nature, de l’origine, de l’importance et des conséquences (notamment en termes de structures institutionnelles et de mobilisation politique) des liens qui unissent l’Etat à sa population à travers, notamment, les concepts de nation, d’identité, de citoyenneté, de culture, de nationalisme, etc. L’Etat, selon Birnbaum (ibidem, p. 100), implique généralement «une conception forte de la citoyenneté rattachant directement les citoyens à l’Etat et limitant l’emprise des groupes et des communautés intermédiaires, se marquant aussi par une quasi-fusion entre la nationalité et la citoyenneté lorsqu’on se trouve en présence d’un Etat-nation». Depuis les révolutions du XVIIIe siècle, les Etats sont, dans le cadre de l’association de l’idée moderne de souveraineté et de nation, censés «incarner des nations, ou tout au moins un ensemble de communautés suffisamment proches pour accepter de faire partie d’une même entité politique» (de Senarclens, 1998, p. 118). Toutefois, la conjonction des concepts d’Etat (à connotation principalement juridique, institutionnelle et territoriale) et de nation (se rapportant plus particulièrement à la dimension morale, culturelle ou encore ethnique2 d’un ensemble humain) n’est pas automatique et rarement (que cela soit historiquement ou géographiquement) totale. Bien au contraire, «la plupart des Etats contemporains d’Afrique, d’Asie ou même d’Europe incluent des ensembles humains multiples aux solidarités culturelles, linguistiques ou même ethniques potentiellement tournées vers l’extérieur des frontières de l’Etat lui-même» (Birnbaum, ibidem, p. 103). Il conviendrait aussi d’y ajouter l’existence de solidarités potentiellement sub-étatiques, par exemple de type régionale ou communautaire. C’est dans cette problématique de la gestion de populations hétérogènes que les théories fédéralistes s’insèrent. L’extrême droite également lorsqu’elle développe des revendications autonomistes et/ou irrédentistes visant à faire coïncider les frontières de l’Etat et une «communauté» ou un «peuple».
21Le concept de nation lui aussi est loin d’être univoque. Un des questionnements majeurs, dans le cadre d’une réflexion sur l’Etat-nation, s’est classiquement centré sur la nature et l’origine du phénomène identitaire national. La nation est-elle une donnée objective et organique s’imposant à l’Etat ou une construction historique et culturelle dont l’Etat serait acteur ? L’opposition classique entre les positions de Renan et Herder reflète l’existence de conceptions, respectivement, à caractère principalement rationaliste et individualiste prenant en compte la volonté des acteurs et celles à la fois organique, culturelle et de dimension holistique (ibidem, p. 175). La conception de Renan mérite quelques précisions. Il considère la nation comme une «entité double, faite d’un héritage commun – le souvenir du passé – et d’une volonté actuelle de vivre ensemble : “L’existence de la nation est un plébiscite de tous les jours
Notes
To cite this article
About: Geoffroy Matagne
Aspirant du F.N.R.S. Département de science politique de l’Université de Liège