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République Démocratique du Congo : une Constitution pour une Troisième République équilibrée
Table of content
1. Introduction – contexte général
1S’inspirant de l’Accord Global et Inclusif adopté à Sun City, en Afrique du Sud, le 1er avril 2003, la Constitution de la Transition s’était donnée comme objectif d’ «édifier un État de droit durable fondé sur le pluralisme politique, la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire, la participation des citoyens à l’exercice du pouvoir, le contrôle des gouvernants par les gouvernés, la transparence dans la gestion des affaires publiques, la subordination de l’Autorité militaire à l’Autorité civile, la protection des personnes et de leurs biens, le plein épanouissement tant spirituel que moral de chaque citoyen congolais, ainsi que le développement harmonieux de la communauté nationale»1. C’est principalement cette ligne directrice qui a guidé les travaux du constituant congolais.
2L’article 104 de la Constitution de la Transition confère au Sénat la compétence de l’élaboration de l’avant-projet de Constitution et l’article 98, à l’Assemblée nationale, celle de l’adoption du projet à soumettre à référendum.
3Le 16 mai 2005, l’Assemblée nationale a adopté le texte2 déposé par la Commission politique, administrative et judiciaire (PAJ) et rédigé par le Sénat avec le concours d’un collège d’experts tant nationaux qu’internationaux. La brève note de synthèse qui suit a pour objectif d’en brosser un premier tableau afin d’en dégager les lignes de force et les choix qui ont été opérés. Le plan suivi sera essentiellement celui du projet.
4Une constitution doit se limiter, autant que possible, à énoncer les grands principes3 qui doivent sous-tendre l’édifice institutionnel de l’État et l’organisation des organes étatiques. Afin de pouvoir remplir ce rôle, elle doit reposer sur la réalité du pays qui résulte de son histoire telle qu’elle a été vécue par ses citoyens.
5Le projet est inspiré par le souci de présenter au peuple congolais une loi fondamentale qui doit rendre possible le fonctionnement efficace d’un État de droit garantissant à toutes les personnes qui relèvent de sa juridiction, la jouissance de leurs droits fondamentaux ainsi que le partage équitable des richesses du pays, de manière à générer un accroissement progressif du bien-être des citoyens.
6Le projet ne vise pas en premier lieu à satisfaire aux exigences d’une bonne technique de droit constitutionnel mais bien à répondre à l’attente des citoyens qui souhaitent disposer d’un cadre juridiquement contraignant leur garantissant de vivre dans un État de droit. C’est pourquoi le projet ne peut être apprécié à sa juste valeur sans connaître l’histoire du peuple congolais.
7L’histoire du Congo a été douloureuse. Le souvenir traumatisant de cette expérience explique pour beaucoup pourquoi plusieurs dispositions constitutionnelles ont été rédigées telles qu’elles le sont4.
8Les citoyens congolais ont vécu durant de longues années dans des régimes politiques qui n’ont ni assuré le respect des droits de l’homme, même les plus élémentaires, ni créé des conditions de vie permettant l’épanouissement individuel ou collectif. Le présent projet a tenu dûment compte de ce passé douloureux auquel le peuple congolais a payé un lourd tribut. Raison pour laquelle la préoccupation d’éviter certaines pratiques qui ont été la cause de beaucoup de malheurs transparaît.
9Profondément attaché aux vertus qui sont la devise de son État, à savoir «Justice, Paix, Travail»5, le peuple congolais est convaincu que l’absence de démocratie et de justice sont à l’origine des malheurs qu’il a connus. Il rejette, en conséquence, tout système conduisant à l’exercice d’un pouvoir oligarchique6. Il fait du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales une condition de son développement.
10La principale question est de savoir si ce texte va permettre à la République Démocratique du Congo de disposer d’institutions démocratiques durables et mettre fin ainsi à la longue période transitoire amorcée le 24 avril 1990 et caractérisée par des cycles de violence.
2. Forme de l’État – découpage territorial
11À la lecture du texte, on note que la forme de l’État proposée est celle d’un État unitaire fortement décentralisé.
12Il résulte de l’économie générale du texte7 que le constituant a clairement entendu exclure l’instauration d’un régime de type fédéral. Toutefois, la répartition des compétences entre les provinces et le gouvernement central démontre, à suffisance, que l’éternelle querelle entre les unitaristes et les fédéralistes est loin d’être enterrée8 : la poire a été coupée en deux, tant et si bien que l’on peut être tenté de parler d’un fédéralisme assourdi voire d’un régionalisme vigilant.
13Notons toutefois que si les provinces ne peuvent pas être considérées comme des entités fédérées, le constituant ne les range pas pour autant dans l’énumération des entités territoriales décentralisées contenue à l’article 3. À l’article 181, par contre, lorsqu’il est question des compétences de la Caisse nationale de péréquation, le texte fait référence aux provinces et aux autres entités territoriales décentralisées, ce qui tend à nous faire considérer que la division en provinces constitue le degré ultime et particulièrement approfondi de la décentralisation congolaise voire le degré de base de la régionalisation.
14La Province, la ville, la commune, le secteur et la chefferie sont dotés de la personnalité juridique et jouissent d’une autonomie renforcée notamment en ce qui concerne la gestion de leurs ressources9.
15L’épineuse question du découpage expérimental de l’ancien Kivu est résolue. Le découpage proposé est largement inspiré de celui recommandé par la Conférence nationale souveraine : vingt-cinq provinces et la ville de Kinshasa10. Cette décentralisation s’accompagne d’une répartition des recettes nationales à raison de 60 % pour le pouvoir central et de 40 % pour les Provinces11.
16Il est à craindre que ce découpage, et surtout la répartition des recettes, ne créent de grandes disparités entre les Provinces. Certaines provinces vont disposer de plus de ressources que d’autres. Peut-être la Caisse nationale de péréquation12 ne réussira-t-elle pas à corriger les écarts de développement entre les Provinces. Le principe de retenue à la source13 va toutefois permettre aux entités décentralisées de disposer des ressources dans les meilleurs délais et à l’État central d’exercer un véritable pouvoir de contrôle pour s’assurer d’une juste répartition des recettes puisque le pouvoir de prélever l’impôt reste national.
3. La délicate question de la nationalité
17Question sensible s’il en est, le projet consacre le principe de l’exclusivité de la nationalité congolaise14, ce qui implique que celle-ci ne puisse être acquise sans abandonner une nationalité déjà possédée et qu’une autre nationalité ne puisse être acquise sans perdre la nationalité congolaise.
18Le constituant a explicitement distingué les Congolais dont la nationalité est d’origine de ceux dont elle est acquise15. La distinction se voit conférer une incidence limitée à la faculté d’occuper certaines fonctions éminentes réservées aux Congolais d’origine16. Les craintes17 des Congolais quant à la nationalité peuvent cependant sembler exagérées eu égard à l’évolution de cette problématique sur le plan mondial18 ; le métissage et l’ouverture rendent désormais les États plus forts.
4. Droits fondamentaux et devoirs du citoyen
19Le constituant a tenu à réaffirmer l’attachement de la République Démocratique du Congo aux droits humains et aux libertés fondamentales19 tels que proclamés par les instruments juridiques internationaux auxquels elle a adhéré. Aussi, ces droits et libertés ont-ils été intégrés dans le corps même du présent projet de Constitution. Eu égard à l’importance des droits consacrés, cette manière de procéder à été jugée plus satisfaisante qu’une simple référence, dans le préambule, à ces instruments internationaux.
20Le projet enregistre des avancées notables en la matière : la consécration du droit d’être assisté d’un défenseur même au niveau des enquêtes policières20, la garantie du droit à un logement décent21, à l’eau potable et à l’énergie électrique22, l’insertion du principe pollueur-payeur23, certaines violences sexuelles érigées en crime contre l’humanité24 et, répondant aux signes du temps, le projet introduit une innovation de taille en formalisant la parité hommes-femmes25.
21On peut néanmoins s’interroger sur les moyens concrets dont dispose l’État congolais pour garantir l’ensemble de ces droits.
22Parmi les droits fondamentaux, il faut distinguer entre plusieurs types de dispositions.
23D’une part, nous pouvons isoler des dispositions qui ne nécessitent en elles-mêmes aucune mesure d’application d’une quelconque nature et dont toutes les personnes, quelle que soit leur nationalité26, peuvent se prévaloir sur le territoire de la République. Il s’agit essentiellement des dispositions qui confèrent des garanties dans le cadre de la répression publique au sens large27 (légalité des peines et des incriminations28, limitations du temps des gardes à vue29, droit de se faire assister par un conseil30, protection du domicile31, …) ainsi que des libertés publiques fondamentales (liberté d’expression32 et d’association33, droit de grève34, liberté de mariage35, …).
24De telles garanties n’ont par ailleurs pour la plupart pas de répercussions directes sur les finances publiques.
25Le caractère très général de leur libellé rendra essentiel le rôle de la jurisprudence à qui il appartiendra d’en préciser le contenu dans le respect de l’esprit de liberté qui imprègne le projet. Ceci pose évidemment le problème de l’effectivité de l’indépendance du juge dont le courage et l’interprétation qu’il donne aux lois infléchiront les pratiques étatiques dans le sens d’une protection accrue des droits fondamentaux et des libertés publiques.
26D’autre part, certaines dispositions sont plutôt programmatiques, conçues comme un guide d’action des pouvoirs publics et comme un programme général dont le constituant entend doter les parlements et gouvernements qui seront appelés à se succéder.
27Ces droits fondamentaux (droit à la santé36, au travail37, au logement, à l’eau potable, à l’énergie électrique38, …) peuvent être interprétés comme empêchant les pouvoirs publics d’adopter des normes qui seraient perçues comme des régressions par rapport au droit actuel (effet «cliquet»), et les incitent, de ce fait, à progresser dans ces domaines en indiquant des buts vers lesquels il leur incombe de tendre, sans pour autant constituer des obligations de résultat.
28En ce qui concerne plus particulièrement la représentation politique des femmes dont l’article 14 affirme qu’elle doit être équitable et que l’État garantit la mise en œuvre de la parité dans les institutions nationales, provinciales et locales, une précision paraît indiquée.
29Cette disposition nécessite à l’évidence des mesures d’application et, dans l’attente, fait peser sur les institutions compétentes une obligation de se doter des moyens adéquats afin de se rapprocher de cet objectif. Une limite s’impose toutefois qui tient au caractère démocratique du régime politique et au caractère représentatif des institutions : jamais les normes adoptées ne pourront avoir pour effet de modifier la composition des organes représentatifs du corps électoral en ayant recours à des mécanismes qui aboutiraient à désigner aux mandats à pourvoir d’autres personnes que celles élues au suffrage universel39.
30Il est également à noter qu’aucune disposition n’abolit explicitement la peine de mort contrairement à ce qu’avait annoncé le Comité international d’accompagnement de la Transition (CIAT). Toutefois, dans la mesure où le projet n’évoque pas non plus l’existence de la peine de mort, son abrogation pourra être le fait d’une intervention législative ordinaire et ne nécessitera pas de mettre en œuvre le lourd processus de révision constitutionnelle.
31Enfin, à la suite des droits individuels et collectifs reconnus par le projet, le constituant a tenu, après avoir rappelé l’importance du respect dû par chacun au respect du Droit40, à énumérer les devoirs qu’imposent à chaque congolais en raison de leur appartenance à la Nation41.
5. L’équilibre des pouvoirs législatif et exécutif – le régime politique
32Les dispositions qui concernent le Président de la République ainsi que celles qui régissent l’équilibre des pouvoirs exécutif et législatif entre eux et entre les branches qui les composent figurent parmi celles dont l’enjeu politique immédiat fut le plus perceptible au cours du travail de rédaction du projet.
33Les grands axes du projet tendent vers la recherche d’une certaine stabilité. Le nouvel ordre politique appelle avant tout la mise en place d’un régime démocratique fondé sur un ordonnancement constitutionnel assurant la séparation effective des pouvoirs en même temps que leur collaboration afin d’éviter, d’une part, toute concentration de pouvoir entre les mains d’un seul organe et, d’autre part, tout blocage préjudiciable du régime en cas d’absence de collaboration judicieuse entre ces pouvoirs.
34Chaque Congolais se rappelle les conséquences que peut avoir la destitution mutuelle des personnalités politiques principales de l’État. Les Congolais savent également que la concentration excessive du pouvoir dans les mains d’une seule personne peut mener à des dérives extrêmement néfastes.
35La réponse que le projet a apportée à cette expérience n’est pas la suppression de la fonction de Premier ministre, ni la réduction des pouvoirs du chef de l’État à quelques formalités symboliques, mais l’exclusion de la possibilité de destitution de l’un par l’autre et l’instauration au sommet de l’État de deux fonctions dotées toutes deux de pouvoirs réels, qui se distinguent les uns des autres et qui exigent une collaboration étroite42. Cette option est confortée par les résultats de la «consultation populaire» organisée par le Sénat43.
36Ainsi, le projet vise à instaurer un équilibre au sommet de l’État entre, d’une part, le Président de la République jouissant d’une légitimité populaire et, d’autre part, le Premier ministre nommé par le Président de la République44 mais responsable devant l’Assemblée nationale45.
37Après bien des débats, le constituant a décidé que le Président devait être âgé de trente ans au moins46 et qu’il serait élu au suffrage universel47 pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois48.
38L’on assiste aussi à une certaine formalisation de la période au cours de laquelle le chef de l’État procède à des consultations en vue de nommer un chef du Gouvernement qui devra bénéficier d’un soutien parlementaire49.
39Le Président de la République ne peut pas révoquer le Premier ministre50. Il dispose aussi bien de pouvoirs propres que de pouvoirs qu’il partage avec le Premier ministre51. Le Premier ministre, chef du Gouvernement, conduit la politique de la nation. Ainsi, le Président préside le Conseil des ministres52 et le Premier ministre gouverne.
40Les mécanismes porteurs de conflits potentiels sont rationalisés dans un sens qui puisse permettre aux institutions non seulement de collaborer mais aussi de s’équilibrer et de se contrôler réciproquement. En effet, si le Gouvernement est institué comme le maître de la conduite de la politique de la Nation, la définition de cette politique se fait en concertation avec le Président de la République53.
41Le contrôle du Gouvernement est essentiellement exercé par l’Assemblée nationale. Les députés peuvent le sanctionner collectivement par l’adoption d’une motion de censure. Ils peuvent en outre mettre en cause la responsabilité individuelle des membres du Gouvernement par une motion de défiance54. Le Président de la République peut quant à lui dissoudre l’Assemblée nationale en cas de crise persistante avec le Gouvernement55.
42Le projet prévoit les matières réservées à la loi et le degré de précision que celle-ci doit revêtir56, ce qui limite d’autant la capacité normative de l’exécutif (sans préjudice de la possibilité pour le Gouvernement de solliciter du Parlement le droit d’intervenir par «ordonnances-lois» dans ces domaines57) mais la laisse intacte en dehors des matières énumérées58.
43Lorsqu’une loi est votée par le Parlement, le Président la promulgue59. Il est à relever que si le Président reste en défaut de promulguer la loi, celle-ci pourra être réputée promulguée après l’écoulement d’un certain délai. Ce mécanisme permet donc au chef de l’État de refuser la promulgation d’une loi qui contrarierait sa conscience tout en sauvegardant les prérogatives du Parlement60.
44Le projet prend également soin d’encadrer les moyens d’action dont le Pouvoir exécutif dispose en cas d’état d’urgence ou d’état de siège et de formaliser la manière de constater ces états dans le respect des prérogatives du Pouvoir législatif61.
45En outre, un autre type d’équilibre est instauré entre les deux chambres du Parlement. Les textes législatifs doivent en effet être approuvé à la fois par l’Assemblée nationale, composée de députés élus directement au suffrage universel62, et le Sénat, émanation des assemblées provinciales63, ce qui, de ce point de vue, fait de la RDC un système bicaméral parfait64.
46Le constituant a également prévu des procédures particulières dans des matières importantes65 qui doivent faire l’objet d’une loi organique. Dans ces hypothèses, l’on peut notamment retenir qu’il est indispensable de recueillir un vote à la majorité absolue des membres qui composent les deux chambres du Parlement ainsi que l’obligation de soumettre le texte à la Cour constitutionnelle66.
47Mentionnons enfin que dans des hypothèses spécifiques, les deux chambres du Parlement se réunissent en Congrès67.
6. Le Pouvoir judiciaire
48Le corps de règles relatif au Pouvoir judiciaire constitue assurément un élément capital du nouvel équilibre constitutionnel et une garantie essentielle de sa pérennité.
49Le projet affirme l’indépendance du Pouvoir judiciaire68 dont les membres sont en règle69 nommés, promus et révoqués par le Président de la République70 sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature71, désormais composé exclusivement de magistrats72.
50En ce qui concerne les magistrats du siège, il ressort toutefois tant des dispositions qui prévoient leur indépendance73 et leur inamovibilité74 que des attributions du Conseil supérieur de la magistrature (notamment en matière disciplinaire75) que, nonobstant les termes de l’article 82, une révocation ne pourrait être envisagée que pour manquements graves et objectivement constatés aux devoirs de leur charge. Il appartiendra à la loi organique fixant le statut des magistrats76 de préciser ce point.
51Le projet opte résolument pour une dualité d’ordres juridictionnels. Les juridictions judiciaires, chapeautées par la Cour de cassation, coexistent avec un ordre de juridictions administratives dont le Conseil d’État constitue le sommet. Le constituant n’a pas jugé opportun de définir lui-même de manière générale les attributions des deux ordres de juridictions et a confié cette mission au législateur organique77. Celui-ci sera toutefois tenu de respecter la compétence reconnue au Conseil d’État comme juge de la légalité des actes administratifs pris par les autorités administratives78.
52Le projet introduit une vision large de la notion de «Pouvoir judiciaire»79 puisqu’elle recouvre tant les juridictions des ordres judiciaire80 et administratif que la Cour constitutionnelle, par ailleurs chargée de trancher les conflits relatifs à l’attribution d’un litige à l’un ou l’autre ordre de juridictions81.
53La Cour constitutionnelle se voit dotée de prérogatives considérables, tant dans sa fonction première de juge de la constitutionnalité des lois82, des traités83 et des règlements84 qu’en ce qui concerne l’interprétation de la Constitution85, la répartition des compétences entre les différents pouvoirs ou niveaux de pouvoir de l’État86 ainsi que le contentieux électoral et référendaire national87. La Cour constitutionnelle est également le juge pénal du chef de l’État et du Premier ministre88.
54Sa composition reflète également un certain équilibre puisque, sur les neuf membres, tous nommés par le Président de la République, trois le sont selon son propre choix, trois sont présentés par le Parlement réuni en congrès et trois sont présentés par le Conseil supérieur de la magistrature. Le mandat est de neuf ans non renouvelable. En outre, si six membres doivent être des juristes provenant de la magistrature, du barreau ou de l’enseignement universitaire, aucune condition particulière d’expérience professionnelle n’est posée pour les trois autres qui pourront donc être choisis en fonction d’autres critères89.
55Un contrôle de constitutionnalité a priori des lois organiques est systématiquement organisé90 tandis qu’il est facultatif pour les lois ordinaires91 ainsi que pour les traités et accords internationaux92. Un contrôle a posteriori est en outre prévu pour les lois et règlements, soit en dehors de tout autre litige93, soit par la voie d’une question préjudicielle déférée d’office ou à la demande d’une partie dans le cadre d’un litige pendant devant une juridiction94.
56Cette possibilité conférée à toute partie ou juridiction de saisir la Cour constitutionnelle risque de l’encombrer considérablement et, partant, de retarder le jugement des litiges. Il est à noter que le texte soumis au Sénat par le collège d’experts prévoyait quant à lui de limiter cette possibilité aux litiges pendant devant la Cour de cassation et le Conseil d’État95. Le constituant n’a pas retenu cette limitation et a ouvert les portes de la Cour constitutionnelle beaucoup plus largement.
57Pour que le système conçu puisse être mis en œuvre de manière concrète et efficace, ces dispositions nécessitent des lois d’application96, qu’elles soient appelées explicitement par le constituant ou que leur nécessité résulte du caractère lapidaire du texte constitutionnel97.
7. Les provinces
58Point n’est besoin d’insister sur l’importance de l’institution provinciale dans l’architecture constitutionnelle et l’équilibre qu’elle contient.
59Les provinces sont énumérées dans le projet mais leurs limites devront être fixées par une loi organique98. L’article 226 repousse cependant à trois ans après la mise en place des institutions constitutionnelles l’effectivité des nouvelles provinces. Ceci ne veut pas dire que les compétences accordées aux provinces et leurs conséquences budgétaires seront repoussées d’autant. On pourrait en effet imaginer que les institutions provinciales actuellement en fonction s’emparent des compétences prévues dans le projet et les cèdent après trois ans aux nouvelles entités telles qu’elles seront définies par une future loi organique.
60Les députés provinciaux sont, pour neuf dixièmes, élus au suffrage universel direct, et, pour un dixième au maximum, cooptés parmi les chefs coutumiers par les élus directs. Leur mandat est de cinq ans renouvelable99. L’assemblée provinciale qu’ils composent est l’organe délibérant de la province et contrôle le Gouvernement provincial ainsi que les services publics provinciaux et locaux.
61Le Gouvernement provincial est composé du Gouverneur, du Vice-Gouverneur et d’au plus dix ministres provinciaux. Les ministres provinciaux sont désignés par le Gouverneur, lui-même élu pour un mandat de cinq ans – renouvelable une fois – par les députés provinciaux et investi par ordonnance du Président de la République100. L’Assemblée provinciale peut relever de leur fonction les membres du Gouvernement provincial, individuellement ou collectivement. L’article 198 du projet instaure donc bien une responsabilité politique de l’exécutif provincial devant le délibératif provincial.
62La répartition des compétences se présente de manière semblable à celle de la Constitution de 1964, c’est-à-dire dans une énumération de compétences qui sont ou de la compétence exclusive du pouvoir central, ou de la compétence exclusive des provinces, ou encore de la compétence concurrente du pouvoir central et des provinces101. L’énumération détaillée des compétences pourrait poser problème à l’avenir quant à leur définition précise et à leur contenu spécifique, notamment dans les domaines où l’évolution est continue, par exemple les télécommunications.
63L’article 205 pose en principe que ni une assemblée provinciale ne peut empiéter sur les compétences centrales ni l’Assemblée nationale ou le Sénat sur les compétences provinciales. Cependant, une délégation de pouvoir de l’Assemblée nationale ou du Sénat vers les provinces ou d’une assemblée provinciale vers le pouvoir central peut être opérée. Cette délégation est valable jusqu’à sa révocation par le pouvoir cédant ; les règles adoptées sur cette base restant d’application jusqu’à ce que de nouvelles règles aient été adoptées. En ce qui concerne les compétences concurrentes, la législation nationale prime sur la législation provinciale et toute loi provinciale incompatible avec les lois et règlements nationaux est nulle et abrogée de plein droit, dans la mesure où il y a incompatibilité.
64Ces règles devraient permettre d’éviter, dans la mesure du possible, que l’énumération longue et précise des compétences respectives ne pose trop de problèmes pratiques.
8. L’autorité coutumière
65Dans le contexte sociopolitique congolais, l’autorité coutumière est une institution à part entière qui joue un rôle prépondérant tant au niveau politique que social.
66Depuis la fin des années nonante et la période des deux guerres, la République Démocratique du Congo est dotée d’institutions politiques dont la légitimité est contestée. Dans ce contexte, il est indéniable que l’autorité traditionnelle passe pour le seul pouvoir à même de se prévaloir d’une certaine légitimité tirée, notamment, des règles non-étatiques qui la régissent.
67C’est pourquoi il a paru important pour le constituant de consacrer102 l’autorité coutumière dans la loi fondamentale. La disposition l’entérinant103 spécifie qu’elle est dévolue conformément à la coutume locale, pour autant, précise le texte, que celle-ci ne soit pas contraire à la Constitution, à la loi, à l’ordre public et aux bonnes mœurs.
68Par ailleurs, tirant les enseignements des conflits communautaires, tribaux et ethniques qui ont secoué le pays, le texte du projet recommande à l’autorité coutumière de promouvoir l’unité et la cohésion nationales104. Ici, le souci du constituant est de faire de cette institution l’un des principaux acteurs de la politique de réconciliation nationale indispensable en période de post-conflit.
9. Les relations internationales
69Les relations internationales constituent le domaine par excellence pour lequel, traditionnellement, le pouvoir exécutif joue un rôle prépondérant, sans pour autant échapper à tout contrôle. Aussi, le projet confie au Président de la République une compétence exclusive pour ratifier les traités et accords internationaux. Les accords internationaux non soumis à ratification sont quant à eux conclus par le Gouvernement selon des modalités particulières105. L’approbation ou la ratification est soumise à une habilitation législative préalable dans une série d’hypothèses106 et à un référendum dans le cas d’une modification des frontières congolaises107.
70La place des traités et accords internationaux dans la hiérarchie des normes fait l’objet de plusieurs dispositions.
71Une saisine particulière de la Cour constitutionnelle est prévue qui devrait tendre à éviter les conflits entre traités et Constitution108 mais demeure facultative.
72Le projet dispose par contre explicitement que les traités et accords internationaux régulièrement conclus ont dès leur publication une autorité supérieure à celle des lois109.
73Toutefois, deux tempéraments nuancent fortement le caractère absolu de cette affirmation. D’une part, le projet place au rang des instruments qui ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi, ceux qui modifient les dispositions législatives110. D’autre part, l’article 153, alinéa 4 du projet dispose que les Cours et Tribunaux civils et militaires appliquent les traités pour autant qu’ils soient conformes aux lois, ce qui signifie, a contrario, qu’ils peuvent les écarter en cas de contrariété. Cette réserve n’est pas prévue en ce qui concerne les juridictions administratives, ce qui génère une certaine dissymétrie.
74En outre, une disposition particulière prévoit expressément que des abandons de souveraineté sont possibles par la voie de traités ou accords d’association conclus en vue de promouvoir d’unité africaine111.
10. La procédure de révision constitutionnelle
75La procédure de révision constitutionnelle a été conçue en fonction des spécificités congolaises et doit être lue à la lumière de ces réalités. Elle garantit la stabilité des institutions démocratiques en l’affectant d’une assez grande rigidité.
76Ces deux lignes directrices expliquent les choix fondamentaux qui ont été opérés : l’initiative de la révision appartient au Président, au Gouvernement, à chacune des Chambres à l’initiative d’au moins la moitié de ses membres mais aussi à une fraction du peuple congolais, en l’occurrence 100 000 personnes s’exprimant par une pétition adressée à l’une des deux Chambres112.
77La constitution, rempart des libertés et de la démocratie, trace les règles guidant l’action de certaines autorités constituées dans des situations exceptionnelles qui menacent l’intégrité du territoire national ou mettent les institutions républicaines en danger. Il convient d’éviter la passion des débats que peut susciter une révision constitutionnelle dans ces moments qui réclament plus que d’autres l’unité nationale et la cohésion du corps social.
78C’est pourquoi aucune révision ne peut intervenir durant l’état de guerre, d’urgence ou de siège. En outre, le rôle éminent du Président de la République dans la procédure de révision se justifie par la confiance que le peuple tout entier lui a témoignée. Il y a donc également lieu d’exclure la possibilité d’une révision lorsque, en cas de vacance, ses pouvoirs sont exercés par le Président du Sénat113.
79En outre, le projet frappe d’irrévisabilité absolue un certain nombre de principes qui touchent à l’essence même du régime politique114. Au vu de son objectif et du caractère fondamental de ce qu’elle a pour objet de sauvegarder, tant l’esprit général du système constitutionnel que la manière dont les articles organisant la révision sont conçus empêchent que cette disposition puisse elle-même faire l’objet d’une quelconque modification115.
80Le caractère très général de la disposition prévoyant la possibilité de soulever une exception d’inconstitutionnalité contre n’importe quel acte116 permet également à la Cour constitutionnelle, saisie dans le cadre d’un litige pendant devant une juridiction, d’assurer le respect des règles de révision constitutionnelle.
11. Les dispositions transitoires et finales
81La Constitution qui aura été soumise à l’approbation populaire remplacera la Constitution de la Transition et entrera en vigueur dès sa promulgation par le Président de la République en fonction durant la Transition. Par la promulgation, le chef de l’État prendra acte, le cas échéant, du résultat positif du référendum organisé, rien de plus. Cette promulgation interviendra immédiatement après la connaissance officielle du résultat117.
82L’entrée en vigueur de la Constitution frappera de caducité toutes les normes législatives ou réglementaires qui y sont contraires118. Ces normes ne pourront donc plus recevoir aucune application. En cas de contestation, le litige pourra être soumis aux juridictions compétentes qui pourront interroger la Cour constitutionnelle par la voie d’une question préjudicielle119.
83Les dispositions finales et transitoires prévoient également que les provinces, telles qu’énumérées par l’article 2 du projet, constituent les circonscriptions électorales des sénateurs de la première législature120 mais que ces provinces nouvellement définies deviendront fonctionnelles endéans trente-six mois suivant l’installation effective des nouvelles institutions politiques121. Dans l’attente, la RDC reste composée, outre la ville de Kinshasa, de dix provinces122.
84La décentralisation telle qu’elle est envisagée par le projet est donc légèrement différée, à tout le moins sur le plan de la délimitation territoriale des provinces (voy. supra en ce qui concerne l’exercice des compétences).
85De manière réaliste, le remplacement progressif des institutions de la Transition par les institutions de la Troisième République est organisé de sorte que les institutions nouvelles succèdent aux anciennes auxquelles elles correspondent dès qu’elles auront été composées et que les normes nécessaires à leur fonctionnement auront été adoptées123. Cette règle permettra d’assurer la continuité de l’État, des institutions et du service public.
12. Conclusion
86Quelles que puissent être les qualités rédactionnelles d’une constitution, il appartiendra toujours aux hommes et aux femmes qui sont appelés à servir au sein des institutions et des organes constitutionnels de remplir leur fonction dans l’intérêt exclusif de la nation et des citoyens qui la composent. La Constitution ne peut que favoriser le fonctionnement d’un État de droit. Ce sont les hommes et les femmes qui rempliront les différentes fonctions instituées et qui assumeront la lourde responsabilité d’exercer leurs compétences de manière à assurer l’épanouissement des citoyens et le développement de la nation.
87En dépit de sa longueur, de quelques lourdeurs procédurales et d’autres imprécisions sur les compétences de certaines institutions, l’on peut estimer que le texte proposé qui n’est pas nécessairement une constitution orthodoxe au regard de la science constitutionnelle permettra à la République Démocratique du Congo de se doter des institutions politiques stables et durables qu’elle attend.
88Novembre 2005
Notes
To cite this article
About: Nicolas Banneux
Stagiaire judiciaire dans l'arrondissement de Namur
About: Dr Evariste Boshab
Professeur à l’Université de Kinshasa
About: Dr Marc Bossuyt
Juge à la Cour d’Arbitrage (Bruxelles)
About: Dr Bob Kabamba
Chargé de cours adjoint à l’Université de Liège
About: Dr Pierre Verjans
Chargé de cours adjoint à l’Université de Liège*