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La Sardaigne des années 1960-1970 : le virage indépendantiste
Résumé
La Sardaigne est, dans la littérature sur les protestations ethno-nationalistes, un cas encore méconnu. Au cours des années 1960-1970, l’île fut traversée par une forte vague de protestations, sur des bases toutefois bien antérieures. Le domaine économique a toujours été à la base du soulèvement des Sardes contre les divers centres, ce qui ne fit que s’accentuer dans la période considérée avec les conséquences de la modernisation industrielle. La nouveauté de ces années est représentée par les protestations dans le domaine culturel : les questions culturelles et linguistiques étaient restées marginales jusqu’alors sur l’île vu que la langue sarde n’était nullement menacée. Du fait de la mise en place d’une nouvelle politique linguistique hostile au sarde par l’État italien, la question culturelle a acquis une centralité sans précédent sur l’île. Dans le domaine politique, l’absence de grands partis ethno-régionalistes et une division entre les avocats de l’autonomie et les partisans de l’indépendance ont caractérisé une mobilisation nationaliste discontinue et irrégulière en termes de succès.
Table of content
1. Introduction
1Le cas de la Sardaigne, dans les études sur les ethno-nationalismes européens, reste encore peu analysé, du moins dans une approche de science politique. La science politique n’a redécouvert le clivage centre-périphérie entre la Sardaigne et Rome que récemment1, même si Rokkan et Urwin2 avaient déjà décrit la Sardaigne comme un exemple de forte contestation ethno-régionaliste en Italie et en Europe. Or, la Sardaigne a toujours connu des résistances vis-à-vis du pouvoir italien, et ceci dès la constitution de l’État en 1861 : l’idée autonomiste et fédéraliste, voire indépendantiste, restait toutefois peu organisée et n’était pas encore liée, pratiquement, aux conditions sociales, culturelles et historiques particulières de l’île3. Le point faible de cette revendication était l’incapacité de politiser les différences, en transformant ce qu’on pourrait appeler «un potentiel identitaire élevé», en une situation de revendication constante et continue, comme en Corse et au Pays Basque. Tout d’abord, le clivage face au centre naît précocement en Sardaigne, bien avant la formation de l’État italien4. L’apogée des soulèvements contre le centre se produit à l’époque des Piémontais, en 1794, avec une tentative de révolution indépendantiste menée par Giovanni Maria Angioj, l’équivalent de Paoli pour la Corse. La démonstration de la présence du sentiment d’appartenance ethno-identitaire s’est vérifiée avec la naissance d’un des plus anciens partis ethno-régionalistes européens5 : le Partito Sardo d’Azione (Parti Sarde d’Action, PSdAZ). Le PSdAZ naît en 1921, après la Première Guerre mondiale6, moment où les Sardes prennent conscience, de façon massive, de leur condition de peuple, de nation et de leurs besoins par rapport à l’État italien7.
2Un trait caractéristique du cas de la Sardaigne est l’existence d’une connexion incohérente entre les acteurs du régionalisme (politiques surtout, mais aussi économiques, culturels et intellectuels), qui a empêché une mobilisation revendicative nationaliste ou régionaliste assidue. Il en résulte une mobilisation par vagues successives : la contestation centro-périphérique s’avère cyclique8. En ce qui concerne la vague des années 1960 et 1970, ce qui la caractérise surtout dans le cas sarde est une mobilisation fortement indépendantiste, à la différence d’autres régions.
3Cette contribution se penchera sur une autre particularité de cette «vague» en Sardaigne : la redécouverte du clivage centre-périphérie à partir d’un point de vue culturel. En général, la littérature scientifique9 penche pour des explications de caractère culturel et linguistique, lorsqu’elle doit identifier les conditions préalables de la plupart des ethno-mobilisations en Europe et au-delà. Le cas de la Sardaigne s’avère un peu différent, car la naissance de la «question sarde» s’est faite avant tout sur des bases économiques.
2. Les raisons d’une (nouvelle) mobilisation
4Pendant les années 1960 et 1970, la Sardaigne semble encore suspendue entre tradition et modernisation, l’île ayant subi une sorte d’amalgame de tentatives de développement mal réussies ayant eu des résultats mitigés. L’île a obtenu un statut d’autonomie en 194810. Les efforts de l’État italien pour intégrer la région au reste de la péninsule ont commencé à la fin des années 1950 avec la préparation de ce qu’on appelle un Plan de Renaissance sociale et économique de la Sardaigne, voté par le Parlement italien en 1962. Le Plan avait comme objectifs premiers de moderniser l’agriculture et l’élevage de moutons, restés tels quels depuis toujours ; d’encourager le tourisme, vu l’énorme potentiel dans ce domaine ; de rendre plus compétitif l’artisanat, riche et diversifié. Un autre but fondamental était d’industrialiser l’île, encore très en retard sur ce plan, et de créer les infrastructures nécessaires pour rendre la Sardaigne plus proche de l’Italie.
5La modernisation, définissable comme l’ensemble des réponses de l’État aux problèmes de la Sardaigne, n’a pas vraiment été concluante. Les gouvernements de l’époque, persuadés que les infrastructures et l’industrie amélioreraient le niveau de vie des Sardes11, ont dès lors investi massivement dans les nouvelles technologies et l’industrie. Le contenu du Plan ne tenait toutefois pas compte du fait que les structures socio-économiques et culturelles de la Sardaigne ne pouvaient pas être remplacées d’emblée par d’autres modèles de développement : on ne pouvait pas transformer un peuple de bergers et de paysans si rapidement en un peuple d’ouvriers12. Il aurait fallu une «politique des petits pas»13, à savoir la possibilité de réorganiser son propre modèle productif sans modifier si rapidement la société sarde.
6Aux tensions sur le plan économique, s’ajoutera très vite la question linguistique et culturelle. C’est dans les années 1960 et, surtout, 1970, que le problème de la langue sarde a commencé à se poser avec acuité. Comme on l’a dit en introduction, les diverses mobilisations en Sardaigne, hormis de rares exceptions, n’ont jamais placé la question de la langue et de la culture comme premier point à résoudre, ni même posé celle-ci comme motivation essentielle. La particularité de la Sardaigne tenait au fait que la population était, parmi les régions européennes caractérisées par un clivage ethno-territorial, celle à avoir le plus grand nombre de locuteurs en langue minoritaire : plus d’un million pour 1 600 000 habitants. La question sarde est donc née au niveau économique et la langue a été considérée comme un élément accessoire. En fait, le problème que les fondateurs du PSdAZ avaient, au contraire, était d’enseigner à la population l’italien, qu’ils estimaient devoir être la langue véhiculaire à travers laquelle construire une identité sarde. L’Italie, contrairement à la France (surtout au cas breton), n’a (presque) jamais réprimé l’usage de la langue sarde, sauf pendant la période fasciste. Toutefois, de façon assez sournoise, elle a fait en sorte que la langue soit dépouillée de sa valeur sociale. En liaison avec le concept de «modernisation» et à la première industrialisation de l’île, l’État, surtout à travers l’école maternelle et primaire, a encouragé ce qu’on peut nommer la honte linguistique. L’idée que parler sarde était socialement inconvenant a été bien apprise par la population : dans certaines zones de la Sardaigne, les parents ont commencé à enseigner l’italien (une langue étrangère, donc avec bien des difficultés en ce qui a trait à l’enseignement) à leurs enfants, et ils ne parlaient sarde qu’entre eux14. Ce qui, au contraire, dans ces années a résisté, malgré tout, était l’expression du folklore régional et la musique traditionnelle. Privé de toute motivation socio-politique jusqu’à cette période, le folklore a pu continuer à être un important élément identitaire, quoique non politisable parce que, paradoxalement, il était diffusé partout en Sardaigne et il touchait donc aussi les personnes sans intérêt pour la politique et les partis.
7La société sarde a assisté à ces profonds changements presque «hypnotisée» par des modèles de développement importés et inadaptés au contexte spécifique auquel on voulait les appliquer. En fait, en l’absence, à peu d’exceptions près, d’acteurs (politiques, sociaux ou intellectuels) en mesure de comprendre le mécontentement profond des gens, on assiste dans les années 1960 et 1970 à la naissance – ou au renforcement, de réponses spécifiques provenant de la société insulaire. Le travail promis par le Plan (et les installations industrielles) se révéla une illusion. Le choix de la catégorie productive destinée à la Sardaigne fut celle de la pétrochimie. Toutefois, la grande crise pétrolière de la fin des années soixante et de 1973 s’est traduite par une augmentation du chômage, qui atteint presque le niveau des années 1950. Les seules alternatives pour une population qui avait entretenu des rêves de plein emploi et d’urbanisation étaient l’émigration ou le retour au travail rural. Ce changement a été lourd de conséquences, vu que beaucoup de paysans abandonnaient les campagnes et quittaient l’île. Cet exode a donné lieu à une fuite en masse, touchant particulièrement les jeunes15. En outre, le taux de suicide en Sardaigne augmente d’environ 5 %, dans les années 1960, passant de 3,5 % du nombre de suicides en Italie dans les années 1940 à environ 7 % en 1967. Le passage, assez brusque et par ailleurs mal réussi, d’une société agro-pastorale et essentiellement rurale à une société urbaine et industrialisée, passage chargé évidemment de conséquences, semblerait être une des motivations à la base de ce phénomène16. En plus, la Sardaigne enregistrait, à cette époque, une recrudescence des épisodes criminels, avec le retour du phénomène du banditisme. Différent des autres formes criminelles de l’Italie du Sud, le banditisme renaissant accentua la sensation de la population d’être de nouveau abandonnée par l’État.
8Ce panorama démontre que la société sarde a été profondément bouleversée durant les années concernées par notre analyse. Ces conditions ont préparé le terrain pour une politisation de l’identité. L’identité sarde, qui a jusqu’alors résulté principalement de l’isolement de la population, deviendra en ce contexte beaucoup plus explicitement construite et politisée, et sera vue comme un élément permettant la synthèse des différentes questions que nous venons d’évoquer. Le sous-développement et la condition d’isolement dont l’île souffrait ont été les pré-conditions pour créer l’équation «Sardaigne = Colonie». Les premiers à avoir utilisé cette équation (d’une certaine façon encore utilisée aujourd’hui) furent les «dissidents» du PSdAZ et les indépendantistes qui définissaient l’île comme un territoire d’outre-mer occupé et exploité par l’État d’origine. Ils énuméraient les conditions coloniales de la Sardaigne : bétonisation des côtes par les grands industriels et propriétaires du «continent» italien ; industrialisation forcée, sans considération pour les vocations naturelles de la Sardaigne ; tourisme pensé seulement pour les riches avec les Sardes comme une simple main-d’œuvre ; militarisation de l’île vue comme le «porte-avions de la Méditerranée» ; attaques contre la langue vernaculaire et peu de considération pour les Sardes. Ce slogan eut un écho dans la société sarde, y compris au-delà de la mouvance indépendantiste ou autonomiste : les partis italiens opérants en Sardaigne acceptèrent certaines de ces motivations, et l’équation Sardaigne = colonie fut utilisée de 1962 jusqu’à la première moitié des années 197017. Les motivations propres à l’île et à beaucoup d’autres régions européennes furent légitimées a posteriori du point de vue scientifique18. Étaient déjà ouvertes en Sardaigne les portes pour une transformation des protestations populaires vers des positions indépendantistes et pour un renforcement de la thématique autonomiste-fédéraliste.
3. Les acteurs politiques engagés dans la mobilisation ethno-nationaliste
9À la formation du PSdAZ, quelques-unes de ses franges seulement apparaissaient comme ouvertement indépendantistes19. L’histoire du Parti Sarde est surtout dominée par les termes d’autonomie et de fédéralisme, au moins dans les conceptions utilisées en Italie, différentes de celles de la France ou de l’Espagne20. Si l’indépendantisme n’était qu’ébauché par quelques membres, il a toutefois influencé la vie du Parti depuis sa constitution21. Mais, en même temps, on pourrait dire que l’indépendantisme sarde n’a jamais pu se libérer d’une confrontation avec le Parti, quand bien même pour le critiquer et le combattre.
10Le système partisan en Sardaigne a toujours suivi le système italien, à l’exception du PSdAZ. Le Parti Sarde, dès la Constitution de la Région Spéciale en 1948, a opté pour une alliance avec la Démocratie Chrétienne (DC), en opposition au Parti Communiste. Dans les années 1960, le PSdAZ resta solidement ancré à la majorité régionale, dans une position qu’on pourrait qualifier de «servile» par rapport à la DC22 : le Parti participe au gouvernement de la Région sans jamais douter de son rôle. Un changement a lieu vers le milieu des années 1970, avec un tournant vers des positions critiques vis-à-vis l’alliance avec la DC et l’idéologie du Parti Sarde. L’arrivée de groupes de jeunes dans le parti a aussi permis d’abandonner une attitude défaitiste pour une posture plus active, ainsi que de flirter plus ouvertement avec l’indépendantisme23. À la fin des années 1970, le PSdAZ change radicalement sa perspective politique, en modifiant, au Congrès de 1981, l’article 1 de son Statut, qui stipule désormais que le Parti doit «conduire la Nation Sarde à l’indépendance». Ceci est la conséquence directe de l’entrée dans le parti des jeunes indépendantistes de gauche. Ils ont estimé que plutôt que de rester dans d’autres formations politiques, il était plus utile et efficace de «pénétrer» à l’intérieur même du PSdAZ pour le faire évoluer vers la gauche.
11Ce changement stratégique du Parti Sarde a été rendu possible par un climat d’agitation et de renouveau de l’esprit identitaire des Sardes. En fait, la modification structurelle de la composition du parti dérive, globalement, d’une forte conscience indépendantiste dans la société24. Comme il arrive souvent, d’autres groupuscules agissant à l’extérieur du parti ont fini par influencer le parti, symbole plus ancien de l’identité sarde. Ils décidèrent de rendre plus fort le parti historique de la mobilisation régionaliste sarde, en le transformant dans un sens plus indépendantiste, tiers-mondiste et de gauche.
12Donc, l’indépendantisme «politique» naît surtout dans les années 1960 et 1970, en particulier grâce à l’engagement politique des étudiants et des travailleurs sardes dans la péninsule italienne et à l’étranger. Les premières organisations, nées au début de 1967, sont les Circoli Città-Campagna (Cercles Ville-Campagne), dont le nom traduit la volonté de rapprocher deux mondes qui allaient se séparer encore plus, un des problèmes pour l’unification des Sardes. Outre l’intervention dans le débat socio-économique, culturel et politique de l’île, ces Cercles voyaient l’engagement politique comme essentiel. En fait, au cours de cette expérience fut fondé ce que l’on peut appeler le néo-sardisme, c’est-à-dire une nouvelle méthode de faire et de penser la politique sarde en opposition aux choix habituels du PSdAZ, alliée avec la DC. La transformation en parti politique a d’ailleurs lieu en 1973. C’est la naissance de Su Populu Sardu (Le Peuple Sarde, SPS), avec des positions assez critiques envers le PSdAZ. Le parti réussit à mobiliser surtout les jeunes sur un indépendantisme d’extrême gauche et anticolonialiste. Mais pour ne pas rester isolé dans le contexte européen, le SPS forge de fortes liaisons d’amitié et de collaboration politique avec les Bretons, les Corses, les Écossais, les Basques, les Catalans etc. En 1974, il signe la Charte de Brest, un manifeste des organisations indépendantistes européennes de gauche.
13Le SPS et les autres petits mouvements sardes ont contribué à définir une ligne de programmes politiques qui a été récupérée, à maintes reprises, par le PSdAZ, dans sa période d’évolution, et même par certains partis «italianistes» opérant en Sardaigne, comme les Partis Communiste et Socialiste. Les thèmes sont multiples mais, pour la première fois au niveau de l’ethno-régionalisme sarde, apparaissent des aspects qui n’avaient pas encore été évoqués auparavant et des sujets nouveaux, directement issus de l’arrivée du post-matérialisme en Europe. La langue sarde devient un sujet de lutte très important ; avec la modernisation, elle s’est trouvée en péril pour la première fois dans son histoire pluri-centenaire. Des journaux en sarde, à l’instar de Su Populu Sardu, et l’introduction du sarde dans les deux universités de la Région (Cagliari, capitale, et Sassari) deviendront très vite des éléments indispensables pour les indépendantistes. Dans presque toute l’île, entre 1972 et 1977, on remplace les panneaux de signalisation par des panneaux en langue sarde ou bilingues. En outre, la redécouverte, par les étudiants indépendantistes de l’histoire de l’indépendance de la Sardaigne (Xe – XIVe siècles) et de la période nuragique (qui a vu se développer une civilisation autonome sur l’île à partir du IIe millénaire av. J.-C.) servirent à fonder l’idée d’un peuple qui avait déjà eu sa propre souveraineté et, surtout, le mythe d’un peuple fier qui a su résister aux diverses invasions, avec la théorie de la Constante de la Résistance Sarde. Cette théorie a été développée par un archéologue et intellectuel sarde bien connu, Giovanni Lilliu25, en 1974-75 : il définit le peuple sarde comme un peuple toujours attaqué par divers envahisseurs mais toujours en condition de résister et de conserver sa propre identité et spécificité. Comme on peut bien l’imaginer, cette conception a influencé les indépendantistes, mais aussi les régionalistes et les défenseurs de l’identité insulaire. D’autres thèmes qui surgirent dans les années 1970 eurent un impact sur le nationalisme sarde renaissant, tels la défense de l’environnement, la résistance à la construction sur les côtes pour fins touristiques, et de la lutte contre l’«occupation militaire» de l’île par l’OTAN et l’État italien, qui faisaient de la Sardaigne la région européenne la plus militarisée.
14Le grand succès du mouvement indépendantiste sarde découle aussi des sentiments présents dans la société, que le mouvement a su interpréter et ré-élaborer26, à l’exemple de ce qui s’est passé dans les autres régions touchées par le revival27. Le monde de la culture et de la musique, tout d’abord. Longtemps utilisé et vécu comme expression authentique de l’esprit du peuple, le folklore (y compris la langue), était en voie d’abandon par les jeunes générations dans les années 1960. Mais dans la décennie suivante, la musique traditionnelle devint l’objet d’une réappropriation, avec la formation de plusieurs groupes musicaux qui unissaient les sons et les instruments de la musique folklorique traditionnelle à des sonorités rocks et pops, à l’instar de ce qui se passait dans d’autres ethno-régions européennes. Le parti indépendantiste influence certains de ces groupes, et véhicule des messages politiques à travers des instruments «modernes». Le sport enfin est devenu motif de politisation, avec en particulier la victoire au championnat italien de football de l’équipe sarde de Cagliari en 1970.
15Un autre élément important de nouveauté, dans les discours politiques de l’époque, est la crise du mot autonomie. Les indépendantistes croyaient que ce terme, que le PSdAZ a accepté sans hésitation depuis 1948, a été une sorte de «péché originel» de sa part. Le concept d’autonomisme faisait partie d’un courant de pensée qui a engendré la formation du Statut Spécial. Les indépendantistes du SPS étaient de l’avis que l’autonomie ne pouvait ni améliorer les conditions de vie du peuple ni faire avancer les intérêts de l’île28. L’État italien, malgré le Statut régional spécial, était toujours en position de décider pour la Sardaigne ; en fait, n’importe quelle initiative entreprise par la Région devait être négociée avec le Gouvernement central, lequel souvent empêchait la réalisation des propositions avancées. Il fallait, donc, changer radicalement les revendications, en relation désormais à une modification radicale de la polity régionale : à savoir, la création d’un État indépendant, souverain et libre29. Les intellectuels sardes, outre les politiciens, ont dû affronter la question de la fin de l’autonomie à maintes reprises.
16Un protagoniste de ce nouveau cycle de l’ethno-nationalisme sarde fut un intellectuel très engagé dans le combat indépendantiste : Antonio Simon-Mossa (1916-1971). Simon-Mossa était architecte, écrivain et journaliste, polyglotte (il connaissait parfaitement huit langues, dont quelques-unes minoritaires comme le basque30) et idéologue du nouvel indépendantisme. Doté d’une culture extraordinaire, il avait réinterprété la pensée autonomiste, étant fortement influencé par des jeunes sardistes de gauche dans des cercles politiques presque clandestins. Bientôt il se posera comme le leader le plus important de ce courant. Il a fourni une nouvelle théorie basée sur la réappropriation de l’identité et de la culture par les Sardes ; ces derniers devaient se percevoir comme une communauté en danger d’extinction. La langue, l’histoire, les traditions, mais aussi l’économie et la société, constituaient la base essentielle à sauver et sur laquelle reconstruire une identité nouvelle, identité non fermée sur l’île mais ouverte sur le monde et la Méditerranée31. Il considérait la Sardaigne comme une colonie intérieure mais, à la différence de la perspective hechterienne, était persuadé de la nécessité d’une sorte de fédération européenne des peuples sans État. Ce qui en fait, dans un sens, un précurseur de la revendication d’une Europe des peuples, à laquelle aspirent aujourd’hui plusieurs partis ethnorégionalistes32. Déjà inscrit au PSdAZ en 1964, il fonda le MIRSA (Moghjmentu Indipendentisticu Rivolutzionariu Sardu, Mouvement Indépendantiste Révolutionnaire Sarde) et en 1966, celui de Sardigna Libbera (Sardaigne Libre), un groupe clandestin33. Simon-Mossa a donc changé la politique indépendantiste en Sardaigne, désormais plus organisée et déterminée, au point d’influencer le changement stratégique du PSdAZ34.
17En même temps, en Sardaigne, il y a eu quelques épisodes de violence politique, bien que cette violence n’ait jamais atteint l’intensité basque ou corse. Sont apparus des sigles comme le MIS (Moghjmentu Indépendentisticu Sardu, Mouvement Indépendantiste Sarde, 1969) et le FLS (Fronte di Liberazione della Sardegna, Front de Libération de la Sardaigne, 1971), accusés de divers plasticages de Préfectures (identifiées comme symbole du pouvoir central dans l’île) et du siège à Cagliari de la Compagnie maritime Tirrenia qui reliait la Sardaigne à la péninsule italienne. Sept membres de ces deux organisations sont emprisonnés pour ces actions et, à partir de 1977, sont jugés coupables de délit d’attentat contre l’unité de l’État. En 1981, Salvatore (en sarde, Doddor) Meloni35, fut arrêté après un plasticage contre le Commandement Militaire de la Sardaigne, à Cagliari. Il fut jugé coupable d’attentat à l’ordre constitué et à l’unité du Pays, et passa neuf ans en prison. Même si l’indépendantisme sarde n’a pas vraiment été violent, les Sardes, après cet épisode, prirent leur distance avec la mouvance séparatiste, situation qui perdura jusqu’en 2001.
18L’indépendantisme «politique» des années 1960-70 a donc profondément modifié l’approche des régionalistes sardes, dans leur diversité quant au rapport entre la Sardaigne et le reste de l’Italie. Le courant a même fini par toucher aussi des idéologies «insoupçonnables», comme celle de certains partis politiques centralistes et de certaines organisations syndicales, surtout sur l’analyse des maux de la région.
3.1. La perspective autonomiste et fédéraliste
19La tradition de pensée et d’action politique autonomiste (et fédéraliste), certes en crise suite à l’émergence de la mouvance indépendantiste, n’a pas pour autant disparu au cours des années 1960-70. Incarnée surtout par l’aile la plus conservatrice et vieillissante du PSdAZ, elle a essayé de contrecarrer, souvent sans succès, la tendance la plus radicale. Deux facteurs principaux sont à l’origine de cette faiblesse de la perspective autonomiste. Le premier, essentiellement politique, est lié au fait que le PSdAZ n’était plus le parti catalyseur de la conception de l’autonomie sarde telle que posée par le Statut spécial. Le Parti Sarde commençait à accueillir des jeunes qui allaient modifier l’idéologie même du parti. Le second facteur, foncièrement social, relève de la première grande crise du concept d’autonomie. L’échec du Plan et les multiples tensions sociales qui ont suivi avaient ouvert l’hypothèse de l’indépendantisme comme solution aux problèmes de l’île.
20Néanmoins, les autonomistes et fédéralistes sardes restaient présents dans la société et la vie politique sarde. Si le PSdAZ prit ses distances avec la tradition autonomiste, ce sont paradoxalement les sections sardes des partis «italianistes» qui prirent la relève. De fait, la Démocratie Chrétienne, le Parti Socialiste voire même le Parti Communiste, accueillirent quelques dizaines de militants du PSdAZ, qui y implantèrent des idées plus autonomistes. Dès lors, nombreux furent les désaccords, à partir du milieu des années 1960, entre la direction politique nationale, encore sur une ligne plutôt centraliste, et les dirigeants sardes de ces partis, convaincus de la nécessité de renforcer l’autonomie pour sortir de la difficile situation sociopolitique et économique de l’île.
21Le problème résidait d’une part dans le contenu du Statut, et d’autre part dans les capacités de la classe politique locale à en tirer profit. Pour les autonomistes sardes, s’il fallait critiquer les modalités de l’utilisation du Statut, il fallait se battre pour renforcer la reconnaissance de la spécificité sarde. Pour eux, il n’était pas nécessaire de prévoir de modifications radicales de l’organisation de l’État et des liens entre la Sardaigne et le Gouvernement central. Toutefois, il était urgent d’exploiter au mieux les droits et compétences déjà prévus dans la Charte régionale, généralement interprétés jusque là de façon sinueuse et restrictive. En fait, l’interprétation «plus d’assistance que sociale»36 faite du Statut démontre une sorte de défaut originel dont la classe politique insulaire, mal préparée à gérer pareille possibilité, n’a jamais su sortir.
22La mise en place en 1970 des Régions ordinaires avait, tout au début, renouvelé l’espoir des fédéralistes italiens de transformer finalement l’État dans le sens du fédéralisme. En Sardaigne, de la même manière, des «pères fondateurs» du PSdAZ, Lussu et Bellieni, crurent voir la naissance d’un État régionalisé capable d’évoluer vers l’instauration d’un État fédéral. Les fédéralistes sardes, convaincus d’assister à un processus désormais difficile à arrêter, pensaient que la constitution des Régions aurait porté l’État à entamer un processus fédéraliste en Italie, dont la Sardaigne pourrait profiter37. En plus, le renforcement en Europe de mesures de fédéralisation des États (ou, au moins, des régionalisations plus marquées) aida les fédéralistes sardes à imaginer une sorte de troisième voie, entre autonomie et indépendance. De toute façon, cette perspective restait encore généralement méconnue, parce que liée plus aux milieux intellectuels que politiques ; donc, l’élaboration idéale des fédéralistes sardes resta minoritaire dans les années 1960-70. Seuls, ils apparaissaient «étranglés» entre une vieille vision autonomiste, présente surtout chez les vieux dirigeants du PSdAZ, et une nouvelle, plus forte et beaucoup plus politisée, vision indépendantiste, unissant un regard révolutionnaire, anticolonialiste et tiers-mondiste.
3.2. Les conséquences des protestations
23S’il y a une spécificité du cas sarde, qu’il est possible de retrouver à partir des années 1960, c’est une mobilisation ethno-nationaliste cyclique de tendance «karstique», à savoir très lente38. Il semble, en effet, que, s’ajoutant aux vagues internationales, la mobilisation en Sardaigne voit la présence d’une série de «vagues internes», marquées non seulement par des périodes d’activation différentes, mais aussi par des contenus spécifiques pour chacune ; les protestations (et les relatives «prises de conscience» identitaires de la société sarde) décrivent plutôt une sorte de «cycle sommeil-éveil» où, en certaines périodes, les mobilisations (en incluant dans cette catégorie à la fois les discussions sur l’identité et sa politisation et la naissance des partis indépendantistes «forts») atteignent une très large visibilité et présence dans la communauté régionale et, dans d’autres, ces mobilisations disparaissent presque. Une explication qui a été avancée à ce propos concerne une sorte de «connexion incohérente» reconnaissable parmi les acteurs, de diverses manières, agissant dans l’ethno-régionalisme sarde. Ceux-ci, ne réussissant pas à constituer des points de repères continus pour la société, provoqueraient une coupure entre les divers domaines (culturel, économique, politique etc.), en ne devenant plus capables de projeter un objectif commun. La conclusion de tout cela serait une (presque) définitive suspension de la revendication de polity39. En fait, les acteurs, en n’arrivant pas à créer des liens les uns aux autres, perdent le motif principal de leur combat, à savoir la modification (plus ou moins radicale) de la condition politico-institutionnelle de la région. La cause directe est le manque de ressources humaines pour la mobilisation et la conséquence est l’incapacité d’élaborer une stratégie politique revendicative vis-à-vis du centre40.
24En termes de théorie et d’action politique, c’est au cours de cette période que la Sardaigne a connu ce qui reste peut-être la plus grande tentative de politisation de l’identité ethnique et culturelle de son histoire. La lutte contre la disparition de la langue sarde, dans les années 1960 et 1970, a été appropriée non seulement par les forces régionalistes au sens large, mais par l’ensemble des Sardes, qui se sont rendu compte du danger, même s’il ne s’en est pas suivi une véritable politique linguistique dans l’île41. Sur cette base, il y a eu une réélaboration du concept de nationalisme pour refuser l’identité italienne tout en la respectant : de fait, la reconnaissance de l’identité italienne servait à mieux souligner l’identité sarde, différente de la première. À partir de la sensation de l’appartenance à une seule «nation» et à un seul «peuple», a été élaborée la théorie de l’autodétermination en faisant appel à l’idée que les Sardes formaient un peuple à part et étaient dès lors tout à fait dignes de se constituer en État-Nation, ce qui n’était pas le cas de l’Italie aux yeux des indépendantistes. L’équivalence affirmée «Sardaigne = Colonie», à l’instar de ce qui se passait dans d’autres régions européennes, ancrait fortement à gauche le sens de la protestation42. L’interprétation marxiste de la protestation ethno-territoriale apparaît toutefois en contradiction avec l’idéologie marxiste : les indépendantistes sardes unissaient les grands thèmes sociaux et économiques (industrialisation, chômage, crise de l’identité, langue, etc.) avec les questions ethno-régionalistes. La volonté était en fait de contribuer à la construction d’une plateforme idéologique et politique où les Sardes de n’importe quelle tendance politique pourraient trouver une sorte de «maison commune». En fait, divers partis politiques «centralistes» ont eu la possibilité de s’enrichir de cette élaboration conceptuelle à partir de 197043. Le marxisme a donc non seulement servi de plateforme idéale, mais a aussi eu pour objectif d’avoir une approche différente de la culture politique dominante en Italie à cette période.
25La vague sarde de l’époque a été liée aux diverses luttes sociales dans l’île. En effet, surtout après l’échec du Plan et le malaise social qui a entraîné l’essor du banditisme, les années 1960 et 1970 furent lourdes de conséquences. L’État italien avait pensé réussir à gérer la criminalité comme un problème d’ordre public, sans s’interroger sur les causes profondes qui l’avait engendrée. L’idée était de mieux contrôler la région en faisant débarquer l’armée italienne dans les zones centrales de la Sardaigne44, plus touchées par ces problèmes, et de réquisitionner une très grande partie des montagnes pour les transformer en champs de tir militaire, les plus grands d’Italie. Ainsi, les militaires arrivèrent en juin du 1969 à Orgosolo, un village représentatif de ces luttes et siège de la zone montueuse (Pratobello) où l’État voulait créer ces champs de tir. La population refusa cette idée : après des protestations souvent violentes (avec des blessés et des morts), l’État comprit le caractère contre-productif de son initiative. Ces faits ont vu la participation des populations de la Barbagia toute entière. La défense du territoire par la population s’ancrait bien aux objectifs indépendantistes de lutte contre les installations militaires de l’île. Dès lors, les indépendantistes ont pu créer des liens avec la population et développer leur pensée. Cet épisode, marqué par le niveau des protestations, a permis la grande redécouverte de la pensée «sardiste»45, qui a commencé à entrer dans les domaines les plus divers : naissance – certes postérieure – de syndicats sardes d’inspiration indépendantiste (la Confederazione Sindacale Sarda, née seulement en 1985), d’associations pour la protection du territoire (Sardegna Territorio Libertà, née en 1972 pour la sauvegarde des côtes et contre les bases militaires), langue sarde utilisée dans les bureaux publics (avec la création du premier département de «langue et littérature sarde» à l’Université de Cagliari, en 1970), sont certains des éléments devenus communs à tous.
26Toutefois, il ne faut pas oublier que le changement de la polity était un objectif fort et vraisemblable pour les indépendantistes. À part quelques tendances violentes, l’indépendantisme sarde a été avant tout un mouvement politico-intellectuel pacifique. Le faible impact électoral des partis indépendantistes s’explique avant tout par le fait que la Sardaigne avait déjà un système partisan régional consolidé, constitué des partis nationaux italiens46. Réussir à faire évoluer un tel système était très difficile, vu la présence de la DC, qui gouvernait à Rome et à Cagliari, et vu un PSdAZ encore ancré à cette alliance à travers l’ancienne génération du parti. Le PSdAZ s’allia avec le petit Parti Républicain aux élections générales de 1963 et 1968 mais, avec 4 % des suffrages, n’obtint aucun siège. Au niveau régional, si les élections du 1961 (7,2 % et 5 sièges) et 1965 (6,4 % et 5 sièges) bénéficiaient encore de l’enthousiasme de la première industrialisation et de la préparation du Plan, en 1969 le Parti baissa à 4,5 % et 3 sièges. Dans les années 1970 le parti s’allia avec le PCI, avant de se présenter seul en 1979 n’obtenant alors que 1,9 % des suffrages, son minimum historique. Mais l’échec fut encore plus visible au niveau régional avec seulement 3 % des suffrages en 1974 et en 197947. Le SPS, seul parti indépendantiste qui se soit présenté aux élections, a eu un certain succès : dans les élections provinciales48 de 1977, le SPS a obtenu 6,4 % des voix. Aux élections régionales de 1979, le SPS se présenta en alliance avec le PSdAZ (qui désormais avait abandonné la coalition de gouvernement avec la DC, parce que la direction politique du Parti n’acceptait plus cette alliance et voyait plus à gauche). À l’issue des années 1970, terribles pour le Parti Sarde qui ne dépassa jamais les 2-3 conseillers régionaux, bien qu’appartenant à la majorité régionale, il arrivera en 1979 à obtenir 3,7 % et 4 sièges au Conseil Régional49. Ce qui peut sembler une contradiction (la montée de la vague nationale et les scores du PSdAZ aux années 1970), était au contraire la préparation, qui a duré presque une décennie, de la modification idéologique et stratégique d’un parti qui s’orientait désormais à gauche.
27En fait, après 1979, la plupart des membres du SPS, croyant désormais terminée l’expérience du parti-mouvement indépendantiste, vu les nouveaux liens avec le PSdAZ moderne, ont décidé d’y entrer, en essayant de l’orienter encore davantage vers l’indépendantisme. C’est ce qu’on appelle en Sardaigne (et en littérature aussi) le «vent sardiste», particulièrement visible dans les années 1980. Donc, les conséquences de la vague, bien qu’elle n’ait pas débouché, bien sûr, sur l’indépendance de l’île, seront visibles au niveau politique pendant au moins une autre décennie.
28Le patrimoine idéal et politique de la vague était réel. Avoir transformé les troubles de la société au niveau politique et de toute façon, avoir réussi à reconstruire une identité sarde pour un peuple qui semblait la perdre, sont les principaux héritages de cette période. Simon-Mossa a certainement contribué, grâce à son idéologie indépendantiste et tiers-mondiste, à transformer l’esprit de ces années-là et sa mort prématurée en 1971 a effectivement privé tous les mouvements, politiques et intellectuels, et pas seulement sardes, d’un point de repère essentiel.
4. Un (tout petit) regard sur les années suivantes. Conclusion
29Curieusement, il faut attendre les années 1980 pour appréhender les conséquences décisives de la vague et de ses «conquêtes». Aux élections du Parlement italien de 1983, le PSdAZ, sans alliance, obtient 9,5 % des voix au niveau sarde, qui lui ont donné deux parlementaires à Rome. Le Parti était désormais ancré à gauche : l’entrée des militants du SPS, une certaine idéologie marxiste anticolonialiste (à travers surtout Simon-Mossa) et les «jeunes», ont modifié, de manière progressive, la stratégie et l’identité politique du PSdAZ depuis 1976. Pour les élections régionales de 1984, le parti décide de s’allier avec le Parti Communiste ; la Région passe pour la première fois à gauche, présidée par un membre du PSdAZ, Mario Melis. Le parti nationaliste sarde avait obtenu 13,7 % des voix et 12 sièges au Conseil. Le succès sardiste continua aux élections suivantes : un sardiste, Michele Columbu, est élu au Parlement européen50 en 1984 grâce à une union de partis ethno-régionalistes italiens. Aux élections législatives de 1987 le PSdAZ a même bondi à 12 % des voix, obtenant trois parlementaires. En 1989, aux régionales, le PSdAZ confirma sa puissance, en obtenant 12,9 % des voix et 10 sièges ; la même année, aux Européennes, il confirme son siège à Strasbourg, cette fois-ci avec Mario Melis.
30Avec les affirmations électorales régionalistes, la société a vécu aussi une renaissance de la culture sarde, avec une nouvelle attention à la langue et à la culture. Située entre autonomisme et indépendantisme, la vague perdra rapidement son élan et le résultat ira ensuite en décroissant51. En fait, pendant les années 1990, la question sarde sembla perdre de son importance. La fin de la Première République italienne, avec son système partisan, avait aussi provoqué un dégoût pour les partis en général, auquel le PSdAZ n’échappa pas. En outre, l’émergence d’une force politique comme la Ligue du Nord et le retour de la territorialisation de la politique italienne, a fini par étouffer les conquêtes de la décennie précédente, vu que la question sarde est passée au second plan pour l’État, beaucoup plus préoccupé par la force de la Ligue.
31Les années 1960-1970, et tout particulièrement la deuxième décennie, ont constitué une vague ethno-nationaliste en Sardaigne. Il s’agit certainement de la période qui a posé la question indépendantiste et anti-autonomiste de manière la plus forte. Si l’on excepte la période actuelle, c’est dans les deux décennies considérées que l’identité ethno-politique insulaire a été redécouverte et politisée de façon la plus large et régulière. Paradoxalement, les diverses scissions dans le parti ethno-régionaliste le plus important, un phénomène habituel dans cette famille de partis politiques52, ont fini par accroître les éléments de protestation de la périphérie sarde contre le centre romain.
32En outre, la crise de l’autonomie, qui paraissait une conquête non modifiable a été accentuée par les critiques des indépendantistes, qui essayaient d’en souligner les limites et les contradictions réelles. En effet, elle a été vue alors comme l’origine des maux sardes, dès lors qu’elle a contribué à limiter les pouvoirs exercés en région au profit du niveau central. Ce thème, loin de disparaître, constitue la base des critiques d’aujourd’hui. Les exemples des années 1960-1970 sont ceux de l’approfondissement de l’engagement culturel des partis ethno-régionalistes sardes. Les partis sardes actuels, quoique de façon très différente et renouvelée, envisagent la langue, l’ethnie et le territoire53 largement en fonction de l’héritage des années 1960-70.
33Sans être un exemple très connu, le cas sarde est un modèle typique des «vagues» dans le sens le plus précis du terme. Il montre très bien comment l’évolution des protestations politiques et des scores électoraux se caractérise par une alternance continue de périodes faibles avec d’autres plus importantes.
Notes
To cite this article
About: Carlo Pala
Docteur en Science Politique