since 01 September 2015 :
View(s): 809 (1 ULiège)
Download(s): 0 (0 ULiège)
print
print
Jérôme de Brouwer & Maxime Jottrand

Un barreau sur mesure ? Les enjeux de la création d’un Barreau colonial (1908-1932)

(Vol. 42 - 2020)
Article
Open Access

Résumé

Les premiers avocats s’installent dans la colonie au cours des années qui suivent la reprise du Congo par l’État belge. En l’absence de toute réglementation et parce qu’ils évoluent dans un environnement très différent de celui dont ils sont familiers, les avocats s’interrogent sur l’applicabilité à la colonie des règles organisant la profession et sa discipline en vigueur dans la métropole. Si à partir des années 1920 les avocats s’accordent sur la nécessité de l’organisation de la profession, ils s’opposent sur ces modalités. La perspective de l’institution d’un barreau colonial se heurte aux enjeux spécifiques liés au statut de la colonie et à sa géographie ainsi qu’à son administration.

Index de mots-clés : Avocat, Barreau colonial, droit de défense, Congo (belge)

Abstract

The first lawyers settled in the colony in the years following the takeover of Congo by the Belgian state. In the absence of any regulation and because they were evolving in an environment very different from the one they were familiar with, lawyers questioned the applicability to the colony of the rules organizing the profession and its discipline in force in the colonial metropolis. From the 1920s onwards lawyers agreed on the need to organize the profession but they were opposed to these conditions. The prospect of the institution of a colonial bar faced to the specific issues related to the status of the colony and its geography as well as its administration.

Index by keyword : Colonial Bar, Lawyer, Right of defence, Congo

Introduction

1Sous réserve de quelques études datées, l’histoire de la profession d’avocat dans l’espace belge n’a fait l’objet de premières explorations qu’autour des années 2000, voire 20101. Une partie de ces travaux ont été produits dans un contexte commémoratif, celui du bicentenaire de l’organisation de la profession d’avocat par le décret impérial du 14 décembre 1810. Ils constituent la base d’approfondissements scientifiques2. L’ensemble de ces contributions complète progressivement les travaux réalisés autour de l’histoire de la magistrature et la prosopographie des magistrats au cours de la période contemporaine3. L’étude de l’organisation de la profession d’avocat au sein de la colonie n’a, quant à elle, jamais fait l’objet d’une étude quelconque. Il apparait pourtant que les questions que celle-ci suscite pourraient enrichir la compréhension du fonctionnement de l’appareil judiciaire colonial, mais aussi, et peut-être surtout, l’approche des réseaux et des enjeux socioéconomiques au sein de la colonie4. D’une manière plus générale, l’étude des avocats et du droit de défense dans la colonie, menée concurremment avec l’étude de la magistrature coloniale, peut ouvrir la voie à une étude de l’organisation et de l’exercice de la justice dans une perspective dynamique, intégrant les différents acteurs appelés à concourir à l’application du droit.

2La construction de l’histoire de la profession d’avocat forme une entreprise délicate. Sauf rares exceptions, les principaux producteurs des archives à mobiliser, les ordres d’avocats au sein desquels s’organise la profession, restent encore fermés aux initiatives des historiens du droit et de la justice, soit par négligence, soit par méconnaissance de leurs propres archives, soit parce qu’ils continuent de concevoir leur histoire dans une culture de l’entre-soi. L’accès aux sources de la profession d’avocat reste donc malaisé. Qu’en est-il des archives appelées à éclairer l’histoire de la profession d’avocat au Congo ? Comme pour l’espace belge, les sources officielles publiées en forme la base documentaire la plus évidente. Les documents législatifs, règlementaires et administratifs présentent le canevas institutionnel pour la période considérée, ainsi que l’identité des membres des barreaux concernés. Organisée depuis 1930, la profession d’avocat dans la colonie fait l’objet de questionnements et d’interpellations dès les années 1910. Ces questions et interpellations sont portées vers la métropole où elles sont examinées. On en retrouve la trace au sein des Archives africaines du Service Public Fédéral Affaires étrangères5. Le « fonds Justice » contient trois volumineux dossiers portant exclusivement sur la profession d’avocat. Les documents qu’ils contiennent couvrent la période de 1910 à 1959, soit quasiment l’intégralité de la période coloniale. Les deux premiers dossiers portent sur la période qui s’étend de l’arrivée des premiers avocats jusqu’aux prémices de la réforme avortée de l’organisation de la profession (1910-1954). Le troisième dossier réunit les archives liées à la préparation de cette réforme (1954-1959). La nature des documents qu’ils contiennent est à distinguer selon les enjeux de chacune de ces périodes. Jusqu’en 1930, les documents reflètent les préoccupations relatives à l’organisation de la profession, le ministère des Colonies étant le catalyseur et le coordinateur des actions des différents intervenants. Pour la période qui suit, jusqu’au début des années 1950, les questions d’organisation ne constituent plus l’unique préoccupation du ministère qui, avec l’établissement du barreau dans la colonie, s’occupe désormais également — partiellement — du contrôle de l’organisation de la profession, dont la constitution de dossiers individuels forme une manifestation très concrète. À partir de la seconde moitié des années 1950, la majorité des archives sont formées de documents préparatoires à la réforme de l’organisation de la profession : procès-verbaux de commissions, études, projet de loi, correspondance entre les principaux acteurs de la réforme, etc.

3Il convient, pour enrichir le tableau proposé, d’y joindre l’apport des périodiques juridiques. On retiendra bien entendu le Journal des Tribunaux, qui se fait ponctuellement l’écho de certains évènements des barreaux coloniaux ou de certaines questions qui y sont débattues. Celui-ci publie également en annexe de ses propres pages, à partir de 1924, un supplément bimensuel issu du même groupe d’avocats, le Bulletin de la section de droit colonial de la Conférence du Jeune Barreau. À partir de 1950, le Journal des Tribunaux se présente sous sa déclinaison exclusivement congolaise, le Journal des Tribunaux d’Outre-Mer6. Celui-ci contient certains éléments rétrospectifs qui ne sont pas sans intérêt pour la période concernée. Parmi ces périodiques édités depuis la métropole, il convient d’ajouter la Revue de droit et de jurisprudence du Katanga, publiée à partir de 1924 également, intitulée ensuite Revue juridique du Congo belge7.

4Approcher l’histoire de la profession d’avocat dans la colonie nécessite certaines précautions. La première de ces précautions est sans doute d’ordre terminologique. Les sources conduisent le chercheur à s’interroger sur l’emploi du terme d’« avocat » par ceux qui s’en prévalent comme par les autres acteurs judiciaires. Il ne va manifestement pas de soi dans la colonie que l’« avocat » fût, comme dans la métropole, ce défenseur professionnel qui est titulaire d’un diplôme de docteur en droit et, suivant l’article 12 du décret du 14 décembre 1810, a prêté le serment d’avocat et a accompli un stage d’une durée de trois ans. En dehors de toute régulation, il n’existe pas au sein de la colonie de distinction entre l’avocat-stagiaire, censé se former à la pratique sous la supervision d’un maitre de stage et par la fréquentation des audiences, et l’avocat « confirmé », qui a été inscrit au Tableau de l’Ordre8. Il convient par ailleurs de préciser que les avocats coloniaux sont, à l’image de la situation métropolitaine, très majoritairement des hommes. Il convient enfin de circonscrire la portée d’une étude qui entend approcher l’histoire de la profession d’avocat dans la colonie belge. Si, dans l’espace belge, l’histoire de la profession d’avocat se confond très largement avec l’activité de défense en justice, c’est loin d’être le cas s’agissant du Congo. Au cours de la période étudiée, l’exercice du « droit de défense » devant les tribunaux coloniaux n’y est pas assumé exclusivement par les avocats, mais également par des « fondés de pouvoirs », généralement connus sous l’appellation d’« agents d’affaires », qui ne sont pas nécessairement formés en droit. Cette situation subsistera partiellement après la création des barreaux de Léopoldville (actuelle Kinshasa) et d’Élisabethville (actuelle Lubumbashi) en 1930. Par ailleurs, la défense en justice des colonisés n’est pas assumée, sauf rares exceptions, par les avocats, mais par des mandataires professionnels d’origine indigène. Aussi, aborder l’organisation et l’exercice de la profession d’avocat dans la colonie est très loin d’épuiser l’étude de l’activité de défense en justice.

5L’exercice du droit de défense qui constitue la mission originelle de l’avocat existe, fût-ce sous une forme élémentaire, dans toute société dans laquelle est organisé le règlement des conflits entre individus, entre individus et groupements ou entre individus et organes du pouvoir. Cette fonction est assumée par différents acteurs, autochtones ou coloniaux, qui sont en capacité d’assumer, par leur connaissance du droit, des coutumes ou encore de la langue véhiculaire dans un espace donné, un rôle d’auxiliaire de justice. S’il n’est question dans les pages qui suivent que de l’organisation de la profession d’avocat au Congo à partir de sa reprise par l’État belge en 1908, il apparait évident que cette fonction est exercée, d’une manière ou d’une autre, au cours de la période qui précède. La présente contribution a pour objet de présenter les éléments qui conduisent à la structuration de la profession d’avocat au Congo belge et, par là, à une rationalisation et une professionnalisation progressive du droit de défense. Elle prendra pour point de départ l’installation des premiers avocats dans la colonie, après 1908. Ces premières installations entrainent de premières interpellations et questionnements, et l’initiation d’un processus de structuration qui aboutit au décret du 7 novembre 1930 créant les barreaux de Léopoldville et d’Élisabethville. Cette structuration ne forme qu’une première phase qui sera, après de nouvelles interpellations et des questionnements à comprendre à la lumière de l’évolution économique et sociale que connait le Congo dans l’Entre-deux-guerres et plus encore après le Second conflit mondial, suivie d’un processus de réforme qui aboutit à la fin des années 1950 à l’élaboration d’un projet de décret sur la réforme du barreau colonial qui le rapproche de l’organisation de la profession d’avocat en Belgique. Ce projet jette les bases de ce qui constituera un peu plus tard la structuration de la profession d’avocat après l’indépendance.

Enjeux et réalisation partielle de l’organisation de la profession d’avocat au Congo

6L’État belge, à la suite de la reprise du Congo, hérite de l’organisation judiciaire et de la procédure applicable devant les tribunaux de la période antérieure9. L’organisation du droit de défense au sein de l’État indépendant du Congo est très pauvre. La place de celui qui assure la défense du justiciable, qu’il soit indigène ou européen, est inexistante dans les textes normatifs qui y organisent la justice pénale10. Il n’est question de la défense en justice que dans l’ordonnance du 14 mai 1886, qui organise la procédure civile et commerciale11. L’article 17 de l’ordonnance du 14 mai 1886 dispose qu’« au jour fixé par la citation, ou convenu entre les parties, elles comparaitront en personne ou par leurs fondés de pouvoir ». Son article 18 précise les conditions de l’exercice du droit de défense par représentation :

7« Nul ne peut plaider pour une partie si la partie présente à l’audience ne l’y autorise, ou s’il n’est muni d’un pouvoir spécial, lequel peut être donné au bas de l’original ou de la copie de l’assignation. Ne seront admis comme fondés de pouvoir que ceux que le tribunal agrée spécialement dans chaque cause ».

8Les termes de l’article 18 n’attribuent pas, comme en métropole, le monopole du droit de défense en justice aux seuls avocats. En prévoyant en son alinéa 2 que « ne seront admis comme fondés de pouvoir que ceux que le tribunal agrée spécialement dans chaque cause », l’ordonnance pose comme principe que le droit de défense peut être assumé par tout individu qui a reçu un mandat exprès de son client et qui est agréé par la juridiction devant laquelle le litige est introduit. Sauf ce qui est prévu à l’article 18 de l’ordonnance du 14 mai 1886, le droit de défense n’est pas davantage organisé et il n’y a pas d’organe en charge de l’organisation de la discipline, en mesure des régler les conflits entre les défenseurs et leurs clients ou entre les défenseurs eux-mêmes.

9La mobilisation des avocats dans l’exercice du droit de défense se manifeste d’abord par des missions ponctuelles confiées à certains avocats. Venus de la métropole pour remplir leur office dans une cause particulière, ils ne sont pas appelés à demeurer au Congo. C’est le cas, pour la première fois, en 1896. Auguste Lelong, avocat au barreau de Bruxelles et auditeur au Conseil supérieur du Congo, rejoint Boma où il doit assurer la défense du Commandant Lothaire, dans l’affaire Stokes12. Manifestement, cette pratique se prolonge au cours des années qui suivent13. C’est la reprise du Congo par l’État belge et l’organisation de la justice coloniale qui entraine l’installation des premiers avocats. Membres de l’un des barreaux de la métropole, ils envisagent d’exercer leur mission dans un cadre qui est très différent de celui dont ils sont familiers, puisqu’ils ne bénéficient pas des prérogatives qui sont les leurs en métropole et ne sont pas soumis aux mêmes contraintes déontologiques. Un premier avocat se serait installé dans la colonie au printemps 191114. Cet avocat — Victor Jacobs, inscrit au barreau d’Anvers — s’installe à Élisabethville15. Le lieu de son installation n’est pas anodin. Élisabethville est située dans une région qui présente un haut potentiel économique. L’avocat qui quitte le barreau d’Anvers pour exercer dans la colonie a bien pour ambition de développer ses activités dans un environnement favorable aux investissements et aux questions juridiques qui les accompagnent. L’avocat se présente comme un auxiliaire de la justice, mais aussi, dans ce contexte spécifique, comme un auxiliaire du développement des structures industrielles et commerciales. Le jeune avocat s’interroge sur le statut de la profession dans la colonie. L’absence de reconnaissance et de régulation de la profession est un sujet de préoccupation16. Il en fait part aux autorités compétentes et tente de les alerter par « […] quelques observations comme suite à ma démarche en vue de voir reconnaitre à l’avocat belge au Congo les prérogatives, dont il jouit en Belgique, — spécialement quant à son droit de représenter les justiciables dans les litiges, sans devoir établir ses pouvoirs suivants les règles ordinaires ». Victor Jacobs s’interroge sur l’application dans la colonie du bénéfice de cette très large souplesse dans la preuve de leur mandat dont ils jouissent dans la métropole, à savoir l’application du mandat ad litem, couvrant l’ensemble — ou presque — des actes de la procédure et l’exercice du droit de défense dans un litige donné.

10L’accès très large prévu par l’ordonnance du 14 mai 1886 — sous la réserve de l’agréation à obtenir du tribunal — ouvre cependant la voie à de nouveaux questionnements, liés au développement des investissements et à l’exploitation économique et commerciale dans l’espace congolais et, plus largement, dans l’espace des colonies africaines. Il en est ainsi de l’exercice du droit de défense par les défenseurs de nationalité étrangère (non belge) ou du port de la robe par des défenseurs qui n’ont pas la qualité d’avocat. La distinction entre les agents d’affaires, chargés de la défense en justice des intérêts de leur client, et les avocats apparait également — et immédiatement — comme une question sensible.

11Dès 1911, un barrister at law originaire de Rhodésie, un certain Wallack, sollicite le président du tribunal de première instance et du tribunal d’appel faisant fonction d’Élisabethville, afin d’être autorisé à plaider en robe. Le président se déclare favorable à l’idée que le port de la robe durant les audiences soit réservé aux avocats « à la différence des simples agents d’affaires »17. Ce point de vue se heurte toutefois à l’article 18 de l’ordonnance du 14 mai 1886. Pour le procureur général d’Élisabethville, aucun élément n’interdit à un fondé de pouvoir qui défendrait un justiciable le port de la robe18. L’idée d’un décret, qui assurerait l’organisation de la profession d’avocat, et par là leur protection contre les agents d’affaires, se profile déjà à cette occasion. Dans la foulée, la question de la prise en charge de la discipline est également évoquée. La référence à l’organisation qui prévaut dans la métropole est manifeste. Trouvant sans doute inspiration dans l’article 32 du décret du 14 décembre 1810, qui dispose que « Dans les sièges où le nombre des avocats n’excédera pas celui de vingt, les fonctions du conseil de discipline seront remplies par le tribunal », le tribunal d’appel d’Élisabethville « accepte [ainsi] avec plaisir de remplir les fonctions de discipline »19. Pourtant, cette prise en charge de la discipline par les cours et tribunaux n’apparait pas évidente. C’est l’applicabilité à la colonie du décret de 1810 qui est elle-même en question.

12À la veille du Premier conflit mondial, l’organisation du droit de défense au sein de l’appareil de justice fait donc l’objet de premières interpellations. Mais ces interpellations sont encore rares et n’entrainent pas de véritable remise en question de l’organisation existante. L’exercice du droit de défense n’est pas réservé aux avocats, alors en nombre très restreint, ni même aux diplômés en droit. Quant à ceux qui sont désignés sous l’appellation « avocats », ce sont de jeunes diplômés qui ont prêté serment au sein de l’un des barreaux de la métropole, mais n’ont le plus souvent pas effectué le stage requis selon les termes du décret de 1810. Si l’organisation du droit de défense connait manifestement des lacunes, elles ne paraissent pas devoir entrainer une réforme à court terme. Interpelé en 1913, le ministre des Colonies pointe un élément fondamental qui justifie selon lui le maintien du statu quo : le nombre des avocats et des agents d’affaires étant particulièrement restreint, il n’apparait pas nécessaire de règlementer le droit de défense et d’en limiter l’exercice au bénéfice des seuls avocats20.

13Les interpellations et questionnements reprennent après la guerre, au début des années 1920. Aux quelques avocats présents à la veille du conflit viennent s’ajouter quelques nouveaux venus, à Léopoldville ou à Élisabethville, mais leur nombre reste très limité. Ils sont au nombre de neuf en 1923, cinq à Élisabethville, quatre à Léopoldville21. Il n’en demeure pas moins que leur activité commence à prendre de l’importance, et se complexifie. Le développement économique et commercial que connait la colonie se poursuit après la guerre, de même que l’internationalisation, dans l’espace colonial africain, des relations d’affaires. Ce contexte de complexification et d’internationalisation s’accompagne, avec l’accroissement progressif des clientèles et des occasions de litige, de l’augmentation des besoins disciplinaires. Cette situation est illustrée par l’affaire Ho-Tung, du nom d’un négociant chinois. Celui-ci formule plusieurs plaintes contre son avocat auprès du procureur du roi d’Élisabethville. Celles-ci sont relayées vers les autorités de la colonie à l’intervention du consulat de la République de Chine à Johannesburg. Interpelé par le vice-gouverneur général, le procureur général près la Cour d’appel d’Élisabethville admet son impuissance : en l’absence d’un barreau et de la discipline qui l’accompagne, aucune enquête ne peut-être diligentée22. L’affaire Ho-Tung met en lumière les difficultés auxquelles font face l’administration et les tribunaux de la colonie en l’absence de toute régulation du droit de défense et de la profession d’avocat.

14La question de l’accès au droit de défense et celle du monopole des avocats s’inscrit à nouveau, après la guerre, dans ce contexte d’internationalisation des relations d’affaires dans les colonies africaines. L’attention de l’administration du Congo belge est attirée par l’initiative règlementaire qui est prise, au mois de juillet 1922, par le gouvernement français. Celui-ci a pris un arrêté règlementant l’exercice de la profession d’avocat dans les colonies d’Afrique occidentale23. L’arrêté, qui crée le titre de « défenseur-avocat », dont il contrôle l’octroi et l’activité, fait de l’avocat un officier ministériel. La mesure prise par le gouvernement français interpelle parce qu’elle pose la question de la nécessité d’assurer une règlementation du droit de défense, mais surtout parce qu’elle présente un inconvénient majeur pour les avocats belges. En constituant un corps d’avocats nationaux, soumis à l’exécutif, l’arrêté du gouvernement français octroie un monopole à ses ressortissants, excluant les avocats de nationalité étrangère, très concrètement les avocats belges qui partagent la même langue. D’aucuns dénoncent à cette occasion le système mis en place au sein de la colonie belge, qui laisserait l’accès le plus large aux défenseurs issus des colonies voisines, mais sans impliquer la moindre réciprocité24.

15Le mode de régulation qui est envisagée par l’arrêté du 29 juillet 1922 est repoussé, dans la colonie belge, par les différents acteurs, tant l’administration coloniale que les représentants de la justice et les avocats. Mais le mouvement de réflexion semble engagé. L’idée de la régulation fait son chemin. La réforme de la régulation du droit de défense parait d’autant plus opportune que l’organisation judiciaire fait alors l’objet d’une réforme de grande ampleur, de même que la procédure pénale et la procédure civile25. Plusieurs projets sont élaborés et présentés à partir de 1923. Le projet de l’avocat Gelders, du barreau de Léopoldville26, est relayée à Bruxelles, au sein de la Section de droit colonial de la Conférence du Jeune Barreau. La Section, à la suite des conférences de présentation qui y sont organisées, prend une série de résolutions. Soulignant la nécessité d’organiser la profession d’avocat dans la colonie, elle écarte la perspective de voir les avocats assimilés à des officiers ministériels. Elle soumet l’admission des avocats au barreau colonial à cinq conditions : la nationalité belge, à l’exception des membres des barreaux étrangers pourvu qu’il y ait réciprocité ; l’âge minimum de 25 ans ; un diplôme de docteur en droit ; des attestations d’honorabilité ; un stage préalable de trois années dans un barreau en Belgique ou en Afrique ou une expérience de trois années au sein de la magistrature en Belgique ou au Congo, ou encore une expérience de trois années dans des fonctions administratives au sein de la colonie. La Section de droit colonial se prononce également pour la création de deux barreaux, auprès de chacune des deux cours d’appel, à Léopoldville et à Élisabethville27. L’organisation de la discipline serait confiée aux magistrats de la cour d’appel28.

16L’écho que donne la Section de droit colonial de la Conférence du Jeune Barreau au projet Gelders attire l’attention des acteurs concernés sur le terrain. Les agents d’affaires, qui ne s’étaient guère manifestés jusqu’alors, expriment leurs préoccupations. Les résolutions qui ont été prises, si elles sont efficacement relayées auprès des autorités coloniales et du gouvernement de la métropole, pourraient leur être fatales. Par la voix de deux des leurs, les agents d’affaires adressent une lettre au Gouverneur général de la Colonie pour marquer leur opposition au projet29. Ils y argumentent contre le monopole du droit de défense qui serait accordé aux avocats. Prolongeant l’opinion qui était celle du ministre des Colonies dix ans plus tôt, ils constatent que les avocats sont en nombre très restreint, qu’ils ne sont pas assez nombreux pour assumer l’ensemble des missions qui sont en partie exécutées par les agents d’affaires30. Les inquiétudes des agents d’affaires sont partiellement entendues. S’il ressort des échanges entre le ministre des Colonies et la haute magistrature coloniale que l’institution d’un barreau colonial est désormais perçue comme une nécessité, il s’agirait d’exclure tout monopole31. Les avocats restent trop peu nombreux pour assumer le droit de défense dans l’ensemble du territoire de la colonie. Il apparait également que la condition de nationalité formulée par le projet Gelders doit être exclue, suivant les conventions internationales préalables à la formation de l’État indépendant du Congo et qui lient l’État belge32.

17Les agents d’affaires ne sont pas les seuls qui marquent leur opposition. Une commission mixte consultative chargée d’examiner le projet, composée de magistrats et d’avocats, est établie à Élisabethville33. Se distinguant de leurs confrères de Léopoldville, les avocats qui en font partie se montrent généralement réticents. Le point de crispation majeur repose sur la crainte de voir le barreau colonial calqué sur l’organisation du barreau dans la métropole, sur la base du décret de 1810. Pour les avocats, seule pourrait être envisagée la formation d’un barreau qui prendrait en considération les spécificités de la pratique de la profession dans la colonie. Ils estiment par ailleurs que l’organisation d’un barreau est prématurée, soutenant, comme les agents d’affaires, que leur nombre est trop restreint. Enfin, ils redoutent la création d’un barreau qui les conduirait à perdre leur inscription au barreau de la métropole dont ils sont issus, dans la mesure où la double inscription n’est pas admise. La relation de l’avocat au milieu professionnel dont il est issu dans la métropole apparait très importante. Ces préoccupations n’empêchent pas les autorités judiciaires d’élaborer un projet qui prend en considération ces préoccupations34. La dynamique de la réflexion se prolonge à la suite de la création de la Société d’études juridiques du Katanga, qui a pour objectif de réunir les docteurs en droit de la province35. Des débats qui entourent la création d’un barreau colonial, l’un des éléments qui ressort de manière très distincte porte sur le problème de la coexistence, dans les mêmes missions, entre les avocats et les agents d’affaires. Cette problématique est récurrente et elle contribue largement, quelles que soient les préoccupations et les divergences éventuelles entre les avocats, à l’argumentaire en faveur de l’organisation d’un barreau colonial36.

18Les avocats d’Élisabethville sont donc tiraillés entre leur souhait d’être distingué des agents d’affaires et le rejet de l’organisation d’un barreau qu’ils estiment insatisfaisante. Consultés à la fin de l’année 1924, les avocats — ainsi que certains magistrats — se prononcent pour le statu quo. Ils estiment que la législation en vigueur, à savoir l’ordonnance du 14 mai 1886, donne suffisamment de moyens aux tribunaux pour réprimer les abus qui pourraient être éventuellement commis par les agents d’affaires37. Les avocats n’ont-ils pas toutes les raisons de se montrer satisfaits ? La cour d’appel d’Élisabethville vient de restreindre, de sa propre initiative, l’accès au droit de défense. Elle décide en effet que, à partir du 15 décembre 1924, seuls les docteurs en droit ou les mandataires à titre exceptionnel qui n’en font pas leur profession — c’est-à-dire des mandataires qui ne font pas profession d’« agents d’affaires » — seront admis à exercer le droit de défense devant la cour d’appel et les tribunaux de première instance du ressort siégeant et statuant en matière civile sur des litiges dont le montant dépasse 5000 francs38. De manière évidente, la cour d’appel d’Élisabethville prend une mesure qui a exclu, partiellement, pour les litiges de quelque importance, les agents d’affaires des prétoires. La décision de la cour d’appel fait face aussitôt à l’opposition des agents d’affaires, mais aussi des partisans de la création d’un barreau, qui y voient une violation de l’article 18 de l’ordonnance du 14 mai 1886.

19La situation de crise causée par la décision de la Cour d’appel d’Élisabethville, combinée avec la nécessité d’assurer une distinction entre avocats et agents d’affaires, conduit le gouverneur général Rutten à faire entreprendre, au mois de mars 1925, la rédaction d’un avant-projet de décret39. La concrétisation tarde cependant. En raison de résistances exprimées dans la métropole ? En raison de divergences sur les options à privilégier ? Ou plus simplement en raison de la priorité donnée à d’autres dossiers ? Toujours est-il qu’au mois de mars 1927, Rutten presse le ministre des Colonies de prendre les dispositions nécessaires pour règlementer la profession40. La question reste manifestement délicate. Au mois de décembre 1927, la création du barreau colonial est évoquée à l’occasion de la séance de rentrée de la Section de droit colonial de la Conférence du Jeune Barreau. Quelques jours plus tard, la Société d’études du Katanga met au calendrier sa prochaine réunion et inscrit à l’ordre du jour la question de la création du barreau colonial. Ses membres se prononceront en faveur de la création d’un barreau41. La concrétisation semble se préciser. Comme s’ils en percevaient l’imminence, les avocats d’Élisabethville prévoient une réunion qui se tient quelques jours avant celle de la Société d’études42. Ils continuent d’exprimer leur opposition au projet de création d’un barreau. Ils rappellent qu’« ils font tous partie d’un barreau belge dont disciplinairement ils continuent à relever » et que la création d’un barreau à Élisabethville aurait pour effet notamment « […] de leur faire perdre le bénéfice de l’inscription au barreau belge où ils ont pratiqué et où à leur retour d’Afrique ils continueront à pratiquer ».43 L’attachement à la métropole, marqué par l’éventualité d’un retour et ses perspectives professionnelles, motive encore leur résistance. Cette résistance peut s’expliquer également par la valorisation professionnelle que cette inscription en métropole peut conférer à l’avocat dans son activité dans la colonie, voire par sa valorisation sociale. Quant au problème causé par l’activité des agents d’affaires, il leur parait résolu. Ils rappellent que « grâce à de sages mesures de sauvegarde prises à leur égard par la magistrature ils ont vu tous leurs privilèges reconnus ». La Cour d’appel d’Élisabethville maintient en effet la position qui est la sienne depuis fin 1924. Dans la lettre qu’ils adressent au ministre des Colonies le 7 février 1928, les avocats d’Élisabethville concluent qu’il n’y a pas d’urgence et que si, subsidiairement, un projet devait être concrétisé, il leur soit soumis44.

20Deux solutions sont donc défendues, et ce jusqu’à la fin de la décennie 1920. La première est celle des partisans d’un barreau colonial dont les cours et tribunaux assureront la discipline. C’est la solution défendue par les avocats ainsi que par une partie des magistrats de Léopoldville. La deuxième est celle des partisans de l’absence de barreau colonial et du maintien de la relation disciplinaire avec le barreau de la métropole. C’est la solution défendue par les avocats et une partie des magistrats d’Élisabethville. Quelles que soient les divergences, au mois de septembre 1930, à la suite de l’intervention du gouverneur général auprès du ministère des Colonies, un projet de décret est soumis au Conseil colonial. L’examen du projet, au mois d’octobre 1930, entraine plusieurs interpellations. La question de la nationalité s’invite à nouveau. L’un des membres de la Commission estime que le décret devrait s’inspirer de la loi belge du 25 octobre 1919 qui a pour effet de ne voir admis au barreau que les individus de nationalité belge. Pour l’auteur de l’interpellation, cette restriction de l’accès à la profession d’avocat dans la colonie ne serait pas en contradiction avec les traités internationaux, qui ne viseraient que les fonctions commerciales. Cette opinion est partagée par le Président du Conseil colonial, qui estime toutefois qu’une telle restriction aurait pour effet d’engendrer une discordance, dans la mesure où tous les fonctionnaires, en ce compris les magistrats, à l’exception du Gouverneur Général et des Vice-Gouverneurs Généraux, peuvent être de nationalité étrangère. Il fait valoir par ailleurs que la loi du 25 octobre 1919 doit se comprendre à la lumière du contexte de l’après-guerre en Belgique. La condition de nationalité n’est pas requise pour l’accès à la profession d’avocat en Belgique avant le Premier conflit mondial. Le barreau de la métropole, en particulier le barreau de Bruxelles, accueille alors un certain nombre d’avocats allemands. Le contexte spécifique de la sortie de guerre en Belgique, marqué par l’esprit anti allemand, explique que le barreau entende éviter cette situation dans l’avenir45. C’est donc le contexte de la sortie de guerre, les problèmes qu’aurait posé, d’une façon générale, l’ouverture de la profession aux étrangers, qui explique la formation de la loi du 25 octobre 1919. La condition de nationalité est donc rejetée s’agissant des avocats dans la colonie46. Le décret est adopté à l’unanimité. Il est promulgué le 7 novembre 193047.

21Deux barreaux sont organisés, le premier auprès de la cour d’appel de Léopoldville, le second auprès de la cour d’appel d’Élisabethville. Seules les deux cours d’appel sont dotées d’un barreau et de la discipline qui l’encadre. Les avocats sont alors une vingtaine pour l’ensemble du territoire de la colonie. Les avocats exerçant auprès des tribunaux de première instance étant trop peu nombreux, le décret ne prévoit donc aucun barreau à cet échelon de juridiction. L’article 2 du décret, en précisant que « Les membres du barreau ont seuls le droit d’exercer la profession d’avocat dans les localités où le tableau des avocats existe », consacre un monopole des avocats dans le droit de défense qui est circonscrit aux deux cours d’appel. La coexistence de juridictions auprès desquelles un barreau est créé et de juridictions auprès desquelles il n’existe pas de barreau, conduit à une organisation asymétrique du droit de défense. Devant les cours d’appel de Léopoldville et d’Élisabethville, les avocats disposent du monopole de plaidoirie, tandis que devant les tribunaux de première instance, c’est encore le système du décret du 14 mai 1886 qui reste d’application. Le nombre des avocats est trop restreint pour qu’un droit exclusif quelconque puisse leur être réservé. Il convient encore, auprès des tribunaux, de laisser les agents d’affaires poursuivre leurs activités comme auparavant. Cette asymétrie s’accompagne d’autres éléments qui sont à mettre en relation avec les spécificités de la colonie belge. Suivant l’article 3, qui énumère les conditions d’accès à la profession, la nationalité n’est pas retenue, au contraire de la métropole, malgré le souhait exprimé par les avocats de Léopoldville. Le respect des conventions internationales fondatrices de la colonie l’impose-t-il, comme cela avait été exprimé antérieurement ? Le président du Conseil colonial expose que ces conventions ne lui paraissent pas applicables aux avocats, mais il voit une discordance dommageable avec la situation des fonctionnaires et des magistrats, pour lesquels la condition de nationalité, suivant les conventions internationales, est exclue48. L’article 4 énumère les activités professionnelles avec lesquelles la profession d’avocat, membre du barreau, est incompatible. Ces incompatibilités ne sont donc à prendre en considération que dans la mesure où l’avocat en question est membre de l’un des barreaux qui seront organisés suivant le décret. Les avocats qui exercent leur activité auprès d’une juridiction à laquelle aucun barreau n’est attaché ne sont donc pas soumis à ces incompatibilités. Le premier point rappelle l’incompatibilité prévue à l’article 18,1° du décret de 1810 : alors que l’article 18,1° prévoit que la profession d’avocat est incompatible avec « toutes les places de l’ordre judiciaire excepté celle de suppléant », l’article 4 du décret prévoit que la profession d’avocat, membre du barreau, est incompatible avec toutes les fonctions de l’ordre judiciaire ou administratif qui ne sont pas gratuites. L’article 4 alinéa 2, qui concerne les agents d’affaires, rappelle l’article 18, 5° du décret de 1810 selon lequel « (…) en sont exclues [de la profession d’avocat] toute personne faisant le métier d’agent d’affaires », mais ses auteurs semblent vouloir insister sur cette exclusion, à tel point qu’il vise l’exercice passé du métier d’agent d’affaires : « En sont exclues, toute personne exerçant ou ayant exercé le métier d’agent d’affaires ». Son article 6 précise les termes du serment que prononce l’avocat, qui rappelle celui que prête son confrère dans la métropole. Il ne jure pas « fidélité au Roi, obéissance à la Constitution et aux lois du peuple belge », mais il jure « fidélité au Roi et obéissance aux lois du Congo Belge ». L’organisation de la discipline est prévue à l’article 8. Celle-ci est assumée par la cour d’appel auprès de laquelle l’avocat est inscrit. Elle est assumée par le tribunal de première instance, au premier degré, vis-à-vis des autres avocats, la cour d’appel statuant au second degré. Le décret, sous réserve de ces spécificités, organise le barreau suivant le décret de 1810 et l’arrêté royal de 1836.

22Le décret du 7 novembre 1930 est modifié par l’arrêté royal du 13 février 1932. Celui-ci, dans un article unique, revoit l’organisation de la discipline, en la confiant à la seule cour d’appel, qui connait donc, aux termes du nouvel article 8, « directement et sans appel des fautes disciplinaires commises par les membres du Barreau inscrits dans le ressort de la Cour »49. Les tribunaux de première instance ne sont plus appelés à exercer des fonctions disciplinaires. Par ailleurs, le nouvel article 8 prévoit également que la cour d’appel, dans sa fonction disciplinaire, se voit adjoindre un avocat inscrit au siège de la cour. Ce correctif apporté au décret constitue une satisfaction pour les avocats, puisqu’il les laisse participer à l’exercice de la juridiction disciplinaire aux côtés des magistrats de la cour d’appel. Il formule une solution de composition mixte qui tranche avec l’article 13 de l’arrêté royal de 183650.

23Cette modification est prise dans la perspective de l’arrêté royal qui doit mettre en œuvre le décret du 7 novembre 1930. Cet arrêté est pris quelques mois plus tard, le 14 juillet 193251. Celui-ci précise, dans une première section, les modalités de la formation du tableau des avocats et de la présentation des demandes d’admission. Dans une seconde section, l’arrêté précise les droits et devoirs des membres du barreau. L’article 10 détermine l’étendue du monopole de la représentation en justice dont jouissent les membres du barreau dans les localités où il existe un tableau. Si l’arrêté prévoit que « Dans les localités où il existe un tableau, seuls les membres du barreau peuvent plaider et conclure en toutes matières, signer tous actes nécessaires à l’instruction des causes civiles et commerciales et à l’exécution des jugements et arrêt », il prévoit plusieurs exceptions, en particulier en faveur des agents d’affaires. Il est ainsi prévu, dans le cas où l’objet du litige n’est pas une question relative au statut personnel et que sa valeur ne dépasse pas 5000 francs, que toute partie à un litige en matière civile ou commerciale peut se faire représenter par un « fondé de pouvoir spécial n’ayant pas la qualité de membre du barreau, mais agréé dans chaque cas par le tribunal ». Cette ouverture concédée aux agents d’affaires rappelle la formation du monopole partiel des avocats qui avait été consacré, dès décembre 1924, par la cour d’appel d’Élisabethville. Il ressort par ailleurs de l’article 10 alinéa 5 de l’arrêté que ce monopole ne s’étend pas aux affaires pénales. Les articles suivants s’étendent de manière extensive sur la déontologie de la profession d’avocat. Alors que ces règles ne sont exposées que de manières extrêmement laconiques dans les sources normatives qui entourent la profession d’avocat en Belgique, l’arrêté y consacre des prescriptions très précises52. Il s’agit d’intégrer immédiatement par la voie normative un corpus de règles déontologiques qui a été établi de manière progressive, dans la longue durée, dans la métropole par la voie de la jurisprudence disciplinaire. Il faut y voir, dans le chef de ses rédacteurs, le souhait d’assurer, de la manière la plus large possible, malgré la consécration de certaines spécificités dues au contexte colonial, une relation étroite entre les conditions d’exercice de la profession d’avocat au Congo et en Belgique. Mais il s’agit également d’introduire des éléments de déontologie qui s’appuie sur les spécificités de l’activité de l’avocat dans la colonie. L’article 12 répond ainsi à des interpellations qui ont été formulées au cours de la décennie précédente : son alinéa 1er leur octroie aux membres du barreau la faculté de collaborer à deux « pourvu que les raisons en soient d’assurer au mieux la défense des intérêts de leurs clients » ; son alinéa 2, dépassant le cadre du mandat ad litem, prévoit que les avocats peuvent « faire en matière civile et commerciale, des démarches personnelles pour leurs clients, résidant en dehors du lieu où elles doivent être faites ». Les auteurs du décret prennent ainsi en considération l’importance de l’avocat comme agent économique, dans un cadre spatial qui exige une certaine souplesse. L’arrêté consacre enfin sa troisième et dernière section à l’organisation de la procédure disciplinaire, elle aussi intégrée, de manière particulièrement précise, par l’arrêté royal, alors que ces modalités sont très largement laissées à l’initiative de chacun des barreaux dans la métropole53.

Insuffisances de la réforme des années 1930 et nouvelles perspectives

24La réforme de 1930-1932 constitue la première étape d’une organisation du droit de défense et de la profession d’avocat au Congo belge. Cette organisation n’a pas été réalisée sans obstacle. Les difficultés qui entourent la formation d’un barreau colonial ne peuvent se comprendre sans prendre en considération la spécificité du contexte de la colonie. La reprise du Congo par l’État belge et la période de développement économique qui l’accompagne au cours des années 1920 et 1930 conduisent à l’installation puis à l’accroissement progressif du nombre des avocats. L’augmentation du nombre d’Européens présents dans la colonie, l’augmentation des investissements et des relations d’affaires entrainent une complexification de l’activité juridique et judiciaire dans laquelle les avocats sont appelés à exercer leurs missions. Ceux-ci entrent en concurrence avec ceux qui, sans être avocat ni même formés en droit, se sont chargés jusque-là de l’exercice du droit de défense, qu’ils soient mandataires occasionnels ou qu’ils en fassent profession, les agents d’affaires.

25La structuration et le contrôle du droit de défense devraient conduire, suivant ce qui est établi en Belgique, à la formation de barreaux attachés aux cours d’appel et aux tribunaux de première instance. Les avocats devraient trouver avantage dans l’organisation de leur profession qui, suivant le décret du 14 décembre 1810, leur attribuerait le monopole du droit de défense. Ce n’est pas évident pour autant, soit qu’ils souhaitent, comme ceux de Léopoldville, la création d’un barreau sur mesure, prenant en considération les spécificités liées au contexte colonial, soit qu’ils repoussent la création d’un barreau, comme ceux d’Élisabethville, préférant leur seul rattachement au barreau de la métropole. Les premiers, les avocats de Léopoldville, souhaitent bien la création d’un barreau, une organisation appelée à les protéger contre la concurrence des agents d’affaires, mais également des avocats étrangers. Ce souhait s’accompagne donc, entre autres, d’une revendication importante. Devant les limitations qui sont établies à l’exercice de la profession dans les colonies voisines, ils entendent, sauf réciprocité, voir réserver l’exercice de la profession aux « nationaux ». Par ailleurs, la condition d’âge minimum, les attestations d’honorabilité ou encore de formations alternatives au stage d’avocat, formulées dans le projet Gelders, illustrent l’importance pour les avocats de Léopoldville de voir assurer un cadre déontologique qui prend également en considération les spécificités de l’exercice de la profession d’avocat au Congo. Quant aux seconds, les avocats d’Élisabethville, ils repoussent donc la création d’un barreau. Ils repoussent une organisation qui leur retirerait leur affiliation d’origine, celle du barreau de la métropole auprès duquel ils ont demandé leur inscription au moment de la prestation de serment.

26Les archives consultées, de même que les périodiques juridiques au cours de la période concernée, ne livrent pas d’explication claire sur les divergences qui sont apparues entre les avocats d’Élisabethville et de Léopoldville. Sans doute forment-elles l’une des déclinaisons de cette tension permanente qui existent entre les deux villes. Mais il convient sans doute de s’interroger plus avant. Est-ce que ces divergences de vues ne s’expliquent pas également par la situation géographique — et par là linguistique — de chacune des deux cours d’appel ? Léopoldville, au bord du fleuve Brazza, est située à la frontière de l’espace colonial français. Il n’est pas étonnant, dès lors, de voir les avocats de Léopoldville, qui subissent la concurrence des avocats actifs dans les colonies françaises d’Afrique occidentale, se montrer favorables à une régulation de la profession d’avocat. Le souhait de voir imposer la condition de nationalité, ou subsidiairement la condition de réciprocité, en forme une illustration assez claire54. Quant aux avocats d’Élisabethville, ils exercent leurs activités dans une région moins perméable à la concurrence des avocats francophones issus des colonies françaises. La seule concurrence qu’ils subissent, c’est celle des agents d’affaires. À cet égard, la solution adoptée par la cour d’appel — la quasi-exclusion des agents d’affaires depuis décembre 1924 — suffit à les satisfaire.

27S’agissant de ces derniers, la perspective de l’émancipation, de l’autonomisation et le bénéfice du monopole qu’apporterait la formation d’un barreau colonial cède peut-être devant le besoin du maintien des perspectives professionnelles dans la métropole, en cas de retour, mais peut-être également devant la plus-value en crédibilité professionnelle et en prestige qu’apporte encore le rattachement d’origine. Le besoin du maintien du rattachement au barreau d’origine qu’ils expriment peut peut-être trouver également une explication dans leur situation géographique, ainsi que dans le statut de la seconde ville de la colonie, alors que les avocats de Léopoldville sont établis dans la capitale administrative de la colonie et qu’ils y jouissent peut-être d’un réseau de sociabilité plus large. L’identité du groupe que forment alors les avocats de Léopoldville, au cours des années 1910 et 1920, malgré leur nombre très restreint, avec les autres acteurs du monde judiciaire et administratif, s’en trouve peut-être davantage construite que celle de leurs confrères d’Élisabethville.

28Les spécificités du contexte colonial, invoquées de manière récurrente par les avocats, qu’ils soient originaires de Léopoldville ou d’Élisabethville, ne sont pas évidentes à identifier. Sous réserve des éléments géographiques, de la question de la nationalité, de la faiblesse — voire de l’extrême faiblesse — des effectifs, l’invocation de ces spécificités apparait peu étayée. L’examen du décret du 7 novembre 1930 et de l’arrêté royal du 14 juillet 1932 permet toutefois, en les confrontant aux règles organisant la profession d’avocat dans la métropole, de relever la prise en considération par leurs auteurs de certaines de ces spécificités. L’apport de la connaissance des parcours biographiques des avocats de chacun des deux ressorts pourrait sans doute compléter ce tableau.

29L’organisation des barreaux de Léopoldville et d’Élisabethville ne mettra pas fin aux tensions qui avaient dominé au cours des années 1920. La décennie 1930 est également marquée, à côté du développement progressif des barreaux de Léopoldville et d’Élisabethville, qui voient leurs effectifs augmenter, par le prolongement, dans certains ressorts d’arrondissement, des questions et des confrontations qui s’étaient imposées dans les deux ressorts d’appel. L’organisation d’un barreau à Stanleyville (actuelle Kisangani) est évoquée. Dans ce cas aussi, comme au cours de la décennie précédente, cette éventualité provoque des crispations, en particulier de la part des agents d’affaires qui craignent de voir restreindre leur activité devant les tribunaux. Ces prémices d’un nouveau développement connaissent leur concrétisation après la guerre. Un nouveau barreau est d’abord créé en 1945 à Costermansville (actuelle Bukavu) puis à Stanleyville (1947). Il est également question d’organiser un barreau au Ruanda-Urundi. Il sera établi à Usumbura (1950)55.

30L’augmentation du nombre des avocats et leur réunion dans de nouvelles structures professionnelles sont à comprendre dans le contexte du développement général de l’activité économique. Les avocats — au nombre d’une cinquantaine en 1950 — contribuent alors au dynamisme de la vie judiciaire. Cet enrichissement se manifeste par une émancipation progressive de ses acteurs par rapport à la métropole. De manière tout à fait significative, on assiste à la création de nouvelles revues juridiques. L’activité judiciaire coloniale est portée, avant la guerre, depuis 1924, par la Section de droit colonial du Jeune Barreau de Bruxelles, à travers son Bulletin de la Section de droit colonial, joint en supplément du Journal des Tribunaux. En ce qui concerne le Katanga, elle est portée, depuis 1924 également, par la Société d’études juridiques du Katanga, à travers la Revue juridique du Congo belge. Celle-ci, délaissant bientôt le contenu doctrinal et le compte rendu de la vie judiciaire, voit son contenu réduit à la publication de décisions. À partir de 1950, la maison Larcier, qui publie le Journal des Tribunaux, publie le Journal des Tribunaux d’Outre-Mer. Le périodique, par la variété de son contenu, parce qu’il se présente comme le reflet de la vie judiciaire, rappelant son homologue en métropole, contribue à la sociabilité des gens de justice. Cette sociabilisation s’accompagne, en ce qui concerne les avocats, de la formation d’une identité de groupe, concrétisée dans le dynamisme associatif56.Ce mouvement d’émancipation, qui s’accompagne également de la formation d’une identité de groupe, est concomitant d’un processus de professionnalisation qui, paradoxalement, tend à rapprocher les barreaux de la colonie des barreaux de la métropole.

31Au début de la décennie 1950, il est manifeste que l’exercice de la profession tel qu’il est organisé dans la colonie ne donne pas — ou plus — satisfaction. Les critiques portant sur le décret de 1930 et l’arrêté royal de 1932 se sont multipliées. Certaines modifications y ont été apportées, mais elles paraissent insuffisantes. De manière générale, c’est l’ensemble de l’organisation judiciaire qui est alors remise en question57, et la réorganisation de la profession d’avocat doit être comprise dans ce cadre plus large. Un large consensus semble se faire jour dans la colonie. Au mois de juin 1955, à la suite de l’établissement de la Commission de réforme judiciaire, une sous-commission chargée de modifier le décret du 7 novembre 1930 est mise sur pied au mois de juin 195558. Elle mettra avant la faiblesse de l’activité disciplinaire assumée par les cours et tribunaux, qui n’assurent qu’une répression limitée des manquements à la discipline, de même que l’insuffisance de la formation à la déontologie ainsi que l’insuffisance de la formation au droit congolais.

32La réforme engagée au cours des années 1950 forme le prolongement « naturel » de la première phase de l’organisation de la profession d’avocat réalisée en 1930-1932. L’augmentation des effectifs au sein des deux barreaux d’appel de même que la formation d’un seuil critique d’avocats auprès des tribunaux de première instance entrainent le prolongement de l’organisation du droit de défense et de la profession d’avocat. Système asymétrique, partiellement réalisé au cours des années 1930, l’organisation de la profession d’avocat est complétée après le Deuxième conflit mondial. Mais la simple prolongation du système de 1930-32 n’apparait pas satisfaisante. Cette augmentation des effectifs et cette consolidation des structures de la profession doivent s’accompagner d’un contrôle plus strict de la discipline et de la formation des avocats, auxquels le système en vigueur ne peut apporter de solution. La perspective de la formation des juristes au sein de la colonie qui se profile au cours des années 1950 confirmera plus encore l’importance de l’enjeu d’une structuration de la profession d’avocat59.

Notes

1 Les premières études relatives à l’histoire de la profession d’avocat en Belgique ont été réalisées par ou sous la direction de Georges Martyn, de l’Université de Gand : G. Martyn, Evoluties en revoluties in de Belgische advocatuur, dans Politieke en sociale geschiedenis van justitie in België van 1830 tot heden, éd. D. Heirbaut, X. Rousseaux en K. Velle, Bruges, Die Keure, 2004, p. 227-255. ; G. Martyn (éd.) Geschiedenis van de advocatuur in de Lage Landen, Hilversum, Verloren, 2009; G. Martyn, B. Quintelier, L’introduction des barreaux de modèle napoléonien dans les Neufs Départements et leur évolution au XIXe siècle, dans Juges, avocats et notaires de l’espace Franco-Belge (XVIIIe-XIXe siècles). Expériences spécifiques ou partagées, éd. H. Leuwers, Bruxelles, AGR, 2010, p. 85-101 (Justice and Society, III). ; B. Quintelier, Bronnen voor de geschiedenis van de Belgische advocatuur: de archieven van de Ordes van Advocaten, dans Justitie en maatschappij: bronnen en perspectieven voor de socio-politieke geschiedenis van justitie in België (1795-2005), éd. M. de Koster, X. Rousseaux en K. Velle, Bruxelles, AGR, 2010, p. 21-37 ; B. Quintelier, Een (rechts)geschiedenis van de Belgische advocatuur (1795-2006), met nadruk op het tuchtrecht, toegelicht aan de hand van de Antwerpse casus, thèse de doctorat inédite en droit, Université de Gand, 2013.

2 B. Coppein, J. de Brouwer, Histoire du barreau de Bruxelles. Geschiedenis van de balie van Brussel. 1811-2011, Bruxelles, 2012 ; J. de Brouwer, L’appel des décisions du conseil de discipline par le Ministère public et les limites de l’indépendance du barreau : l’affaire Roussel-Vervoort (1841-1842), dans L’avocat. Liber amicorum Georges-Albert Dal, Bruxelles, Larcier, 2013, p. 283-296. ; J. de Brouwer, Barreau traditionnaliste contre barreau d’affaires : le barreau de Bruxelles face la question des avocats-administrateurs de sociétés (1880-1925), dans Criminocorpus [En ligne], Histoire des avocats, Articles, mis en ligne le 31 octobre 2016, http://criminocorpus.revues.org/3403.

3 Voy. pour un exposé relatif à l’approche prosopographique de la magistrature belge et coloniale et l’état d’avancement de ces travaux, le numéro thématique qu’y consacre les C@hiers du Crhidi [En ligne] : Un corps de l’État à l’heure des Big Data. Prosopographie et histoire judiciaire : les magistrats belges et coloniaux 1795-1962, dans C@hiers du Crhidi, vol. 40, 2017. Le lecteur lira en particulier l’avant-propos de X. Rousseaux, « Bases de données prosopographiques, humanités numériques et histoire de la justice : les magistrats belges et coloniaux entre crises et modernisations judiciaires, 1795-1962 » et la contribution que y est consacrée à la magistrature coloniale : E. Ngongo, B. Piret, L. Montel & P. le Polain de Waroux, «Prosopographie et biographie : regards croisés sur la magistrature coloniale belge ».

4 Il convient de relever à cet égard, malgré leur inadéquation aux standards de la recherche contemporaine, l’intérêt pour le chercheur des notices biographiques concernant certains avocats réunies dans la Biographie belge d’Outre-Mer publiée par l’Académie Royale des Sciences d’Outre-Mer.

5 Ces archives sont conservées au service des archives de l’actuel Service Public Fédéral Affaires étrangères, Commerce extérieur et Coopération au développement situé à Bruxelles (rue des Petits Carmes 15 à 1000 Bruxelles, Belgique). Pour davantage de précisions sur ce fonds, voy. B. PiretReviving the Remains of Colonization. The Belgian Colonial Archives in Brussels, dans History in Africa, vol. 42, 2015, p. 419-431.

6 Sur le Journal des Tribunaux d’Outre-Mer, voy. la présentation qui lui est consacrée sur le site digithemis.be/index.php/ressources/doctrine/revues/revues-coloniales/jtom.

7 Sur le Journal des Tribunaux d’Outre-Mer, la Revue de droit et de jurisprudence du Katanga qui devient la Revue juridique du Congo belge, voy. la présentation qui est consacrée à ces périodiques sur le site digithemis.be/index.php/ressources/doctrine/revues/revues-coloniales/jtom.

8 Des archives consultées et de l’examen des échanges entre les acteurs concernés par l’organisation éventuelle de la profession d’avocat dans la colonie, il s’avère qu’une large partie des avocats qui exercent au Congo n’ont pas accompli la période de trois années de stage qui, par application du décret du 14 décembre 1810, est requise en métropole.

9 Pour un panorama complet de l’organisation judiciaire au Congo depuis 1885 jusqu’en 1960 voy. B. Piret, « Les structures judiciaires “‘européennes” du Congo belge », dans L’Afrique belge aux XIXe et XXe siècles. Nouvelles recherches et perspectives en histoire coloniale, éd. P. van Schuylenbergh, C. Lanneau et P.-L. Plasman, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, p. 163-178.

10 L’ordonnance du 7 janvier 1886 relative à l’organisation judiciaire et à la loi pénale ne fait pas mention de l’organisation du droit de défense ou de l’organisation de la défense des prévenus, sous réserve de l’affectation éventuelle d’un interprète (art.8) (ordonnance du 7 janvier 1886 relative à l’organisation judiciaire et à la loi pénale, Bulletin officiel de l’État indépendant du Congo, 1886, n01, p.1-19). Il est fait mention cependant d’un auxiliaire de défense à l’article … du décret du … sur l’extradition, qui prévoit que « l’étranger […] pourra formuler un mémoire de défense et se faire assister d’un conseil dans la rédaction de ce mémoire (Bulletin officiel de l’État indépendant du Congo, 1886, n0 3, p.49).

11 Bulletin officiel de l’État indépendant du Congo, 1886, n06, p. 90-118.

12 Journal des Tribunaux, 1896, col. 318-319. D’après la notice biographique que la Biographie coloniale belge consacre à Auguste Lelong, ses services ayant été refusés par Lothaire, Auguste Lelong serait reparti pour la Belgique avant même l’ouverture des débats. Non seulement il n’aurait pas assuré la défense du Commandant Lothaire, mais il serait également mort pendant le voyage de retour, à la suite d’une insolation (M. Coosemans, Lelong, Auguste, dans Biographie coloniale belge, Institut roy. colon. belge, t. II, 1951, col. 601-602). Hubert Lothaire avait déjà fait le choix d’un défenseur, le juge De Saegher. Sur l’affaire Stokes, voy. R. Cambier, L’affaire Stokes, dans Revue belge de philologie et d’histoire, t. 30, fasc. 1-2, p. 109-134.

13 Dans un bref article daté de 1908, Le Patriote évoque l’importance du cout de la mission confiée à l’avocat qui doit se rendre au Congo (Le Patriote, 16 juillet 1908).

14 Service Public Fédéral Affaires étrangères (SPF AE), Archives Africaines (AA), Fonds Justice (Just), portefeuille (p.) n0 57A, liasse 28, lettre du 16 avril 1911 (Anvers) de Victor Jacobs. Nous avons pu observer cependant que la date d’arrivée et l’identification de ce premier avocat varient selon les sources. Selon l’avocat Jean Humblé, Victor Jacobs se serait installé dès 1910 (« Chronique » dans Revue Juridique de l’Afrique centrale, 1961, n0 1, p. 38-39). Antoine Sohier estime quant à lui que le premier avocat à s’établir au Congo serait Gustave Waffelaert, qui se serait installé dès 1910 au Katanga (Le barreau s’organise, dans Journal des tribunaux d’Outre-mer, 1957, p.61).

15 Diplômé en 1904, Victor Jacobs exerce comme avocat à Anvers jusqu’en 1911. Il s’établit à Élisabethville comme avocat d’affaires en 1911, développe des relations régulières avec la Rhodésie et avec l’Afrique du Sud, prend une part active dans le développement économique du Katanga, non seulement comme avocat, mais également en assurant la reconstitution et la présidence de la chambre de commerce d’Élisabethville, et en contribuant au développement de l’élevage dans la région. Son engagement dans le développement de l’élevage devient son activité la plus importante dès 1924-1925. Victor Jacobs rentre en Belgique dès la fin des années 1920, où il devient administrateur-délégué de la Pastorale du Lomani, l’une des principales sociétés d’élevage coloniales. Sur Victor Jacobs, voy. J. Gillain, Jacobs, Victor J. J., dans Biographie belge d’Outre-Mer, Acad. Roy. Scienc. d’Outre-Mer, t. VII-A, 1973, col. 311-313.

16 SPF AE, AA, Just, p. n057A, l. 28, lettre du 16 avril 1911 (Anvers) de Victor Jacobs.

17 SPF AE, AA, Just, p. n057A, l. 28, lettre du 26 mai 1911 de Louis Malherbe, président du tribunal d’appel au Procureur général (copie en annexe à la lettre du 13 février 1913 du vice-gouverneur Général au ministre)..

18 SPF AE, AA, Just, p. n057A, l. 28, lettre du 27 mai 1911 du Procureur général au président du tribunal d’appel d’Élisabethville (copie en annexe à la lettre du 13 février 1913 du vice-gouverneur Général au ministre).

19 SPF AE, AA, Just, p. n057A, l. 28, lettre du 6 février 1913 de Louis Malherbe au Procureur général (copie en annexe à la lettre du 13 février 1913du vice-gouverneur Général au ministre)..

20 SPF AE, AA, Just, p. n057A, l. 28, note du 10 avril 1913 du Ministre des Colonies au vice-gouverneur général.

21 SPF AE, AA, Just, p. n057F, l. 29, liste des avocats résidants au Congo. Situation du personnel judic. au 1.10.1923. Bien que nous disposons de recensements réguliers entrepris par le ministère des Colonies, l’estimation du nombre d’avocats installés au Congo est difficile. La mobilité des avocats complique aussi bien leur recensement que leur localisation.

22 « […] en l’absence de toute organisation du barreau et de pouvoirs disciplinaires, personne n’avait qualité pour enquêter à propos de ces faits. […] on se demande s’il n’y a pas négligence lourde. Mais aucune procédure ne me permet de vérifier à fond la question. » (SPF AE, AA, Just, p. n057A, l. 28, lettre du 8 septembre 1920 du Procureur général d’Élisabethville au vice-gouverneur général).

23 Arrêté relatif à l’exercice de la profession d’avocat-défenseur en Afrique occidentale française, Journal officiel de l’Afrique occidentale française, n0929 du 29 juillet 1922, p. 478.

24 SPF AE, AA, Just, p. n057A, l. 28, lettre de Robert Jeanty au vice-gouverneur général, 24 septembre 1922.

25 Décrets des 9 et 11 juillet 1923 sur l’organisation judiciaire ; décret du 11 juillet 1923 sur la procédure pénale et décret du 13 juillet 1923 sur la procédure civile (Voy. B., Piret, op.cit, p. 167-172).

26 Valère Gelders (1885-1954), docteur en droit de l’Université de Louvain, exerce d’abord au sein de la magistrature congolaise (1907-1913), puis en tant que commissaire de district (1914-1915). Il exerce la profession d’avocat auprès de la cour d’appel de Léopoldville à partir de 1916. Il est à relever qu’il développe son activité d’avocat tant à Léopoldville que sur l’autre rive du fleuve Brazza, à Brazzaville, en colonie française. Il revient s’installer en Belgique en 1923, où il exerce comme avocat, prend une part active dans l’Institut colonial international, futur Institut international des Civilisations différentes (INCIDI). Il dispense au sein de l’Université catholique de Louvain, entre autres, des cours dans les différentes matières du droit congolais (Sur Valère Gelders, voy. J. Sohier, Gelders, Valère François Liévin Constant, dans Biographie belge d’Outre-Mer, Acad. Roy. Scienc. d’Outre-Mer, t. VIII, 1998, col. 129-134

27 La cour d’appel d’Élisabethville est créée en 1910, rejoignant ainsi la cour d’appel de Boma, créée dès 1886 (déplacée à Léopoldville en 1928). Le ressort de ces deux cours est très important. Celles-ci se partagent l’ensemble du territoire congolais. La concentration des avocats à Léopoldville et Élisabethville se comprend pour des raisons similaires à celles qui ont entrainé l’installation des cours d’appel : « La localisation de ces deux cours s’explique tant par le nombre important d’Européens qui résident en ces lieux que par la concentration d’activités administratives ou économiques qui y règne » (B. Piret, Les structures judiciaires… op. cit., p. 168).

28 Bulletin de la Section de droit colonial de la Conférence du Jeune Barreau de Bruxelles, n° 1-2, janvier-février 1924, col. 10.

29 SPF AE, AA, Just, p. n057A, l. 28, lettre de Wentworth Gray à destination du ministre des Colonies, 7 septembre 1923 et lettre de Ralph Goldseller au Gouverneur général, 6 septembre 1923 (copie en annexe à la lettre du 26 septembre 1923 du Substitut du procureur au ministre des colonies).

30 Quatre avocats sont dénombrés à Léopoldville en 1922 ; cinq avocats sont dénombrés à Élisabethville en 1923. Ces deux villes réunissent les deux contingents les plus importants d’avocats dans le territoire de la colonie.

31 SPF AE, AA, Just, p. n057A, l. 28, lettre du Substitut du procureur général au ministre des Colonies, 26 septembre 1923.

32 SPF AE, AA, Just, p. n057A, l. 28, lettre du ministre des Colonies au Gouverneur général, 23 avril 1924.

33 SPF AE, AA, Just, p. n057A, l. 28, lettre du Substitut du procureur général au ministre des Colonies, 5 mai 1924. La lettre contient en annexe tous les éléments relatifs à la commission, mais aussi des notes issues d’entretiens alternatifs sur la question de l’organisation d’un barreau à Élisabethville.

34 SPF AE, AA, Just, p. n057A, l. 28, lettre du ministère des Colonies au Gouverneur général relatif à l’organisation du Barreau à Élisabethville, 17 juin 1924. Après la réception de la lettre du 5 mai 1924 (voy. note 24), c’est le juge-président du Tribunal de 1er instance d’Élisabethville, Léon Guebels, qui est chargé de rédiger un essai sur l’organisation d’un barreau au Katanga. Sur Guebels, voy. A. Rubbens, Guebels, Léon-Marie-Joseph, dans Biographie belge d’Outre-Mer, Acad. Roy. Scienc. d’Outre-Mer, t. VII-B, 1977, col. 165-166.

35 La question de l’organisation d’un barreau à Élisabethville est débattue au cours des deux premières réunions de la Société, les 24 septembre et 28 octobre 1924. Ses membres se prononcent pour la création d’un barreau qui se rapprocherait le plus possible du modèle de la métropole, mais prendrait en considération les spécificités de l’exercice de la profession d’avocat dans la colonie (Revue de droit et de jurisprudence du Katanga, n° 1, 15 novembre 1924, p. 24).

36 À l’issue de la première réunion de la Société d’études juridiques du Katanga, le substitut du Procureur du général, Sohier, soutient auprès du Ministre des Colonies qu’« en réalité, la présence à la barre, sur le même pied que les avocats, d’agents d’affaires. […] est parmi les grands arguments en faveur de cette création [du barreau] » (SPF AE, AA, Just, p. n°57A, l. 28, lettre du Substitut du procureur général au Ministre des Colonies, 19 septembre 1924).

37 Cette position est partagée par le Gouverneur général qui estime également qu’en l’état, la création d’un barreau est prématurée, l’appareil règlementaire étant jugé suffisant (SPFAE, AA, Just, p. n057A, l. 28, lettre du Gouverneur général au Ministre des Colonies, du 23 décembre 1924).

38 À cette occasion, est évoquée l’existence d’un « Barreau de fait […] en attendant que la loi réglemente la profession d’avocat, mais barreau pratiquant cependant les règles belges de la profession » (Revue de droit et de jurisprudence du Katanga, n02, 15 décembre 1924, p. 47). Cette tradition sera confirmée en 1931 par Joseph Derriks, président de la cour d’appel d’Élisabethville : « Une tradition s’est cependant établie qui reconnait aux docteurs en droit, régulièrement inscrits dans un barreau d’Europe, les privilèges de l’avocat, à condition pour eux de se soumettre dans l’exercice de leur profession au Congo aux règles de l’Ordre telles qu’elles sont observées dans la Métropole. Ce modus vivendi prendre fin dès la mise en vigueur du décret du 7 novembre 1930 à l’exécution duquel un arrêté royal doit encore pourvoir. Suivant une règle qui date de plusieurs années la Cour d’appel d’Élisabethville n’admet plus à plaider devant elle que les docteurs en droit qu’elle agrée ». (Revue juridique du Congo belge, 1931, p. 252-255, p. 255).

39 Cette mission a été entreprise par Sohier, nommé Procureur général, et Derriks, Président de la cour d’Appel d’Élisabethville (SPF AE, AA, Just, p. n057A, l. 28, lettre [et ses annexes] du 5 mars 1925 du Gouverneur général au Ministre des Colonies, 5 mars 1925)

40 SPF AE, AA, Just, p. n057A, l. 28, « extrait lettre n0119 A, en date du 8 mars 1927. Cl. D.R. Logatchoff. 8 mars 1927 » (lettre du Gouverneur Général à Rutten).

41 Revue Juridique du Congo Belge, n03, 1er mars 1928, p. 91.

42 SPF AE, AA, Just, p. n057A, l. 28, lettre de l’avocat Fréderic Jamar à Gohr, secrétaire général du Ministère des Colonies, 15 février 1928.

43 Revue Juridique du Congo Belge, 1928, p. 90-91.

44 Idem. Le périodique comporte une annexe reprenant les résolutions adoptées par les avocats Bruneel, Jamar, Vander Mersch et Clerckx qui ont été adressées au ministre des Colonies.

45 Sur la profession d’avocat et le barreau de Bruxelles dans l’entre-deux-guerres, B. Coppein, J. de Brouwer, op. cit., p. 133-165.

46 Décret du 7 novembre 1930, art. 3. Nul ne peut être inscrit au tableau : 1° S’il n’a obtenu d’une université belge un diplôme de docteur en droit, ou lorsqu’il est étranger, s’il ne possède un diplôme équivalent délivré par une université étrangère. La Cour d’appel ou le tribunal de première instance, selon le cas, est juge de l’équivalence ; […].

47 Décret du 7 novembre 1930 relatif à l’organisation du barreau, dans Bulletin officiel du Congo belge, 1931, 1re partie, n01, p. 26-30.

48 Rapport du Conseil colonial sur le projet de décret relatif à l’organisation du barreau dans la colonie, dans Bulletin officiel du Congo Belge, 1931, 1re partie, p. 25.

49 Arrêté royal du 26 février 1932 relatif à l’organisation du barreau, dans Bulletin officiel du Congo Belge, 1932, n03, 1re partie, p. 111-112.

50 Arrêté royal du 5 aout 1836, art. 13 : « Dans tous les sièges où, lors de la rentrée des cours et tribunaux, le conseil de discipline n’est pas légalement formé ou renouvelé, les fonctions en seront remplies par les tribunaux de première instance ». Cette disposition s’inspire de l’article 32 (abrogé) du décret : « Dans les sièges où le nombre des avocats n’excèdera pas celui de vingt, les fonctions du conseil de discipline seront remplies par le tribunal ».

51 Arrêté royal du 14 juillet 1932 relatif à l’organisation du barreau, dans Bulletin officiel du Congo Belge, 1932, n08, 1re partie, p. 486-496.

52 Le décret du 14 décembre 1810 énumère en son Titre IV « Des Droits et les devoirs des avocats », un certain nombre de règles déontologiques : port des attributs vestimentaires, attitude dans le prétoire, charge éventuelle de la suppléance des magistrats, obligations relatives aux honoraires, respect des parties ou de leurs défenseurs, respect de la justice et respect des magistrats, respect de la monarchie, charge de la défense commise d’office. Par ailleurs, le décret énumère au Titre II « Du Tableau des Avocats, et de leur réception et inscription », en son article 18, les activités qui sont incompatibles avec la profession d’avocat et charge les conseils de discipline, au Titre III « Des Conseils de discipline », en son article 23, de veiller à la conservation de l’honneur de l’ordre des avocats ; de maintenir les principes de probité et de délicatesse qui font la base de leur profession ; […]. »

53 Le décret du 14 décembre 1810, Titre III, « Des Conseils de discipline », en ses articles 20 à 31 (les articles 19, 21, 22 et 32 ayant été abrogés par l’arrêté royal du 5 aout 1836) organise la composition des conseils de discipline, leurs compétences, énumère les sanctions qui peuvent être prononcées, mais n’organise la procédure que de manière succincte. L’arrêté royal du 5 aout 1836 n’apporte que deux compléments légers, en ses articles 8 à 10.

54 Dans ce sens, on relèvera notamment l’opinion de Robert Jeanty, avocat à Léopoldville, rapportée dans une note où le sort qui est fait aux avocats belges devant les juridictions françaises d’Afrique équatoriale est évoqué. Il relève que les avocats étrangers ne peuvent plus plaider, ce qui émeut certains « […] avocats de nationalité belge appelés à plaider en devant les juridictions de la Colonie Française. Certains d’entre eux, résidant à Léopoldville, Congo Belge, sont depuis de nombreuses années les conseils d’importantes sociétés françaises ayant leur siège à Brazzaville et se rendent cette localité plusieurs fois par semaine. » (SPF AE, AA, Just, p. n057A, l. 28, « Note concernant la situation créée aux Belges docteurs en droit qui exercent la profession d’avocat en Afrique équatoriale Française » (document n° 61).

55 Décret du 21 janvier 1950 créant un barreau à Usumbura (actuelle Bujumbura, Burundi). Sa fondation est rapide puisque les premières demandes des avocats d’Usumbura relatives à la création de ce barreau remontent au début de l’année 1948. Le Conseil Colonial émet un avis positif sur la question au cours de la séance du 18 novembre 1949. Cette rapidité d’exécution contraste avec les expériences qui ont précédé.

56 Une Union professionnelle des Avocats aurait vu le jour en 1952 près des cours d’appel d’Élisabethville et Léopoldville (SPF AE, AA, Just, p. n057G, l. 29, lettre du président de la cour d’appel d’Élisabethville au ministre des Colonies, 2 février 1953).

57 B. Piret, op.cit., p. 165

58 SPF AE, AA, Just, p. n° 57, l. 29, lettre du ministre des Colonies au président de la sous-commission chargée de modifier le décret du 7 novembre 1930, 24 juin 1955.

59 Une Faculté de droit est ouverte à l’Université Lovanium à Léopoldville en 1956. Une deuxième Faculté de droit est ouverte au sein de l’Université d’Élisabethville, en 1957. Ce n’est qu’au cours de la décennie suivante qu’en sortiront les premiers diplômés en droit.

To cite this article

Jérôme de Brouwer & Maxime Jottrand, «Un barreau sur mesure ? Les enjeux de la création d’un Barreau colonial (1908-1932)», C@hiers du CRHiDI. Histoire, droit, institutions, société [En ligne], Vol. 42 - 2020, URL : https://popups.ulg.ac.be/1370-2262/index.php?id=706.

About: Jérôme de Brouwer

Jérôme de Brouwer est juriste et historien. Il enseigne à la Faculté de droit et de criminologie de l’ULB et exerce ses activités de recherches au sein du Centre d’histoire du droit et d’anthropologie juridique. Ses recherches portent principalement l’histoire de la justice, des professions juridiques et de l’enseignement du droit. 

About: Maxime Jottrand

Maxime Jottrand est titulaire d’une maitrise en histoire. Boursier FRESH du FNRS, il mène actuellement à l’Université libre de Bruxelles, au sein du Centre d’histoire du droit et d’anthropologie juridique et du Centre de recherches Mondes modernes et contemporains, une thèse de doctorat sur l’histoire de l’enseignement du droit en Belgique au tournant du 20esiècle.