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Roberto Salazar

« Véritable état d’exception », « violence pure » et « rédemption »
Réflexion sur Benjamin et Agamben

(Volume 7 - 2018 : Walter Benjamin. Philosophie de l'histoire.)
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1Dans les pages qui suivent, nous nous proposons de mettre en contact deux idées benjaminiennes, si intimement liées qu’elles sont inséparables l’une de l’autre : l’idée de « mise en place d’un véritable état d’exception » et celle de « rédemption ». Notre point de départ est la thèse VIII de Benjamin dans son écrit Sur le concept d’histoire.1 Le but de cet article sera d’élucider la signification de l’expression paradoxale de « mise en place d’un véritable état d’exception », en montrant que cette « mise en place » requiert l’emploi de la « violence pure »2 comme « moyen » par lequel nous pouvons parvenir à un tel état et de faire advenir la puissance de « rédemption » qu’il comporte pour les vaincus ou les opprimés ; il s’agit d’une puissance agissante.3 Au cours de l’exposition de cette thèse, nous nous proposons également de montrer non seulement la forte influence que Benjamin exerce sur la pensée d’Agamben4, mais aussi de mettre en lumière la contribution du philosophe italien5 à une réappropriation de la pensée de Benjamin6.

2La problématique de notre thèse soulève certaines questions, qu’il nous faut d’emblée expliciter car elles constitueront la structure de notre exposé. Qu’est-ce qu’un état d’exception ? Comment faire advenir un « véritable » état d’exception ? Et, de quel critère disposons-nous pour reconnaitre ce « véritable » état d’exception ? Pour répondre à ces questions nous ferons usage de l’idée d’une « violence pure » comme le moyen qui instaurerait la « rédemption » sans négliger une difficulté que nous aurons à affronter dans la suite de notre exposé, à savoir la difficulté pour Benjamin de reconnaître une « violence pure » qui soit porteuse de rédemption effective dans l’histoire7 ; en revanche, nous répondrons par l’affirmative en nous servant de ses propres textes et de ceux d’Agamben.8

3Partons de la thèse VIII de Benjamin dans Sur le concept d’histoire qui constitue le centre de gravité de toute notre réflexion :

4Quand Benjamin affirme que « ‘l’état d’exception’ dans lequel nous vivons est en vérité la règle », il procède à une critique du réel.9 Il se met du côté des victimes, des opprimés ou des vaincus de l’histoire tout en rejetant une vision uniquement déterminée par le progrès de l’Histoire10, laquelle, en général, prend parti pour les vainqueurs.11 D’après la critique de Benjamin, le déroulement de l’« Histoire » est, en effet,  une sorte de tsunami dévastateur qui cause une immense accumulation de vaincus12 sous la plume d’un chroniqueur qui les oblitèrent tout en les excluant du grand récit des vainqueurs.13

5L’intérêt de Benjamin est de tenter une réappropriation de la tradition, tout en l’interrompant, afin de ne pas se laisser porter par ce qu’elle impose et de chercher une autre possibilité, il écrit : « à chaque époque, il faut tenter la conquête de la tradition, contre le conformisme qui est en train de la neutraliser »14. On comprend mieux alors la critique de Benjamin : il faut subvertir l’idée selon laquelle « ‘l’état d’exception’ dans lequel nous vivons est en vérité la règle ». Mais la question est de savoir qu’est-ce que Benjamin comprend par « état d’exception », pourquoi met-il ce mot entre guillemets et à qui s’adresse cette critique ?15 Disons d’abord qu’une des particularités de la pensée de Benjamin consiste à faire un libre usage de citations sans citer directement sa source ; ce peut être dû à une sorte d’exercice caché qui fait actualiser un évènement du passé dans le présent tout en se réappropriant une tradition qui est interrompue et ensuite transformée16

6Pour comprendre le contexte de la discussion de Benjamin par rapport à « l’état d’exception », il nous faut faire appel à d’autres textes, notamment de Taubes et d’Agamben, car chez Benjamin l’« état d’exception » n’est jamais défini avec précision. À la lumière de ces textes, nous pouvons suggérer que « l’état d’exception » a à voir avec une interaction entre le théologico-politique et le juridique. Pour l’expliquer, tournons-nous vers Agamben qui, à la suite de Taubes, a montré que Benjamin fait face aux thèses de Carl Schmitt.17 Selon Taubes, Schmitt était « le porte-parole de l’idéologie manichéenne du national-socialisme »18. Dans un contexte où la démocratie parlementaire était empêtrée dans une profonde crise annonciatrice de décadence irréversible, le juriste allemand dresse une frontière entre le légal et le légitime tout en incluant l’« état d’exception » dans le cadre juridique pour justifier la « dictature souveraine », en la définissant, non pas comme un organe de contrôle et de répression, mais comme une forme d’institution prévue par la constitution en vue de protéger l’État de l’exceptionnalité et du danger19. À cet égard, Taubes reproche à Schmitt d’avoir élaboré une « pensée apocalyptique de la contrerévolution »20 : elle est « apocalyptique » car, selon lui, Schmitt conçoit l’histoire comme une temporalité décisive, parvenue à son achèvement dans la figure de l’État et qui ne fait que retarder l’avènement de la fin du temps ; elle est aussi « contre-révolutionnaire » car cette temporalité est mise au service du pouvoir établi21. Selon Taubes, Schmitt soutient cette thèse en se réclamant de l’héritage de Hobbes : « c’est l’autorité, non pas la vérité, qui fait la loi »22.  

7Ce qui est pour nous intéressant, c’est que l’expression utilisée par Benjamin : « l’état d’exception dans laquelle nous vivons est en vérité la règle », devient une critique de la figure du souverain qui prend place et force grâce à sa capacité de décider de l’état d’exception ; cette critique est adressée à Schmitt23. Pour Schmitt, il s’agit de justifier à tout prix « l’état d’exception » et la dictature qu’elle comporte tout en conservant l’ordre juridique en vue de protéger l`État de tout danger et autoriser ainsi un usage légitime de la violence. Ce qui veut dire qu’à l’intérieur même de cette structure juridique, la violence, que Benjamin qualifie comme une « violence mythique », se légitime elle-même en vue de sauvegarder le pouvoir et garantir la continuité du droit24. Ce que dénonce la critique de Benjamin contre cette violence conservatrice du pouvoir est l’effet colonisateur du droit qui se fait ressentir dans tous les aspects de la vie, en s’exhibant comme la seule médiation possible pour régler tout type de conflit. Par là, cette violence légale, qui prétend établir une paix perpétuelle, ne supprime pas la violence naturelle (mythique), mais l’assimile à son propre profit dans l’ordre juridique.

8À ce propos, Agamben développe également une critique de l’« état d’exception » qu’il hérite de Benjamin. Selon lui, ce qui est original chez Benjamin est qu’il met en contact une catégorie appartenant à la sphère théologico-politique, à savoir le concept de temps messianique, avec une catégorie juridique du droit public, à savoir l’état d’exception. Il écrit : « Le temps messianique a la forme d’un état d’exception (Ausnahmezustand) et d’un jugement sommaire (Standrecht), c’est-à-dire le jugement prononcé pendant l’état d’urgence »25.  Selon le philosophe italien, ce geste de Benjamin permet de définir le royaume messianique dans les mêmes termes que la théorie de la souveraineté de Schmitt tout en établissant un parallèle entre la venue du Messie et la fin du pouvoir de l’État ; c’est dire que le temps messianique est conçu comme un concept-limite décisif qui met en question toute la réalité. Néanmoins Agamben, pousse jusqu’à l’extrême la critique de Benjamin tout en la concevant comme une procédure capable d’aboutir à la réalisation de la fin de l’Histoire et de l’État, afin de prendre en charge le propre devenir historique sans qu’il ait la forme de l’État.26 Selon Agamben :

9Dans le cadre de ce débat, Taubes interprète implicitement la pensée de Benjamin comme une pensée apocalyptique de la révolution28. Mais, de l’avis d’Agamben, il s’agit plutôt de faire advenir dans le temps présent une force capable d’instaurer un « véritable » état d’exception qui mette fin à celui sous lequel nous vivons ; pour lui, le temps est un temps messianique conçu comme le maintenant qui nous reste pour aboutir à la fin.

10Nous l’avons montré, la stratégie benjaminienne s’efforce d’invalider les thèses de Carl Schmitt concernant la théorie de la souveraineté, de l’état d’exception et de la dictature souveraine. Pour Schmitt, avons-nous dit, l’« état d’exception » est implémenté en vue de retarder l’avènement du Christ (Messie) ou, tout simplement, pour retarder la fin du temps (kat-echon)29, ce qui est une claire allusion au texte de saint Paul dans II Thessalonicien 2, 1-8.  Tandis que pour Benjamin, l’état d’exception devenu la règle correspond à la figure même de l’Antéchrist ; le Messie viendra donc pour mettre fin à cet ordre historique. Autrement dit, selon nous, le prince de ce monde correspond autant au Léviathan qu’à la figure du Souverain qui décide de l’état d’exception et par là même instaure la dictature souveraine en retardant ainsi la fin du temps ; le Messie, par contre, vient à mettre fin à cet ordre juridique en réalisant, comme l’appelle Benjamin, le « jugement dernier »30. En effet, il s’agit chez Schmitt de se munir d’une force retardatrice de la fin du temps tout en devenant une force de conservation de l’ordre juridique pour assurer le continuum de l’histoire et du pouvoir. C’est précisément à cette force que Benjamin fait face tout en utilisant les catégories schmittiennes pour les déconstruire. Autrement dit, il s’agit, pour lui, de mettre fin à la catastrophe en se servant d’une force qui met en arrêt, et par là fait éclater31 le continuum de l’Histoire32 afin de libérer une possibilité tout autre33 qui prend la forme du « bonheur/rédemption »34 ; en cela consiste le « véritable état d’exception ».

11De l’avis de Taubes, la huitième thèse est clairement une sorte de « testament » établi contre les idées de Schmitt que Benjamin reprend tout en les maintenant dans leur contrariété réciproque. Cela signifie que « l’état d’exception », prononcé dictatorialement par Schmitt, devient chez Benjamin la théorie de la tradition des hommes opprimés35 pour lesquels il faut faire advenir un « véritable état d’exception » qui mette fin à la suspension de la vie et à son oubli. Si cette théorie messianique de Benjamin implique bien la figure du Messie, nous défendons la thèse selon laquelle l’avènement du Messie est plutôt l’évènement du temps messianique qui ne se fait que dans le présent qui est le nôtre, c’est-à-dire que le temps messianique ne cesse de coïncider avec le temps historico-chronologique. Ce messianisme est apocalyptique et non pas eschatologique ou utopique ; un « véritable » état d’exception doit, en effet, interrompre un continuum et subvertir l’ordre du monde à chaque moment historique où nous vivons. Cela signifie-t-il l’attente d’un Messie qui vient d’ailleurs ?  Nullement, car il ne s’agit pas d’une « attente », mais d’une « action » qui est interruption d’un continuum, sorte d’instant décisif (kairos) où tout se joue : le ‘maintenant’ est le temps que nous avons, et qui reste, pour interrompre la tradition et mettre en arrêt le continuum de l’Histoire afin de la subvertir ; par-là s’ouvrira un possible tout autre. Il ne s’agit donc pas d’une pure passivité mais d’une action humaine, d’un « faire advenir » qui laisse « la porte ouverte » pour que le Messie puisse apparaître à n’importe quel moment de l’histoire36. Cette action humaine est définie par l’usage d’une « violence pure » qui rend possible l’arrêt d’un mécanisme ou d’une procédure ou d’un ordre donné dans le but de faire naître un autre récit dans le présent où nous vivons.

12Agamben prolongera cette idée en s’employant à désactiver l’état d’exception et l’autre face de la monnaie, le pouvoir souverain, tout en proposant une politique qui vient au-delà de la figure du souverain et de l’État. De l’avis du philosophe italien, la prestation la plus originale de la démarche schmittienne est que, tout en incluant l’« état d’exception » dans l’ « ordre juridique », il réussit à capturer l’anarchie et le chaos pour les réarticuler dans ce nouvel ordre ou l’état d’exception est la règle.37 Agamben reprend par ces mots l’idée de Benjamin concernant la violence implicite à la jurisprudence et à la problématique de la relation « moyens-fins » ; il l’interprète comme stratégie de conservation ou de déposition du pouvoir dont nous nous servons en politique. Agamben en déduit une définition de l’état d’exception : il est « la forme légale de ce qui ne saurait avoir de forme légale »38.

13Mais la portée du prolongement d’Agamben par rapport à Benjamin est que l’état d’exception et le pouvoir souverain soumettent le vivant au droit. Selon lui, l’« état d’exception » est un mécanisme juridico-politique qui sépare l’« ethos » de l’homme en réduisant sa vie à une « vie nue » à travers le « pouvoir souverain », car sa vie est soumise et dépend d’un autre, de l’arbitraire d’un pouvoir. Le plus urgent est pour le philosophe italien de se demander ce que peut bien devenir l’existence d’un être vivant assujetti à un état d’exception dans lequel la distinction entre « ius » et « factum » est pratiquement abolie. Ce qu’Agamben tire comme conclusion par rapport à l’« état l’exception » est qu’il est un « vide » de droit, c’est-à-dire un état d’« anomie » que nous ne pouvons pas confondre avec un ‘état de nature’ ni avec une dictature ; il s’agit plutôt d’une « zone grise » où tout devient indiscernable. Selon, Agamben l’exception apparaît comme le dispositif original grâce auquel le droit se réfère à la vie réelle et l’inclut en lui du fait de sa propre suspension tout en présupposant son abandon.

14 À l’instar de Benjamin, Agamben s’emploie donc à désactiver l’« état d’exception où nous vivons » qu’il pousse jusqu’à l’extrême en affirmant qu’un tel « état » constitue le paradigme dans lequel nous vivons encore aujourd’hui, même si le contexte soit en apparence plus pacifié que celui dans lequel vivait et pensait Benjamin dans les années 30 du siècle passé.Ce faisant, Agamben se réapproprie l’idée benjaminienne d’« interruption messianique » (ou plus précisément de discontinuité et de rupture)  pour penser le politique autrement, car il constate que l’état d’exception proclamé par le souverain se répand dans tous les aspects de la vie au point d’abandonner la vie humaine et de la mettre en suspens pour la soumettre ainsi à l’arbitraire du pouvoir ; d’où résulte une « vie nue » séparée de sa forme qui n’est  ni animale ni politique39.

15 De l’avis d’Agamben, l’« état d’exception » est donc une structure biopolitique dans laquelle le droit inclut le vivant à travers sa propre suspension et où le vivant devient « vie nue » en vertu de la même procédure.40L’intérêt d’Agamben est de montrer comment le politique en occident est fondé sur une exclusion-inclusion de la vie sous la forme de ce qu’il appelle une « vie nue » produite par des dispositifs du pouvoir souverain et de l’état d’exception. Dans cette perspective, selon Agamben, l’état d’exception et le pouvoir souverain créent une relation qui lie et, en même temps, abandonne le vivant au droit. Par là, il soulève le paradoxe de l’idée de souveraineté selon laquelle le souverain se place légalement en dehors de la loi et la loi en dehors d’elle-même. Le paradoxe est que, à l’heure de décider sur l’état d’exception, le souverain est lui-même hors la loi car décider de l’état d’exception implique la suspension de l’ordre juridique en tant que tel. Les effets d’une telle démarche est que le souverain qui est hors la loi devient ainsi loi vivante41. En effet, l’état d’exception, signifiant la suspension de l’ordre juridique existant, l’exercice du pouvoir n’est plus reçu ou délégué mais devient l’arbitraire d’une volonté légalisée qui s’impose comme le fondement de l’ordre des choses.

16Abordons maintenant la seconde question :  que veut dire le « véritable » état d’exception chez Benjamin ? Comment peut-on associer un tel prédicat (véritable) avec un donné dont on vient de montrer l’origine violente (état d’exception) ?  Dit négativement, ce syntagme, ne désigne pas une violence qui se légitimerait elle-même, à la manière d’une force qui viserait à conserver le pouvoir ou l’ordre juridique lorsque l’État se sent menacé. Dans Critique de la violence, Benjamin dénonce l’emploi de la violence entendue comme moyen en vue d’une fin (par exemple conserver le pouvoir) et qui de surcroit prétendrait en tirer une légitimité. En revanche, l’usage de l’adjectif « véritable » entrelace plusieurs dimensions : une dimension essentialiste, car il s’agit d’une définition ; une dimension phénoménologique, car il s’agit de « faire apparaitre » quelque chose qui se cache ; et, finalement, une dimension éthique, car il apporte le bonheur. Le « véritable » état d’exception exige la rédemption, lave de la faute, met en arrêt la violence mythique qui utilise la force du droit en vue de renforcer une Histoire qui assure le continuum de la tradition.42

17Pour nous, il s’agit d’une invitation à l’action (« mettre en place », faire advenir), mais de quel type d’action ? Comment une action dont la modalité est la « violence pure » peut-elle être porteuse de rédemption ? En vérité, chaque fois que Benjamin parle de « violence pure », il la comprend comme une violence qui n’est pas soumise à une fin, mais qui demeure un moyen pur, un moyen sans fin, une sorte de violence d’ordre divin qui anéantit tout autre pouvoir (violence mythique)43. Il s’agit alors d’une violence non-violente qui produit la connivence, la sollicitude, l’entente, et par là renverse l’ordre du monde qui produit les oubliés, les écrasés, les vaincus.

18Le concept éminemment paradoxal de « véritable état d’exception » a suscité un long débat entre les lecteurs avertis de Benjamin. Michael Löwy distingue trois propositions différentes visant à la mise en œuvre d’un tel état : l’appel à une révolution sociale, la représentation d’une société sans classes et, finalement, l’irruption messianique qui fait apparaitre un possible tout autre44. La caractéristique la plus important de ces propositions de Löwy est que chacune conçoit l’histoire comme « discontinuité » ou « rupture ». Certes, nous pouvons opposer la dimension théologico-messianique présente dans la dernière proposition aux caractéristiques plutôt politiques des deux premières ; néanmoins, par-delà cette distinction toute formelle, et d’après sa lecture de Benjamin, cet auteur comprend que le messianisme implique déjà une action politique, ce qui montre que théologie et politique ne sont pas opposées. Chez Löwy il n’y a pas d’opposition entre les sphères théologico-messianique et utopique-révolutionnaire, car le messianisme prend la forme d’une utopie en assimilant en quelque sorte les deux sphères.45 Ce débat est ouvert et la réponse à cette discussion devra être mise en perspective avec le rôle de la théologie chez Benjamin46. En effet, nous avons montré, grâce à Agamben, que chez Benjamin il n’y a pas une distinction nette entre théologie et politique, les deux sphères vont ensemble, au moins en ce qui concerne sa conception du temps messianique. Pour nous, à la différence de Löwy, le messianisme benjaminien ne peut être ramené à l’utopie et à l’eschatologie. Il s’agit plutôt de la singularité d’une action qui se déploie dans le présent du devenir historique, c’est-à-dire le maintenant où nous sommes, à condition de ne pas l’enfermer dans une forme concrète qui serait universalisable afin qu’il puisse garder sa condition de possible en tant que possible. S’il est vrai que le Messie advient afin d’interrompre un ordre quelconque, l’irruption du Messie, chez Benjamin, est un évènement impossible à universaliser ou d’en faire une loi universelle. Bref, dans le messianisme benjaminien la fin de l’Histoire et du Temps chronologique sont possibles, mais à partir d’une action qui s’emploie au jour le jour afin de libérer un possible tout autre sans fin. Chez Benjamin, l’idée d’« interruption » a la primauté car sa stratégie intellectuelle consiste à interrompre tout mécanisme de production de l’Histoire tendant  aveuglement vers le « progrès ».

19Mais, pour notre part, nous allons plus loin : notre tâche consiste à montrer comment mettre en place effectivement le « véritable état d’exception » dont parle Benjamin tout en gardant le couple irruption messianique/interruption du continuum pour faire apparaître indéfiniment ‘un possible tout autre’. À notre avis, nous pouvons le faire advenir si nous mobilisons l’idée de « violence pure », d’une violence destructrice de l’ordre juridique et de la tradition. Elle est l’action par excellence ou, comme nous l’avons dit plus haut, la puissance agissante qui met en place le « véritable » état d’exception ; ce qui requiert de montrer comment la « violence pure » peut être une violence rédemptrice et donc instauratrice d’un véritable état exception. Pour ce faire, il ne faut pas entendre le syntagme « mettre en place » comme s’il s’agissait d’instaurer un nouvel ordre étatique mais de comprendre qu’un « possible tout autre » peut apparaître, être mis en place, si nous agissons.     

20 Pour répondre à la question de savoir comment « mettre en place » un « véritable » état d’exception, revenons à la Critique de la Violence de Benjamin dans laquelle il évoque notamment un exemple tiré des études de Georges Sorel : la grève prolétarienne. Selon lui, elle « se donne comme seule mission l’anéantissement de la violence de l’État »47. Nous le savons, Benjamin conçoit la « violence pure ou divine » comme celle qui est capable d’imposer « un arrêt » à « la violence mythique »48 ; celle-ci est définie comme la violence fondatrice et conservatrice du droit qu’il appelle aussi : « violence arbitraire »49. Pour Benjamin la « violence pure ou divine » interrompt toute violence qui se déploierait en vue d’un but quelconque. Il oppose donc deux types de violences, l’une divine et l’autre mythique ; à ce propos il écrit :

21 Ce que Benjamin met en cause par là est le rapport moyen-fin qui fonde le droit tout en faisant usage de la violence en vue de conserver le pouvoir comme nous l’avons vu chez Schmitt. C’est justement cette procédure que Benjamin s’emploie à interrompre en montrant que la violence en tant que telle n’est qu’une manifestation de quelque chose et jamais moyen pour arriver à une fin quelconque51. La critique de la violence est pour Benjamin une critique de la politique en tant que telle, en tant que celle-ci relève d’une rationalité des buts et des moyens. Penser la violence au-delà de relation moyens-fins, telle est la signification et l’enjeu du concept de « violence pure » chez Benjamin. À cet égard, il écrit :

22 En suivant ces idées de Benjamin exposées dans Critique de la Violence, Agamben prolonge la pensée benjaminienne en proposant de désactiver les dispositifs par lesquels la violence se légitime elle-même53, soit par le droit naturel (l’acte violent est légitime s’il poursuit une fin juste), soit par le droit positif (légitimation de la violence si elle est incluse dans l’appareil judiciaire comme un moyen). L’idée d’une « violence pure » sera reprise par Agamben afin de « désactiver » ou de « neutraliser » le pouvoir étatique ou n’importe quel autre type de pouvoir. Pour ce faire, Agamben reprend la huitième thèse Sur le concept d’histoire pour réaffirmer que l’« état d’exception est devenu aujourd’hui la règle » ; la tâche d’Agamben est donc de subvertir un tel paradigme en faisant appel à une autre figure que le « souverain » pour proclamer l’« état d’exception ». Le penseur italien croit la découvrir dans la théologie de saint Paul quand celui-ci propose une autre façon de comprendre la loi de Moïse. Selon Agamben, la pensée messianique de saint Paul est un état d’exception proclamé par le « Messie » et non par le souverain.54 Cette interprétation est un prolongement de la thèse VI de Benjamin : « le Messie ne vient pas seulement en tant que rédempteur ; il vient en tant qu’il est celui qui surmonte l’Antéchrist. » L’antéchrist est la figure du Souverain qui accélère l’avènement du « jugement dernier » parlequel le Messie vient juger en tant que rédempteur et en tant que destructeur du continuum. Pour Agamben, il ne s’agit ni d’une eschatologie ni d’une utopie, mais d’un messianisme qui subvertit l’ordre du monde pour en faire un autre « usage »55. Dans ce cas de figure, le temps présent est vécu comme « ce qui reste » : il constitue le « maintenant » dont nous disposons pour en finir avec l’articulation entre la violence qui conserve le droit, le droit qui abandonne la vie et la vie qui est soumise à la violence du pouvoir souverain. Autrement dit, il s’agit pour Agamben de rompre la relation entre le politique et le juridique. Selon lui, la vraie politique, celle qui vient, consiste en la déconnexion de ces relations. Il s’agit d’une politique des moyens sans fins où l’usage et la praxis humaine échappent à la capture fictive dont le « souverain » par le moyens de la « loi » voulait à tout prix s’approprier pour justifier l’« état d’exception », c’est-à-dire le « fait » qui s’impose quel qu’il soit.

23 Pour défaire cette relation entre violence et droit, Agamben s’approprie l’idée benjaminienne de « violence pure » qu’il définit comme « une action humaine qui ne fonde ni ne conserve le droit »56, comme « une exposition et une déposition de la relation entre violence et ordre juridique »57, comme « une violence qui n’est jamais « un moyen (légitime ou illégitime) par rapport à un fin »58. L’interprétation soutenue par Agamben permet de comprendre que l’adjectif « pur » réfère, chez Benjamin, à quelque chose qui n’est pas subordonnée, qui n’est pas en relation avec autre chose, alors que la « violence » en tant que violence mythico-juridique,  dont il faut interrompre le règne,  est toujours pensée dans un rapport avec le droit; telle serait la fonction proprement dite de la « violence pure » ou divine. Quand Benjamin parle de « violence pure », nous explique Agamben, il ne faut pas l’entendre comme s’il s’agissait d’une « substance » (la Loi, le Droit, le Souverain, etc…), mais comme une relation qui a été soustraite au droit, bref une relation qui est une non-relation à un ordre juridique qui conserve le pouvoir et donne lieu à l’état d’exception sous lequel nous vivons.  Nous pouvons conclure en disant que la « violence pure » désigne, chez Agamben, une action qui consiste à interrompre, déposer, arrêter ou désactiver l’état d’exception qui s’impose par l’exercice du pouvoir souverain. C’est seulement si nous assumons comme tâche l’emploi de cette « violence pure » qu’un « véritable » état d’exception pourra advenir.   

24Il nous reste à envisager la troisième question. Si nous avons fait appel à la « violence pure » pour que l’état d’exception puisse s’avérer « véritable », cette puissance agissante est, certes, destructrice de l’Histoire, mais non de l’homme : « Car à la question : ‘Ai-je le droit de tuer ?’ répond le commandement immuable : ‘Tu ne tueras point’. »59 Au contraire, elle est indissociable de l’idée de « rédemption », celle-ci devenant le critère qui permette de reconnaître l’instauration d’un « véritable » état d’exception. Pour Benjamin, toute « interruption » d’un « continuum » (dans l’histoire ou dans le récit historique)est faiteen vue de la « rédemption des vaincus », plus spécifiquement, pour les délivrer de leur condamnation.Dès lors, le « véritable état d’exception » prend forme et place chaque fois qu’a lieu l’interruption du mécanisme ou du dispositif de pouvoir qui rend invisibles les vaincus ou les opprimés ; la rédemption libère et exhibe une image des vaincus, elle est donc « mémoire » de ceux qui n’avaient laissé auparavant aucune trace. Bref, par le concept de « rédemption », il faut entendre tout effort en vue de faire passer l’image des vaincus du passé dans le présent, une sorte de « rendez-vous secret » entre « passé et présent » qui rend visibles les opprimés et les vaincus.

25Selon nous, la rédemption advient quand l’état d’exception « véritable » a été mis en place. La rédemption et le bonheur forment un couple inséparable60 et ils sont les signes qu’un « véritable » état d’exception est advenu à travers l’emploi de la « violence pure ». Dans la thèse II Sur le concept d’histoire, Benjamin nous introduit au concept de rédemption (Erlösung) lequel est autant remémoration que réparation ou, encore mieux, justice des vaincus du passé dans le présent. « Remémoration », car il s’agit de se souvenir et rendre à nouveau présent ce qui était oublié : « il existe un accord secret entre les générations passées et la nôtre. »61  Et « réparation », car il ne s’agit non pas de restaurer ou ressusciter le passé, mais de rendre justice tout en réhabilitant la dignité perdue des vaincus : « alors nous est donnée, comme à chaque génération qui nous a précédés, une faible puissance messianique sur laquelle le passé a une prétention. Cette prétention, on ne peut l’évacuer d’un revers de la main ».62 La « faible puissance messianique » est une force qui nous est confiée pour la prendre en main, pour agir, nous qui savons que le Messie peut traverser l’histoire à n’importe quel moment de celle-ci.  Agamben montre que le messianisme chez Benjamin mobilise les concepts d’Histoire et du Temps en prenant la forme d’un « jugement dernier » comme cela apparaît dans la thèse III Sur le concept d’histoire :  

26Le philosophe italien atteste ici une grande proximité avec Benjamin. Pour lui, l’avènement du Messie implique la désactivation des pouvoirs terrestres afin de délivrer ce que le pouvoir avait confisqué en vue d’un autre usage. C’est à partir de cette force destructrice qu’il élabore l’idée d’une « puissance destituante » qui consiste à faire advenir une autre possibilité dans le présent tout en désactivant le mécanisme du pouvoir qui l’empêche d’apparaître.

27 À cet égard, Agamben fait référence une fois encore à la figure de saint Paul pour parler de la force du Messie qui change son rapport singulier à la loi hébraïque. Dans son livre Le temps qui reste il montrera que la « faible puissance messianique » dont parle Benjamin est une citation cachée du texte de saint Paul64. Par là, il attire l’attention sur le fort héritage théologique dont la politique fait son profit. L’enjeu pour Agamben est la compréhension du « temps présent » qu’il qualifie comme le « temps qui reste », c’est-à-dire le « temps opératif » dont nous disposons pour venir à bout du temps chronologique sans pour autant nous renvoyer à un « ailleurs improbable et à venir », mais bien au « maintenant » dans lequel nous nous trouvons nous-mêmes et dont nous faisons l’expérience65.

28 Le salut ou la rédemption qui vient par le Messie ne vient pas par le droit ni par l’État. Le Messie vient réaliser le « jugement dernier » qui a à voir avec la justice de Dieu, laquelle est contraire au droit des hommes. En ce sens, le Messie se bat contre le souverain, et cela comporte selon l’interprétation d’Agamben, en coïncidence avec Benjamin, non pas la restitution du passé tel qu’il était, mais plutôt « le déclin » de l’ordre historique proprement dit.66 Nous pouvons donc conclure d’après la lecture d’Agamben que dans le messianisme de Benjamin, la « rédemption » va au-delà de l’ordre juridique et du pouvoir souverain. La rédemption ne cherche jamais la faute mais le bonheur et, selon lui, elle est une force ou une puissance destituante67.

29 En conclusion. Nous avons montré que chez Benjamin « le véritable état d’exception » conserve en son sein l’idée de « bonheur/rédemption », mais sous une modalité qui demeure faible et indéterminée dès lors que « seule la violence mythique se laissera reconnaître avec certitude comme telle »68. Pour autant, nous avons vu que la mise en œuvre d’un tel état requiert la « violence pure » entendue comme l’exercice d’une puissance agissante. Il s’agit d’une force destructrice qui dépose toute procédure de pouvoir se servant de l’ordre juridique pour conserver l’ordre établi, tout en mettant en question la vie de l’homme, au point de le condamnant à rester dans son in-condition de vaincu. Faire advenir un « véritable » état d’exception signifie dès lors rendre visibles dans le présent les vaincus du passé et donc délivrer aujourd´hui l’homme des conditions qui l’empêchent de vivre dans le bonheur.

30 D’une certaine manière, nous avons pris distance par rapport à Benjamin concernant l’usage de l’idée de « violence pure », car, selon lui, nous venons de le rappeler, il n’est pas possible de reconnaître une telle violence qui nous dépasse et nous excède. En revanche, nous avons montré que le « bonheur-rédemption » est déjà un signe « discret » de son efficace, ce qu’implique une reconnaissance de la « violence pure », faible peut-être, mais véritable malgré la limite établie par Benjamin en ce qui concerne la difficulté de la reconnaitre. Ce qui signifie, comme lui-même l’a indiqué, qu’il y a des moyens non-juridiques, moyens sans fins, violences pures non violentes qui sont une pure donation de soi, un pur geste sans finalité de conquête qui instaure le bonheur-rédemption dans le présent et procède de l’expérience intersubjective comme le dialogue, l’amour, l’amitié, l’empathie et la solidarité qui ne passent par aucune médiation juridique ni par aucune loi universalisable :

31 Nous avons pris aussi une certaine distance par rapport à Agamben, car pour lui la « violence pure » a une caractéristique surtout « destituante ». Nous pensons qu’un « véritable état d’exception » peut être instauré ici et maintenant en s’exhibant sous la forme du bonheur-rédemption. Elle est, selon nous, la force ou l’action qui permet le passage de l’état d’exception normalisé et devenu la règle au « véritable » état d’exception qui instaure la « rédemption » ; cela constitue une prise de distance par rapport à l’idée d’une force exclusivement destituante. L’objet d’une recherche à venir consiste à la fois à penser une idée du bonheur-rédemption qui tire parti des outils conceptuels de Benjamin et d’Agamben sans adopter pour autant la forme affaiblie que Benjamin accorde à l’état d’exception « véritable » chez Benjamin ou la force exclusivement destituante sous laquelle Agamben le comprend.

Notes

1 W. Benjamin, Sur le concept d’histoire, Payot & Rivages, Paris, 2012.

2 C’est une idée que nous tirons de l’ouvrage de W. Benjamin, Critique de la Violence, Payot & Rivages, Paris, 2012.

3  Nous comprenons la « violence pure » comme une puissance qui devient agissante dans la réalité, une sorte de moteur qui se met en marche afin de transformer l’Histoire en créant un possible tout autre.

4  L’influence de Benjamin sur Agamben provient en effet de ses traductions en italien de plusieurs ouvrages de Benjamin, travail qui lui a fait découvrir le Handexemplar dans lequel il trouve une des thèses de Benjamin inédite jusqu’à l’époque : la thèse XVIII où il fait référence au temps messianique ; cela lui servira par après pour développer ce thème dans son ouvrage Le temps qui reste où il montre la corrélation entre saint Paul et Benjamin.

5  Pour ce faire, je suivrai la trace d’Agamben en prenant pour fil conducteur ses écrits : « Walter Benjamin et le démoniaque » et « Le Messie et le souverain »extraits de La puissance de la pensée (Rivages, 2011),  État d’exception et L’usage des corps dans Homo Sacer, l’intégrale 1997-2015 (Seuil, 2016)  Le temps qui reste (Rivages, 2004).

6 Agamben admet explicitement à plusieurs reprises la forte influence que le penseur allemand exerce dans sa propre pensée ; néanmoins mon propos est de montrer la stratégie employée par Agamben, à savoir : dire le « non-dit » de Benjamin. En effet, Agamben prolonge les idées benjaminiennes en se les réappropriant d’un nouvelle manière (par exemple les idées de « violence pure » et de « moyens sans fins » sont prolongées par Agamben dans celle de « puissance destituante » dont la caractéristique la plus importante est de désactiver et rendre inopérante une procédure de pouvoir quelconque. Une fois que ce pouvoir - principalement d’État-  rendu désœuvré ou déconnecté, pourra finalement apparaître comme un autre usage de la politique).

7 W. Benjamin, Critique de la Violence, Payot & Rivages, Paris, 2012, p. 101-102 : « Mais il n’est ni également possible ni également urgent pour les hommes de décider quand il y eut réellement violence pure dans un cas déterminé. Car seule la violence mythique se laissera reconnaître avec certitude comme telle, non la violence divine, sauf dans ses effets incomparables, parce que la force de la violence qui lave la faute n’est pas évidente pour les hommes. »

8  En effet, établir un lien entre « violence » et « rédemption » n’est pas une tâche simple, surtout quand la violence est rejetée dans les discours dominants, mais notre idée est de concevoir la violence comme une force rédemptrice inscrite dans l’horizon messianique.

9  W. Benjamin, Sur le concept d’histoire, Payot & Rivages, Paris, 2013, thèse VI, p. 60 : « Exprimer le passé en termes historiques ne signifie pas le reconnaitre ‘tel qu’il a réellement été’. »

10  W. Benjamin, Sur le concept d’histoire, Payot & Rivages, Paris, 2013, thèse XIII, p. 74 : « L’idée d’un progrès du genre humain dans l’Histoire n’est pas dissociable de la représentation de son avancée dans un temps homogène et vide. La critique de la représentation de cette progression doit former, d’une manière générale, le fondement de la critique de la représentation du progrès. »

11  W. Benjamin, Sur le concept d’histoire, Payot & Rivages, Paris, 2013, thèse VII, p. 62 : « Mais les dominants du moment sont les héritiers de tous ce qui ont vaincu un jour ».

12 Je me permets de rendre explicite le libre usage de citations qui, selon Agamben, est une des stratégies employées par Benjamin. Mon expression « une immense accumulation de vaincus » n’est qu’une reformulation personnelle, arbitraire si on veut, de la thèse 1 de La société du spectacle de Guy Debord dont il affirme que « la vie des sociétés [...] s’annonce comme une immense accumulation de spectacles […] » ; citation qu’il reprend, tout en se réappropriant un énoncé, de Marx dans Critique de l’économie politique, livre 1, où celui-ci écrit que « la richesse est une immense accumulation de marchandises ». Agamben montre dans Le temps qui reste que Benjamin avait développé « l’art de citations sans guillemets » comme une sorte de « rendez-vous secret » entre le passé et le présent.    

13  W. Benjamin, Sur le concept d’histoire, Payot & Rivages, Paris, 2013, thèse VII, p. 62 : « Le fait de se mettre dans la peau du vainqueur profite  par conséquent toujours au dominant du moment. »

14  W. Benjamin, Sur le concept d’histoire, Payot & Rivages, Paris, 2013, thèse VI, p. 60.

15  G. Agamben, La puissance de la pensée, Payot & Rivages, Paris, 2011,p. 291 : « Dans la huitième thèse, le terme Ausnahmezustand se trouve entre guillemets, comme s’il provenait du contexte d’un autre auteur ou d’une autre œuvre benjaminienne. Il s’agit en effet d’une citation, dans les deux sens du terme. Le terme provient de la Théologie politique de Carl Schmitt (1922) et de cette théorie de la souveraineté que Benjamin avait déjà commentée et développée dans sa thèse d’habilitation manquée sur l’origine du drame ‘baroque allemand’.  On peut également trouver chez Schmitt le terme Standrecht, par exemple dans son essai de 1931 intitulé Die Wendung zum totalen Staat. »

16  G. Agamben, Le temps qui reste, Payot & Rivages, Paris, 2004, cf. p. 232. Agamben montre dans Le temps qui reste que Benjamin avait développé « l’art de citations sans guillemets » comme une sorte de « rendez-vous secret » entre le passé et le présent. Dans cet ordre d’idées, il établit une corrélation entre le thèse II de Benjamin, où ce dernier parle d’une « faible puissance messianique » et la « faible puissance messianique de saint Paul » en 2 Cor 12, 9-10. Agamben reconnaît que Taubes avait déjà bien avant lui montré ce « lien secret » entre Benjamin et Paul, mais à partir de fragments théologico-politiques qu’il mettait en lien avec Rm 8, 19-23. Cf. Ibidem, pp. 231-244.

17 J. Taubes, La théologie politique de Paul , Seuil, 1999, p. 168 : « Je ne peux pas ici discuter plus en détail la comparaison faite par Benjamin, mais je voudrais terminer mon exposé en indiquant la huitième thèse sur la philosophie de l’histoire de Benjamin. Ce texte, sorte de testament de Walter Benjamin, fait face aux thèses de Carl Schmitt. »

18 Ibidem, p. 153.

19  Voir Carl Schmitt. La dictature, Seuil, 2000.

20 J. Taubes, La théologie politique de Paul , Seuil, 1999, p. 153.

21 Ibidem, p. 159 : « […] mais je ressentais pourtant dans chaque mot de Carl Schmitt quelque chose qui m’était étranger, à savoir la crainte et l’angoisse devant la tempête qui menaçait de déclencher la flèche messianique sécularisée du marxisme. Carl Schmitt m’apparaissait comme le grand inquisiteur qui luttait contre les hérétiques. »

22 Ibidem, p. 155.

23 Schmitt le formule ainsi dans Théologie politique : « Souverain est celui qui décide de l’état d’exception », Galimard, Paris, 1988, p. 15.

24  W. Benjamin, Critique de la Violence, Payot & Rivages, Paris, 2012, p. 92 : « Fondation de droit est fondation de pouvoir et dans cette mesure un acte de manifestation immédiate de la violence. La justice est le principe de toute finalité divine, le pouvoir le principe de toute fondation mythique du droit. »

25  G. Agamben, La puissance de la pensée, Payot & Rivages, Paris, 2011,p. 288.

26  G. Agamben, Mezzi senza fine, Bollati Boringhieri, Torino, 1996, ristampa 2016, p.88: « All’altezza del compito è solo un pensiero capace di pensare insieme la fine dello Stato e la fine della storia, e di mobilitare l’una contro l’altra. » p. 89 : « L’appropriazione della storicità non può perciò avere ancora una forma statuale – lo Stato non essendo altro che la presupposizione e la rappresentazione del restar nascosta dell’arké storica – ma deve lasciare il campo a una vita umana e a una politica non statuali e non giuridiche, che restano ancora interamente da pensare. »

27  G. Agamben, La puissance de la pensée, Payot & Rivages, Paris, 2011,p. 291.

28 Notre interprétation s’appuie sur J. Taubes, La théologie politique de Paul , Seuil, 1999, p. 163 : « C’est ainsi que j’ai exposé, dans un séminaire de théorie politique de l’université de Harvard, quelques thèses sur la coïncidence de la symbolique politique et de la symbolique religieuse, idées qui renouaient avec la pensée de Carl Schmitt, la dépassant cependant dans la mesure où j’avais exposé (à l’époque il n’y avait pas encore de théologie politique « de gauche ») une pensée apocalyptique de la révolution au lieu d’une pensée apocalyptique de la contre-révolution, mais sans les illusions de marxistes messianiques tels que Ernst Bloch et Walter Benjamin. »

29 Ibidem, cf. p. 164.

30  W. Benjamin, Sur le concept d’histoire, Payot & Rivages, Paris, 2013, p. 60, thèse VI: « Le Messie ne vient pas seulement en tant que rédempteur ; il vient en tant qu’il est celui qui surmonte l’Antéchrist. »

31  Ibidem, p. 76, thèse XV : « La conscience de faire éclater le continuum de l’Histoire est propre aux classes révolutionnaires à l’instant de leur action. »

32  Walter Benjamin, Charles Baudelaire : un poète lyrique à l’apogée du capitalisme traduit par Jean Lacoste, Paris, Payot, coli. « Petite Bibliothèque Payot », 1982, p242 : « Il faut fonder le concept de progrès sur l’idée de catastrophe. Que les choses continuent à « aller ainsi », voilà la catastrophe. »

33  W. Benjamin, Sur le concept d’histoire, Payot & Rivages, Paris, 2013, p.78, thèse XVI : « Le partisan du matérialisme historique ne peut renoncer au concept d’un présent qui n’est pas transition, mais dans lequel le temps intervient et s’est mis au repos… Il reste maitre de ses forces : suffisamment viril pour faire éclater le continuum de l’Histoire. »

34  Le binôme inséparable « bonheur-rédemption » est l’idée guide qui nous conduit vers le « véritable » état d’exception, il a pour fin de racheter le passé en le portant à son accomplissement et en le transformant en un possible toute autre. C’est à lui qui est confié l’avènement d’un autre ordre historique possible dans le temps qui reste. Comme le formule le philosophe italien, il s’agit de « faire advenir » ce qui « n’a jamais été », ce qui est pour lui « la patrie de l’humanité » (G. Agamben, La puissance de la pensé, Payot & Rivages, Paris, 2011,p. 271). Le plus important est de concevoir le « bonheur-rédemption » comme une idée directrice, il ne s’agit pas d’une fin, mais plutôt d’une tâche à faire.

35 J. Taubes, La théologie politique de Paul , Seuil, 1999. Voir la lettre de Benjamin adressée à Schmitt à la p. 169 du même ouvrage.

36  W. Benjamin, Sur le concept d’histoire, Payot & Rivages, Paris, 2013,  p. 83,  thèse XVIII, B: « Cela ne rendit pas pour autant, aux yeux des Juifs, le temps homogène et vide. Car en lui chaque seconde était la petite porte par laquelle pouvait entrer le Messie. »

37  G. Agamben, Homo sacer. L’intégrale, 1997-2015, Seuil, 2016. Voir : État d’exception.

38 Ibidem.

39 G. Agamben, Homo sacer. L’intégrale, 1997-2015, Seuil, 2016. Voir L’usage des corps, p. 1267 : « ‘‘La tradition des opprimés nous enseigne que l’‘état d’exception’ dans lequel nous vivons est la règle. Il nous faut en venir à une conception de l’histoire qui corresponde à ce fait.’’ Ce diagnostic de Benjamin, posé il y a trois quarts de siècle, n’a rien perdu de son actualité. Et cela non pas tant ni seulement parce que le pouvoir n’a aujourd’hui d’autre forme de légitimation parce que l’urgence est que partout et sans cesse il se rappelle à elle tout en travaillant secrètement à la produire (…), mais aussi et surtout parce que, entre-temps, la vie nue, qui était le fondement caché de la souveraineté, est devenue partout la forme de vie dominante. »

40  Ibidem. Voir État d’exception, p. 203.  

41 G. Agamben, La puissance de la pensé, Payot & Rivages, Paris, 2011, pp. 289-290 : « Moi, le souverain, qui suis en dehors de la loi, je déclare qu’il n’y a pas d’en dehors de la loi. Voilà pourquoi Schmitt définit la souveraineté comme un concept-limite de la théorie juridique et en illustre la structure par la forme de l’exception. Qu’est-ce qu’une exception ? L’exception est une espèce d’exclusion. Elle est un cas particulier qui est exclu de la norme générale. Mais ce qui caractérise en propre l’exception est que ce qui est exclu n’est pas, pour autant, sans rapport avec la norme ; au contraire, celle-ci se maintient en relation avec lui sous la forme de la suspension. La norme s’applique à l’exception en se désappliquant, en se retirant d’elle. Par conséquent, l’état d’exception n’est pas le chaos qui précède l’ordre juridique, mais la situation qui résulte de sa suspension. »

42  W. Benjamin, Critique de la Violence, Payot & Rivages, Paris, 2012,cf.p. 94.  

43  Ibidem, pp. 94-95 : « C’est justement cette tâche [l’anéantissement] qui pose encore une fois la question d’une pure violence immédiate, capable d’imposer un arrêt à la violence mythique. De même que Dieu dans tous les domaines s’oppose au mythe, de même la violence divine s’oppose à la violence mythique. »

44 Voir : M. Löwy, Walter Benjamin : avertissement d’incendie. Une lecture des thèses sur le concept d’histoire.Éditions de l'Éclat, 2018.

45 Selon Löwy, le messianisme consiste en une irruption catastrophique dans l’histoire et non pas au-delà de celle-ci, ce qui implique la possibilité de la rédemption dans le présent actuel. La rédemption doit se produire nécessairement dans le présent tout en se présentant comme rupture ou disruption par rapport à la tradition ; ce qui lui permet de rapprocher le messianisme et l’utopie. À ce propos, il est utile de lire : M. Löwy, Rédemption et utopie. Le judaïsme libertaire en Europe Centrale, Paris, Éditions du Sandre, 2016.

46 W. Benjamin, Sur le concept d’histoire, Payot & Rivages, Paris, 2013, p. 53 :  « Il [le matérialisme historique] peut, sans autre forme de procès, se mesurer avec n’importe qui pour peu qu’il prenne à son service la théologie, laquelle, on le sait, est petite et laide et ne doit de toute façon pas se faire voir ».

47 W. Benjamin, Critique de la Violence, Payot & Rivages, Paris, 2012, p. 84.

48 Ibidem, cf. p. 94-95.

49 Ibidem, p. 102.

50 W. Benjamin, Critique de la Violence, Payot & Rivages, Paris, 2012, p. 95.

51 Ibidem, cf. p. 89 : « L’expérience de la vie quotidienne révèle déjà une fonction non médiate de la violence, telle qu’elle est ici mise en question. En ce qui concerne l’homme, la colère par exemple le mène aux plus visibles explosions d’une violence qui ne se rapporte pas comme moyen à une fin préalablement posée. Elle n’est pas un moyen, mais une manifestation… »  

52 Ibidem, p. 88.

53 Agamben développe sa réflexion à partir de sa lecture de l’ouvrage de Benjamin dédié à la Critique de la Violence.

54  G. Agamben, La puissance de la pensée, Payot & Rivages, Paris, 2011, p. 305 : « Dans cette perspective, la tâche du Messie devient d’autant plus difficile. Il ne doit pas simplement faire face à une loi qui commande et interdit, mais une Loi qui, comme la Torah originaire, est en vigueur sans signifier. Mais telle est aussi la tâche avec laquelle nous, qui vivons dans l’état d’exception devenu la règle, nous devons nous mesurer. »

55  La notion d’« usage » chez Agamben est un « geste » qui s’oppose à toute idée de domaine, d’appropriation, d’instrumentalisation ou de chosification. Agamben explique le concept d’usage à partir de la définition de la vie messianique chez saint Paul dont l’usage se présente dans la forme du « comme non» ; cela signifie très concrètement faire usage de la vocation (klesis) et jamais ne prendre possession d’elle. Voir : G. Agamben, Le temps qui reste, un commentaire de l’épitre aux romains , Paris, Éditions Payot & Rivages, cf.  pp. 49-54 et 74. Nous le voyons : l’« usage » s’oppose à toute forme de « domaine » et il consiste à rendre inopérants tout pouvoir et toute souveraineté.

56 G. Agamben, Homo sacer. L’intégrale, 1997-2015, Seuil, 2016. Voir État d’exception, p. 228 : « S’il en est bien ainsi, la structure de l’état d’exception est encore plus complexe que tout ce que nous avons entrevu jusqu’ici et la position de chacun des deux partis qui luttent en lui et pour lui est encore plus étroitement mêlée à celle de l’autre. Et de même que, dans une partie, la victoire de l’un des deux joueurs n’est pas, eu égard au jeu, quelque chose comme un état originaire à restaurer, mais seulement l’enjeu qui ne préexiste pas au jeu mais en résulte ; de même, la violence pure – qui est le nom que Benjamin donne à l’action humaine qui ne fonde ni ne conserve le droit – n’est pas une figure originaire de l’agir humain qui, à un certain moment, est saisie et inscrite dans l’ordre juridique (tout comme il n’y a pas pour l’homme parlant de réalité pré linguistique qui, à un certain moment, tomberait dans le langage). Elle n’est que l’enjeu dans le conflit sur l’état d’exception, ce qui résulte de lui et est uniquement de cette manière présupposée au droit. »

57 Ibidem, p. 229 : « De même que, dans l’essai sur la langue, pure est la langue qui n’est pas un instrument ayant pour fin la communication, mais se communique immédiatement elle-même, c’est-à-dire communique une communicabilité pure et simple ; de même, pure est la violence qui ne se trouve pas dans une relation de moyen par rapport à une fin, mais se tient en relation avec sa médialité même. »

58 Ibidem, p. 229 : « Ici apparaît le thème – qui dans le texte ne brille qu’un instant, suffisant cependant pour l’illuminer tout entier – de la violence comme ‘‘pur moyen’’, c’est-à-dire comme figure d’une paradoxale ‘‘médialité sans fin’’ : c’est-à-dire un moyen qui, tout en demeurant tel, est considéré indépendamment des fins qu’il poursuit. Le problème n’est pas alors celui d’identifier des fins justes, mais, plutôt, ‘‘de caractériser une autre sorte de violence, qui alors assurément ne pourrait être pour ces fins un moyen légitime ou illégitime, mais ne jouerait en aucune façon à leur égard le rôle de moyen, entretenant plutôt avec elles de tout autres rapports’’… »

59  W. Benjamin, Critique de la Violence, Payot & Rivages, Paris, 2012, p. 97 : « …Ce commandement se tient « devant » l’acte comme si Dieu « empêchait » qu’il soit accompli. Mais, aussi vrai que ce n’est pas la peur de la punition qui impose d’obéir au commandement, celui-ci demeure inapplicable et incommensurable à l’acte accompli. Aucun jugement sur cet acte ne suit. Et ainsi on ne doit ni préjuger du jugement divin sur cet acte ni du motif de ce jugement. C’est pourquoi ils n’ont pas raison, ceux qui fondent sur ce commandement la condamnation d’une mise à mort violente de l’homme par ses semblables. Le commandement n’est pas le critère du jugement, mais le fil conducteur de l’action pour la personne ou la communauté qui agit, qui, dans leur solitude, ont à se mesurer avec lui et dans des cas extraordinaires, doivent prendre la responsabilité d’en faire abstraction. »

60  W. Benjamin, Sur le concept d’histoire, Payot & Rivages, Paris, 2013, p. 54, thèse II : « La représentation de la rédemption vibre de manière inaliénable dans celle du bonheur ».

61  W. Benjamin, Sur le concept d’histoire, Payot & Rivages, Paris, 2013, p. 54, thèse II, p. 55.

62  Ibidem, p. 55.

63  Ibidem, thèse III, p. 56.

64 La trace de Saint Paul est présente dans la pensée messianique de Walter Benjamin et aussi de Kafka comme le montre Agamben dans Le Temps qui reste, cf. 231-244. Cette interprétation est sujette à discussion, cf. par exemple  Löwy, Avertissement d’incendie, p.129, n.179.  

65 G. Agamben, Conférence à Notre Dame, Jésus Messie d’Israël ? Paris, 8 mars 2009 : « C’est un temps qui pousse à l’intérieur du temps chronologique, qui le travaille et le transforme de l’intérieur. C’est, d’une part, le temps que le temps met pour finir, mais de l’autre, le temps qui nous reste, le temps dont nous avons besoin pour faire finir le temps, pour venir à bout, pour nous libérer de notre représentation ordinaire du temps. Alors que celle-ci, en tant que temps dans lequel nous croyons être, nous sépare de ce que nous sommes et nous transforme en spectateurs impuissants de nous-mêmes, le temps du messie au contraire, en tant que temps opératif (kairos) dans lequel nous saisissons pour la première fois le temps (chronos), est le temps que nous sommes nous-mêmes. Il est clair que ce temps n’est pas un autre temps, qui aurait son lieu dans un ailleurs improbable et à venir. C’est, au contraire, le seul temps réel, le seul temps que nous ayons. Et faire l’expérience de ce temps implique une transformation intégrale de nous-mêmes et de notre façon de vivre. » Voir : https://www.paris.catholique.fr/Conference-de-M-Giorgio-Agamben-et.html.

66 G. Agamben, La puissance de la pensée, Payot & Rivages, Paris, 2011, p. 263.

67  Par ce concept, Agamben nous invite à penser la vie humaine libérée de son rapport à la loi, en se demandant aussi ce qui resterait de la loi après sa déposition. Cette question met en cause l’institution étatique-juridique de la biopolitique qui réduit l’homme à une « vie nue ». L’idée d’Agamben consiste donc en la déposition de la loi, pour subvertir l’« état d’exception » qui s’impose partout aujourd’hui, mais non pas pour revenir à un véritable état de droit ni pour procéder à une déconstruction infinie de la loi sinon pour penser à ce qui viendrait avec cette déposition. La « puissance destituante » est une déposition qui porte autant vers un autre « usage » du droit et de la « justice », car en définitive aujourd’hui, selon lui, la loi se confond avec la vie, l’éthique avec le droit et le droit avec le politique ; or pour le philosophe italien la politique n’a rien à voir avec cette relation qui amalgame tout. Le « vraiment » politique est l’irrelation avec le droit, il parle d’une politique non contaminée par la violence légitime qui pose ou dépose le droit, c’est-à-dire d’une politique au-delà de la loi. C’est seulement dans ce « geste » qui expose cette « non-relation » entre le politique et le juridique que devient inopérant le fondement même de la biopolitique moderne en s’ouvrant par là un espace autre pour l’action humaine pensée comme moyen pur sans finalité.

68  Voir supra, note 7.

69 W. Benjamin, Critique de la Violence, Payot & Rivages, Paris, 2012, p. 79.

Pour citer cet article

Roberto Salazar, «« Véritable état d’exception », « violence pure » et « rédemption »», Phantasia [En ligne], Volume 7 - 2018 : Walter Benjamin. Philosophie de l'histoire., URL : https://popups.ulg.ac.be/0774-7136/index.php?id=925.

A propos de : Roberto Salazar

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