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Pierre Piret

Complexes familiaux et dispositifs spatiaux
Continuer, de Laurent Mauvignier

(Volume 10 - 2020 : Zones, passages, habitations. Les espaces contemporains à l’aune de la littérature)
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Résumé

Dans nos sociétés occidentales, la structure familiale a longtemps été corrélée à un dispositif spatial identifié : la maison, le foyer. Que devient cette corrélation à l’heure des familles dites décomposées et recomposées ? Les évolutions sont diverses et complexes, et nombre de romans contemporains en interrogent la portée et les effets. À partir d’un exemple significatif – Continuer, de Laurent Mauvignier –, je me propose de dégager quelques aspects saillants des discours contemporains sur cette corrélation entre famille et espace, et d’en situer les enjeux romanesques en analysant les narrativités alternatives requises par ces nouveaux discours.

Index de mots-clés : Mauvignier, dispositifs, contemporain, roman, œdipien, famille, Freud, Lacan

Abstract

In our Western societies, the family structure has long been correlated with an identified spatial device: the home. What becomes this correlation at the time of decomposed and reconstituted families? Evolutions are various, and many contemporary novels examine theirs values and effects. Starting from a significant example – Continuer by Laurent Mauvignier – I propose to highlight some salient aspects of contemporary discourses on this correlation between family and space.

Index by keyword : Mauvignier, devices, contemporary, novel, œdipian, family, Freud, Lacan

1L’institution familiale a beau paraître obsolète, la famille n’en reste pas moins une préoccupation majeure du sujet contemporain. Comme le constate par exemple Pierre Malengreau, alors que « l’association dite libre encourage à penser n’importe quoi », la « psychanalyse vérifie que l’être parlant pense à sa famille dès qu’on lui offre la possibilité de parler »1. De même, la tradition du roman familial, qu’on pourrait croire épuisée, conserve une évidente actualité2. Dans nos sociétés occidentales, la structure familiale, identifiée au modèle œdipien, a longtemps été corrélée à un dispositif spatial identifié – la maison, le foyer – et la tradition romanesque a analysé cette corrélation sous toutes ses formes, dévoilant ses effets à la fois structurants et aliénants. À l’heure des familles dites décomposées et recomposées, de la dégradation de la figure paternelle, de la redistribution des fonctions parentales, des nouvelles parentalités, que devient cette corrélation entre famille et espace, et comment le roman contemporain en rend-il compte ?

2Continuer, le dernier roman de Laurent Mauvignier, me semble déployer cette question de façon exemplaire. Le récit s’inscrit à l’évidence dans la tradition du roman familial, comme le montre la situation initiale. Samuel, en décrochage complet (familial, scolaire, social, moral) à la suite de la séparation de ses parents, se marginalise et sombre progressivement dans la délinquance. Après une soirée entre ados qui finit mal, sa mère, Sibylle, est sommée de venir le chercher à la gendarmerie de Lacanau. Ce sera l’élément déclencheur : effarée, elle décide de réagir pour l’empêcher de sombrer et appelle son ex-mari, Benoît, à la rescousse. Celui-ci menace Samuel de l’envoyer dans un internat catholique, mais sa mère a échafaudé un tout autre projet : elle veut « partir plusieurs mois avec lui à cheval dans les montagnes du Kirghizistan »3. D’un côté, donc, la voie paternelle, œdipienne, qui consiste à restaurer la loi, ce qui va de pair avec le dispositif spatial de l’enfermement, de la limite. De l’autre, la voie choisie par Sibylle, à savoir l’ouverture et le nomadisme.

3Cette seconde voie n’est pas simplement maternelle : elle subvertit, on le verra, la distribution traditionnelle des rôles. La décision de Sibylle est d’ailleurs diversement interprétée dans le roman : le juge, l’éducateur, le psychologue, « tous avaient salué l’initiative […], la trouvant courageuse et généreuse » (C, p. 72), tandis que Benoît comme Samuel la trouvent ridicule. De même, le lecteur se voit interpellé par cette décision qui interroge son propre rapport à la structure familiale. En se focalisant sur la relation mère-fils (cas de figure relativement rare dans l’histoire du roman, ce qui est en soi significatif), Mauvignier interroge en somme, dans Continuer, la reconfiguration contemporaine que connaît l’institution familiale. Il en analyse les conséquences quant à la constitution du sujet, dans sa relation à l’Autre (ce qui détermine les choix narratifs de l’auteur) et à l’espace.

Les complexes familiaux

4Pour situer cette subversion de la configuration dite œdipienne mise en scène dans le roman, un article de Jacques Lacan intitulé « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu. Essai d’analyse d’une fonction en psychologie » 4 peut nous servir de repère. Lacan y définit très précisément cette configuration œdipienne tout en prenant acte, en 1938 déjà, de la transformation de la famille qui s’opère avec le « déclin social de l’imago paternelle » (AE, p. 60). Lacan considère que Freud, parce qu’il a construit sa pensée à une époque donnée, dans une société patriarcale, a fait du complexe d’Œdipe la forme spécifique de la famille humaine, mais qu’il faut relativiser cette affirmation et ne pas réduire la famille au seul modèle œdipien. De ce texte long et foisonnant, je retiendrai deux propositions essentielles pour l’analyse de Continuer.

5Premièrement, Lacan y rappelle que, chez Freud, la fonction paternelle (il s’agit bien d’une fonction, qui peut être endossée par les deux parents, voire par d’autres intervenants) est double et reste inscrite « dans le psychisme en deux instances permanentes : celle qui refoule s’appelle le surmoi, celle qui sublime, l’idéal du moi. » (AE, p. 46) Le père instaure la loi (et contribue ainsi à la mise en place, essentielle, de l’interdit de l’inceste), mais il opère aussi comme un exemple auquel l’enfant peut s’identifier, sachant qu’il s’identifie, non à un modèle, mais à certains traits qu’il isole pour forger ses propres idéaux. Autrement dit, la fonction paternelle n’est pas seulement répressive – position à laquelle on a parfois ramené Lacan lui-même, lorsqu’il a mis en exergue la fonction de la loi, du Nom-du-Père comme signifiant de la loi 5. À vrai dire, comme l’a bien montré Alfredo Zenoni, Lacan s’est plutôt employé à « logifier » l’Œdipe en un « “opérateur structural” inéliminable »6, tout en soulignant que la loi demande à être tempérée, sous peine d’étouffer le sujet. C’est là l’autre fonction, humanisante, du père : la perte qu’il impose au sujet est aussi celle qui le rend désirant et qui inaugure la quête d’idéaux à partir desquels il pourra s’identifier singulièrement. Lacan note que l’Œdipe noue remarquablement ces deux fonctions, mais que d’autres modèles existent. Il évoque par exemple le modèle matriarcal étudié par Malinowski, où la fonction répressive est dévolue à l’oncle maternel, ce qui permet au père de jouer un rôle de transmission (des savoirs, des techniques, etc.). Cette « séparation des fonctions entraîne un équilibre différent du psychisme, qu’atteste l’auteur par l’absence de névrose » (AE, p. 56), sans qu’on puisse pour autant faire de ce modèle une solution parfaite : contre ce « mirage paradisiaque » (AE, p. 56), Lacan souligne que l’isolement de la fonction surmoïque (dévolue à l’oncle) génère une répression sociale très aliénante, au détriment de la fonction de sublimation.

6Deuxièmement, le modèle œdipien a pour corrélat de penser le père comme une figure, non pas seulement éducative, mais constitutive de la personnalité : c’est une construction sociale qui permet au sujet de s’inscrire dans la communauté et d’instaurer l’unité du moi, en intégrant l’expérience fondamentale de perte, d’exil liée au traumatisme de la naissance. Autrement dit, et sur ce point Lacan se distancie partiellement de Freud (AE, p. 52), l’intervention du père n’effectue pas la séparation de l’enfant d’avec la mère ; elle répète une expérience d’expulsion première – cette séparation primordiale –, mais en permettant cette fois de la méconnaître (c’est ce que Freud nomme le refoulement originaire), la perte étant alors attribuée au père et non à la condition même du sujet. L’Œdipe se présente donc comme un principe organisateur et constitutif de la subjectivité et du rapport social : il « sécurise » (Lacan parle de « défense », AE, p. 53) le sujet en faisant obstacle à son retour à la mère (ce qui signifierait sa propre disparition) et il oriente son désir vers d’autres objets, par la voie de l’idéalisation. C’est pourquoi, s’il peut y avoir dégradation de « l’imago paternelle » et donc nécessité de repenser la fonction parentale, celle-ci doit être assumée – ce qui explique sans doute l’affirmation initiale de Lacan selon laquelle la famille humaine comme institution n’est réductible ni à un fait biologique ni à une construction seulement théorique (et donc suppressible) (AE, p. 24).

Un roman à double fond

7Dans Continuer, Laurent Mauvignier prend acte de la crise de la figure paternelle et en mesure les effets, mais sans dévoiler d’emblée au lecteur les causes de cette crise. Tout au long du roman, et jusqu’aux dernières pages, des révélations successives vont éclairer tout ce qui s’est joué dans ce triangle familial.

8Au début du roman, le décrochage brutal subi par Samuel est clairement rapporté à la carence de la fonction paternelle. Après la séparation, Sibylle a quitté Paris pour Bordeaux et Samuel voit moins son père. Celui-ci entend, qui plus est, adopter une position de copain voire de complice : au chapitre 19, il est présenté comme un père actuel, qui ne prétend pas remplir une fonction à laquelle personne ne croit plus ! Sibylle, au contraire, veut maintenir intacte cette figure paternelle : elle préfère par exemple laisser croire à Samuel que c’est Benoît qui l’a quittée pour, comme elle s’en explique dans son carnet intime, ne pas entamer son image et lui permettre de jouer son rôle. Au moment où Samuel dérape, elle fait appel à Benoît, qui ne répond d’abord qu’avec réticence ; mais, lorsqu’il découvre la gravité des faits reprochés à Samuel, il change brusquement de posture et se mue en figure répressive. D’où l’alternative à laquelle Samuel se retrouve confronté, entre la position surmoïque du père (l’envoyer dans un internat catholique) et l’appel aux idéaux porté par Sibylle. On reconnaît là une répartition des rôles très stéréotypée (Samuel a d’ailleurs beaucoup de mal à supporter que sa mère ne soit pas toute mère, mais qu’elle soit femme aussi, comme cela paraît lorsqu’elle rencontre un autre homme au cours de leur voyage), qui a pour effet de disjoindre les deux versants de la fonction paternelle. Cette disjonction est bien mise en exergue par la scène initiale du roman : dans les montagnes kirghizes, Samuel et Sibylle sont encerclés par une bande d’hommes menaçants (des voleurs de chevaux, sans doute), qui les interrogent :

Pourquoi vous venez dans ce pays où il n’y a rien à faire ? Pourquoi vous avez envie de marcher si haut dans les montagnes ? Qu’est-ce que vous voulez ? Pourquoi vous venez et pourquoi une femme se promène seule avec un garçon si jeune ? Vous n’avez pas de mari ? Il n’y a pas d’homme avec vous, non ? (C, p. 10)

9À cette carence paternelle répond la présence tranquille de Toktogoul, nomade kirghize régnant en pater familias aimant sur son foyer et sur sa yourte.

10La voie choisie par Sibylle réfute cette disjonction des rôles, qui est brandie par Benoît. L’alternative que celui-ci renvoie à Sibylle est celle, bien d’actualité, entre répression et idéalisation :

Toi, comme punition, tu veux l’envoyer en vacances ? C’est ça ? J’ai bien compris ? C’est ça ta grande idée ? Ma pauvre chérie… T’as raison, t’as vraiment des valeurs de gauche… (C, p. 66-67)

11La décision prise par Sibylle s’inscrit dans une perspective très différente : il s’agit, non pas de remettre son fils dans le droit chemin (rétablir les limites, les repères, l’antienne est connue !), mais de le « sauver » (elle insiste à plusieurs reprises sur sa tendance mélancolique, son mal-être existentiel) en conjoignant les fonctions parentales – elle contraint d’ailleurs Samuel, comme il le perçoit bien (C, chapitre 20).

12Mais il s’agit surtout, on le comprend peu à peu, de se sauver elle-même. C’est ce que révèle l’arrière-fond secret et refoulé sur lequel s’est bâtie cette famille, qui va ressurgir très progressivement au cours du roman. Tout souriait à la jeune Sibylle, ses études, sa vie amoureuse avec Gaël, ses espoirs littéraires ; elle était promise à un avenir radieux, mais tout a basculé en un instant par l’effet de l’attentat de Saint-Michel, dans le RER B, le 25 juillet 1995, qui a coûté la vie à Gaël. Sibylle a alors plongé dans la dépression et gâché tout ce qu’elle avait si brillamment entamé. Elle a ensuite épousé Benoît et donné naissance à Samuel, formant une famille qui reste déterminée par ce traumatisme : Sibylle replonge régulièrement dans la dépression (elle reste alors vautrée devant la télévision, buvant et fumant) ; Benoît doit bien reconnaître, non sans amertume, qu’elle ne l’a jamais aimé ; Samuel ignore ce secret inavoué, mais en éprouve les effets. L’équilibre familial s’est maintenu vaille que vaille jusqu’à ce que Benoît conduise une de ses anciennes maîtresses au suicide. Sibylle se savait trompée et ne s’en émouvait guère ; ce qu’elle n’a pas pu supporter, c’est le suicide de cette femme, que lui a révélé le mari de celle-ci. On comprend ainsi que ce qui a conduit à la séparation, c’est une répétition de la scène traumatique initiale.

13Une tout autre interprétation du roman s’impose alors, qui prend acte de la valeur constitutive, et non seulement éducative, de l’Œdipe. La famille triangulaire, œdipienne, avait pu créer un équilibre en refoulant le traumatisme ‒ équilibre certes tout apparent et manifestement précaire tant le couple parental était désuni, le lien amoureux ne s’étant jamais noué, comme Benoît en témoigne avec amertume. Cet équilibre a volé en éclats avec la révélation de l’attitude de Benoît, dont Sibylle souligne bien la portée traumatique en la référant à l’innommable : « comment un homme pouvait avoir fait ça et continuer à vivre si… tranquillement ? » (C, p. 38) C’est autour de ce traumatisme que tout le roman gravite : il se répète dans le suicide de cette femme (dont Benoît ne mesure absolument pas la portée7), puis dans la scène de l’agression sexuelle de Viosna (une fille de sa classe dont Samuel est épris et que deux de ses amis agressent sans qu’il soit capable de réagir) lors de la soirée qui a conduit à l’arrestation de Samuel et déclenché la réaction de Sibylle. Cette répétition en série déchire le voile œdipien, ramène Sibylle au bord du gouffre, mais frappe tout autant Samuel, qui subit la même dérive mortifère :

Mais tout son corps se rétracte, la gorge lui fait mal, il a soif, […] il voudrait lâcher que sa mère et son père ont toujours été d’accord au moins sur un truc, c’est qu’ils ont toujours voulu l’éloigner, se débarrasser de lui, qu’il foute le camp, qu’il disparaisse […]. (C, p. 64)

14Au-delà de l’opposition attendue entre fonctions paternelle et maternelle, entre surmoi et idéal du moi, entre répression et éducation, la construction du roman souligne ainsi la valeur constitutive de l’Œdipe mise en exergue par Lacan, ce qu’atteste bien le fantasme de la disparition invoqué par Samuel et l’angoisse qui le saisit physiquement.

15Mauvignier analyse ainsi les effets dévastateurs de la crise du modèle œdipien sur la constitution même du sujet contemporain. C’est sur ce point précis que porte le différend majeur entre Sibylle et Benoît. Celui-ci aborde, on l’a vu, le problème de Samuel dans une perspective œdipienne simpliste : il tente de reprendre son rôle de père, c’est-à-dire de restaurer la loi sur un mode répressif. Sibylle s’inscrit dans une tout autre perspective, qui subvertit le modèle œdipien : elle n’adopte pas simplement une position maternelle (voire maternante), comme le lui reproche Benoît ; elle prend acte de ce que, dans la société contemporaine, une autre configuration familiale s’est instaurée, qui confère à l’enfant la place du symptôme. Elle comprend que son fils répète inconsciemment sa propre trajectoire, qu’il sombre dans le même trou qu’elle. Ainsi s’interroge-t-elle d’entrée de jeu sur sa propre position, sa propre culpabilité :

À moins que ce soit elle qui coule et entraîne son fils avec elle ? (C, p. 34)

Construction narrative et dispositifs spatiaux

16Laurent Mauvignier analyse cette configuration familiale en s’appuyant sur les ressorts propres du romanesque, en particulier la construction narrative et les dispositifs spatiaux. Le début du roman semble annoncer une configuration œdipienne classique jouant sur l’opposition entre la voie du père – imposer à un jeune sans repère ni limite un espace cadré, repéré, délimité, cartographié, comme l’internat – et celle de la mère – ouvrir un espace de liberté au risque de l’errance. Mais cette configuration est rapidement subvertie au profit d’un autre motif structurant, à savoir le seuil, en tant qu’il sépare, identifie et relie tout à la fois. Le seuil a une fonction essentielle de régulation entre le dedans et le dehors : il sépare tout en autorisant une circulation. C’est à ce titre qu’il structure la construction narrative du récit.

17Nous l’avons vu, la séparation produit chez Samuel un effondrement subjectif : le cadre familial, déjà inconsistant, vole en éclats et le laisse désemparé face à la question même de son existence, au « troumatisme » (Lacan) qui surgit comme un savoir insu. Cette perte de consistance subjective rend problématiques les limites du moi, l’inscription du sujet dans l’espace et le rapport au semblable. Au début du roman, Samuel, qui n’a rien d’un jeune exubérant et transgressif, répond à son mal-être par une double stratégie d’introversion et de cloisonnement. D’une part, il se coupe de ses proches en se réfugiant dans un espace clos et bien délimité :

Alors il va sortir de sa chambre, la musique à fond sur les oreilles comme pour se protéger, comme s’il ne sortait pas tout à fait de sa chambre parce que la musique lui offrait une protection. (C, p. 49-50)

18D’autre part, il instaure des frontières strictement étanches à l’intérieur de cet espace social minimal (entre « ses » vies avec sa mère, avec son père, avec sa classe, avec le petit groupe marginal qu’il fréquente).

19La construction narrative du roman renforce cet effet d’incommunication. D’une part, Laurent Mauvignier joue sur l’alternance temporelle entre le présent de l’aventure kirghize et le passé des souvenirs, depuis la jeunesse de Sibylle (dans les années 1990) jusqu’aux événements récents (de la séparation à la décision du voyage) : c’est ce procédé qui permet de construire ce roman à double fond, la révélation progressive du secret de Sibylle suscitant une réinterprétation rétroactive constante. D’autre part, et c’est de ce second procédé que découle l’effet d’incommunication mentionné, une très grande part du roman est composée des monologues intérieurs des différents personnages qui échangent très peu. Mauvignier installe de la sorte un narrateur (et donc un lecteur) omniscient, qui en sait bien plus que les personnages et qui prend ainsi la mesure du malentendu et de la tension qui règnent au sein de la famille. Même réunis au cours de leur randonnée, Samuel et Sibylle demeurent très silencieux, mais ne cessent de ruminer, de monologuer intérieurement, analysant leurs propres sentiments, tout ce qui les affecte, comme les réactions des autres.

20Le récit montre, à partir de cette situation de base, comment peu à peu du lien se retisse, comment la mère et le fils sont amenés à se réconcilier ou, plus exactement, à s’apprivoiser. C’est ce à quoi participe toute la construction spatiale de l’univers narratif. Comment le voyage contribue-t-il à cette transformation ? Pourquoi au Kirghizistan ? Pourquoi adopter le mode de vie des nomades ? Le voyage permet d’abord de soustraire Samuel à l’espace globalisé et à l’effet de segmentation, de cloisonnement qu’il autorise : il lui impose par exemple de se passer d’internet et des réseaux sociaux ! Plus fondamentalement, loin des vacances paradisiaques imaginées par Benoît (le motif de l’évasion), il a pour effet de confronter Samuel à un univers qui se signale par son ambivalence fondamentale : c’est à un espace potentiellement hostile autant qu’hospitalier que les cavaliers vont être confrontés tout au long de leur randonnée. Le roman peut aussi se lire comme le récit de la transformation de Samuel, qui va passer progressivement d’un pôle à l’autre, apprivoiser ce monde étrange. Au départ, pour répondre à son angoisse, il instaure des murs, des barrières. Il y a la barrière de la langue : il est confronté à une langue qu’il ne comprend guère, mais surtout qu’il ne veut pas comprendre (car il apprend le russe à l’école et pourrait se débrouiller) ; il ne supporte d’ailleurs pas de voir sa mère, issue d’une famille russe qui a émigré en France deux générations auparavant8, prendre plaisir à rencontrer les Kirghizes et à parler avec eux. C’est aussi la barrière de l’étranger, thème très affirmé du roman : Samuel fait tout pour éviter les rencontres, mais il est bien obligé d’en « subir » puisqu’ils logent chez l’habitant ; son angoisse culmine le jour où, Sibylle s’étant rendue dans une petite épicerie locale, un Kirghize vient lui parler (C, chapitres 41-42). C’est enfin la barrière de l’inconnu, le sentiment du danger qu’il éprouve face à ces paysages magnifiques mais hostiles. La fin du roman dévoile une transformation radicale : Sibylle étant hospitalisée à la suite d’une chute, Samuel reste seul. Il est alors accueilli par des Kirghizes qu’ils ont rencontrés auparavant : il s’intègre, parle, participe à la vie commune, s’implique dans les jeux et usages, les coutumes locales. Enfin, il admire désormais sans crainte la beauté de ce lieu désormais hospitalier.

21Le roman aborde ainsi la relation du sujet contemporain à l’espace et à l’altérité en focalisant toute l’attention sur la question du seuil : la transformation de Samuel procède, non de la suppression des seuils, des frontières, mais de leur restauration, c’est-à-dire du rétablissement de leur fonctionnalité, qui est double : séparer et relier. Les barrières mises en place par Samuel répondent ainsi à un fantasme angoissant qui hante tout le roman, à savoir la contamination. Mauvignier analyse sous cet angle le racisme larvé dont fait preuve Samuel, qui tient précisément à la peur, non du danger ou de l’étrangeté, mais bien de la contamination. D’où la portée morale de ce roman qui radiographie les malaises de notre temps et, en particulier, une nouvelle forme de racisme née de la crise du modèle œdipien et de la dérégulation du rapport à l’Autre que cette crise induit : pour résister à l’Autre qui envahit, engloutit, la solution est de lui donner un nom, « musulman » par exemple, qui permette à la fois de le cadrer et de le rejeter9, pour s’inventer « une France dans laquelle […] se sentir hors du danger de vivre » (C, p. 148). La figure de la contamination structure également le rêve à répétition que fait Sibylle depuis son arrivée au Kirghizistan : elle traverse un espace hostile, détruit, dont elle comprend progressivement qu’il fait écho à la mort de Gaël. Très significativement, elle perçoit ce rêve comme une « zone qui s’immisce » (C, p. 172) : il l’envahit sur un mode littéralement spatial. Nuit après nuit, elle est conduite de plus en plus loin dans cette traversée, jusqu’à se retrouver confrontée à Gaël qui est demeuré jeune ; elle lui demande alors de la laisser, de la laisser vivre. Ici encore, c’est l’absence de frontière, entre la vie et la mort cette fois, qui génère l’angoisse d’une immixtion aliénante :

Pendant quelques secondes l’idée qu’elle était peut-être vraiment chez les morts lui traverse l’esprit. (C, p. 177)

22Elle est alors plongée dans un état de confusion, qui la met en présence d’un monde rhizomatique qui « se déploie en lianes, en racines, […] défonce les pavés et l’ordre des idées, […] comme une tumeur, organique, viscéral » (C, p. 178), alors qu’elle voudrait « en faire un beau jardin à la française » (C, p. 177). C’est encore le même sentiment de chaos qu’éprouve Samuel lorsque Stéphane, un Français rencontré au Kirghizistan, qui a l’âge de sa mère, mais avec qui il vient de sympathiser en buvant force vodkas, évoque devant lui, comme si de rien n’était, le fait que Sibylle va coucher avec son ami Arnaud. Cette fois, c’est le seuil intergénérationnel qui vacille, laissant Samuel sans voix (C, chapitre 44)10.

23Le paradigme spatial qui structure le roman n’est donc pas celui de l’inclusion ou de l’exclusion, du dedans ou du dehors, de la fermeture ou de l’ouverture. À ces choix disjonctifs répond l’enjeu spécifique du roman, qui est de rétablir le seuil dans sa fonction régulatrice, contre la double dérive du cloisonnement, d’un côté, et de la contamination, de l’autre. La yourte kirghize en livre un bel exemple : elle offre un espace protecteur et orienté (en fonction des points cardinaux), qui permet une circulation et une communication harmonieuse et régulée :

Ce rituel, ils l’ont vu se répéter à chaque fois : chacun se déplace dans un ordre précis – homme, femme, enfant –, la vie dans la yourte s’organise dans une hiérarchie immuable, sous l’œil du tunduk, le point cardinal de la yourte qui veillera sur chacun et à la tranquillité de tous, s’arrangeant avec l’univers pour s’y lover dans le cercle parfait d’une habitation qui refuse les angles, où tout est fait pour accueillir en son sein les voyageurs et les habitants […]. (C, p. 153)

24Si la yourte est hospitalière, c’est parce qu’elle délimite un espace distinct du dehors, mais relié à lui :

Il y a toujours un homme pour expliquer qu’on doit aider celui qui passe devant la porte de notre maison : si les portes des yourtes ne se ferment pas, c’est uniquement pour respecter cette règle. (C, p. 152)

25À cette régulation – tout œdipienne, comme le montre la figure patriarcale de Toktogoul –, répond l’invention singulière de Sibylle : le voyage, tel qu’elle le conçoit, opère comme un mode de régulation non œdipien. Il n’est ni évasion, fuite vers l’ailleurs, devenir-autre, ni appropriation touristique, retour au même ; il est confrontation à l’Autre, entre hostilité et hospitalité, parce que tout à la fois il reconnaît le seuil et le franchit. Le voyage, autrement dit, n’est pas ici régi par une loi donnée d’avance, il n’obéit pas à un parcours balisé ; mais il n’est pas non plus sans loi, voué à l’errance. Et c’est son ambivalence même qui, comme celle du seuil, est structurante : elle permet de réguler le rapport à l’Autre sur un mode qui est celui de l’apprivoisement.

26Les chevaux jouent ici un rôle de premier plan : c’est par leur biais que Sibylle et Samuel vont renouer peu à peu. Samuel aime les chevaux et a beaucoup pratiqué l’équitation enfant ; Sibylle veut prendre appui sur cette passion pour le libérer – là où Benoît prétend au contraire « lui tenir la bride » (C, p. 70). Les chevaux vont précisément servir de médiateurs : entre Samuel et sa mère, entre Samuel et la nature qui l’entoure, entre Samuel et les Kirghizes. Telle est leur fonction proprement initiatique, qui se condense dans une scène très prenante : la traversée d’un marais, aux chapitres 33 et 34, qui est la métaphore de leur propre trajet. Ils se sont aventurés sur un plateau et découvrent que la fonte des glaces transforme celui-ci en marais : l’eau s’infiltre dans la terre et cette contamination des éléments s’avère délétère. Les voilà pris au piège : impossible de revenir en arrière, il faut « continuer » ! À ce moment, Sidious, le cheval de Sibylle, s’enlise et semble abandonner :

Samuel s’en rend compte et crie pour prévenir Sibylle ; elle ne peut rien faire. Alors Samuel frappe son cheval pour qu’il avance et se place à côté de Sidious comme pour lui servir d’appui, comme un étai (C, p. 115)

27Tout le roman est condensé dans cette scène qui place Samuel très exactement dans sa position de symptôme : c’est sa mère qui l’entraîne vers la mort – répétant une première expérience qu’elle avait faite seule, autrefois, lors d’une randonnée en Corse – et c’est lui qui la sauve, en venant lui servir d’étai. On comprend que Samuel est le symptôme de sa mère : il répète en même temps qu’elle l’expérience traumatique qu’elle a vécue. C’est vers cette interprétation que nous conduit le roman, dont les dernières pages nous apprennent par exemple que Sibylle a elle aussi, à la suite du meurtre de Gaël, éprouvé des sentiments racistes, ne « support[ant] pas d’échanger un regard avec un Arabe, ou quelqu’un qui pourrait lui donner l’impression de l’être. » (C, p. 228) Sibylle comprend qu’elle lui a transmis son symptôme, que l’attitude de Samuel (peur des autres, cloisonnement, racisme) n’est que la répétition non sue d’une représentation refoulée. De même, dans la scène du marais, il rejoue sans le savoir une scène traumatique originaire, dont il est très précisément le produit. À la différence que, cette fois, ils parviennent à affronter le danger et à surmonter l’angoisse, leur traversée initiatique et périlleuse les menant à un lac magnifique et accueillant.

28On mesure bien ici la valeur spécifique de l’invention de Sibylle : le nomadisme s’oppose aux dispositifs spatiaux œdipiens (les écouteurs, la chambre, l’internat) – devenus obsolètes – en transformant les barrières (désormais illusoirement) protectrices en seuils ambivalents. À l’échec du refoulement répond une autre forme de régulation, substitutive. Celle-ci conditionne l’existence même du sujet : Sibylle ne « recadre » pas (comme on dit aujourd’hui) Samuel ; elle le sauve en se sauvant elle-même – par lui (il est à la fois le symptôme et l’étai). De cette ambivalence du seuil, qui conjoint hostilité et hospitalité, le motif des écouteurs donne un autre exemple très parlant. Il s’agit encore d’un dispositif spatial, on l’a vu : Samuel s’enferme dans sa musique, s’y réfugie, pour se soustraire à l’Autre, en particulier à sa mère. Or, un jour, pendant qu’il dort, Sibylle passe les écouteurs et découvre qu’il écoute Heroes de Bowie, le morceau emblématique de sa propre jeunesse avec Gaël – ce qui a pour effet de renverser complètement la valeur de ces écouteurs : alors qu’ils instauraient une barrière infranchissable entre eux, ils deviennent le vecteur d’une transmission inconsciente, évidemment symptomatique, mais surtout porteuse d’idéaux. Car Laurent Mauvignier n’a à l’évidence pas choisi cette chanson au hasard : Bowie évoque la situation de Berlin coupée en deux par le mur et célèbre un jeune couple qui brave le danger : roi et reine, héros pour un jour, ils résistent à la tyrannie et jettent la honte sur ceux qui refusent qu’on franchisse ce mur. Sibylle transforme même la réalité historique en interprétant Heroes comme une chanson sur la chute du mur, alors que la chanson et l’album ont été enregistrés bien avant, en 1977, à Berlin-Ouest, où Bowie vivait alors. Le journal intime de Sibylle joue somme toute le même rôle, avec la même ambivalence : il est d’abord son jardin secret, où elle s’isole (ce qui énerve d’ailleurs Samuel), avant de devenir moyen de transmission. Tous ces dispositifs conduisent au dénouement lui aussi ambivalent du roman, puisque Sibylle échoue et réussit tout à la fois. Elle échoue dans son projet (ils ne terminent pas leur périple) et emmène Samuel dans la répétition symptomatique de son expérience presque fatale en Corse, comme Benoît, qui doit venir à la rescousse, le lui avait prédit. Mais elle réussit au plan de la transmission des idéaux, comme le même Benoît doit bien le reconnaître au terme du roman.

Conclusion

29Continuer : l’infinitif qui lui donne son titre parcourt tout le roman, qui joue d’ailleurs sur plusieurs acceptions du verbe. Il évoque évidemment en premier lieu la détermination remarquable de Sibylle à sauver son fils. Il résonne également avec la préoccupation spatiale du roman en l’articulant à la dimension du mouvement, soit à la relation du sujet à son environnement, au dehors et à l’Autre. Prenant acte de la dérégulation de cette relation à l’heure de la mondialisation (inutile de souligner combien la dialectique de la contamination et du cloisonnement est d’actualité), le roman identifie une modalité du malaise du sujet contemporain et s’interroge sur les issues qui s’ouvrent à lui. Par là même, il fait signe vers d’autres romans contemporains. Je songe notamment à Fuir (2005), de Jean-Philippe Toussaint, et à Je m’en vais (1999), de Jean Echenoz, dont les titres peuvent être rapprochés de celui du roman de Mauvignier dès lors qu’ils sont aussi composés d’un verbe de mouvement. J’ai montré ailleurs combien ces deux romans interrogent le désarroi du sujet contemporain face à une loi dévitalisée, obsolète, une tradition exténuée, mais qui continue cependant d’aliéner le sujet jusqu’à le rendre mélancolique11. La construction narrative de ces deux romans témoigne d’un désir de « dénouement », pour reprendre l’expression de Lionel Ruffel12 : tous deux mettent en scène un personnage privé de lui-même parce que captif d’un passé auquel il ne croit plus et dont il doit se libérer. Il s’agit en somme d’Apprendre à finir (2000), pour reprendre le titre du deuxième roman de Mauvignier, qui est contemporain de ces deux textes. Seize ans plus tard, Continuer analyse ce désarroi en l’articulant à la question de la famille contemporaine, à l’heure du « déclin social de l’imago paternelle » (AE, p. 60). Le roman en prend acte et ne propose pas, sinon comme une solution illusoire (portée par Benoît), de rétablir nostalgiquement des repères et des limites stricts. Il s’agit bien d’inventer de nouvelles formes de régulation – et c’est ce dont témoignent les dispositifs spatiaux autour desquels s’organise ce roman.

Notes

1 Malengreau Pierre, « Paroles de famille », dans Quarto, n° 88-89 (« L’enfant dans la civilisation »), décembre 2006, p. 27.

2 Cf. par exemple : Le Secret de famille dans le roman contemporain, sous la direction de Bissa Enama Patricia et Fontane Wacker Nathalie, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, coll. Littératures, 2016 ; Le roman contemporain de la famille, sous la direction de Coyault Sylviane, Jérusalem Christine et Turin Gaspard, Paris, La Revue des lettres modernes, série Écritures contemporaines, 2016.

3 Mauvignier Laurent, Continuer, Paris, Minuit, coll. « Double », 2018, 4e de couverture. Désormais : C.

4 Ce texte a paru initialement dans le tome VIII de l’Encyclopédie française en 1938 ; il a été repris ensuite dans : Lacan Jacques, Autres écrits, Paris, Seuil, coll. Champ freudien, 2001, p. 23-84. Désormais : AE.

5 Cf. Zenoni Alfredo, « D’un Père à l’autre », dans Quarto, n° 87 (« Le secret des Noms-du-Père »), juin 2006, p. 38-43.

6 Zenoni Alfredo, « Pas sans l’Autre », dans Quarto, n° 69 (« Le sujet et son maître »), janvier 2000, p. 19.

7 « Il n’avait jamais compris comment ça l’avait à ce point scandalisée. » (C, p. 57)

8 C’est un autre aspect de ce roman familial : Sibylle vend la maison de son père pour payer ce voyage. Elle semble le trahir ce faisant, mais c’est pour renouer, au travers de ce voyage, avec son histoire, sa filiation.

9 « Le nom qui effraie est aussi celui qui rassure : il donne un lieu où jeter tout ce qui nous oppresse et nous terrorise. » (C, p. 148)

10 Cette problématique des seuils intergénérationnels structure également Élève libre, film de Joachim Lafosse. La question des limites dans une société post-œdipienne me paraît centrale chez ces deux artistes. Pas étonnant, dès lors, que Joachim Lafosse ait choisi d’adapter Continuer au cinéma.

11 Piret Pierre, « Le dispositif minimaliste et la dialectique du désir (Echenoz - Toussaint) », in Représenter à l’époque contemporaine. Pratiques littéraires, artistiques et philosophiques, sous la direction de Ost Isabelle, Piret Pierre et Van Eynde Laurent, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2010, p. 325-343.

12 Ruffel Lionel, Le Dénouement, Lagrasse, Verdier, coll. Chaoïd, 2005.

Pour citer cet article

Pierre Piret, «Complexes familiaux et dispositifs spatiaux», Phantasia [En ligne], Volume 10 - 2020 : Zones, passages, habitations. Les espaces contemporains à l’aune de la littérature, URL : https://popups.ulg.ac.be/0774-7136/index.php?id=1282.

A propos de : Pierre Piret

UCLouvain – Louvain-la-Neuve

Pierre Piret est professeur ordinaire à l’Université de Louvain (Louvain-la-Neuve, Belgique), au sein des départements de langues et lettres et d’études théâtrales. Il enseigne principalement l’esthétique littéraire, le théâtre de langue française et la littérature francophone de Belgique. Il poursuit des recherches dans ces domaines en s’interrogeant tout particulièrement sur la force analytique du discours littéraire et théâtral : par quelles opérations énonciatives l’œuvre parvient-elle à analyser les malaises dans la civilisation et à y répondre ? Il s’appuie pour ce faire sur des concepts et modèles empruntés à la philosophie, à la psychanalyse freudo-lacanienne et à la linguistique générale.