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Les effets de la désindustrialisation dans une ville congolaise, Kinshasa (RDC)
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La ville de Kinshasa était un des pôles prioritaires d’industrialisation du Congo belge. Les facteurs de localisation industrielle tels que l’existence du port fluvial de Léopoldville, d’une forte demande en biens de consommation, des sources d’énergie dans le Bas-Congo, de groupes financiers étrangers ont guidé les acteurs industriels pour implanter quelques industries manufacturières entre 1900 et 2020. Le tissu industriel était composé des industries alimentaires, boissons, textiles, chantiers navals, peintures, matières plastiques, meubles, bois, constructions métalliques, cuir, emballage, sidérurgie, matériaux de construction, imprimeries, chimie, matériel de transport et cosmétiques. Une grande partie de ce tissu a disparu progressivement depuis 1969-1970. Face à cette désindustrialisation, notre objectif est de rechercher pourquoi l’activité industrielle a diminué dans ce pôle de développement. Quelles sont les conséquences de ces fermetures ? Quelles stratégies doivent être mises en place pour réindustrialiser la ville et éviter le modèle d’industrialisation coloniale ?
Abstract
Kinshasa city was one of the urgent centers of industrialization in Democratic Republic of Congo. The industrialization factors such as the presence of maritime port of Leopoldville, the strong need in goods of consumption, the existence of several energy sources in Bas-Congo; the foreign financial groups guided the industrial actors to install some manufacturing industries in the period between 1900 and 2020. The industrial corporation was made of the food industries, beverage, textile, naval paths, plastic materials, furnitures, woods, metallic brulding, material for building, librairies, printing houses, package, chemistry, transport materials and edibles, siderurgy. The dominant part of this tissue has progressively disappeard since 1969- 1970. Confronted this desindustrialization, our ambition is to know why the industrial activity has decreased in this pole of development? What are the consequences of these closings? What kind of strategies that must be used to install again the industries in this city and to avoid this sort of colonial industrialisation?
Tabla de contenidos
Introduction
1Léopoldville, actuel Kinshasa fut un grand centre d’impulsion de développement économique de la République Démocratique du Congo, en raison de la forte concentration de l’industrie manufacturière du pays par rapport à d’autres provinces. Toutefois, depuis 1970, la désindustrialisation a entrainé la récession de ce pôle. Et suite à ce problème crucial, quelques scientifiques comme Kankwenda (1979), Huybrechts et al. (1981), Maboloko (1988), Kimpala (1997), Bongo Bongo et Kitenge (2003) et Kibala (2022) ont élaboré quelques réflexions sur cette question. À travers leurs travaux, ils ont respectivement analysé la régionalisation du développement industriel de la RDC, le recul de quelques industries du pays, l’impact de l’industrie manufacturière dans le sud-ouest du pays, la reconversion des sites industriels désaffectés de Kinshasa, le déséquilibre structurel de l’industrie congolaise et l’analyse de la dynamique des espaces industriels de Kinshasa dans le cadre de l’urbanisme.
2Mais aucune de ces études n’a abordé les conséquences des fermetures des usines. D’où l’intérêt de ce travail qui propose une approche diachronique et comparative et qui repose sur les rapports annuels de la Banque centrale du Congo 1998-2017 et ceux de l’Agence nationale de promotion des investissements en vue de répondre aux préoccupations suivantes : quels sont les facteurs de la désindustrialisation de Kinshasa? Quelles sont les branches les plus touchées? Quelles sont les conséquences de ces fermetures?
3Ce questionnement nous a conduit à structurer cet article en trois parties à savoir l’industrialisation de Kinshasa, les facteurs de la désindustrialisation et enfin, les effets socioéconomiques générés par la fermeture des usines.
I. Kinshasa : Site prioritaire d’industrialisation coloniale
4La construction du port fluvial dans la baie de Ngaliema, la forte demande en biens de consommation, la disponibilité des sources d’énergie au Bas-Congo (centrales Mpozo, Sanga et Inga) et l’existence des groupes financiers belges, américains, britanniques, français, japonais (Kankuenda, 1979) favorisèrent l’industrialisation de Léopoldville. Ces implantations répondent à certains facteurs de localisation industrielle analysés en profondeur par Mérenne-Schoumaker (2002). Cette implantation se fit en trois sous-périodes.
A. La sous-période 1900-1958
5L’industrialisation débuta avec les industries alimentaires, textiles en vue de répondre à la demande locale en boissons, vivres, vêtements. L’industrie textile devait ravitailler aussi l’industrie textile belge en coton égrené et les troupes de la France libre en habillement durant la guerre (Ayipam Mbueselir, 2010, p.160). L’industrie de matériaux de construction et les peintures servaient à la construction de la ville tandis que les chantiers navals étaient utiles au montage des bateaux et des barges à exporter à l’étranger. Toutes ces unités de production étaient concentrées dans les communes de Limete, de Ngaliema et de la Gombe (Figure 1).
Figure 1. Implantation industrielle 1900-1958
6La présence du rail à Limete, de la route pouvant accueillir des poids lourds à proximité du port d’Onatra ont minimisé le coût de transport en faveur de la localisation de l’industrie tandis que, dans les communes de la Gombe et de Ngaliema, la proximité du port de Léopoldville a été un facteur favorable à l’implantation industrielle.
B. La sous-période 1960-1980
7Malgré les tourments de l’indépendance et le ralentissement du mouvement d’investissement, cette sous-période connut l’implantation des industries des matières plastiques et du caoutchouc, des constructions métalliques, du tabac, des produits pharmaceutiques, du bois, du cuir, de la peinture, du textile, d’emballage, de matériel électrique et de la sidérurgie (Figure 2).
Figure 2. Implantation industrielle 1960-1980
8Ces nouvelles implantations sont imputables à l’augmentation de la population urbaine (de 400.000 habitants à 2 millions en 1980) qui s’est accompagnée d’une forte demande en biens de consommation.
9Du point de vue spatial, ce sont les communes de Limete (67,1 %), de la Gombe (17,1 %) et Ngaliema (5,4 %) qui concentrent le plus d’industries tandis que celles de Kasa-Vubu, Mont Ngafula, Matete étant loin des ports fluviaux n’ont accueilli que quelques usines. En effet, dans le plan d’aménagement de Léopoldville de 1949-1950, les communes de Limete et de Ngaliema étaient affectées à la zone industrielle. En fait un vrai parc industriel aménagé est dénommé par certains auteurs « parc industriel » (Mérenne-Schoumaker, 2002, p.85) parce que ces zones ont été aménagées à cette fin. Cet aménagement colonial explique pourquoi bon nombre de localisations sont orientées vers Limete et Ngaliema.
C. La sous-période 1981-2020
10L’économie congolaise se dégrada ensuite à cause de la désintégration de son système productif. Et ce marasme économique affecta le tissu industriel de Kinshasa, dont un grand nombre d’entreprises (± 250 sur 500) cessa de produire. En 2010, les bailleurs de fonds reprirent les activités de financement et ont commencé à réinvestir dans le secteur industriel en privilégiant Kinshasa. Les industries alimentaires, des boissons, la pharmacie, les matériaux de construction, le bois, la peinture, le papier, le textile et les cosmétiques étaient implantés dans les communes de Limete (68,1 %), Gombe (17 %), Ngaliema (3,7 %), Barumbu (3,7 %), Kinshasa et Ngiri-Ngiri (2,2 %), Matete et Lemba (0,7 %) tel que l’indique la Figure 3.
Figure 3. Implantation 1981-2020
11L’existence d’économie d’agglomération dans les communes de Limete, de la Gombe et de Ngaliema justifie la localisation prépondérante d’usines dans ces trois communes par rapport aux autres communes. Parmi ces localisations, il y a des rachats (La boulangerie Quo vadis a été rachetée par Mama Poto, celle de BKTF par UPAK, l’Union des brasseries par Casteel Beer) et des fusions (Groupe Cha textiles et Texaf). En dehors de ces cas, il y a eu quelques nouvelles implantations.
II. Les facteurs de la désindustrialisation à Kinshasa
A. Les indicateurs de la désindustrialisation
12Pour mesurer le décrochage industriel, les scientifiques se servent de l’emploi industriel, du produit brut industriel et du nombre d’entreprises fermées.
1. Le recul du nombre d’entreprises industrielles
13L’exploitation des archives du Ministère de l’Industrie, du département du Plan et de l’Institut national de la statistique, a permis de construire le Tableau 1.
Année |
1970 |
1980 |
1990 |
2013 |
2020 |
Nombre d’industries |
517 |
342 |
347 |
215 |
187 |
Nombre d’industries fermées |
169 |
175 |
170 |
132 |
70 |
Taux de fermeture (en %) |
32,6 |
51,1 |
48,9 |
61,3 |
37,4 |
Tableau 1. Recul de l’effectif d’industries à Kinshasa. Sources :
• Département de l’économie nationale (1970). Enquêtes sur les entreprises du Zaïre, 1969-1970, Kinshasa, p.117 ;
• Département du plan (1988), Institut National de la statistique, Recensement des entreprises1981. Kinshasa, p. 40 ;
• Ministère de l’Économie et de l’Industrie du Zaïre (1997), Conjoncture économique. Condensé 1991-1997 ;
• Ministère de l’Industrie (2017), Répertoire des entreprises industrielles de la République Démocratique du Congo, Cellule d’étude et planification industrielle, Kinshasa. p. 22-23.
14Au sortir de la colonisation belge en 1960, le pays avait hérité d’une accumulation des richesses et, partant, d’une économie relativement stable. Mais, la gestion prédatrice postcoloniale plonge celle-ci dans un cycle de désintégration qui entraina progressivement la fermeture d’entreprises industrielles.
15Ainsi, en faisant le rapport entre le nombre d’industries fermées entre 1969-1970 et le nombre total d’industries de cette période, le taux de fermeture de ces entreprises était de 32,6 %. Dix ans plus tard, l’environnement économique se dégrada davantage et, par le même calcul, Kinshasa connut un taux de 51,1 % de fermeture en 1980. Par la suite, la Zaïrianisation des entreprises de 1974 associée aux pillages d’usines de 1991-1993 et au mauvais climat d’affaires mit à mal plusieurs sociétés industrielles. Le pic de fermeture fut atteint en 2013 avec un taux de 61 %.
16L’inflation monétaire (9 797 % selon le rapport de la Banque Centrale du Congo de 1995), le coût élevé de production, la corruption, la multiplicité des taxes, la concurrence des produits similaires étrangers (p.ex. wax chinois et hollandais ; pneus d’occasion importés) explique ce recul. Depuis la reprise de la croissance en 2010, un effort de réindustrialisation a fait baisser le taux de fermeture à 37 % en 2017.
2. Le recul du nombre de travailleurs industriels
17Le recul du nombre d’industries a aussi impacté négativement l’emploi industriel à Kinshasa comme l’indique le Tableau 2.
Année |
1960 |
1967 |
1970 |
1980 |
1990 |
2016 |
2017 |
Effectif |
39.666 |
45.151 |
44.000 |
38.996 |
25.241 |
13.037 |
6821 |
Solde |
- |
+5485 |
-1151 |
-5004 |
-13755 |
-12204 |
-6216 |
% de perte |
- |
+13,8% |
-2,5% |
-11,4% |
-35,3% |
-48,3% |
-47,6% |
Tableau 2. Évolution des effectifs des travailleurs. Sources :
• Département du Plan (1988), Institut national de la statistique, Recensement des entreprises de 1981, principaux résultats statistiques, direction des synthèses, Kinshasa, p.40.
• Nyoka M., (1978), L’impact de l’industrie kinoise sur le milieu, Mémoire de licence, Département de Géographie, IPN, p.118 ;
• Nkongolo K., (2021), Désindustrialisation de la République Démocratique du Congo. Typologie et essai de régionalisation, Mémoire de DEA en Sciences, Faculté des Sciences, Université Pédagogique Nationale, p.150.
18Depuis l’accession du pays à la souveraineté nationale, la ville de Kinshasa connut en fait le modèle africain d’industrialisation à savoir la création d’industries de substitution aux importations. Cette nouvelle implantation d’usines postcoloniale gonfla l’effectif des travailleurs jusqu’en 1970. Et depuis lors, le profil prit une tendance baissière jusqu’à atteindre – 47,6 % en 2017.
3. Le recul du produit brut industriel à Kinshasa
19Le dernier paramètre que les scientifiques utilisent pour mesurer et mettre en évidence la désindustrialisation est le produit intérieur brut. Il indique aussi très bien la baisse de l’activité industrielle à Kinshasa (Tableau 3).
Année |
1955 |
1970 |
1984 |
2003 |
PIB industriel en % du PIB total |
28,8 |
17,1 |
17,4 |
5,6 |
Tableau 3.
20L’industrie kinoise en tant que sous-système du système productif, a sans doute suivi la trajectoire de l’économie congolaise. Et le rapport de la Banque Centrale du Congo (1967, p.55) note : « l’industrie manufacturière est le seul secteur de l’économie congolaise y compris celle de Kinshasa qui ait connu une expansion depuis 1978. L’industrie manufacturière a progressé de 29 % entre 1958 et 1966 grâce à l’accroissement de la demande et à l’augmentation de la population urbaine ». À Kinshasa, cette tendance de progrès se manifeste par l’augmentation du PIB industriel de 2,3 % en 1970, puis de 0,3 % en 1984.
21La rentabilité du secteur des boissons, du tabac, des textiles, du bois, de minéraux non métalliques explique cette croissance. De 1984 à ce jour, le PIB industriel de Kinshasa a chuté jusqu’à atteindre -11,8 % en 2003. La disparition de bon nombre d’usines dont les causes seront développées dans le paragraphe suivant explique cette baisse.
B. Les facteurs de la désindustrialisation à Kinshasa
22Les mécanismes de la mondialisation ont affecté l’économie de la RDC et en particulier celle de Kinshasa. Le coût élevé des licences et des machines ont fait que l’industrie de Kinshasa produise à un coût élevé. Il convient d’ajouter aussi que l’orientation des investissements dans des secteurs banaux, l’achat des consommations intermédiaires à l’étranger, la carence en devises, la sous-production, l’instabilité de la monnaie congolaise et la concurrence des produits similaires étrangers (p. ex., textiles asiatiques, bière angolaise, ciment angolais) ont étouffé l’industrie kinoise. Certaines causes comme la zaïrianisation et les pillages de 1991-1993 ont également joué un rôle non négligeable.
C. Les types des branches les plus touchées par les fermetures
23L’exploitation des documents du Ministère de l’Économie et de l’Industrie, des données des enquêtes de l’Institut national de la statistique a conduit à l’élaboration du Tableau 4 qui détaille les types des branches les plus désindustrialisées, et ce par périodes successives.
1. La période 1969-1970
24En raison de la disponibilité des données relatives à la fermeture des usines, l’analyse sera focalisée sur les données de 1969-1970, moment où ce phénomène a débuté. En effet depuis 1995, le Ministère de l’Économie n’a plus organisé d’enquêtes auprès des entreprises industrielles ni publié des rapports de conjoncture économique faisant le point sur la situation industrielle.
BRANCHES |
Total des industries 1969-1970 |
Industries fermées entre 1969 et 1970 |
|
Nombre |
% |
||
Construction |
5 |
1 |
0,6 |
Industries alimentaires |
49 |
8 |
4,7 |
Boissons et tabac |
14 |
10 |
5,9 |
Corps gras |
5 |
2 |
1,1 |
Textiles |
16 |
7 |
4,1 |
Habillement et confection |
28 |
11 |
6,5 |
Bois |
22 |
11 |
6,5 |
Meuble |
58 |
4 |
2,4 |
Papeterie |
15 |
3 |
1,7 |
Imprimerie |
54 |
10 |
5,9 |
Cuir |
9 |
3 |
1,7 |
Caoutchouc |
7 |
2 |
1,1 |
Chimie |
47 |
18 |
10,6 |
Extraction du pétrole |
1 |
1 |
0,6 |
Produits minéraux non métalliques |
18 |
6 |
3,5 |
Industries métalliques de base |
5 |
2 |
1,1 |
Fabrications métalliques |
45 |
15 |
8,9 |
Industries mécaniques |
15 |
5 |
2,9 |
Industries électriques |
19 |
5 |
2,9 |
Matériel de transport |
40 |
13 |
7,6 |
Industries manufacturières diverses |
45 |
32 |
18,9 |
TOTAL |
517 |
169 |
100 |
Tableau 4. Fermetures par branches industrielles de 1969 à 1970. Source : Département de l’économie nationale (1970). Enquêtes des entreprises du Zaïre 1969-70, citées par Kimpala, p.41.
Exemples d’industries manufacturières fermées : Bktf, Quo-vadis Tarica et minoterie Bwamanda (secteur alimentaire) ; Cobega (secteur emballage) ; Fnma (secteur meuble) ; Safricas (secteur construction) ; Bata (secteur cuir) ; Esb, Sozabat et Sabuni (secteur chimie) ; Siforco (secteur bois) ; Cpa, Mova et Utexafrica (secteur textile) ; General Motors et Cyclor (secteur matériel de transport) ; Socobelam, Socalu et Sosider (secteur fabrications métalliques) ; et des imprimeries (secteur papier).
2. La période récente 2017-2020
25À l’issue des enquêtes des entreprises industrielles de 2017 et 2020, le bureau national d’étude et planification a déterminé le nombre et les types des branches les plus touchées par les fermetures entre 2017 et 2020.
Total industries 2017-2020 |
Industries fermées entre 2017 et 2020 |
||
Nombre |
% |
||
Meubles |
5 |
2 |
2,8 |
Ouvrages en métal |
6 |
5 |
7,1 |
Produits métalliques de base |
6 |
3 |
4,2 |
Produits minéraux non métalliques |
10 |
4 |
5,7 |
Articles en caoutchouc et plastiques |
24 |
4 |
5,7 |
Produits pharmaceutiques |
13 |
1 |
1,4 |
Produits chimiques |
23 |
11 |
15,7 |
Cokéfaction et fabrication de produits pétroliers |
1 |
- |
|
Imprimerie |
16 |
4 |
5,7 |
Papier et articles en papier |
6 |
1 |
1,4 |
Bois et articles en bois |
8 |
6 |
8,5 |
Cuir et articles en cuir |
1 |
1 |
1,4 |
Textiles |
2 |
- |
|
Boissons |
22 |
7 |
10 |
Produits alimentaires |
42 |
19 |
27,1 |
Cosmétiques |
2 |
2 |
2,8 |
Total |
187 |
70 |
100 |
Tableau 5. Les fermetures par branche de 2017 à 2020. Sources :
• Ministère de l’Industrie (2017). CEPI. Répertoire des entreprises industrielles de la République Démocratique du Congo, Kinshasa, 2017, p.23
• Ministère de l’Industrie (2020), Bureau national d’étude et planification industrielle en RDC, Rapport annuel d’enquête, inédit.
26Durant cette sous-période, ce sont les industries alimentaires (minoteries, boulangeries, produits laitiers), les produits chimiques, les boissons, les bois et les ouvrages en métaux qui sont les plus concernés. Le coût élevé de la production, la corruption, l’instabilité de la monnaie, la concurrence des boissons, du ciment et du sucre angolais en sont les causes.
III. Les effets de la désindustrialisation
A. Le déclin économique et hypertrophie du tertiaire informel
27La colonisation du Congo belge avait privilégié l’industrialisation de Léopoldville, tandis que l’agriculture était reléguée au second rang. Cette négligence du secteur agricole s’est beaucoup accentuée, d’autant plus que l’industrie agroalimentaire n’avait pas intégré la production agricole locale pour garantir son ravitaillement. À la longue, bon nombre d’industries agroalimentaires ont fermé. Ainsi, la ville de Kinshasa vit avant tout des importations de semoule de maïs, du riz, du sel, des poulets congelés, des abats de la volaille, des chinchards, de la viande bœuf, de la viande de porc, de la charcuterie et de produits laitiers d’origine étrangère.
28Leur achat occasionne des dépenses colossales en devises selon les différents rapports du Service congolais de contrôle.
29Dans le secteur du textile, de l’habillement et du cuir, précisément la fermeture des entreprises Mova, C.P.A, Utexafrica, Filtisaf, Bata et Alpha Shoes a placé la ville de Kinshasa dans une dépendance d’importation de la friperie, de vêtements, d’habits prêt à porter, de souliers usagés et même de chaussures neuves.
30Cette dépendance étrangère s’est aussi accentuée dans l’industrie lourde à la suite de la fermeture de la sidérurgie de Maluku en 1989. En effet, sa fermeture a mis tout le pays et en particulier Kinshasa dans la dépendance des fers à béton importés, des produits métalliques longs, des produits plats et de diverses machines qui coûtent excessivement cher au pays, accentuant de la sorte le déséquilibre commercial. À ce tableau sombre de la désindustrialisation s’ajoutent les pillages des usines General Motors et Cyclor qui ont amputé la ville de Kinshasa des usines de montage de véhicules, de motos et de vélos.
31Dans le secteur de la chimie, la ville de Kinshasa est encore fortement dépendante de l’étranger, qui lui fournit des consommations intermédiaires nécessaires au fonctionnement de certaines usines comme les adjuvants bière (boisson), la soude caustique et les colorants (savonneries), la levure (boulangerie).
32Suite à ces nombreuses fermetures, la ville de Kinshasa achète près de trois quarts d’articles, d’intrants et la totalité des machines à l’étranger. En d’autres termes, elle n’exporte rien et tous ces achats à l’étranger ont entraîné une hémorragie financière grave, qui a contribué à la transformation de la balance commerciale du pays en un déficit presque permanent (-6,3 en 2009, -5,3 en 2019 selon les rapports de la Banque Centrale du Congo).
33La désindustrialisation a parallèlement instauré à Kinshasa, une sorte de résilience qui a incité les Kinois à d’autres pratiques pour survivre. Plusieurs activités tertiaires informelles sont pratiquées : la réparation des véhicules, motos, frigos, radios, télévisions auxquels s’ajoutent les coiffeurs, les tailleurs, les forgerons et les menuisiers. Et toutes ces activités qui jadis ont occupé 75 000 travailleurs selon Pain (1984) en occupent aujourd’hui plus d’un million (Nzuzi, 2014, p.118).
34Pour Bongo et Kitenge (2003), la désindustrialisation de l’économie congolaise s’est accompagnée d’un phénomène de tertiairisation banale de l’économie qui constitue un handicap pour les pays en voie de développement.
B. Le déclin des conditions sociales
35Comme la fermeture des usines à Kinshasa a appauvri le pays en ressources financières, il va de soi que cet appauvrissement se répercute dans le domaine social. Le premier malaise le plus typique est le chômage qui, selon l’enquête EQUIBB de 2018, est de 48,2 % pour les hommes et 51,2 % pour les femmes. Ces chômeurs sillonnent presque toutes les artères de la ville, surtout autour du grand marché central, au rond-point de l’avenue Victoire et Kalamu, sur l’avenue du Commerce à la Gombe.
36En dehors du chômage, il faut aussi évoquer la pauvreté : une forte proportion des Kinois (60 à 70 %) vit avec moins de 1 $ par jour. L’étude de Lelo Nzuzi (2014, p.121) en parle en ces termes : « le projet HUP (2009) indique que 65 % des Kinois dépensaient moins de 0,5$ par jour pour se nourrir et 1 $ par jour pour ce faire. » La plupart d’entre eux logent dans les communes de Makala, Ngaba, Selembao, Kisenso, Ndjili, Maluku, Lemba, Imbu, Kimbanseke. Ensuite, la modicité de leurs ressources ne leur permet pas de se faire soigner à Kinshasa.
37En effet, les données prélevées à la Division provinciale de la santé de Kinshasa en 2022 indiquent qu’environ 2 672 711 habitants de différentes zones de santé de la capitale n’ont pas un hôpital général de référence. La carence est estimée à 28 hôpitaux généraux de référence selon les normes de l’Organisation mondiale de la santé (1 hôpital général de référence pour 100.000 habitants).
Figure 4. Taux d’insuffisance d’infrastructure médicale à Kinshasa
38Pourtant dans les hôpitaux généraux de référence le coût de soins est raisonnable par rapport aux structures médicales privées où les actes médicaux coûtent très cher. Cette situation est sans doute imputable à la désindustrialisation qui a privé le gouvernement central de la RDC de moyens financiers pour appuyer, les zones de santé en difficulté (zones de santé de Kokolo, Makala, Masina 2, Nsele, Selembao, Ndjili, Mont-ngafula, Masina 1, Matete, Ngaba Ngiri-Ngiri…).
39D’autres conséquences sociales graves entraînées par la désindustrialisation se retrouvent dans le secteur des transports en commun : les rapports de 2022 de la Division provinciale de transport et de l’Office de voirie et drainage de Kinshasa, renseignent l’existence de 274 bus de l’État, 148 bus privés, 18.700 taxis, 7300 taxi-bus et plusieurs mototaxis qui assurent les déplacements quotidiens. Mais ces moyens de transport s’avèrent insuffisants pour plus de 13 millions d’habitants. Cette carence en engins couplée à celle des routes (685,7 km de routes asphaltées, dont 29 % en mauvais état ; 2678 km de routes en terre, dont 19,3 % en mauvais état) a rendu la mobilité très pénible à cause des embouteillages sur près de la moitié des artères principales de Kinshasa. Cette pauvreté en infrastructures résulte à nouveau de l’incapacité du gouvernement central à financer les équipements sociaux quand bien même certains partenaires lui viennent en appui (F.M.I, B.A.D).
40Le même constat est également valable dans les secteurs de l’eau et de l’électricité. Les rapports des directions provinciales de la REGIDESO et de la SNEL de 2022 notent qu’il y a 19 % de clients alimentés en électricité et 62 % de ménages connectés à un réseau d’eau à Kinshasa. En soi, la demande globale en électricité est de 1399 mégawatts alors que l’offre n’est que de 460 mégawatts (32 %) ; d’où un déficit de 939 mégawatts (68 %). Ainsi, l’électricité est distribuée en système de délestage à travers les 24 communes de la ville de Kinshasa.
Figure 5. Taux des connectés à l’électricité
41Les équipements du secteur de l’eau produisent 519 248 m3 par jour, ce qui donne un déficit de 480.752 m3 par jour (48 %). Suite à cette insuffisance, 38 % de la population kinoise consomme l’eau de surface et de puits. Plusieurs cas de maladies hydriques comme la fièvre typhoïde (450 787 cas), dysenterie (81 cas), choléra (2 cas) ont été enregistrés à la Division provinciale de la santé à Kinshasa en 2022. Le nombre des cas de la fièvre typhoïde prime sur les autres cas à cause de la consommation de l’eau de surface souillée et aussi de la nourriture exposée à l’air libre dans tous les marchés de la ville qui sont insalubres. D’où la fièvre typhoïde est la plus récurrente maladie de presque toutes les formations médicales de Kinshasa.
Figure 6. Taux des raccordés à l’eau à Kinshasa
Conclusion
42La désindustrialisation de la ville de Kinshasa, bien que précoce, a des causes lointaines comme la zaïrianisation des entreprises de 1974, les pillages de 1991 et des causes plus récentes telles que la corruption, le coût élevé de production, la sous-production, la concurrence de produits similaires étrangers, l’instabilité de la monnaie congolaise et le mauvais climat des affaires. Ces fermetures ont touché le textile, le caoutchouc, les plastiques, les constructions métalliques, le bois, le meuble, le secteur alimentaire et la sidérurgie.
43Des difficultés, voire des drames socio-économiques en sont la conséquence : taux de chômage élevé (48 à 52 % selon le sexe), taux élevé de pauvreté (60 à 70 %), insuffisance de la production d’eau (-480.000 m3/jour) et d’électricité (- 939 mégawatts), insuffisance d’hôpitaux généraux de référence (déficit de 28 H.G.R), insuffisance de routes et de transport en commun, négligence de l’agriculture, forte importation de vivres, des machines, des produits métalliques, de produits chimiques et pharmaceutiques et enfin hypertrophie des activités tertiaires.
44De ce qui précède, il semble donc impérieux de rompre avec le modèle d’industrialisation coloniale et de penser à une réindustrialisation de Kinshasa qui pourrait se baser sur les stratégies suivantes :
45• Instaurer des mesures incitatives et alléger certaines taxes pour attirer les clusters, c’est-à-dire « sur un même espace géographique de taille relativement limitée, des firmes, centres de recherche-développement, universités, organismes financiers très compétitifs appartenant au même domaine de spécialisation et organisés au sein de réseaux de collaboration, à la dynamique autonome, caractérisés par une innovation continue et des transferts d’innovation » (OCO Consulting, 2005 cité par Hatem, 2007, p.19).
46• Financer l’industrie de biens d’équipement, de biens intermédiaires et de biens de consommation pour bien équilibrer la structure industrielle avec les fonds locaux qui proviendraient de plusieurs sources :
47• de la taxe de promotion industrielle (TPI) instituée par ordonnance Loi n° 89-171 du 7 aout 1989. Le taux de perception est de 2 % du prix de revient de tout article produit et/ ou vendu par une entreprise. Elle frappe toutes les marchandises importées de toute provenance, assujetties aux conditions du tarif douanier. Selon les rapports du Fond de promotion industrielle, cette taxe a rapporté 238 172 058$ entre 2012 et 2016.
48• L’argent de financement proviendrait soit de fonds dormants dans les caisses d’assurance, car les cas de sinistre ne se produisent pas tous les jours ; soit avec l’émission d’obligations souveraines comme l’ont fait le Gabon, le Ghana, le Cameroun, soit avec les réserves de la Banque Centrale du Congo conservées à l’étranger dans des titres d’État peu rémunérateurs (Boly et Keré 2017, p.55).
49• Interdire l’importation des produits similaires étrangers pour éviter d’étouffer les mêmes articles produits localement.
50• Connecter l’industrie kinoise au courant d’Inga pour éviter les générateurs qui grèvent les budgets des entreprises.
51• Créer et financer fortement un centre de recherche pour le développement industriel de la RDC en rassemblant notamment tous les jeunes chercheurs qui ont été souvent bien formés sur le territoire national ou à l’étranger .
Bibliographie
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Para citar este artículo
Acerca de: Augustin NKONGOLO KADIBIDIA
DEA en géographie sciences de l’environnement
Chef de Travaux, Université Pédagogique de Kananga
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