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- N° 178 (juin 2005)
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LE COMPLEXE D'ALLIUM AMPELOPRASUM L. EN FRANCE
Résumé
Résumé
Une révision du complexe d’Allium ampeloprasum L. en France est effectuée grâce à la synthèse des définitions des taxons concernés, d’études antérieures et d’observations sur le terrain et en culture. Allium ampeloprasum sensu stricto est un taxon d’origine incertaine pouvant mériter un rang spécifique. A. porrum L. et A. polyanthum Schultes & Schultes f. apparaissent en revanche comme deux options biologiques d’une même espèce, traitées comme subsp. porrum et subsp. polyanthum (Schultes & Schultes f.) Jauzein & J. M. Tison, comb. nov. A. commutatum Gussone semble assez bien caractérisé pour mériter un rang spécifique, bien qu'il donne lieu à des populations intermédiaires avec A. porrum sensu lato.
Abstract
Summary : The Allium ampeloprasum L. complex in France.
A revision of the Allium ampeloprasum complex in France is carried out through the synthesis of specific definitions, previous studies and observations on ground and in cultivation. Allium ampeloprasum sensu stricto is a taxon of uncertain origin which may merit a specific rank. On the contrary, A. porrum L. and A. polyanthum Schultes & Schultes f. appear as two biological options of a same species, treated as subsp. porrum and subsp. polyanthum (Schultes & Schultes f.) Jauzein & J. M. Tison, comb. nov. A. commutatum Gussone seems enough well-characterized to merit a specific rank, though giving rise to intermediate populations with A. porrum sensu lato.
INTRODUCTION
1Le complexe d’Allium ampeloprasum L. appartient au groupe à feuilles planes du sous-genre Allium au sens restreint de CHESHMEDZIEV & TERZIJSKI (1997). Nous le définirons ici de manière plus restreinte que GUERN & al. (1991). En effet, nous en excluons A. scaberrimum Serres, dont plusieurs caractères morphologiques et anatomiques semblent indiquer une lignée évolutive différente : pédoncule d’inflorescence enroulé en cor de chasse dans sa jeunesse, feuilles à faisceaux scléreux épais devenant subfistuleuses, tépales à ornementation réduite.
2Ce complexe sera donc caractérisé ainsi pour la France: sous-genre Allium, groupe à feuilles planes; tunique bulbaire non pourpre foncé (différence avec le complexe d’A. scorodoprasum L.); étamines au moins aussi longues que le périanthe (différence avec A. acutiflorum Loiseleur); pédoncule jeune non enroulé (différence avec A. scaberrimum).
3 Nous nommerons « bulbilles » les propagules végétatives formées dans l’inflorescence, et « caïeux stipités » les propagules végétatives périphériques formées sous terre, par opposition aux « caïeux sessiles », organes de remplacement normal du bulbe.
4 Les caractères spécifiques les plus fondamentaux dans ce complexe, à considérer en premier lieu par tout botaniste de terrain, sont :
5- la morphologie des papilles florales (BOTHMER, 1974, 1975);
6- la morphologie des caïeux stipités (BOTHMER, loc. cit.);
7- la longueur des tubercules foliaires marginaux (loupe binoculaire avec échelle millimétrique : examiner la partie distale de la feuille supérieure); ce caractère est signalé par la plupart des auteurs, mais généralement mal interprété ; il n’est cependant pas pris en compte par BOTHMER (loc. cit.), ce qui est à mettre en relation avec la quasi-absence en région balkanique de la plante que nous appelons A. ampeloprasum L.
8L’absence de tubercules foliaires doit faire suspecter une usure des feuilles, ce qui est fréquent lors de la floraison ; contrairement à une opinion répandue, ces tubercules, quoique très variables en taille et en persistance, sont toujours présents dans ce groupe sur les feuilles jeunes, y compris chez la plante connue comme A. polyanthum Schultes & Schultes f. .
9La microsculpture des graines est peu variable dans le complexe (BOTHMER, 1974).
1. ALLIUM AMPELOPRASUM L.
10Morphologie (Fig. 1-7)
11Caractères discriminants vs. A. commutatum Gussone :
12- papilles florales grandes, à diamètre basal dépassant 100 m, groupées en rangées à la partie médiane des tépales;
13- caïeux stipités isodiamétriques « en casque », très brièvement apiculés ou rétus, à tunique externe mate se désagrégeant rapidement;
14- filets staminaux externes toujours simples.
15 Caractères discriminants vs. A. porrum L. sensu lato :
16- tubercules foliaires marginaux dépassant 0,3 mm (examiner l’apex des feuilles supérieures);
17- papilles florales coniques, plus hautes que larges, pointues, ressemblant à celles d’A. bourgeaui Rechinger f. subsp. creticum Bothmer;
18- odeur d’ail (sécrétion à dominante allylique : BOSCHER & AUGER, 1991, 1992; MESSIAEN & al., 1993).
19 Autres caractères : grande taille (0,7-2 m); caïeux stipités peu nombreux (généralement moins de 10) ; spathe de 3 à 6 cm ; fleurs rose pourpré, relativement grandes (tépales de 5 à 6 mm), à étamines longuement exsertes. Présence de bulbilles chez certaines souches des îles Britanniques et de Vendée, par ailleurs semblables au type [var. babingtonii (Borrer) Syme].
20 Les souches à 6x (2n = 48) ont un pollen caractéristique, réduit à quelques gros grains pour la plupart micronucléés; elles semblent toujours stériles. L’unique souche à 4x connue (2n = 32) possède un pollen d’apparence normale et est fertile (C.M. Messiaen, comm. pers.).
21Certains clones d’A. ampeloprasum, dont ceux cultivés actuellement, ont un bulbe à 4-8 caïeux sessiles au lieu de 2. Ce caractère s’avère inconstant sur l’ensemble du taxon.
22La sécrétion allylopropylique a été étudiée chez les formes sauvages ou supposées telles (BOSCHER & AUGER, 1991) et chez les formes cultivées (BOSCHER & AUGER, 1992 ; MESSIAEN & al., 1993). Elle vaut à ces plantes une odeur et un goût très inhabituels pour des « poireaux », mais qui peuvent être difficiles à juger sur le terrain en l’absence d’éléments de comparaison.
23 Il n’existe aucune constante morphologique permettant de séparer les A. ampeloprasum nord-atlantiques des cultivars nommés « aulx à grosse tête », si ce n’est que ces derniers, sous leurs formes actuelles, ne sont jamais bulbillifères.
24Nombres chromosomiques
25- Plantes « sauvages » : 2n = 48 : Holm (STEARN, 1980 ; JOHNSON, 1982), Ile-d’Yeu (GUERN & al., 1991), avec idiogrammes un peu différents : présence de chromosomes inhabituellement longs chez la plante d’Yeu.
26- Plantes cultivées : 2n = 32, 48 (C.M. Messiaen, comm. pers.).
27Ecologie (hors culture) : à proximité de lieux habités ou anciennement habités; semble halophile sur l’Atlantique septentrional.
28Phénologie : un peu plus tardive que chez A. polyanthum : fin mai à début juillet.
29Répartition
30Les données sont fragmentaires.
31- Le taxon est connu en situation semi-naturelle dans les îles Britanniques (Irlande, sud-ouest de l’Angleterre et Channel Islands) et l’île d’Yeu. Compte tenu de cette localisation en marge de l’aire du complexe, dans des régions à endémisme relativement faible et en biotopes notoirement nitrophiles, on peut avoir des doutes sur sa spontanéité. Si naturalisation il y a, elle remonterait dans certains cas à l’Antiquité (STEARN, 1978) : la plante semble avoir été fort prisée des Romains, amateurs d’aulx à goût fort. Ceci n’explique pas d’où ces derniers l’auraient apportée, puisqu’elle semble quasi-absente en Méditerranée; la propagation par la culture d’une souche indigène ne peut toujours pas être exclue.
32- D’autre part on connaît un certain nombre de stations ponctuelles où la plante est manifestement une relique culturale du type « ail à grosse tête » : biotope franchement rudéral, plantes à feuilles très larges, bulbe se divisant en 4-8 caïeux, populations localisées sur quelques mètres carrés. L’intérêt est que ces formes elles-mêmes montrent des affinités pour les régions atlantiques, surtout maritimes, où les stations ne sont probablement pas très rares : île de Ré (Charente-Maritime, 2 stations, A. Terrisse, comm. pers., conf. J.M. Tison); île d’Oléron (Charente-Maritime, J.M. Tison obs.); Bouin (Vendée, J.M. Tison obs.); Marais Poitevin (Deux-Sèvres, J.M. Tison obs.); Sauveterre-de-Béarn (Pyrénées-Atlantiques, J. Vivant, comm. pers.). Ailleurs, la plante a été trouvée adventice sur une aire d’autoroute du Puy-de-Dôme (Lembron Est, J.M. Tison obs.) et dans un village grec (Lefkada, récolte J.P. Chabert 1998, conf. J.M. Tison), cette dernière observation étant la seule authentique en Méditerranée à notre connaissance.
33- En tant que plantes de jardin, les « aulx à grosse tête » se rencontrent dans le monde entier, jusqu'à La Réunion et à l’Australie, mais ils tombent aujourd’hui en désuétude en raison de leur fragilité en culture et de leur goût peu prisé (C.M. Messiaen, comm. pers.).
34- Les mentions de cette espèce en région méditerranéenne française, Corse comprise, semblent toutes dues à des confusions avec les autres taxons du complexe, principalement A. porrum sensu stricto tel que nous le définissons ici.
35Observations
36Le protologue d’A. ampeloprasum L. (LINNÉ, 1753) mentionne ce taxon à la fois en « Orient » (Maghreb ?) et à l’île de Holm (Grande-Bretagne). Le type désigné par WILDE-DUYFJES (1973) est la plante britannique, un taxon nitrophile à 48 chromosomes possédant les grandes papilles florales coniques qui caractérisent ce taxon, ainsi qu’un pollen peu abondant et micronucléé (éléments notés à G). C’est cette plante qui permet de définir A. ampeloprasum par rapport à l’agrégat porrum, avec lequel il est généralement confondu.
37Cette séparation morphologique est nette malgré l’extrême polymorphisme du groupe affine d’A. porrum L., car nous n’avons jamais trouvé, chez ce dernier groupe, les trois caractères que nous avons signalés comme discriminants (papilles florales longues et pointues, tubercules foliaires longs, odeur d’ail). Ce hiatus a été méconnu par les auteurs méditerranéens (PASTOR, 1981; PASTOR & VALDÉS, 1983; GARBARI, 1982; MAIRE & al., 1958; WILDE-DUYFJES, 1976; BOTHMER, 1974, 1975; KOLLMANN, 1971a; etc.), probablement parce que le « vrai » A. ampeloprasum est rare et surtout (ou uniquement) cultural en Méditerranée. Les tubercules foliaires et les papilles florales ne sont pas des caractères d’origine horticole, à moins qu’ils ne soient génétiquement liés à la production d’allyles, seul motif plausible de sélection dans le cas présent; cette hypothèse paraît bien improbable. Les papilles florales au moins sont considérées comme taxonomiquement importantes dans le complexe (KOLLMANN, 1971a; BOTHMER, 1970, 1974, 1975). Le taux d’allyles est moins fiable par lui-même, car peut-être influençable par l’homme : les précurseurs respectifs des lignées propylique et allylique ne diffèrent que par l’adjonction/retrait d’une molécule d’hydrogène, donc, vraisemblablement, par une seule enzyme dépendant d’un seul gène; mais dans le cas présent, sa constance et sa corrélation régulière avec les autres caractères nous semblent significatives.
38L’origine d’A. ampeloprasum reste inconnue. L’hypothèse d’une allopolyploïdie artificielle entre A. sativum L. et A. porrum L. sensu lato (MESSIAEN & al., 1993), séduisante pour les souches à 48 chromosomes en raison de leur sécrétion allylique et de la fréquence des caïeux sessiles multiples, est caduque depuis la découverte d’une souche à 32 chromosomes ayant les mêmes caractéristiques (C.M. Messiaen, comm. pers.). Les ressemblances florales avec A. bourgeaui Rechinger f. subsp. creticum Bothmer sont à notre avis fortuites, car l’appareil souterrain, les tubercules foliaires et l’odeur sont bien différents de ceux de ce dernier. Nous pensons donc plutôt à un taxon d’origine naturelle, dont les stations primaires restent à mettre en évidence si elles existent encore.
2. ALLIUM PORRUM L. SENSU LATO
39Morphologie (Fig. 8-27)
40Caractères discriminants vs. A. commutatum : comme A. ampeloprasum.
41 Caractères discriminants vs. A. ampeloprasum :
42- tubercules foliaires marginaux ne dépassant pas 0,2 mm (examiner l’apex des feuilles supérieures);
43- papilles florales arrondies, aussi hautes ou moins hautes que larges;
44- odeur de poireau (sécrétion à dominante propylique ou uniquement propylique).
45 Autres caractères : plante très variable : hauteur 0,2-1,8 m; caïeux stipités en nombre très variable, stables (stipe court) ou mobiles (stipe long : KOLLMANN, 1971, morphologie assez rare en France); spathe longue de 2 à 15 cm; fleurs blanchâtres à pourpres, très ouvertes à peu ouvertes; tépales longs de 3,5 à 6 mm; étamines subincluses à longuement exsertes. Certains de ces caractères variables semblent empiriquement liés : ainsi, les fleurs à étamines longues ont souvent aussi des tépales assez courts (3,5 à 4,5 mm) et largement ouverts.
46Le pollen peut être subparfait à totalement avorté, avec toutes les possibilités intermédiaires.
47La sécrétion d’ « Allium polyanthum » est à dominante propylique, avec un faible pourcentage d’allyles (BOSCHER & AUGER, 1992); celle du poireau bisannuel semble strictement propylique (BONNET, 1976; MESSIAEN & al., 1993).
48Nombre chromosomique : 2n = 32 en France (GUERN & al., 1991; J.M. Tison obs.). Il est probable que d’autres cytotypes (2n = 40, 48...), actuellement répertoriés comme A. ampeloprasum, seront mis en évidence en Méditerranée occidentale, mais ils n’ont pas été trouvés en France jusqu’ici. Un comptage anormal à 2n = 20 a été cité sous « A. polyanthum » (STEARN, 1980).
49Le nombre chromosomique 2n = 16 n’est pas confirmé chez A. porrum s.l. : l’indication de KOLLMANN (1972) est à rapporter à une espèce aujourd’hui séparée, A. truncatum (Feinbrun) Kollmann & Zohary; celle de CELA RENZONI (1964 : 573) concerne très probablement A. commuta-tum Gussone, espèce présente à Pianosa, car l’auteur précise « var. holmense », nom souvent utilisé naguère pour désigner cette dernière; c’est surtout l’indication de ARENDS & LAAN (1979 : 637) à Praha da Rocha (Portugal) qui semble a priori intéressante, mais l’identité de la plante étudiée par ces auteurs demande cependant confirmation.
50Ecologie : biotopes secondaires dans toute l’aire; localement biotopes primaires rocailleux ou sableux, falaises, arrière-dunes, garrigues ouvertes.
51Phénologie : avril à juillet pour les plantes sauvages; jusqu’en septembre pour le poireau bisannuel cultivé.
52Répartition : tout le bassin méditerranéen. En France, toute la moitié sud-sud-ouest jusqu'à Isère, Cher, Vendée, et toute la Corse.
53Des formes de biotopes primaires sont connues çà et là dans l’aire. En France, elles ont été détectées dans les Bouches-du-Rhône, l’Hérault, l’Aude et la Corse; la plupart sont littorales; d’autres, plus rares, sont localisées sur des falaises dans l’intérieur (Hérault : DEBUSSCHE, 1999; Bouches-du-Rhône : J.P. Chabert, comm. pers.).
54Observations
55Ce groupe kaléidoscopique a défié jusqu’ici toutes les tentatives de classification. Plusieurs auteurs ayant une bonne expérience de terrain se sont rabattus sur un point de vue très synthétique, par exemple BOTHMER (1970, 1974, 1975) et KOLLMANN (1971a, 1971b, 1972); l’espèce ainsi définie a été nommée A. ampeloprasum par ces auteurs, mais, si on sépare A. ampeloprasum sensu stricto comme nous l’avons fait, c’est le nom A. porrum qui s’applique prioritairement au reste du complexe.
56Dans tout le bassin méditerranéen, les poireaux comprennent des formes à pollen bien conformé (sauf pathologie), et des formes à pollen totalement ou partiellement mal conformé, voire absent. Il arrive souvent que des formes différentes cohabitent sans intermédiaires ou presque, surtout dans le nord de l’aire, phénomène explicable par la forte multiplication végétative. Pour la France, nous arrivons à distinguer les formes suivantes.
57- Type 1 : pollen parfait; grandes fleurs (tépales de 5 à 6 mm), de couleur claire; étamines courtes dépassant à peine le périanthe; caïeux stipités gros (7 à 12 mm), peu nombreux (10 à 20), stables ou mobiles au sens de KOLLMANN (1971a); taxon régulier dans les biotopes primaires des régions littorales, plutôt rare et souvent mal caractérisé dans les biotopes secondaires.
58- Type 2 : ne diffère du type 1 que par ses étamines longuement exsertes; ne semble connu que sur des falaises de la montagne de la Séranne dans l’Hérault (DEBUSSCHE, 1999).
59- Type 3 : pollen parfait; petites fleurs (tépales de 3,5 à 4,5 mm), d’un pourpre intense; étamines longuement exsertes; caïeux stipités petits (3 à 6 mm), très nombreux (50 à 80), stables; pratiquement aucune variabilité malgré l’aire étendue; plante nitrophile du Var à l’Hérault, cause fréquente de perplexité chez les botanistes [A. ampeloprasum sensu MOLINIER & MARTIN (1981), non L.; A. ampeloprasum var. ampeloprasum sensu GUERN & al. (1991), non L.; A. cf. pardoi sensu JAUZEIN (1995), non Willkomm].
60- Type 4 : pollen parfait; petites fleurs (tépales de 4 à 4,5 mm), de couleur claire; étamines longuement exsertes; caïeux stipités variables (3 à 12 mm), très peu nombreux lorsqu’ils existent (0 à 3), stables, souvent dépourvus de tunique externe coriace; forte tendance monocarpique; plante cultivée, parfois subspontanée et pouvant se maintenir jusqu’à une dizaine d’années (« poireau » au sens strict).
61- Type 5 : diffère du type 4 par ses caïeux stipités réguliers et plus nombreux (4 à 10); plantes anciennement cultivées (« poireaux perpétuels », « poireaux locaux » au sens de BOSCHER, 1983).
62- Type 6 : pollen partiellement à totalement avorté; autres caractères morphologiques du type 1; le plus commun en France et en Corse, en biotopes secondaires dans toute l’aire du complexe (Allium polyanthum Schultes & Schultes fil. : « In arenosis et cultis Niceae, Telonis, Narbonae, agri Ruscinonensis Tolosae », voir SCHULTES & SCHULTES, 1830). Rappelons que les feuilles à marges « lisses » souvent attribuées à A. polyanthum, à la suite du protologue («Folia plana, glabra, marginibus nec scabra nec ciliata... »), sont simplement des feuilles usées au moment de la floraison.
63- Type 7 : pollen partiellement avorté; plante différant du type 6 par ses fleurs foncées, à étamines assez saillantes; taxon nitrophile du Languedoc, du Roussillon et du Lauraguais.
64- Type 8 : pollen partiellement avorté; plantes variables paraissant intermédiaires entre les types 3 et 6, cohabitant avec ces derniers aux points de contact, certainement interprétables comme leurs hybrides.
65La situation est comparable dans la majeure partie du bassin méditerranéen, sauf peut-être l’extrême est où les populations brévistaminées semblent plus rares ou localement manquantes (J.P. Chabert, comm. pers.). Les plantes de type 3 et 8, c’est-à-dire le « poireau pourpre » et ses hybrides, semblent plus abondantes dans les régions centro-méditerranéenne et balkanique qu’elles ne le sont en France. D’après l’examen de plantes de Casamassima (Puglie, Italie), le type 3 correspond à A. atroviolaceum sensu GARBARI (1982). En Turquie, ce type 3 serait le seul représentant fréquent du complexe et resterait uniquement nitrophile (J.P. Chabert, comm. pers.), les plantes de biotopes primaires de cette région étant rapportées à A. truncatum (Feinbrun) Kollmann & Zohary.
66Des formes primaires appartenant à ce complexe et différentes des nôtres se rencontrent toutefois çà et là. Elles sont malheureusement méconnues mais leur prospection complète serait intéressante. Citons-en quelques-unes :
67- un poireau des falaises maritimes du sud du Portugal (récolte J.P. Chabert, 1999) possède des étamines très longues, des fleurs assez petites (tépales 4,5 mm), des caïeux stipités de type 1, et une allure générale rappelant quelque peu A. commutatum Gussone;
68- le poireau des Baléares (Allium polyanthum sensu PASTOR & VALDÉS) est un taxon nain et brévistaminé proche de notre type 1, mais à caïeux stipités toujours mobiles et peu nombreux;
69- les poireaux d’Andalousie, généralement à pollen parfait, montrent une gamme continue de phénotypes longi- à brévistaminés oscillant entre les types 1 et 2, à caïeux stipités stables à mobiles selon les souches;
70- un poireau des Madonie (Sicile), trouvé en bords de ruisseaux à l’étage supraméditerranéen, est proche de notre type 1 par ses fleurs et ses caïeux, mais très robuste, à spathe remarquablement courte, et à feuilles très dressées en gouttière rigide.
71 On manque encore d’informations sur la rive sud du bassin méditerranéen, mais la diversité y est également forte si l’on en juge par le travail de MAIRE & al. (1958) et par l’herbier Maire (MPU).
72 Ce qu’on sait de ces formes de biotopes primaires permet de croire qu’elles forment une mosaïque d’endémiques régionales dans tout le bassin méditerranéen, mais probablement plus nombreuses à l’ouest qu’à l’est. Au contraire, le type 3, à pollen également parfait, est répandu dans toute la Méditerranée, sauf peut-être l’extrême ouest.
73Discussion
74Des évolutions logiques semblent perceptibles à travers les différents représentants du complexe A. porrum sensu lato, tel que nous l’avons défini.
75Plusieurs éléments suggèrent que les étamines longues pourraient représenter un caractère primitif :
76- deux taxons longistaminés au moins, celui de la Séranne (type 2) et celui du Portugal, sont inféodés à des falaises et étroitement localisés, caractères écologiques attribués classiquement aux plantes relictuelles; les populations de biotopes primaires à étamines courtes paraissent moins spécialisées;
77- ces plantes de falaises sont plus fertiles et ont moins de caïeux que la plupart des autres, donc elles sont plus proches du schéma de base de la section (ou sous-genre) Allium, où la multiplication est à dominante sexuée (MATHEW, 1996);
78- les espèces supposées primitives du complexe d’A. ampeloprasum (A. commutatum Gussone, A. bourgeaui Rechinger f.) sont toujours longistaminées, comme d’ailleurs plus des trois quarts de la section Allium (MATHEW, loc. cit.).
79La plante de la Séranne et celle des falaises du Portugal pourraient donc représenter des lignées primitives du complexe.
80 En Méditerranée orientale, « A. ampeloprasum auct. » semble rare en biotopes primaires : BOTHMER (1970, 1974, 1975) en confirme très peu de stations en Crète et en Turquie et n’en a pas trouvé en Grèce continentale; par ailleurs cet auteur attribue à ce taxon des étamines courtes. En Méditerranée occidentale, au contraire, les plantes de biotopes primaires sont assez fréquentes, certaines ont des étamines longues, et certaines paraissent primitives. On peut donc supposer que, contrairement à l’idée classique, le centre de différenciation du complexe d’A. ampeloprasum pourrait être occidental. Ceci est en faveur d’une origine naturelle d’A. ampeloprasum L. sensu stricto, taxon eu-atlantique.
81Si on considère maintenant l’ensemble des poireaux, on discerne deux lignées évolutives : une à étamines longues, une à étamines courtes.
82La lignée à étamines longues, en dehors des formes supposées primitives, est représentée essentiellement par le « poireau pourpre » (type 3) et les poireaux cultivés (types 4 et 5), tous à pollen parfait, plus quelques formes primaires ibéro-marocaines avec transition vers les brévistaminées.
83Le « poireau pourpre » est nitrophile, et son aire est inhabituellement vaste pour un poireau à pollen parfait; il y a donc de fortes chances pour qu’il ait été anciennement propagé par l’homme, que ce soit comme commensal ou comme légume. Mais son origine reste inconnue. Les nitrophiles méditerranéennes proviennent souvent soit d’Asie Mineure, soit de stations méditerranéennes de balmes; la première hypothèse est peu probable ici puisque le groupe se raréfie en biotopes naturels vers l’est du bassin; il s’agit donc peut-être, là encore, d’une plante venue des falaises.
84 Le poireau cultivé bisannuel (type 4) est un taxon récent, dérivé des poireaux vivaces (type 5) depuis trois siècles au plus (C.M. Messiaen, comm. pers.) et pouvant d’ailleurs redevenir vivace par sélection en quelques générations (J.M. Tison obs.). Il est donc inadmissible de baser un rang spécifique sur son caractère monocarpique. Nous ne pensons pas non plus que les poireaux cultivés soient hybridogènes ou allopolyploïdes, car ils possèdent à la fois un pollen parfait et le niveau chromosomique le plus bas connu dans le complexe (2n = 32). Par leur morphologie florale, ils montrent de nettes affinités avec le « poireau pourpre », à tel point que nous avons envisagé que ce dernier puisse en représenter un lointain ancêtre autrefois cultivé, ou au contraire un dérivé retourné à l’état sauvage. Quoi qu’il en soit, l’espèce Allium porrum ne peut en aucun cas être limitée aux plantes bisannuelles, ni même aux plantes cultivées; on doit y inclure au minimum le « poireau pourpre » et, a priori, probablement aussi d’autres formes.
85La lignée à étamines courtes, correspondant au concept classique Allium polyanthum Schultes & Schultes f., dont le type français reste à désigner, montre une évolution différente. On peut y observer tous les stades de dégradation du pollen, sans corrélation nette avec la morphologie, depuis les formes primaires de garrigues (type 1) jusqu’aux formes nitrophiles extrêmes du type 6, à anthères vides et à tépales parfois eux-mêmes mal conformés. Les étamines courtes, lorsqu’elles sont fonctionnelles, semblent favoriser l’autogamie, les anthères s’ouvrant au contact du jeune stigmate avant l’élongation du style. On admet qu’un fort pourcentage d’autogamie ou d’apomixie favorise les mutations chez les polyploïdes; nous avons donc supposé que l’avortement pollinique était la conséquence de dérives génétiques, combinées ou non avec des hybridations entre souches différentes du même taxon.
86 Notons au passage que les entités désignées expressément comme A. polyanthum à l’étranger, par exemple par GARBARI (1982) ou par PASTOR & VALDÉS (1983), sont des plantes absentes de France, ce qui est un contresens nomenclatural, mais pas forcément taxonomique dans la mesure où il peut s’agir de formes extrêmes du même taxon.
87On note enfin des plantes hybridogènes entre les deux lignées (type 8). Ces hybrides sont fréquents dans toute la Méditerranée là où les parents cohabitent, ce qui se produit un peu partout sur l’aire du « poireau pourpre ». Le Sud-Ouest de la France entre Béziers et Toulouse, où le « poireau pourpre » semble rare ou absent, abrite une forme particulière (type 7) qui a l’apparence d’un intermédiaire fixé. Ces hybrides ou intermédiaires ont un pollen incomplet, mais le pourcentage d’avortement y est souvent plus faible que chez certaines souches à étamines courtes, et il n’est pas rare que ces plantes donnent des graines viables; ceci est en faveur d’un comportement d’amphidiploïde.
88Des croisements expérimentaux ont été réalisés entre A. porrum bisannuel et A. polyanthum mâle-stérile dans les années 1960-1970 (SCHWEISGUTH, 1972; C.M. Messiaen, comm. pers.), confirmant la fertilité de la descendance.
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