Lejeunia, Revue de Botanique

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J. BEAUJEAN

Le « Voyage de Liége » de A. P. De Candolle, 2 Juin – 2 Octobre 1810 (suite 1)

(N° 184 (décembre 2008))
Article
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119 juillet. […]. J’ai été voir le Préfet Mr de Vaublanc [Vincent-Marie Vienot de Vaublanc] chez lequel j’ai diné ; c’est un homme fort aimable, qui aime les paradoxes ; il a commencé par me dire qu’il ne croyait point à l’agriculture science et m’a montré pour preuve un cep de vigne qui fait une vrille immense devant sa maison, qui depuis trois ans donne énormément de raisin et n’a pas été taillé, mais ses branches ont été contournées pour les palisser ce qui imite le procédé de la courbure […]. J’ai vu chez le Préfet un Mr de Jaubert [Louis] bibliothécaire de la ville [Metz] qui est aimable et instruit. Nous sommes restés à une bonne et agréable conversation jusque à onze heures, et le temps nous a paru court à tous. Tout ce que j’ai appris confirme la vérité de l’annuaire stat. [istique] que j’ai et de la statistique folio que je trouverai à Paris. Je n’ai pu trouver d’ailleurs aucun écrit spécial sur ce pays. […] Toutes les collines des environs sont garnies de vignes dont le produit est considérable et s’exporte vers le nord ; sur la route des Ardennes les vignes vont à 3 lieues de de ça de Sedan ; le vin de Metz est très léger, rouge, peu foncé en couleur et en esprit, on le mele beaucoup avec ceux du midi ; leur prix est assez élevé la bouteille vaut jusqu’à 12 et 15 sols. Les vignes sont cultivées comme dans le pays de Vaud. On a depuis quelques années beaucoup multiplié le plan de Lorraine qui donne beaucoup de mauvais vin […]. Le jardin botanique [de Metz] est situé aux anciens Capucins dans un lieu abrité par une colline du Nord et de l’Ouest ; il y a près de 200 orangers assez beaux au milieu desquels on est obligé de chercher les plantes rares disposées en gradins, la serre est bien construite. On n’employe nulle part ici les poêles de fonte. Ceux de ces serres consistant en un foyer muni d’un cendrier et d’une conduite en briques qui fait le tour de la serre. Les serres à ananas sont des bâches profondes et chauffées par un poêle semblable. Coutier jardinier de cet établissement paroit un homme instruit et modeste : sa femme bavarde beaucoup sur la botanique dont elle scait quelques mots ; j’ai vu dans ce jardin quelques belles plantes qui manquent à Montpellier et que je dois recevoir à l’automne (la note en est dans mon petit carnet verd). On cultive beaucoup de pépinières dans ce pays et on expédie des arbres et surtout des fruitiers en Allemagne et même en Russie. On a ici une poire qui est exclusive, elle porte le nom de Silvange qui est celui du village ou on en a trouvé un pied qu’on montre encore ; son origine n’est pas connue ; je dois en recevoir des poires et des greffes.

220 juillet. J’ai été à Colombei [près de Metz] chez Mr de Tschoudi [Jean-Joseph-Charles-Richard] fils de celui qui a écrit sur les arbres résineux : ses plantations existent encore et je les ai visittées avec le propriétaire actuel qui après avoir été au service de Sicile est revenu dans sa terre ou il suit aux gouts de son père avec zèle et intelligence […]. Après une longue séance à Colombei je suis revenu diner à Metz chez Crassac ; le soir je suis allé promener dans une pépinière arrangée en jardin anglois avec gout. Le soir je suis allé à la Sinagogue […].

321 juillet. Samedi. Dès sept heures du matin je suis retourné à la sinagogue ou j’ai causé avec un juif riche et éclairé […] après cette visite à la sinagogue je suis allé revoir le jardin botanique puis je suis monté dans le courier de la malle pour venir coucher à Sarbruck [Sarrebruck] ; la route est celle de Mayence ; elle est légèrement montueuse, peu boisée ; le long du chemin j’ai vu beaucoup de mauvais champs, peu ou point de prairies artificielles ; à S. Avold on commence à ne parler qu’allemand. On y cultive beaucoup de pommes de terre dans un sol léger ; elles y viennent bien et bonnes ; on en exporte dans l’intérieur ; j’y ai encore vu une petite vigne.

422 Juillet. En me levant à Sarbruck [Sarrebourg] j’ai été bien désagréablement surpris quand je me suis apperçu que c’était dimanche et que par conséquent tous les atteliers chaumoient ; j’ai été voir Mr Savoye Directeur de houillère et j’ai diné ; j’ai promené dans Sarbruck et enfin j’ai écrit à ma femme, et travaillé à ma Phytotaxie et fini ma note sur Genève. Sarbruck qui signifie pont sur la Sarre est divisé en deux bourgs Sarbruck et S. Jean qui aujourd’hui ne forment qu’une mairie de 5000 âmes. […] Le climat de Sarbruck est très froid ; il y gèle jusqu’à 20° et il y a à peine 3 ou 4 mois d’un été dont la chaleur va de 16 à 20°. Les melons murissent mal ; il n’y a pas de vignes ; on cultive beaucoup de légumes à confire pour l’hiver tels que choux-raves. Tout le monde a un petit potager hord de la ville. Les haies de plusieurs sont en [Ribes] uva crispa qui ne garnit pas bien. J’ai vu un petit jardin botanique : l’Aylanthus gèle souvent et repousse du pied. Le periploca graeca prospère en pleine terre. Le Tulipier le Gincko aussi. Le Tamarix gallica souffre. Le Cneorum tricoccon périt. Le Vitex agnus ne périt pas du pied et pas toujours des branches.

523 Juillet. Dès le grand matin je suis allé avec Mr Savoye le fils voir la manufacture de faulx que son père associé avec Mrs Duhamel et Bonnace ont monté ici il y a deux ans […].

624 juillet. Ne trouvant aucune espèce de diligence je suis parti par la poste de Sarbruck : j’ai passé à Rohrbach et suis venu déjeuner à Hombourg ; toute cette route traverse un pays sabloneux ou on a peine à cheminer ; elle est dans une vallée entourée de petites éminences couvertes de bois. Hombourg est un bourg assez bien bâti ; je m’y suis arrêté parcequ’on m’avoit vanté le jardin de l’abbé Salaber [Pierre de] ; j’ai été le voir et n’ai rien trouvé qu’un jardin anglois assez bien planté mais qui n’a rien de remarquable ; il y a plusieurs Tulipiers mais aucun d’une très belle venue. Ce jardin est dans un sol humide et sabloneux au pied d’un monticule très sauvage qui je crois étoit autrefois une forteresse. De Hombourg je suis venu à Kaiserslautern en suivant toujours la route de Mayence par Mülbach et Landsthül ; cette route dans les parties anciennes est très mauvaise à cause du sable fin, mais on la refait à neuf et ce sera une des plus belles de la France […]. J’ai vu à Landsthul le Dipsacus fullonum cultivé dans les jardins. Kaiserslautern s’annonce de loin parce que la route est plantée en acacias et autres arbres. C’est une petite ville assez bien batie au milieu d’un vallon […] je n’ai trouvé aucune plante qui méritat la moindre attention. C’est ici que je commence à sentir la plus les difficultés de la langue ; tout le monde y parle allemand même les domestiques de la poste.

725 juillet. J’ai quitté Kaiserslautern et j’ai continué faute d’en trouver d’autre la même manière d’aller par la poste en louant à chaque relais une voiture qui se paye comme un cheval […]. Près de Spire j’ai trouvé le Gnaphalium arenarium [= Helichrysum arenarium (L.) Moench]. A peine arrivé à Spire j’ai été voir le sous préfet Mr Dervy [Ed. Verny] qui est zélé pour l’agriculture et avec lequel j’ai passé une après midi intéressante ; il m’a mené voir une pépinière qu’il a fondée depuis six ans dans un vaste enclos à la porte de la ville. Elle est dirigée par Mr Linz de Manheim homme qui paroit instruit et enthousiaste ; il a plus de 500 espèces d’arbres qui paroissent venir avec vigueur ; les communes et les particuliers en achètent beaucoup ; le préfet du Mont Tonnerre [Jeanbon Saint-André A.] a ordonné que toutes les routes même vicinales seroient plantées d’arbres par les riverains ce qui a beaucoup multiplié les arbres ravagés dans la dernière guerre ; on se plaint ici comme à Colmar du passage de l’armée ; de plus le sous-préfet fait planter les clairières des forêts et il a déjà fait placer 12 cent mille pieds d’arbres dans son arrondissement [...].

826 juillet. Je suis parti ce matin de Spire [Speyer] en poste ; j’ai traversé le village d’Ogerstad [Oberstadt] qui comme tous ceux des environs de Spire offre des maisons rangées le long d’une belle rue droite […]. D’Ogerstadt j’ai traversé un terrain souvent inondé par le Rhin et suis venu passer le Rhin sur un bac ; j’ai failli être obligé de rebrousser, à cause que les douaniers ne vou-loient pas me laisser passer mon argent. Après un trajet d’une demie lieue sur l’autre rive je suis venu à Schwetzinger maison de plaisance du grand duc de Baden ; il y a un jardin de botanique assez beau ; je l’ai vu avec Mr de Sayher directeur général des jardins du grand duc et avec le directeur spécial de celui de Sch. [Schwetzinger] ce jardin est surtout remarquable pour la quantité d’Erica, Diosma, Phylica, Protea et autres plantes de terre de bruyère ; j’y ai vu un pied superbe en fleurs de Dais cotonifolia et le Bocconia cordata plante très remarquable qui tient le milieu entre le Bocconia et la Sanguinaria, le Ficus nymphaeifolia, le Strelitzia vaginea et beaucoup d’autres objets rares. Le directeur m’a offert une collection de pieds vivans de ces plantes rares contre des nôtres et surtout contre des graines du midi et en particulier de Liége, ce que j’ai accepté ; il m’a fait espérer d’y joindre un jeune pied de Laurus camphora. Le climat de ce pays présente quelques bizarreries pour la température. Les platanes y ont gelé ; le Clethra arborea [pourtant originaire de Madère] s’y porte bien. Tous nos arbustes du midi n’y peuvent supporter l’hiver et l’Aukuba [Aucuba] le passe souvent. Après avoir visité la partie botanique j’ai parcouru le parc qui est immense et planté avec gout ; le château est laid ; à ses côtés sont deux orangeries demi circulaires à portiques, auquel répondent deux galeries en treillages recouverts de Vigne vierge qui font un bel effet. Il y a plusieurs bassins d’eau, et même des étangs très poissonneux, une mosquée très jolie, un temple de Mercure et un aqueduc de Rome imité assez fidèlement, des jets d’eaux historiés dans le genre de ceux de Milan, une maison de bains élégante, tout cela fait diverses perspectives dans le milieu des massifs. En promenant j’ai rencontré à ma grande surprise Henri Delessert qui promenait aussi dans le jardin avec sa femme [Alice Will], son beau père Mr Will [Louis] et sa belle sœur Mme Pilet [Adélaïde Will, épouse Pillet]. Je me suis joint à eux pour terminer ma tournée dans le parc et le soir nous sommes allés tous à Manheim loger dans la même auberge, celle de la cour palatine ; […].

927 juillet. J’ai passé ma journée à voir Manheim avec Delessert et sa famille qui y ont des connaissances […]. Nous avons été terminer la soirée au Mülhau qui est une espèce de caffé vaux hal situé dans une ile du Rhin et ou la bonne société se réunit tous les mercredis. Le soir j’ai pris congé de mes compagnons que je devois quitter le lendemain.

1028 juillet. Je suis parti de Manheim et suis arrivé de bonne heure à Frankenthal ou après un quiproquo plaisant je me suis trouvé logé dans la même auberge que Mrs Martin et Masbou avec lesquels j’ai passé la journée occupé à voir la ville et à questionner ceux qui savent assez de françois pour me répondre, savoir un notaire, le maire de la ville et un agriculteur que j’ai trouvés réunis ; le soir nous sommes allés voir la ferme d’un Mr Haas grand admirateur des français et sa fille qui parle notre langue m’a expliqué ce que je désirois. Dans le Palatinat les propriétés autrefois étoient réunies entre un petit nombre de grands propriétaires dont les paysans étoient les fermiers. A la réunion on a mis en vente un grand nombre des biens du prince ou de l’église de sorte que la plupart des paysans sont devenus propriétaires et payent leur achat sur les revenus annuels de cette terre de promission. […] La ville de Frankenthal fait une exportation considérable de plantons de choux qui vont soit dans les pays voisins soit en Allemagne : les maraîchers des environs de la ville en obtiennent une quantité énorme et outre cela plusieurs récoltes sur le même sol toujours à force d’engrais. On choisit de préférence pour cette culture les engrais provenant des rognures de peaux et autres objets analogues. On m’a assuré que dans ce pays toute espèce de production même le vin y augmente en qualité aussi bien qu’en quantité par l’abondance des engrais. Les prairies naturelles ne se trouvent que sur les bords du Rhin ; les artificielles sont toutes en assolemens réguliers ; le trèfle des prés qu’on y nomme trèfle allemand est le plus commun ; on fait la récolte de sa graine qu’on exporte dans le nord en grande quantité. L’esparcette [Onobrychis viciifolia Scop. (Sainfoin)] est aussi cultivée ainsi que la luzerne ; pour ces 3 cultures on employe un amendement qu’on apelle gypse et que je crois être de la marne ; il vient par le Neckar […]. Les céréales sont très variées ; le plus abondant est l’épautre qu’on y nomme Speltz ou Espiot et qu’on reconnoit à ses épis longs et penchés ; on en trouve de barbue et d’imberbe ; on en fait le pain blanc. Le froment (weitze) est moins abondant ; le seigle (corn) est une des céréales les plus généralement cultivées, aussi bien que l’orge (Hordeum distichum en allemand quersch) ; celui-ci sert à faire la bierre et aussi melé avec le seigle ou le froment fait le pain noir des paysans, pain que je préfère à celui de seigle ; l’avoine est aussi fort abondante on la nomme haber. Le millet se cultive ; on le nomme issche ; son produit s’exporte principalement en Hollande ; le bled de turquie qu’on trouve encore ca et la sert à engraisser les oies qui sont ici très communes ; toutes ces cultures diverses ne complèttent point encore l’agriculture variée de ce pays ; la garance ne s’y cultive presque pas et ne va guère au nord de Landau ; la betterave racine d’abondance y est très commune ; elle sert pendant l’été pour son feuillage et pendant l’hiver pour ses racines qu’on donne à manger aux bestiaux […]. Les pommes de terre sont la base de la nourriture des hommes et aussi des bestiaux ; celle qu’on cultive habituellement a la racine jaunâtre avec la peau rouge et la fleur blanchâtre. Les plantes oléagineuses sont la navette ou colsa qui se sème en automne de manière à avoir 3 pouces de hauteur au moment de la neige et qu’on recueille à la fin de juin ou au comm. de juillet ; la navette d’été qu’on sème à présent et qui est peut-être la cameline dont j’ai vu un champ et dont personne n’a rien su me dire ; le pavot est ici en petite quantité ; son huile sert pour la table ; celle des navettes pour brûler […]. Il paroit qu’il y a en général dans ce pays peu de bonne foi ; les paysans y sont instruits, rusés, très intéressés et on est obligé de mettre beaucoup de soins aux marchés que l’on fait. D’un autre côté il s’y commet peu ou point de crimes marquans ; c’est la ce qui arrive dans les pays ou le peuple est instruit. Lorsqu’il est ignorant il y a plus de grands crimes et plus de simplicité journalière.

1129 Juillet. Je suis parti de Frankenthal par la diligence pour venir à Mayence […]. J’ai passé à Vorms [Worms] petite ville assez bien bâtie, à Rosenheim, puis à Nirstein [Nierstein] village célèbre parce qu’il produit le meilleur vin de Rhin qui soit sur la rive gauche ; tous les vignobles entre Vorms et Mayence sont qualifiés de vins de Rhin […].

1230. 31 Juillet et 1 Août. J’ai passé ces trois jours à Mayence retenu par un rhume assez fort et consolé de ce contretemps par une pluie presque continuelle. J’ai travaillé à ma phytotaxie.

132 Août. Je suis parti de Mayence par la diligence pour venir à Francfort : la voiture et la route sont dures. On part de Cassel qui comme tête de pont a été depuis trois ans réuni à la France ; la contrebande l’avoit beaucoup enrichi et on y voit encore des maisons neuves faites alors et déjà inutiles. […]. Je suis descendu à l’immense auberge de Weidenhof ou le livre d’enregistrement prouve que je suis le 1348e arrivant de l’année. Le soir je suis allé au spectacle qui s’est trouvé une comédie allemande à laquelle je n’ai rien compris mais malgré cela j’ai été frappé de l’air de vérité et du don naturel avec lequel jouent les acteurs.

143 Août. J’ai été de très bonne heure chez le Dr Scherbius [Johannes] l’un des auteurs de la flore de la Vetéravie [Vettéravie, ancienne province d’Allemagne] [Flora der Wetterau] : il m’a reçu avec la franchise d’un homme qui aime vraiment la science et en cinq minutes nous avons été liés ensemble. J’ai été avec lui voir le jardin de Mr Boemer jardinier renforcé ou j’ai vu quelques objets intéressans le Yucca gloriosa passe ici en pleine terre pourvu qu’on l’empaille ; l’aloifolia qui a les feuilles plus étroites ; Mr. B. a le véritable riz sec qui paroit fort différent et dont il m’a promis des graines. J’y ai vu un pied de Dracaena draco, et un de Sacharum officinarum hauts de 20 pieds. Le Zygophyllum sessilifolium à grandes fleurs jaunes, le fabago qui placé depuis 36 ans au même lieu n’a jamais donné de boutures, le Rheum hybridum dont 1 pied porte des graines et un autre n’en a jamais, plusieurs Gentiana et Saxifraga cultivées, le Bignonia capreolata en palissade contre les murs en plein air, l’Adianthum pedatum, Onoclea sensibilis et plusieurs autres fougères, un nouveau concombre venant de la Chine, un Aloes dont les fleurs ont avorté et ont produit des rosettes de feuilles, une Ruta intermédiaire entre la R. chalepensis et la R. angustifolia, le Senecio ovatus de la flore de Vetéravie qui dans le jardin est devenu le S. sarracenicus, etc. […]. Le soir j’ai été voir le jardin de Mr Salzvedel pharmacien […]. J’ai vu dans ce jardin plusieurs choses rares et en général une végétation très vigoureuse ; la Ranunculus thora y a 1 pied d’hauteur ; la tige rameuse, les feuilles caulinaires incisées en plusieurs lobes linéaires et digités. J’ai obtenu quelques graines et la promesse de beaucoup d’autres ; dans sa serre est un pied de Ficus repens (qu’on a ici dans les jardins sous le nom de Jussioea repens) qui planté en pleine terre grimpe le long des murs et fait un effet charmant. – Excepté ce jardin je n’ai trouvé rien d’autre à voir à Francfort ; la ville est riche, populeuse (45000), aisée et respire un air de commerce et de liberté mais d’ailleurs il n’y a pas de monument remarquable.

154 Août. J’ai passé ma matinée avec Scherbius à visiter son herbier d’où j’ai tiré quelques plantes pour le mien et pris quelques notes. Un échantillon du Polygala comosa qui paroit authentique n’est bien certainement qu’une variété du P. vulgaris. Le Sonchus tenerrimus se mange en salade sous le nom de crispignio. Le Thymus hirsutus et le Saxifraga petrea ont été trouvés à Kusel par Mr. Koch [Wilhelm D. J.] de Kaiserslautern avec lequel il paroit essentiel de me mettre en correspondance. Le Potentilla cinerea Fl. Fr. est le P. arenaria de Borckhausen. Mr Scherbius est auteur d’une thèse médicale sur le Lythrum salicaria qu’il nommoit Lysimachia purpurea ; il est avec Gaertner et Meyer auteur de la flore de la Vetéravie [Vettéravie] ; il est un des membres de la société des naturalistes de la Vetéravie dont je suis ; cette société a publié 2 cahiers sous le titre de Annalen der Weterauischen Gessellschaft fur die gesammten Naturkunde. Francfort chez Friedr. Vilmans [4 vol. ont paru de 1809 à 1819] ; il n’y a de botanique qu’un mémoire de Sprengel sur les Jungermannes. Je suis convenu avec Mr Scherbius de lui envoyer des graines pour Mrs Baumer et Salzvedel et qu’il se charge de m’en envoyer de son coté. A midi je suis parti de Frankfort et suis venu coucher à Mayence.

165 Août. J’ai passé ma matinée avec Mr Ziz [Johann Baptist] à voir son herbier : il m’a donné toutes les plantes que j’ai désirées. Voici en outre quelques notes que j’en ai extraites. On trouve à Mayence Aster annuus [= Erigeron annuus (L.) Desf.] Anthemis tinctoria très commun le long des chemins, l’Hyacinthus botryoides [= Muscari botryoides (L.) Mill.] et le racemosus [= M. atlanticum Boiss. et Reut.] ; dans les prés humides entre Bodenheim et Laubenheim croit l’Iris spuria et le Senecio aquaticus. Le Leontodon incanum de Pollich est le L. hispidum d’après Koch et Ziz. Les Stipa capillata et pennata croissent à Monbach. Les Myosotis scorpioides et ß se distinguent bien par les poils du calice couchés de l’un dressés avec le sommet crochu dans l’autre. Le Camphorosma monsp. de Pollich est le Salsola arenaria, l’Androsace maxima croit à Niederelm, l’Onosma echioides se recueille ici et se vend aux pharmaciens pour la racine d’Anchusa tinctoria. Les graines de psyllium sont employées ici par les femmes pour laver les linges fins à couleur délicate ; les phamaciens en ont pour cela seul. Le Verbascum pulverulentum était à Hardenmuhl ; l’Epilobium parviflorum qui paroit mon molle a la fleur purpurine. Pendant quelque temps on a ramassé ici les racines du Polygonum persicaria qu’on vendait aux pharmaciens pour Polygala amara. Mr Ziz a fait tomber ce commerce en le démasquant dans son voyage du midi il a trouvé le Polygala saxatilis à Sigean et le monspeliaca (vrai) à Marseille. J’ai eu la visite d’un Mr Gasc [Jean-Pierre] professeur au lycée qui m’a parlé d’un mémoire qu’il va publier sur l’électricité des végétaux ; il croit que c’est elle qui opère la fécondation et a la dessus des idées fort mal digérées, mais il affirme que si une bouteille de Leyde chargée est présentée aux étamines elles divergent et s’écartent tandis que les styles convergent et s’en aprochent ce qui prouverait que les pistils sont négatifs et les étamines positives comme la nature résineuse du pollen peut le faire croire. Il m’a montré le cabinet de physique et de minéralogie qui est un reste encore assez précieux de ce qu’avait l’ancienne université. Mayence se distinguoit par son gout pour les sciences et a tout perdu à cet égard : elle tend à devenir ville de garnison et de commerce : à ce dernier elle a prospéré mais moins qu’on aurait pu l’espérer. L’Ecole de médecine est payée et n’a pas d’élève ni de possibilité de conférer des grades ; il n’y a aucun homme marquant pour les sciences ; la ville est grande assez mal bâtie très mal percée sauf la grand rue et quelques autres accessoires ; il y a encore plusieurs ruines du temps du siège ; la cathédrale est un immense bâtiment de pierre rouge flanqué de maisons de tous côtés […]. En dehors de la porte Muester est un cimetière tout récent entouré d’une haie vive d’acacias et d’un rideau de peupliers. On y plante des rosiers sur les tombeaux. Près de là le Préfet Jeanbon St André [André] veut faire un jardin botanique.

176 Août. Je suis parti de Mayence avec Mr Daburon inspecteur général de l’université impériale. Nous sommes jusqu'à Bingen par le bateau en suivant le Rhin […]. Ingelheim est l’ancien séjour favori de Charlemagne qu’on y voit encore quelques restes de son palais : l’Empereur [Napoléon Ier, le Grand (1769-1821) ] y est venu et a fait élever sur la route une statue à Charlemagne […]. De Bingen nous avons pris la poste pour venir à Creuznach [Kreuznach] […] à Creuznach je suis allé voir Mr. van Recum [André] législateur auquel Mr. de Lezai m’avoit adressé ; il m’a retenu à loger chez lui.

187 août. J’ai passé ma matinée à voir avec Mr. van Recum son domaine et la culture du pays en détail et je ne pouvois mieux m’adresser : il a un esprit net, connoit bien l’agriculture de son pays qu’il a décrite dans un mémoire couronné par la Soc. d’Agr. de Paris. Le domaine de Mr. v. R. est heureusement situé pour mon but ; c’est un triangle montueux, cerné au sud par la Nahe au nord par un ruisseau qui s’y jette et au 3e côté par une clôture artificielle il unit tous les terreins, toutes les cultures et les expositions ; sa maison située au Nord est au pied d’un coteau couvert de bois ; la totalité n’est que de 150 arpens et c’est la plus grande propriété du pays. Le fond du terrein est ce même roc rouge de grès ferrugineux qui suit toujours en venant des Vosges mais il y a des parties argilleuses dans celles-ci. […]. La culture du tabac commence à s’introduire ici avec succès ; on y cultive presqu’uniquement le tabac d’hollande qui est celui à large feuille ; on essaye à présent celui du Brésil qui est le N. rustica. Le tabac de Creuznach est préféré par les fabricans à celui de Spire ; on croit que le terrein plus substantiel lui convient. […] Les pommes de terre ont pour emploi principal de servir à la distillerie ; la distillation se fait en écrasant les pommes de terre entre deux rouleaux en mélangeant cette pâte avec ½ de seigle ou d’orge concassé ; on fait distiller dans une chaudière à alambic simple ; on retire une eau de vie de 17 à 18° très dure et mauvaise mais qui plait aux gens du peuple et dont la vente paye la fabrication ; le vrai profit consiste dans le résidu de la distillation ; c’est une pâte dont on nourrit les vaches et les bœufs et qui convient beaucoup à leur santé, tandis que la pomme de terre crue est nuisible. […] La qualité des jambons de Mayence qui au reste viennent de Vestphalie paroit tenir à leur préparation à la fumée. La ville de Creuznacht a 6000 âmes ; elle est à moitié à droite et à gauche et il lui conviendrait à tous égards d’être réunie au dépt. du Mont Tonnerre. […] On fait ici de la bière avec l’orge du pays et le houblon d’outre Rhin, de l’eau de vie de Quetsches, un peu de kirsch, et du cidre avec les bonnes pommes à manger ; ce cidre se consomme dans les ménages. On est en arrière pour les variétés de fruits : il y avait autrefois une école d’agriculture à Kaiserslautern qui est aujourd’hui transférée à Heidelberg. […]. Après cette journée utilement employée j’ai pris congé de Mr v. R. homme froid, qui a du sens des connoissances du désir du bien ; il m’a offert de me donner dans la suite les renseignements dont je pourrois avoir encore besoin sur ce pays.

198 Août. Je suis reparti de Creuznach en poste avec Mr Daburon pour venir à Trèves ; nous nous sommes dirigés d’abord sur Simmerns chef lieu de la sous préfecture par lequel passe la route de poste […]. Simmerns est un bourg situé au fond d’un vallon si étroit qu’on apperçoit à peine la ville avant d’y pénétrer. A l’entrée est un tilleul autour du quel est une estrade circulaire qui sert pour danser des valses, au dessus de cette estrade et dans le feuillage est une 2ème pour les musiciens. De Simmerns nous sommes à Kirchberg en parcourant un pays analogue au précédent plus découvert et plus inégal. […] Nous avons attendu 2 heures à K. a cause de la pluye et du manque de voitures ; ce village dépendoit autrefois de Baden. On y a encore des jachères dans les parties cultivées, la vaine pâture et tous les abus de la mauvaise culture ; on y cultive du chanvre et du lin qui comme dans tout le Hundsreck passa pour être de fort bonne qualité ; beaucoup de pommes de terre qu’on distille rarement. Nous sommes parti de K. dans une charrette et sommes venus coucher à Montzelfeld [Monzelfeld] […] Montzelfeld est un petit village qui vit soit de l’agriculture soit du travail de mines de cuivre dont il est voisin. […] C’est dans ce village et dans l’auberge de la poste ou nous étions que le roi monsieur comme m’a dit l’hôte attendait Louis XVI quand il fut arrêté [le 22 juin 1791] à Varennes [Varennes-en-Argonne].

209 Août. Nous sommes repartis de Montzelfeld pour nous aprocher de Trèves […]. j’ai passé le reste de la journée à mettre mon journal à jour.

2110-12 Août. Séjours à Trèves […]. Cette ville n’étoit pas résidence du Prince et n’étoit gouvernée qu’avec beaucoup de négligence et de cagoterie ; elle est devenue chef lieu de préfecture, siège de Cour d’Appel etc. Ces autorités y ont attiré des habitans et un peu plus de commerce ; celui-ci se réduit au commerce de consommation excepté le transport des bois, des vins et quelques autres objets semblables pour la Hollande ; j’ai trouvé ici deux annuaires très détaillés sur toute la description du pays et suis dispensé par là d’entrer ici dans beaucoup de détails. […]. Il y a ici des antiquités remarquables ; des restes de bains romains, les restes d’un cirque et ceux d’un amphithéâtre au coté Sud de la ville, mais surtout l’église de S. Siméon qui est très singulière ; son dessin se trouve dans l’histoire de Trèves : elle offre 3 étages l’un sur l’autre ; chaque étage est une église et paroit construit dans une date différente, le plus ancien est attribué aux Gaulois, l’intermédiaire aux Romains, le dernier aux Modernes. […]. J’ai beaucoup vu le directeur Mr Wittenbach qui est en même temps bibliothécaire de la ville : c’est un homme aimable et instruit. La bibliothèque est très considérable de 120 mille volumes, mais beaucoup de théologie : elle est riche en bons ouvrages d’histoire et depuis quelques temps se munit de livres relatifs aux sciences physiques ; j’y ai trouvé mes plantes grasses qui m’ont fait connoitre de Mr Wittenbach comme Yorick [personnage bouffon que W. Shakespeare a introduit dans Hamlet] dans Sterne [Laurent, écrivain anglais]. Il m’a donné un petit ouvra-ge de Botanique du 15e siècle en vers avec figures par Macer [Macer Floridus]; ce livre n’est cité dans aucune bibliographie de la science. J’ai vu à la bibliothèque la fameuse bible de Mayence 1er ouvrage imprimé en caractères mobiles. Il n’y a pas de préfet en ce moment : l’ancien, Mr Rudler [François Joseph] a été destitué à cause des insurrections qui ont eu lieu pour la levée de la garde nationale. Le conseiller qui le remplace Mr. Guerartds [Gerhards] m’a mené voir les deux jardins de Mrs Nell. Celui qu’on nomme Nellen-Landchin est au nord de la ville dans un bas fond qui étoit un marais et que le chanoine Nell a changé en un jardin dans le genre hollandais ; il y a creusé des canaux navigables et élevé des isles diversement ornées ; tout cela est semé de petites fabriques et planté d’arbres peu variés ; il y a quelques tulipiers et un beau Cupressus disticha. [Taxodium distichum (L.) L.C.M. Rich.]. Cet endroit est agréable dans la grande chaleur mais je l’ai vu par un jour froid et pluvieux. […] J’ai vu de Mathias avec son gendre Mr Eichols juge de la cour d’appel qui m’a demandé des graines de céréales du midi à adresser au Préfet pour la société des recherches utiles. Cette société fondée depuis deux ans s’occupe exclusivement de l’étude et de l’amélioration du pays et paroit animée du meilleur esprit. Elle a recueilli des morceaux d’antiquités, des minéraux en grande quantité, un herbier dont Mr Gerards [Gerhards] a la direction ; il se propose de donner la flore du département. Il y a près de Trèves plusieurs houillères et le pays est généralement schisteux. Dans l’Eiffel pays volcanique près de Prümm on trouve la Gentiana lutea le Veratrum nigrum et d’autres plantes alpines. La ville de Trèves avoit autrefois une bonne université et en a conservé du gout pour l’instruction. Comme elle étoit mal gouvernée par ses Evêques elle est bien aise d’être françoise et le témoigne. […].

2213 Août. Je suis parti de Trèves avec la diligence de Luxembourg […]. Le village d’Igel ou l’on passe est remarquable par un monument très ancien ; c’est une espèce de colonne à 4 faces chargées d’inscriptions illisibles et de beaux bas reliefs ; on dit que c’est dans ce village qu’est né Caligula dont le nom seroit une corruption de Caius igelensis. Je me suis arrêté à Grevenmacher pour voir le jardin de Mr Thierry qui n’en vaut guère la peine ; on y voit toutes les plantes communes dans les jardins d’amateur ; la seule chose qui m’aye fait plaisir est un beau pied de Sempervivum glutinosum [= Aeonium glutinosum (Ait.) Webb et Berthelot : plante originaire et endémique de Madère, déjà cultivée au Jardin botanique de Montpellier en 1804. De Candolle en fit réaliser une aquarelle sur vélin par Toussaint-François Node-Véran (1773-1852), entre 1810 et 1816] en fleurs et très remarquable en effet par sa viscosité […] J’avais avec moi dans la diligence un Mr Beausse de Creange [Beausse de Créhange] avec sa fille établie à Carlsruhe qui était aimable et dont la société m’a désennuyé dans cette route monotone. L’aspect de Luxembourg en arrivant par Trèves est extrêmement pittoresque et singulier. La ville est séparée du reste du pays par un précipice.

2314-16 Août. J’ai passé ce temps à Luxembourg fort ennuyé et impatienté et de la pluye presque continuelle et du froid, et d’un violent mal de gorge que m’a donné cette température hivernale et de ne trouver ici ni préfet [A. J. Jourdan] ni personne auprès de qui je puisse trouver des renseignemens ni de livres relatifs à ce pays. Aussi j’ai passé mon temps au coin du feu à écrire des lettres et à travailler à la partie de mon ouvrage relative aux principes de la nomenclature et de la terminologie : j’en suis à peine sorti le 15 pour aller par la pluye voir un moment la fête. La ville de Luxembourg même vue aussi mal me laissera des souvenirs […] L’usage du françois y est très répandu mais le fond de la langue est un patois allemand que dit on les allemands ont beaucoup de peine à entendre. Il y a ici un petit commerce de consommation dont les articles se tirent tous de Metz. On n’y cultive point de vignes ; les fruits mêmes viennent de Metz.

2417 Août. Je suis parti de Luxembourg par la diligence de Namur qui va à très petites journées ; je m’y suis trouvé avec une dame de Bruxelles qui s’est trouvé l’ancienne duchesse de Looz qui venait de Plombières. Nous sommes venus diner à Arlon gros bourg à quelques lieues à l’Ouest de Luxembourg : le pays est cultivé comme à Luxembourg en avoines céréales et peu de prairies : il repose tous les 3 ans. Après avoir passé Arlon on entre dans l’Ardenne c'est-à-dire dans ce vaste espace de landes et de forêts qui va de Rocroi jusques près de Coblentz : nous sommes venus coucher à Martelange qui dans l’Ardenne au bord de la Sure et près de la grande forêt d’Hanlier [Anlier] qui a donné son nom au département [Forêts] : le terrain est très montueux mais de peu plus élevé que Luxembourg ; il est généralement d’un schiste argilleux ; ça et la on y trouve quelques landes calcaires : de tous côtés on y voit des landes couvertes d’un gazon fin et ne portant que des Spartium junceum [Genêt d’Espagne. Cette identification est surprenante : il s’agit sans doute de Cytisus scoparius !] dont on brule les troncs et dont les branches servent de litières ; il y a aussi assez d’Erica vulgaris. L’aspect du pays ressemble à la basse Bretagne. Les habitans même ressemblent aux bas bretons de corps et de caractère. L’agriculture est dans l’état le plus misérable […] Le maire de Martelange et un de mes compagnons de voyage m’ont donné la limite des langues dans ce département ; elle est nottée sur ma carte.

2518 Août. Nous sommes partis avant jour de Martelange ; en en sortant on monte une côte très rapide qui conduit à un plateau plus élevé et plus nud ; on fait plusieurs lieues sans voir ni habitation ni champs cultivés ; nous avons à Malmaison hameau qui parle wallon ou françois ; diné à Ramont [hameau de Tenneville] qui est du pays wallon. Nous sommes venus coucher à Marche en famenne (On la nomme en plaisantant Marche en Famine à cause de sa stérilité comparée à la Belgique ; ce nom de famenne n’a plus de sens depuis longtemps ; les fameniens sont un des peuples de ce pays mentionné par César) : on descend beaucoup pour y arriver ; Ramont est à peu près le point culminant de cette petite chaine de l’Ardenne […]. Marche est un bourg chef lieu de sous préfecture très mal pavé ; ses environs sont plus cultivés que l’Ardenne ; une longue allée de tilleuls conduit à une éminence ou est une chapelle. L’auberge ou j’ai logé est régie par l’hôte la plus impolie que j’aye encore rencontrée en voyage ; mais dans ce pays perdu on est encore heureux d’y trouver des auberges. Je comptais aller d’ici à Malmedi directement mais je n’ai pu trouver de voiture qui voulut faire cette route tant elle est mauvaise. Je me suis donc décidé à aller à Liége.

2619 Août. Je suis parti de Marche dans un petit cabriolet pour venir à Liége. De Marche à Somme [Somme-Leuze] on traverse des monticules schisteuses qui sont les derniers chaînons des Ardennes et qui participent à sa stérilité qui va en diminuant depuis Marche ; après Somme on entre dans le Conderot [Condroz] ; c’est le nom du pays qui se trouve entre la Meuse, l’Ourte et l’Ardenne ; il est de nature calcaire, plus fertile et mieux cultivé que l’Ardenne : on y voit beaucoup de maisons de campagne et de châteaux ; celui de Mr Merci d’Argenteau est remarquable par sa grandeur ; le pays est inégal couvert ça et la de petits bois, très favorable pour la chasse que les seigneurs Liégeois passionnent ; il est cultivé en avoine, épautre, orge, un peu de seigle et de pommes de terre ; il y a quelques prairies de trèfles mais en petit nombre. Le bord des routes dans l’Ardenne près Somme [Somme-Leuze] m’a offert le Carduus marianus [= Silybium marianum (L.) Gaertn.] Carduus acaulis [= Cirsium acaule Scop.], qu’on trouve aussi dans le Conderot [Condroz], Galium verum dans les fentes d’ardoise, etc. Je suis venu diner à Hochin ou Hochier [Ochain, Ocquier] ou est le château de Mr de Merci. L’auberge est une belle et riche ferme remarquable par la propreté et l’ordre de la maison : il y a un tilleul qui porte une salle qui sert de vide bouteille située sur ses maitresses branches […] de Hochier j’ai passé à Terwaille [Terwagne] ou j’ai rejoint la route de Givet, mauvais pavé qui paroit encore bon en sortant de l’Ardenne : de la je suis venu à Neufville [Neuville-en-Condroz] ou j’ai trouvé les restes d’une chermesse [kermesse] ou fête de village ; les paysans dansoient dans les guinguettes des contre-danses et des angloises et on leur servait du vin ; leur politesse avec leurs dames est de boire alternativement une gorgée au même verre ; le costume n’a rien de caractérisé ; les jeunes sont la plupart tête nue avec les cheveux coupés ; les hommes ont un grand sareau [sarrau] bleu par-dessus tous leurs habits : quelques uns pour éviter un habit ont encore un sareau blanc par dessous le bleu ; le peuple de ce pays est remarquable par sa gaité sa vivacité ; il paroit spirituel, intelligent, ardent, léger, aime le plaisir avec rage ; ces fêtes étoient jadis toujours accompagnées de rixes sanglantes ; l’introduction de la gendarmerie les rend aujourd’hui plus paisibles. Je ne suis arrivé que fort tard à Liége : j’ai passé devant l’ancien château du Prince [Seraing, ancien château de plaisance des princes-évêques, qui devint la propriété de la famille Cockerill, en 1717] qui est aujourd’hui à la sénatorerie et dont on va faire l’établissement de mendicité. J’ai vu aussi une ancienne abaye très belle [Seraing, Abbaye cistercienne fondée par des moines en 1202, devenue cristallerie du Val-Saint-Lambert en 1826].

2720 Août. J’ai passé la journée à courir un peu la ville de Liége, j’ai été voir Mr De Soer fils [Ferdinand], Mr Micoud du Mont [Charles Micoud d’Umons] préfet chez lequel j’ai dîné ; j’y ai fait connoissance avec Mr Thomassin [Louis François] chef de division de la préfecture et auteur de la statistique du département, homme exact et réfléchi et qui a cependant de la sagacité dans l’esprit. [La préfecture est l’actuel musée d’armes à Liége].

2821 Août. J’ai passé la matinée avec Mr Thomassin à parcourir sa statistique et à causer sur le pays. Le dépt. de l’Ourte se divise physiquement en 5 parties savoir la Hesbaye, le Condroz, les rivages, le Limbourg et l’Ardenne ; la Hesbaye est tout l’espace situé au nord de la Meuse le rivage excepté ; c’est un pays presque plat de terreins de transport, très fertile en céréales et objets analogues ; une partie de la Hesbaye parle flamand, le canton de Landen et un ou deux villages de la lisière des cantons de Varem [Waremme] et de Glons. Le reste est wallon. Le Condroz est situé entre l’Ourte et la Meuse, il s’étend dans le département de Sambre et Meuse ; ce canton est montueux presque tout calcaire avec quelques veines schisteuses. On le préfère pour l’agrément de la vie à l’Hesbaye mais il est moins fertile et moins peuplé ; on n’y compte que 98 habitans par myriamètre. Il y a encore des jachères. Les rivages de la Meuse sont très fertiles parceque c’est un sol d’atterissement ; ils sont peuplés parceque la navigation y attire beaucoup de commerce : la statistique porte leur population à 191 habitans par myriamètre, mais comme la ville de Liége entre dans ce calcul il ne donne pas une idée exacte. Ces rivages n’ont point de jachères et une végétation admirable ; on peut dans quelques endroits semer 20 ans de suite du bled et lorsqu’on fait reposer c’est avec de l’avoine ou du trèfle ; les inondations de la Meuse sont favorables à la végétation ; celles de l’Ourte entrainent les terres et ne laissent pas de limon : c’est sur les rivages qu’on trouve des vignes ; la plupart sont situées sur la rive gauche qui est exposée au midi savoir vis à vis d’Huy, un peu à Flaune [Flône] ; la principale partie au dessus de Liége depuis Jemeppe à Herstal. La rive droite qui est exposée au Nord Est en a beaucoup moins ; on en voit un peu au dessus de Liége et à Argenteau (près Visé à 50° 62’) qui est le point le plus septentrional des vignes de la France. La Meuse est encaissée presque partout entre deux collines élevée de 2 à 300 mètres : les vignes de la rive gauche se trouvant la ou la colline de la rive droite s’est trouvée assez basse ici assez éloignée pour faciliter l’accès du soleil, les vignes de la rive droite ne se trouvant que dans des points ou les sinuosités du rivage permettent d’y trouver des coteaux qui ne soient pas trop au nord. Ces vignes sont à échalas libres comme celles de Genève. Le Limbourg comprend les cantons de Limbourg, Verviers, Eupel [Eupen], Aubel, Daelhem [Dalhem] et Fléron ; il est mêlé de flamand, d’allemand et d’un peu de wallon ; c’est un pays un peu montueux calcaire tout cultivé en pâturages et vergers. Les habitans sont riches nombreux occupés à la fabrique des draps qui portent le nom de draps de Verviers. Toutes les maisons y sont isolées, chacune au milieu de son verger ; on assura que Pierre le Grand en arrivant sur les hauteurs de Limbourg dit en voyant ce pays qu’il ne croyait pas qu’il y eut une si grande ville en Europe. Les vergers de Limbourg sont célèbres pour leur bonne culture pour le choix des graminées qui les composent. Enfin l’Ardenne comprend toute la partie sud du département ; dans ce pays elle offre ceci de particulier que les eaux pluviales n’y ayant d’écoulement y ont fait des marais élevés sur les montagnes ou entr’elles ; de la vient le nom de fanges ou plus exactement fagnes (sphagnum) qu’on leur donne dans le pays. […]. La croix [élevée en 1566] de Boderange [Botrange] entre Sourbrodt et Ovifat est le point le plus élevé des fagnes […]. La température de Liége est beaucoup moins froide qu’on ne pourroit le croire d’après sa latitude, avantage qu’elle doit sans doute à la position de la vallée assez ouverte au midi et abritée et aux vents sud Sud Ouest qui sont dominans […] Le climat paroit donc être ici au moins aussi doux qu’à Paris. Les mêmes arbres viennent en pleine terre et quelques uns mieux qu’à Paris ; j’y ai vu l’Hortensia, celui-ci gèle jusqu’au collet, repousse et fleurit et le Laurier cerise, tandis que le saule pleureur y gèle souvent ; le Buddleia passe bien. On trouve des goitres dans quelques vallées étroites et profondes telles que celles de la Vesdre : on assure qu’ils ont beaucoup diminué ; il y a 50 ans que les 9/10 de la population en étoient atteints : aujourd’hui on en compte à peine 1/30e. Cette diminution est attribuée à l’usage du caffé introduit parmi les paysans comme boisson de tous les matins. Observation qui mérite d’être suivie. Dans sa statistique Mr T. a introduit une note curieuse de la signification des désinences habituelles des noms de village et du rapport du nom avec le pays. Ces désinences sont allemandes flamandes ou wallonnes ; ce travail généralisé mériteroit quelqu’intérêt. On le diviseroit en origines celtes, allemandes, flamandes, wallonnes, latines etc. On trouve dans ce pays beaucoup de noms qui commencent par un x lequel se prononce encore comme l’x espagnol et tous ces noms sont des restes de l’époque ou ce pays a appartenu à l’Espagne. La population du dépt. de l’Ourte est de 350 mille âmes ; la ville de Liége en a 46000 repartis dans 9000 maisons ; elle a perdu 4700 âmes depuis sa réunion [à la France]. […] Après cette séance instructive j’en ai fait une 2e qui ne l’était pas moins, je suis allé avec Mr De Soer fils dîner à la campagne de son père à Angleur située au confluent de l’Ourte et de la Meuse ; un coteau élevé de 200 mètres environ sépare les deux fleuves ; de son sommet on a une vue admirable sur le confluent et la ville de Liége cantonnée de vignes et de châteaux. Le château de Mr De Soer est au pied du coteau du côté de la Meuse : la position en est belle ; le terrain profond léger substantiel ; tout y est tenu dans un ordre admirable ; les murs des fermes et du château tapissés d’espaliers ; les instruments d’agriculture peints pour leur conservation ; les haies tondues avec régularité ; les jardins bien soignés ; on se sert ici de la charrue à roues ; on employe dans ce pays 3 sortes de faulx : la commune pour les prés ; la faulx à croc pour les avoines et une petite faulx qu’on nomme schaie (apparement scie) (Fig. 2). Elle sert pour les bleds ; son manche (b) est fort court, on le tient horizontal au moyen d’une espèce de manivelle (a) verticale : la faulx (f) a un crochet (c) qui s’emboite dans un étui de laiton (e) , lequel est fermé par une pièce de bois (d) qui s’y enfonce de force ; on tient cette faulx de la main droite et de la main gauche l’ouvrier soutient le foin avec une latte platte (qui sert aussi à aiguiser sa faulx) qui se termine par un crochet de fer ; cette méthode est très expéditive mais sujette à verser et à emmêler le grain.

29FIG. 2. – Dessin de la « petite faulx » (p. 77 du Mn).

30On l’employe pour l’épautre le seigle le froment. Outre ces céréales il y a ici deux autres cultures importantes savoir le houblon et le chardon à foulon ; les champs de houblon durent 20 ans : on ne plante que des pieds femelles ; entre chaque rangée on met des haricots ou d’autres légumes ; les perches qui ont 20 pieds d’hauteur sont en chêne et viennent principalement des Ardennes françoises ; […]. Le chardon à foulon [= Dipsacus sativus (L.) Honck.] se cultive dans les meilleures terres : on le sème à la fin d’avril dans un terrain bien fumé (pour deux ans) et amandé par la culture ; il se sème très épais ; après la moisson on laboure et fume de suite un champs et on y repique les plants de chardon tirés du semis qu’on éclaircit. On place les pieds à un pied de distance ; un peu plus dans les bonnes terres, moins près dans les mauvaises ou le chardon ne se ramifie pas ; ces chardons plantés en août murissent au mois d’août suivant ; en les plantant on coupe l’extrémité des feuilles radicales pour faciliter la reprise ; on sarcle souvent et on butte le pied des chardons ; la récolte se fait pour chaque tête au moment ou sa fleuraison finit. On les porte dans des greniers bien aérés ; on fait en sorte qu’ils sèchent sans soleil le plus tôt possible ; leurs qualités sont d’être durs, verds, et à dents fines et bien égales : la graine tombe dans les greniers ou on la ramasse après la vente qui a lieu en hiver ; pour les vendre on met ensemble 24 à 25 têtes qu’on nomme peignes ; on a soin de les choisir d’inégale grosseur afin que les beaux qu’on met en dehors fassent passer les petits qui sont au centre de la poignée ; 80 poignées de peignes font une gerbe ; une verge de terrain produit année commune 10 gerbes dans un bon terrain ; la verge est la 20e partie d’un bonnier lequel équivaut à peu près à 2 ½ arpens. Cette culture est une des plus lucratives mais elle exige un très bon sol. Les coteaux qui dominent le château de Mr De Soer sont en taillis de chênes qu’on coupe tous les 16 ans. On commence au moment de la sève du printemps par les écorcer puis on les coupe ; l’écorce se vend aux tanneurs. Avant de les écorcer on coupe pour fagots les menues branches dont on ne pourroit tirer l’écorce. L’écorce a-t-elle pour les tanneurs une valeur différente selon qu’elle provient d’arbres jeunes ou vieux ? Des Acacia plantés sur des coteaux calcaires exposés au nord et ou le chêne vient bien n’ont pas réussi ; le peuplier de la Caroline gèle ici. Le Gincko [Ginkgo biloba L.] s’y porte bien. - Au retour d’Angleur j’ai été voir une grande fabrique de caffé chicorée de Mr J. M. Orban et fils. La fabrique n’étoit pas en activité dans ce moment. Voici quelques renseignemens pris de Mme Orban ; ils ont 60 boniers de terre qu’on cultive en chicorée autant que possible, mais on assole la chicorée avec le bled et le trèfle ; on la fume bien ; on sème au printemps assez serré et on ne l’éclaircit pas ; on la sarcle pendant l’été ; à l’automne avant la fleuraison on arrache les racines ; le feuillage sert pour les bestiaux ; les racines se lavent, puis on les met sécher dans des fours ; lorsqu’elles sont sèches on les fait ensuite griller, puis on les envoye au moulin qui les réduit en poudre et cette poudre se met en paquets de ½ et surtout d’1/4 de livre ; cette seule fabrique vend jusqu’à cinq cent mille livres de chicorée à 6 sols la livre en gros ; il y a d’autres fabriques du même genre à Liége mais toutes les autres réunies ne vendent pas plus de 2 à 300 mille livres ; il faudroit même ajouter ici ce qui se fait dans chaque maison. Autrefois on donnoit ici du caffé aux domestiques ; on leur donne aujourd’hui 2 louis en sus de leurs gages et on leur accorde un coin pour faire de la chicorée. On voit qu’en estimant 2 millions le produit de la chicorée aux environs de Liége on doit rester au dessous de la vérité.

3122 Août. Je me suis procuré quelques ouvrages sur le pays, un tableau du dépt. par Mr Constans qu’on dit inexact et exagéré, un dictionnaire wallon [peut-être celui de J. Cambresier, premier dictionnaire wallon paru en 1787 ?] assez mauvais et une carte géologique de Mr Wolf de Spa qui me paroit un chef d’œuvre. J’ai été voir Dossin [Etienne] ; je suis allé avec Mrs De Soer père et fils dîner à Chaudfontaine : c’est une source d’eau chaude à 28° qui est située sur les bords de la Vesdre. Ce vallon est très agréable et varié ; les côtes en sont escarpées couvertes de taillis bien exploités ; le fond est couvert de maisons, d’usines de fer mues par la Vesdre et presque tout cultivé en beaux vergers fruitiers ; on ne fait pas de cidre mais force sirop de pommes ; les détours de la Vesdre retenue ça et là par des écluses, ceux de l’Ourte quand les deux rivières sont réunies rendent ce paysage extrêmement agréable. Les bains sont pour les rhumatismes mais peu fréquentés des malades, on y va beaucoup de Liége par parties de plaisir ; […]. Il y a à Chaudfontaine une grande fabrique d’armes à feu [très probablement celle de Jean-Joseph Gossuin] que j’ai visittée ; de là nous avons remonté la vallée jusqu’à un coteau qui se prolonge en travers de manière à offrir le coup d’œil de deux vallées très diverses dans leur coup d’œil. Ces montagnes sont calcaires et ressemblent souvent au pays de Neufchatel. Dans cette chaine on trouve de la houille, des pyrites, de la barite concrétionnée, quelques madrépores, tubipores et coquilles fossiles. – Les vignes de la rive droite de la Meuse ne sont que dans les pentes exposées au sud.

3223 Août. J’ai passé ma journée à Liége à voir l’herbier de Dossin, à rédiger mon journal, faire quelques visittes, parcourir la ville et prendre des moyens de faire mon voyage [il est curieux de constater ici qu’il ne fut pas reçu à la Société libre d’Emulation, pourtant présidée, depuis 1808, par la préfet Micoud d’Umons, ni à la Violette (Hôtel de Ville)] ; Liége est une ville de 45 mille âmes située sur la Meuse ; la plus grande partie est sur la rive gauche ; outre la Meuse elle est traversée par plusieurs canaux qui en sont des dérivations ; le pont des Arches ou de la Victoire qui traverse la Meuse est très élevé ; le quai se prolonge par-dessous l’arche ; le quartier d’Outre Meuse est divisé par un bras de rivière derrière lequel les autrichiens se sont retranchés six semaines : la ville est en général bâtie en bois et en brique. Il y a peu de belles maisons ; les rues sont animées par une population nombreuse et occupée ; leur boue est d’une noirceur extraordinaire, ce qui tient à l’usage de la houille en poudre qu’on malaxe sous les pieds avec de la terre glaise pour en faire des mottes à brûler ; cette opération se fait dans la rue par des femmes ; celles-ci sont en général très laborieuses très actives et chargées même des emplois les plus pénibles de la société ; il y a ici beaucoup de populace et des gens riches mais peu de classe mitoyenne ; autrefois dès qu’on avait de l’aisance on achetait des canonicats pour ses enfans parce que l’Eglise étoit le 1er état. La ville a plusieurs places plantées d’arbres et deux vastes promenades sur les bords de la Meuse ; l’une en dessus de la ville est la plus fréquentée quoiqu’elle n’aye que de jeunes arbres, l’autre voisine de la fonderie à canons située en dessous de la ville et offre des arbres anciens. L’ancienne cathédrale [Saint-Lambert] a été démolie pendant la révolution : on en voit encore les ruines [le déblayement se prolongea jusqu’en 1818 !] sur une place qui atteste sa grandeur : les églises actuelles sont encore nombreuses et assez belles.

33Notes prises dans l’herbier de Mr Dossin.

34Pilularia dans la Campine ; Osmunda regalis idem. ; Asplenium ceterach. sur les rochers le long de l’Ourte ; Bartramia oederi dans l’Ardenne ; Andreaea petrophila dans les Ardennes ; Marchantia hemispherica. idem et aux env. de Liége ; Blasia pusilla. dans la Campine ; Anthemis tinctoria. commune aux env. de Liége dans les moissons. ; Utricularia vulgaris. Campine ; Iris pumila et Iris squallens sur les murs près de la ville. ; Schoenus compressus. Liége. ; Eriophorum vaginatum. fanges. ; Agrostis pumila. Liége. ; Melica ciliata id. ; Poa sudetica id. ; Sesleria coerulea. bords de la Meuse et de l’Ourte. ; Bromus grossus. Liége. ; Globularia vulgaris. Ardenne. ; Galium hercyninum. Liége. ; Galium boreale. Campine. ; Plantago coronopus idem. ; Isnardia palustris. idem. ; Sagina erecta. Liége. ; Anagallis tenella. Campine. ; Campanula hederacea. Fange. ; Rhamnus catharticus Liége. ; Ribes nigrum. à Huy dans les buissons. ; Ulmus effusa. à Liége dans les bois. ; Exacum filiforme. Liége et Campine. ; Caucalis grandiflora. Liége. ; Sison inundatum. Campine. ; Cicuta virosa à Hasselt dans la Campine. ; Aethusa meum. dans les Fanges. ; Sambucus racemosa. à Liége. ; Crassula rubens. dans le Condroz. ; Galanthus nivalis. idem. ; Ornithogalum pyrenaicum Ardennes. ; Ornithogalum umbellatum prairies de Liége. ; Narthecium ossifragum dans la fange et la Campine. ; Trientalis europaea forêt de Malmedi et de Néau [Eupen] ; Vaccinium oxycoccos. Dans la fange. ; Saxifraga palmata dans la fange et sur les bords de l’Ourte. ; Spiraea salicifolia. Dans la Campine le long d’un ruisseau près Beringhen [Beringen]. ; Spergula pentandra et S. nodosa. dans la Campine. ; Ranunculus lingua. dans la Campine. ; Ranunculus platanifolius. Ardennes. Malmedi. St Hubert. ; Stachys alpina. Condroz. ; Antirhinum cimbalaria. sur les murs à Liége. ; Subularia aquatica. Campine. ; Biscutella laevigata. Condroz. ; Arabis arenosa Liége. ; Brassica alpina. Condroz. ; Geranium lucidum Liége. ; Ulex europaeus. Campine. ; Trifolium striatum. Liége et Condroz. ; Hypericum elodes. Campine. ; Crepis foetida. Liége. ; Chrysocoma linosyris. Condroz. rive droite de l’Ourte. ; Arnica montana. Ardenne sur la fange. ; Centaurea montana. Liége. ; Lobelia dortmanna. dans la Campine. à Hasselt et Beringen fl. août. ; Viola palustris. Ardenne. Liége. ; Impatiens noli tang. Liége. ; Satyrium albidum Ardenne fange. ; Ophrys aestiva. Condroz. ; Ophrys paludosa. fange. ; Carex arenaria Campine. ; Carex pauciflora fanges. ; Littorella lacustris. Campine. ; Betula pubescens. Liége. ; Amaranthus blitum Liége. ; Calla palustris Campine.

3524 Août. Je suis parti de Liége dans un petit cabriolet de louage pour aller à Coblentz au travers de l’Ardenne et de l’Eiffel. Je suis venu directement à Verviers : le pays qu’on traverse de Liége à Verviers est inégal et agréable ; le terrain est calcaire et tient ça et là de la houille ; près de Liége on trouve des prairies entremêlées de champs ; à mesure qu’on approche d’Herve et de Verviers les champs diminuent et les prairies augmentent, ce sont toutes des prairies naturelles assez bien soignées, entourées de haies vives la plupart en épines blanches souvent bien taillées ; le bétail passe presque toute l’année en plein air. Herve est un bourg qui a donne son nom aux fromages de ce pays qui sont quarrés fort puant et analogue pour la saveur aux fromages de Marolles [= Maroilles]. Après Herve on quitte la route d’Aix la chapelle et on descend à Verviers par un chemin presque tout bordé de maison ; chaque paysan a sa maison isolée et un petit coin de terrain pour sa vache qu’on va traire au pré ; sa principale ressource est son industrie : chacun travaille à l’une des branches de la fabrique des draps. La ville de Verviers est assez mal bâtie ; les maisons sont la plupart entassées, bâties en bois et pierres entremêlées ; les habitans y ont l’air pâles, maigres avides de tous les pays de fabrique mais n’ont aucun trait prononcé dans leur figure ; la langue du pays est le wallon : la fabrique y a prospéré depuis la réunion de Verviers à la France : tous les villages voisins et notamment Ensival fabriquent des draps qui passent pour des draps de Verviers. Dès mon arrivée je suis allé voir Mr Lejeune [Alexandre Louis Simon] médecin qui s’occupe de Botanique et qui a beaucoup fourni de choses à Loiseleur [Jean-Louis-Augustin] : il s’est trouvé qu’il a suivi mon cours au Collège de France de sorte qu’il m’a accueilli comme son professeur ; il m’a promis de m’envoyer des échantillons desséchés de tout ce qu’il a trouvé dans ce pays et d’y joindre la note des localités et des noms vulgaires : c’est un homme simple distrait qui a peu d’idées générales en Botanique mais qui connoit bien les détails de ce qui est relatif à son pays. Il cultive dans un petit jardin les plantes du pays et quelques étrangères : il dit que le Lobelia minuta est vivace et non annuel. Il m’a montré des Sedum voisin du rupestre et des Sempervivum voisins du montanum qui méritent examen [vraisemblablement Sempervivum montanum minus Decand., Cat. H. B. Monsp., p. 144, cité par LEJEUNE dans sa Flore des environs de Spa, II p. 310, « Se trouve sur les rochers près de Sougnez », plante qui sera décrite bien plus tard, en 1873, par Ed. Morren comme S. funckii var. aqualiense, faisait-elle déjà partie de cette collection ?]. Il m’a mené dans le jardin d’un Mr Simonis [Ywan] ou il y a des plantes étrangères et entr’autres, beaucoup de plantes grasses : le climat de Verviers est plus froid que celui de Liége. Nous avons été promener jusques près Limbourg en remontant l’un des bords de la Vesdre et descendant par l’autre : tout ce pays est calcaire mais on y trouve ca et la des bancs de schistes argilleux très irrégulièrement contournés. Dans les taillis se trouve outre le bouleau blanc et le tremble un petit peuplier dont la feuille ressemble au tremble mais qui est velue par-dessous. Serait’ce la vraye grisaille : [Peuplier grisard = Populus x canescens (Ait.) Smith] j’ai vu dans ces taillis les Rubus fruticosus et caesius, Melampyrum sylvaticum ?, Euphrasia intermédiaire entre l’officinalis et le alpina à fleurs blanches ou lilas, Galeopsis grandiflora et angustifolia ; la 1ère à fleurs jaunes ou rarement purpurines ; on l’employe beaucoup en Allemagne en décoction contre la phthisie pulmonaire et quelques herboristes de ce pays en recueillent sous le nom Danot [Da not] qui lui est commun avec le tetrahit. En approchant de Limbourg nous avons trouvé les fameux vergers de ce pays qui sont extrêmement bien soignés ; on en extirpe une à une les mauvaises herbes pour n’y laisser que celles qui sont les plus utiles telles que les graminées ; en revenant nous nous sommes arrêtés à Crotte petit estaminet champêtre ou se réunissent pendant l’été les habitans de Verviers. Tout ce pays ci est fraix et verd à cause de ses belles prairies.

3625 Août. Nous sommes partis de Verviers Mr Lejeune et moi et sommes venus déjeuner à Theux chez Mr De Thiers [Laurent-François Dethier] ancien député au conseil des cinq cents ; la route de Verviers à Theux est très mauvaise, assez montueuse ; on traverse une partie du terrain schisteux qui fait partie de l’Ardenne et sur la hauteur on trouve déjà des fagnes ou fanges c'est-à-dire des marais tourbeux qui proviennent du non écoulement des eaux pluviales ; sur une éminence au dessus de Theux dans un terrain ou se trouve de la calamine nous avons cueilli la Viola lutea [Viola calaminaria (Gingins) Lej.] qui se trouve toujours dans ces terrains d’après Lejeune et que les mineurs prennent quelquefois pour indice de la calamine ; elle a la fleur tantôt jaune tantôt plus ou moins violette. Dans un champ voisin j’ai trouvé le Bromus grossus. Theux est un gros village sur la route de Liége à Spa ; il est célèbre pour sa carrière de marbre noir le plus beau qu’on connoisse ; Mr de Thier qui en a une partie dans son jardin m’a montré cette exploitation. La couche de marbre se trouve entremêlée avec des couches de terre houilleuse ; les sculpteurs de Rome nomment le marbre noir Theusèbe ce que Mr de T. croit provenir du village de Theux malgré son éloignement. Mr de T. est un homme vif, ardent, qui paroit avoir des connaissances sur la minéralogie : c’est lui qui a dirigé Wolf pour sa carte du dépt. de l’Ourte. Il m’a dit qu’il y a sur les bords de l’Ourte un endroit ou il y a des vignes et qui porte le nom de Comblain au pont. Il m’a encore parlé d’un ancien vignoble de ce pays voisin de Argenteau et qui porte le nom de Vivignis [Vivegnis] qu’il croit dérivé du latin. Il m’a donné une petite brochure qui est la relation de son voyage dans l’Eiffel. [Dethier,1802]. De Theux nous sommes allés à Spa en remontant la vallée par une route superbe et pittoresque : nous avons laissé sur notre gauche les restes du château de Franchimont qui dominoit jadis cette contrée de laquelle 500 [ils étaient présumés 600] franchimontois sont partis pour aller assassiner Louis XI et dans lequel s’est fait le traité entre ce roi et le duc de Bourgogne [Charles le Téméraire]. Spa a été en partie incendié il y a deux ans de sorte que toute la partie de la ville voisine de la promenade (ditte de sept heures) ne présente plus qu’un amas de ruines ; le reste de la ville est assez bien bâti ; la maison de la redoute ou de l’assemblée est un bel hôtel ; la ville est située au pied de coteaux élevés et pittoresques dans lesquels on a tracé des promenades ; on y compte plusieurs sources parmi lesquelles 3 principales ; le pouxhon [pouhon] situé au milieu de la ville a une saveur ferrugineuse mêlée d’un peu d’acide carbonique : c’est celle qui se débite sous le nom d’eau de Spa. Le Géronster est situé dans un bois sur la hauteur à une demie lieue de Spa dans un site romantique ; l’eau en est ferrugineuse avec une odeur qui semble de l’hydrogène sulfuré faible et qui selon Gimbernat [Carlos de] est de l’azote sulfuré. Enfin la Sauvenière située au bord d’un bois sur la route de Malmedi [Malmedy] et qu’on recommande surtout aux femmes stériles. Les eaux de Spa étoient autrefois fréquentées par les anglois : la guerre les a fait beaucoup déchoir ; il y a des hollandais, quelques allemands, des Belges et quelques François, en tout cette année 600 baigneurs enregistrés dans le catalogue imprimé ; comme c’est dimanche il y vient beaucoup de désœuvrés de Verviers et des villes voisines ; le produit des jeux qui est considérable a été alloué à la ville pour dix ans en indemnité de l’incendie. Mr Wolf [Wolff Jean-Louis] que j’ai été voir est un libraire collecteur et marchand d’histoire naturelle ; peu instruit, mais imposant et charlatan comme il est d’usage dans les eaux minérales : il a été ruiné par l’incendie et conserve dans son cabinet de minéralogie des morceaux de son ancien cabinet altéré par le feu. Au milieu du brouhaha du dimanche nous avons eu bien de la peine à avoir à dîner et en nous enfuyant de tout ce bruit j’ai perdu ma redingote [Voir la lettre de De Candolle à Lejeune, datée du 20 septembre]. Enfin vers quatre heures nous nous sommes mis en route pour venir à Malmedi. On monte une côte assez rapide et on arrive à un plateau élevé inégal tout couvert de bruyères dans les parties les plus sèches et de sphaignes dans les plus humides : c’est ce qu’on nomme les hauts marais ou les fanges ou les fagnes : ce dernier nom est peut-être une altération de sphagnes et ferait allusion au nom de la mousse : le sol de ce pays est schisteux entremêlé de veines et de rognons quartzeux ; la terre n’y paroit pas très mauvaise mais on ne la cultive que par la méthode des essart et de loin en loin : partout ou on l’a tentée elle a répondu à la culture ; mais la culture est bornée par le manque de fumier et celui-ci est rare parce qu’on ne cherche pas les moyens de nourrir à l’écurie le peu de bestiaux qu’on a ; tout ce plateau est peu habité et n’offre à l’œil qu’un désert couvert d’Erica vulgaris, un peu d’E. tetralix, ça et la quelques hêtres, quelques bouleaux, quelques chênes, beaucoup de petits genévriers : dans les lieux bas et humides au milieu des sphaignes croissent les Vaccinium oxycoccos et uliginosum, le Narthecium ossifragum, etc. On y recueille de la tourbe pour l’usage des habitans et on conserve les gazons pour les brûler sur les champs. Après avoir traversé pendant près de deux heures ce plateau élevé on apperçoit Malmedi situé au fond d’une profonde vallée ouverte de l’Est à l’Ouest : pour y arriver on descend une côte extrêmement rapide. Malmedi est une petite ville chef lieu de sous-préfecture : elle dépendait autrefois du Prince Evêque de Stavelot et avait un chapitre de moines chez elle ; son existence tenoit à la tannerie ; les habitans achetent les cuirs bruts en Hollande ou surtout en Angleterre, les gardent deux ans pour les tanner et les vendent en Allemagne : ce commerce est fort déchu par l’impossibilité d’avoir des cuirs d’outre mer ; les habitans dési-reroient obtenir la permission d’acheter des cuirs en Angleterre en s’engageant à les réexporter après la fabrication. A peine arrivés à Malmedi nous sommes allés voir Melle Libert : c’est une femme assez remarquable : elle est fille et soeur de tanneur et a pris elle-même l’instruction qu’on croyait nécessaire pour qu’elle aidât ses frères dans leurs activités ; elle est allée à Pruim [Prüm] apprendre l’allemand et a appris l’arithmétique, mais pour son plaisir elle a poussé les mathématiques jusque aux équations de 3e degré ; elle s’est ensuite vouée à l’histoire naturelle ; elle a collecté des minéraux, des insectes et s’est surtout attachée à la botanique de son pays. Sans autre secours que l’Enciclopédie et la flore françoise elle est parvenue à déterminer presque toutes ses plantes même les lichens avec assez de précision ; au moment ou nous sommes allés la voir nous l’avons rencontrée revenant d’une herborisation escortée d’un domestique ; elle cultive ses plantes dans un petit jardin et joint à cette activité une modestie et une simplicité remarquables.

37Noms wallons recueillis à Malmedi

38Crompir [Crompire] Pommes de terre ; Bois de broc [matôni] Viburnum opulus; Havernion [Havernat] Sorbus aucuparia ; Neuhi [Neuhî] Corylus avellana ; Béol [Bèyole] Betula alba ; Mossin [?, à Liége mossê] Muscus (= mousse) ; Breir [Brouïre] Erica (= Calluna) ; Giniesse [Juniesse] Genista scoparia ; Frambeu [Frambåh] fruit de Vaccinium myrtillus ; Blanc frambeu ou frambeu de la Vièrge [Frambåh blanque] fruit du Vaccinium myrtillus à fruit blanc ; Amones [åmône] Framboisier ( Rubus idaeus) ; Noires amones [Neûre åmône] fruit de la Ronce (Rubus fruticosus) ; Ronc [Ronhe] Ronce (Rubus sp.) ; Dédaie [Deuquet ou deûkès] Digitalis purpurea ; Fecair [Fechi] Fougère (Pteris aquilina) ; Cranlar [crâs-lârd] Leontodon (= Taraxacum, pissenlit) ; Fraivi [Frévy] Fraisier; Trembe [Trône] Populus tremula ; Frambeu de leu [Frambåhdi leu] Vaccinium uliginosum ; Ciserette et à Verviers Cisete [Sîzète, Sîzerète,Towe-tchin] Colchicum autumnale (canon signifie veilleuse) [?] ; Clai d’yet et à Verviers clay de Paradis [clédjè, clé d’paradis] Primula officinalis [= P. veris L.] ; Matenes [Matenne, Matènes] Primula elatior ; fleur de Dié sur l’ane [fleur du Ronbouhi, dobe Diè-so-l’âne] Narcissus pseudo narcissus ; Hemustei [Haummustai, håmustè, homustè] Viscum album ; Clisonte et à Verviers Magriette [Magriette, magriyète] Bellis perennis ; Baucrina et à Verviers Bosser de fange [Rècenne di Fagne, golande] Ligusticum meum [= Meum athamanticum Jacq.] ; Sauva seche [Såvadje sèdje] Teucrium scorodonia (germandrée) ; Seche [sèdje] Sauge ; Mitrou [mitroû] Hypericum (Millepertuis) ; Da not [Ourteie d’agau, oûrteye d’agå (agå = schiste)] Galeopsis grandiflora ; Fleur de Jalhay (nom d’un village) [Fleur du Jalhay, Fleûr di Djal’ hê, sizanêye] Chrysanthemum myconi ou segetum ? [Lejeune ne retient que Chrysanthemum segetum L. (= Glebionis segetum (L.) Fourr.)].

3926 Août. Nous sommes allés avec Mr Lejeune et Melle Libert à Stavelot petite ville de 2000 âmes, capitale de la petite principauté du même nom ; elle est située le long de la même rivière que Malmedi à deux petites lieues plus bas, mais pour y aller on quitte la rivière, on traverse un coteau ou est un bois de pins et on descend dans la même vallée un peu plus bas ; cette vallée abritée du Nord est fertile bien cultivée telle que le seroient la plupart de celles des Ardennes si on les cultivoit ; elle produit du foin, du seigle, de l’avoine mais on n’y sème pas des froments : l’espèce de seigle qu’on sème dans les Ardennes se nomme regon [r’gon : espèce de seigle qu’on semait ordinairement après l’essartage, espèce plus petite et donnant une farine plus noire que le wassin (HAUST 1933, p. 542)] elle est plus petite que l’autre mais n’offre d’ailleurs aucune différence : les habitans assurent que le seigle ordinaire [wassin en wallon] n’y viendroit pas. Stavelot est mieux bâti que Malmedi mais dans le même genre ; il a aussi l’industrie de la tannerie ; le palais de l’Evêque est occupé aujourd’hui par le Maire qui l’a acquis. Nous avons monté sur le coteau qui domine Stavelot et ou se trouvent les restes d’un vieux château : les murs sont couverts du Sisymbrium tenuifolium [=Diplotaxis tenuifolia (L.) DC.] rare dans le pays. Le Salix ulmifolia [Salix ulmifolia Thuil. Fl. Par. = Salix caprea L., « A feuilles arrondies, crépues, beaucoup plus grandes que celles du Salix caprea L. duquel il n’est suivant Mr Persoon qu’une variété » (LEJEUNE 1811, p. 251) ; DE CANDOLLE (1815, p. 340, n° 2084) dit lui-même à propos de S. caprea : «Il faut rapporter ici S. ulmifolia Thuil. Fl. Par. 518] en arbre croît dans les environs. Après cette petite course nous sommes venus dîner à Malmedi et après dîner nous sommes allés visiter les hautes fanges : nous avons remonté un peu la vallée puis gravi au travers d’un bois de chênes et nous sommes arrivés sur un plateau qui fait suite à celui que j’ai traversé hier ; les sommités du plateau sont sèches ; les bas fonds n’ayant point d’écoulement sont des marais ; c’est absolument la même chose que les marais qui se trouvent sur toute la crête du Jura ; la seule différence est que ce pays est schisteux et le Jura calcaire ; toutes les plantes communes ici sont dans le Jura ; dans les sphaignes on trouve l’Andromeda polifolia, le Comarum palustre, Vaccinium uliginosum et oxycoccos, Narthecium ossifragum, mais j’y ai vu surtout avec plaisir le petit Ophrys paludosa [= Hammarbya paludosa (L.) O. Kuntze] qui s’élève à peine hors des mousses. L’extrémité de ses feuilles inférieures est garnie de petits mammelons qui paroissent servir de suçoirs ; il y a à peine des racines mais on y trouve un ou deux tubercules qui naissent à la base des feuilles et qui ne ressemblent point aux tubercules des autres orchidées. On trouve ici mais je n’ai pu la rencontrer une variété à fruits blancs du Vaccinium myrtillus qui est tellement abondante qu’on la vend au marché et on la préfère à l’autre parce que sa saveur est plus douce. On est dans l’usage d’établir les ruches dans les sommités des fanges afin qu’elles profitent de la fleur de bruyère qui y est commune et fleurit longtemps ; les ruches sont en paille à la vieille mode et on leur pratique deux trous pour faciliter la sortie des abeilles pendant l’été. Au retour des fagnes nous avons passé au petit village de Daversé [nous pensons qu’il s’agit plutôt de Bévercé où la famille Libert possédait effectivement une propriété, la ferme Libert] ou les Libert ont une métairie et ou un de leurs parens a planté un petit jardin anglois. De la en revenant dans le fond de la vallée nous avons encore trouvé le Bromus grossus dans un champ. Le soir j’ai soupé chez Melle Libert ou j’ai eu bien de la peine à me défendre de trop manger et trop boire tant on me tourmentait.

4027 Août. Je me suis séparé de Mr Lejeune et ai quitté Malmedi par un temps tout chargé de brouillard épais, de sorte qu’on distinguait à peine à cent pas de soi ; en sortant de M. nous avons gravi une côte extrêmement escarpée et nous avons passé un petit hameau ; de la nous sommes entrés dans de vastes déserts tout plein de bruyères ou on trouvoit vingt traces de chariots mais aucune route tracée ; point de maison, point d’habitans si ce n’est quelques patres dont nous ne pouvions rien tirer ; nous nous sommes perdus dans cette espèce de désert et cependant avons eu encore le bonheur d’arriver à Tiromont [Thirimont] d’où un brave homme nous a conduit à Audenval [Ondenval] : ce pays est la véritable Ardenne ; la culture par essart y est seule pratiquée aussi est’il misérable et stérile : la faute n’est point à la terre qui est assez bonne mais aux hommes qui sont routiniers et ignorans. A Audenval nous avons pris un guide qui nous a conduit au village suivant qui se nomme Amblève [Amel] en françois et Hamel en allemand : c’est en effet le 1er village allemand dans cette direction ; près de ce village j’ai rencontré le percepteur des contributions qui m’a fait politesse ; il m’a décrit la culture du pays qui ne diffère en rien de celle de toute l’Ardenne. […] De Hamel nous sommes venus toujours au travers des landes à Schoenberg (en françois Beaumont et en wallon Bèmont) ; le juge de paix Strasseur qui est aubergiste est un homme de sens, bon agriculteur pour le pays. On ne connoit pas ici la distillation des pommes de terre et on ne sème pas de trèfle ; la pomme de terre est la principale nourriture du paysan ; celui-ci les arrache à la bèche ; Strasseur a fait construire pour cela une espèce de charrue menée par un cheval qui fait beaucoup d’ouvrage en peu de temps ; il a changé aussi la forme des râteliers pour donner à manger aux moutons ; l’instrument qui remplace ici l’étrèpe de Bretagne et avec lequel on enlève les gazons qu’on veut bruler se nomme sot-haw [sote = sotte ; hawe = houe] ; son manche a 4 pieds de long et la lame est échancrée à l’extrémité ; on a renoncé à la manière de brûler les gazons avec du bois mais on arrange le gazon en forme de petit fourneau avec un foyer et une cheminée – de sorte qu’un peu de bois mis au centre consume lentement tout le gazon. On prend ici beaucoup de grives [en wallon : tchåpinnes] au lacet avec le fruit du Sorbus aucuparia qu’on nomme ici Vogel-Kersten [en wallon : peûs d’håvurnon]. De Schoenberg nous avons suivi une espèce de grande route passant par Blealef [Bleialf], Celerich [Sellerich] et Muhlen [Muhlenberg] et nous sommes arrivés à Pruym [Prüm] à l’entrée de la nuit : rien de plus monotone et de plus triste que ces landes de l’Ardenne, que ces vastes déserts de terre cultivable ; on projette une route qui ira de Liége à Trèves par Pruym et qui pourra servir à vivifier un peu ce pays ; les routes actuelles sont détestables ; les villages sont tous situés dans les bas fonds soit pour avoir de l’eau buvable soit pour éviter le vent. Le Campanula rotundifolia est extrêmement commun dans toute la lande ; le Chrysanthemum segetum ou myconi est très commun de Liége à Schoenberg et ne se trouve presque plus au-delà ; on prétend qu’il vient de proche en proche de Jalhay [Fleûr du Jalhay, d’après Lejeune] dont il a reçu le nom ; il serait curieux de scavoir s’il n’y a point été apporté par des graines étrangères qu’on y auroit semé. Pruym est un petit bourg situé au fond d’une vallée étroite entre deux coteaux élevés, mal bâtie, habitée en partie par des tanneurs ; il y avoit jadis un monastère qui sert aujourd’hui pour le tribunal et la souspréfecture ; j’y ai couché.

4128 Août. Je suis resté la matinée à Pruym ; j’ai écrit à Fanny [son épouse] ; puis je suis allé dans les environs herboriser sans aucun fruit. Pruym se trouve très près de la limite des sols ; il est dans la partie schisteuse mais dès qu’on a passé de quelques toises la rivière qui coule dans la vallée et monté la côte qui est vis-à-vis on com-mence à trouver le terrain calcaire. D’abord après diner je suis parti avec un guide pour aller coucher à Gerolstein : la route est très semblable à celle d’hier quant aux routes qui sont toujours très mauvaises et au travers des landes, mais la base du pays est calcaire ; nous avons passé à Budesheim ou nous avons commencé à trouver des indices de volcanicité ; de chaque hauteur ou l’on découvre le pays on voit au loin des monticules coniques et le fond du sol est tout basaltique ; en approchant de Lissignen et surtout en arrivant à Gerolstein la nature volcanique est encore plus évidente ; sur l’un des coteaux volcaniques j’ai trouvé le Dianthus deltoides qui ne se trouve pas dans les terrains voisins ; d’ailleurs la végétation ne change point en changeant de sol ; la Campanula rotundifolia est toujours l’herbe dominante ; l’Aconitum napellus croît dans le bord des haies et les lieux un peu humides ; Gerolstein est un gros village mal bâti […] il y a à Gerolstein une source d’eau minérale qui contient de l’acide carbonique ; les oiseaux qui vont y boire sont souvent dit on asphixiés. Le peuple de ce pays est assez laid et singulièrement débauché : j’ai rencontré plusieurs jeunes filles qui avoient le nez rongé par la vérole et un commis aux droits réunis avec lequel j’ai soupé m’a dit tenir de divers médecins qu’elle était très commune parmi les paysans et surtout les paysannes ; Mr Lejeune m’avoit déjà dit la même chose de Verviers, ce qui m’étonnoit moins que dans ce pays perdu. J’ai profité de la soirée pour herboriser sur la montagne basaltique qui couronne le village ; les plantes que j’y ai vues sont Gentiana ciliata, Carduus acaulis, Carlina vulgaris, Fagus sylvatica, Euphrasia officinalis var. acutidentata, Gentiana campestris, Pimpinella saxifraga, etc. rien en un mot que je n’aye trouvé souvent ailleurs. A mesure qu’on s’éloigne de l’Ardenne et qu’on entre dans l’Eiffel la culture par essart diminue mais il y a encore ici de vastes landes qui ne servent que de mauvais pâturages. Le bois de hêtre y est très commun. Les paysans cultivent chacun quelques pieds de tabac qu’ils fulment sans aucune préparation. On assure que cet usage produit quelques maladies analogues à des fluxions.

4229 Août. Je suis parti de Gerolstein et suis venu diner à Daune [Daun] : la route est toute entière dans un pays volcanique, très variée pour ses positions et ses points de vue ; les chemins sont aussi mauvais qu’il est possible ; Daun est un gros village ou se trouvent deux sources d’eau minérale […] près de Daun se trouvent trois petits lacs que j’ai été visiter ; deux de ces lacs sont situés à une demie lieue du village sur une éminence conique et volcanique ; le 1er et le plus élevé se nomme Wienfeldermar [Weinfelder maar] ; il est absolument circulaire situé dans un cratère dont les bords sont élevés, dégarnis d’arbres […] un 2e nommé Schalakenmeren-mar [Schalkenmehren maar] qui est situé beaucoup au dessous du précédent ; celui-ci est entouré de bords beaucoup moins escarpés, couverts de prairies et de vergers ; un joli petit village est situé sur le bord du lac dans le cratère même ; à un petit quart de lieue des deux autres se trouve le 3e lac nommé Gemundels-mar [Gemündener maar] ; il est plus pittoresque encore en ce que ses bords sont çà et là garnis de bois taillis qui lui donnent l’air d’un jardin naturel […] Après avoir diné à Daun je suis venu coucher à Ulmen qui est éloigné de trois lieues qui est le 1er village du dép. de Rhin et Moselle […].

4330 Août. Je suis parti d’Ulmen et ai encore traversé de vastes landes pour venir à Massbourg [Masburg] et de là à Dinkenheim [Dügenheim] ou j’ai rejoint la grande route de Trèves à Coblenz ; d’Ulmen à Massbourg le terrain est encore volcanique ; entre Massbourg et Dinkenheim il devient schisteux ce qui se continue dans toute la route jusqu’à Coblentz et forme un lit non interrompu jusqu’à Creutznach. […]. J’ai passé à Kerich [Kehrig] et suis venu diner à Polfch [Polch]. […]. Je suis venu loger à l’hôtel de Trèves.

4431 Août. J’ai passé cette journée [à Trèves] en retraite à faire mon journal, à écrire à ma femme et à ma mère [Louise Eléonore Brière] ; le soir je suis allé promener en remontant le Rhin sur la route de Mayence : tout l’espace entre la route et le fleuve jusqu’à près d’une lieue est occupé par une espèce de jardin forestier qu’on nomme Parc de Lezai du nom de son fondateur [A. de Lezai-Marnésia, préfet] ; c’est une collection de tous les arbres exotiques et indigènes de pleine terre, disposés en jardin anglois : chaque espèce a un petit enclos séparé par des sentiers de sorte que les arbres auront la place nécessaire pour prendre leur port naturel ; aujourd’hui ils sont encore fort jeunes, plusieurs enclos n’ont encore que l’étiquette et le tout est recouvert de mauvaises herbes. […].

451er Septembre. Je suis allé voir Mr Gayer maire de Coblenz auquel j’étois recommandé par Mr de Lezai et sans désemparer nous avons été ensemble faire une promenade qui a duré tout le jour ; nous avons passé le Rhin sur ce même pont volant qui a charié toutes les armées prussiennes autrichiennes et françoises pendant la guerre de la révolution et nous avons abordé au Thal petit bourg situé en face de Coblentz au pied de la forteresse d’Ehrenbreisten et qui fait partie aujourd’hui des états de Nassau Weilbourg. Il y a une petite source d’eau minérale dont on fait un commerce dans le pays pour boire avec le vin blanc. Nous avons vu au Thal Mr. Koll qui en est chancelier avec lequel nous avons diné. On y conserve une chaloupe très ornée qui appartenoit à l’ancien électeur de Trèves ; Ehrenbreisten [Ehrenbreitstein] a été longtemps la résidence de ces électeurs ; […] du Thal nous sommes allés à Paffendorf [Pfaffendorf] village situé sur le bord du Rhin […]. Le Thal et Paffendorf sont des points de rendez vous pour les plaisirs des habitans de Coblentz.

462 Septembre. J’ai été voir Mr Schwertz [Schwerz Johan Nepomuk] celui qui a écrit le tableau de l’agriculture flamande dont on lit l’extrait dans la bibliothèque britannique : c’est un homme déjà âgé de 50 ans qui ressemble à Mr Pictet [Charles] avec plus de simplicité qui a la connoissance des détails de l’agriculture parce qu’il l’a beaucoup pratiquée et qui a donné son attention aux moyens d’améliorer sur de petits objets une agriculture déjà fort parfaite. Il connoit peu celle de ce pays et paroit la mépriser beaucoup plus qu’elle ne le mérite. J’ai été chez Mr Bévin [Béving Théodore] conseiller de préfecture faisant fonction de préfet : il m’a remis une notice sur la minéralogie de ce dépt. par Mr Calmelet [Michel-François] ; elle se trouve en allemand dans l’annuaire de 1809. […].

473 Septembre. Je suis parti avec Mr Gayer pour une tournée dans la partie volcanique du département […].

484 Septembre. […] et sommes arrivés à Burg Brohl qui signifie château de la Brohl ; c’est en effet un château situé sur une éminence conique au pied de laquelle coule la Brohl ; il appartient à Mr de Bourscheid [Johann Ludwig, † 6/5/1836] qui étoit de la noblesse immédiate et qui en est maire aujourd’hui ; comme il étoit incommodé je n’ai pu le voir que peu de temps, mais j’ai visité le lieu avec d’autant plus de détails ; son château n’est pas terminé et est réduit à une aile ; son jardin présente quelques plantes rares. J’y ai vu un Royena lucida à feuilles verticillées 3 à 3, le Clerodendron superba qui est en pleine terre dans une petite serre faite exprès et qui drageonne du pied, un hortensia devenu dans la terre de bruyère du bleu le plus beau que j’aye encore vu. On fait dans ce pays des bordures de jardins avec le Saxifraga palmata ; ce jardin a une collection de 60 variétés de groseilles a maquereaux. Sur la pente du coteau Mr de B. a établi à grands frais un bosquet anglois ou est une fabrique qui semble en dehors un tas de bois à brûler ; il y a aussi un établissement unique en ce pays pour recueillir les engrais liquides. […].

495 Septembre. Nous avons passé la matinée à Laaken pour parcourir cet endroit l’un des plus beaux que j’aye rencontré ; le lac de Laaken est évidemment un vaste cratère de volcan […].

To cite this article

J. BEAUJEAN, «Le « Voyage de Liége » de A. P. De Candolle, 2 Juin – 2 Octobre 1810 (suite 1)», Lejeunia, Revue de Botanique [En ligne], N° 184 (décembre 2008), URL : https://popups.ulg.ac.be/0457-4184/index.php?id=188.

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