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Les minéraux d’uranium
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Cet article présente les concepts basiques de la minéralogie de l’uranium. Après un bref exposé sur la cristallochimie de cet élément, quelques espèces de minéraux uranifères sont décrites afin de mettre en évidence leur complexité structurale. L’étude de ces phases est de première importance pour les problématiques liées à la gestion des déchets nucléaires, mais aussi afin de comprendre le mode de formation des gisements d’uranium.
Abstract
This paper presents the basic concepts of uranium mineralogy. After a short introduction on uranium crystal chemistry, a few uranium mineral species are described in order to show the complexity of uranium minerals crystal structures. The mineralogical investigation of these phases is of prime importance to better understand nuclear waste storage processes, and to decipher the formation of uranium deposits.
Table of content
1. Introduction
1L’uranium est un élément chimique découvert en 1789 à partir de roches provenant du gisement célèbre de Jáchymov, en République Tchèque. Nommé en l’honneur de la planète Uranus, il fut isolé pour la première fois en 1841 par le chimiste Eugène-Melchior Péligot. Trois isotopes naturels sont connus pour cet élément radioactif : 238U (99,2 %), 235U (0,7 %) et 234U (0,1 %). La demi-vie de 238U est de 4,46 milliards d’années, et les particules émises au cours de sa désintégration sont principalement des particules alpha. L’uranium possède 4 états de valence : U3+, U4+, U5+ et U6+, mais la plupart des minéraux d’uranium contiennent U4+ et U6+.
2Depuis 1960, le nombre de minéraux uranifères décrits a été multiplié par trois. A ce jour, plus de 250 espèces minérales contenant l’uranium comme un élément structural principal ont été reportées dans la Nature, et la structure cristalline a déjà été déterminée pour un tiers d’entre elles. En outre, de nouveaux minéraux uranifères sont encore découverts à l’heure actuelle, montrant parfois des associations inédites entre éléments chimiques et des arrangements structuraux originaux. La minéralogie de l’uranium est un sujet fascinant, ainsi qu’un domaine de recherche essentiel qui contribue à améliorer les techniques de gestion des déchets nucléaires.
2. Cristallochimie de l’uranium
3Les minéraux uranifères peuvent être répartis en trois groupes, en fonction de l’état de valence de l’uranium. Les minéraux d’U4+ ne comptent qu’un nombre limité d’espèces, parmi lesquelles l’uraninite, UO2, qui constitue le principal minerai d’uranium. Seules deux espèces minérales contiennent U5+, alors que la plupart des autres minéraux uranifères, soit plus de 200 espèces, contiennent U6+.
4Les structures cristallines des minéraux uranifères sont caractérisées par la présence du groupement uranyle, (U6+O2)2+, constitué d’un ion U6+ coordonné par deux oxygènes en configuration linéaire (Fig. 1). La longueur de liaison U-O est égale à 1,80 Å dans le groupement uranyle, et les oxygènes, relativement proches de U6+, voient leur charge négative presque totalement compensée par l’uranium. Par contre, l’uranium a besoin d’autres ligands (O2-, OH-, H2O) pour compenser ses six charges positives. Ces ligands vont se répartir dans un plan équatorial, perpendiculaire au groupement uranyle. Ceci conduit aux trois polyèdres de coordination les plus fréquemment observés dans les minéraux uranifères : l’octaèdre (ou bypyramide tétragonale) (UO6)6- (Fig. 2a), la bipyramide pentagonale (UO7)8- (Fig. 2b), et la bipyramide hexagonale (UO8)10- (Fig. 2c).
Figure 1 : Le groupement uranyle.
Figure 2 : Les trois polyèdres de coordination les plus fréquents dans les minéraux uranifères.
5Les oxygènes localisés dans le plan équatorial sont beaucoup plus éloignés de l’uranium que ceux localisés dans le groupement uranyle ; pour cette raison, leur charge négative n’est pas compensée de manière optimale. Ces oxygènes équatoriaux vont donc se lier à d’autres cations de charge élevée, comme par exemple P5+, Si4+ ou U6+. Ceci va conduire à la formation de structures cristallines en couches, qui caractérisent la plupart des composés d’uranium (Fig. 3).
Figure 3 : Proportions relatives des différents types structuraux, parmi les 368 structures de composés uranifères recensées par Burns (2005). Ces structures comprennent des minéraux naturels, mais aussi des phases synthétiques.
3. Les minéraux d’uranium
6Dans cette partie seront abordés quelques-uns des minéraux d’uranium fréquents, ou dont la structure cristalline est remarquable. Cette liste n’est pas exhaustive, et ne constitue que quelques exemples destinés à illustrer la minéralogie remarquable de l’uranium.
3.1. L’uraninite, UO2
7Principal minerai d’uranium, l’uraninite de couleur noire est un minéral cubique, groupe spatial Fm3m, a = 5,468Å. La variété pechblende est mamelonnée (Fig. 4), et de nombreux éléments chimiques en impuretés sont fréquemment détectés dans cette espèce, comme par exemple Th, Y, REE, Ca, Si, Pb. La structure de l’uraninite est caractérisée par la présence d’uranium tétravalent, coordonné par huit atomes d’oxygène formant un anti-prisme à base carrée. Ce type de coordination est caractéristique de U4+ (Dal Bo, 2016).
Figure 4 : Uraninite montrant un faciès mamelonné.
3.2. Le groupe de l’autunite, Ca(UO2)2(PO4)2(H2O)8-12
8Les groupes de l’autunite et de la méta-autunite sont les groupes principaux des phosphates et arséniates d’uranyle ; ils comportent près de quarante espèces minérales (Tableau 1 ; symétrie pseudo-tétragonale; a = 7,009 ; c = 20,736 Å). Parmi ces minéraux, l’autunite, la méta-autunite, la torbernite (Fig. 5), la méta-torbernite, la zeunérite et la métazeunérite sont particulièrement fréquents.
Tableau 1 : Exemples de minéraux des groupes de l’autunite et de la méta-autunite.
Figure 5 : Cristaux de torbernite.
9La structure de type autunite est caractérisée par une couche hétéopolyédrale constituée d’octaèdres (UO6)6-, partageant leurs sommets avec des tétraèdres (P,As)O43- (Fig. 6). L’espace entre les couches est occupé par des cations bivalents ou trivalents, ainsi que par les molécules H2O. Le nombre de molécules d’eau peut d’ailleurs varier significativement dans ces minéraux ; les espèces les moins hydratées sont caractérisées par le préfixe « méta » (Tableau 1).
Figure 6 : Topologie de la couche hétéropolyédrale de type autunite.
3.3. L’arsénuranospathite, Al[(UO2)(AsO4)]2F(H2O)20
10L’arsénuranospathite a été découverte dans le gisement de Menzenschwand en Forêt noire, Allemagne, et sa structure cristalline a été décrite par Dal Bo et al. (2015) à partir d’un échantillon de Rabejac, Lodève, France (Fig. 7). Ce minéral est un arséniate d’aluminium appartenant au groupe de l’autunite. Sa structure cristalline (Fig. 8 ; groupe spatial Pnn2; a = 29,9262(7) ; b = 7,1323(1) ; c = 7,1864(1) Å) est composée des couches caractéristiques des minéraux du groupe de l’autunite, entre lesquelles sont localisés les atomes d’aluminium et des molécules d’eau. L’aluminium est coordonné par six molécules d’eau en disposition octaédrique, et les autres molécules d’eau se distribuent dans un plan situé entre les octaèdres Al(H2O)6 et les couches de type autunite (Fig. 8). La cohésion entre ces différentes couches est assurée par des liaisons pont-hydrogène.
Figure 7 : Arsénuranospathite de Rabejac, Lodève, France.
Figure 8 : Structure cristalline de l’arsénuranospathite.
3.4. Bassetite-saléeite, (Fe,Mg)[(UO2)(PO4)]2(H2O)10
11Dal Bo et al. (2016) ont étudié la structure cristalline de la bassetite (groupe spatial P21/n ; a = 6,961(1) ; b = 20,039(2) ; c = 6,974(1) Å ; = 90,46(1)°) et de la saléeite (groupe spatial P21/n ; a = 6,951(1) ; b = 19,942(1) ; c = 6,967(1) Å ; = 90,58(1)°), deux minéraux du groupe de l’autunite (Fig. 9). Leur structure est caractérisée par la couche de type autunite, entre laquelle on retrouve le fer et le magnésium coordonnés par six molécules d’eau en disposition octaédrique. Ces minéraux sont beaucoup moins hydratés que l’arsénuranospathite, raison pour laquelle ils ne montrent pas de couche supplémentaire de molécules d’eau (Fig. 10).
A |
B |
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Figure 9 : Bassetite de la mine Basset, Cornouailles, Royaume Uni (A) et saléeite de Shinkolobwe, République Démocratique du Congo (B).
Figure 10 : Structure cristalline de la série bassetite-saléeite.
3.5. Furongite, Al2[(UO2)2(PO4)3](OH)(H2O)10
12La furongite a été décrite dans la zone d’oxydation du gisement d’uranium de Furong, province de Hunan, Chine ; sa structure cristalline a été récemment décrite par Dal Bo et al. (2017) à partir de cristaux provenant de la pegmatite de Kobokobo, Kivu, République Démocratique du Congo (Fig. 11). Cette structure est constituée de bipyramides pentagonales UO7, qui partagent entre elles des arêtes afin de former des chaînes parallèles à l’axe cristallographique b (Fig. 12). Ces chaînes sont connectées par les tétraèdres PO4, afin de définir une couche dans laquelle viennent se loger deux types de groupements : l’un constitué de deux sites octaédriques, l’autre constitué de quatre site octaédriques (Fig. 12). Ces sites octaédriques sont occupés par les atomes d’aluminium.
A |
B |
Figure 11 : Furongite provenant de la pegmatite de Kobokobo, Kivu, Congo.
Figure 12 : Structure cristalline de la furongite.
13La couche caractéristique de la structure furongite montre des analogies avec la couche observée dans la structure uranophane. La différence majeure est la présence de positions lacunaires dans la couche furongite, permettant aux octaèdres occupés par l’aluminium de venir se loger directement en leur sein (Fig. 13). Dans l’uranophane, les atomes de calcium ne se localisent pas dans les couches, mais entre celles-ci.
Figure 13: Relation entre la couche furongite et la couche de type uranophane.
4. La gestion des déchets nucléaires
14De nombreuses études ont montré que les minéraux secondaires d’uranium, qui se forment suite à l’altération météorique de l’uraninite en conditions oxydantes, sont semblables aux phases qui se forment lors de l’oxydation des déchets nucléaires (Deditius et al., 2007 ; Dal Bo, 2016). Il est par conséquent fondamental de poursuivre l’étude des minéraux d’uranium, de manière à caractériser leurs compositions chimiques, leurs structures cristallines, et leurs domaines de stabilité. L’élaboration de séquences paragénétiques pour les minéraux d’uranium (Finch & Muramaki, 1999 ; Krivovichev & Plášil, 2013) permet ainsi de mieux comprendre le comportement de l’ion uranyle, qui dérive de la dissolution des minéraux primaires d’uranium en conditions oxydantes. Une fois libéré dans l’environnement, cet ion est incorporé dans des oxydes, des hydroxydes, ou dans d’autres minéraux, en fonction de la composition chimique des roches encaissantes et de l’évolution du processus d’altération.
15Parmi les minéraux secondaires d’uranium, les phosphates et les arséniates occupent une position particulière, car ils présentent une solubilité extrêmement basse en conditions de pH neutre (Gorman-Lewis et al., 2008). Ces minéraux limitent ainsi la mobilité de l’ion uranyle aux alentours des gisements d’uranium (Muramaki et al., 1997 ; Jerden et al., 2003), ainsi que dans les sols contaminés par les actinides. Dans leur étude sur les sols contaminés aux alentours de l’usine de traitement d’uranium de Fernald, Ohio, USA, Buck et al. (1996) indiquent que la phase dominante est la méta-autunite.
16L’examen des produits d’altération qui résultent de la corrosion des déchets nucléaires indique la cristallisation de phases comme la schoepite (UO2)8O2(OH)12(H2O)12, la becquerelite Ca(UO2)6O4(OH)6(H2O)8, l’uranophane Ca[(UO2)(SiO3OH)]2(H2O)5, la sklodowskite Mg[(UO2)(SiO3OH)]2(H2O)6, et la soddyite (UO2)2SiO4(H2O)2 (Pearcy et al., 1994; Wronkiewicz et al., 1996; Burns et al., 1997). Ces minéraux sont caractéristiques des zones d’altération supergènes rencontrées dans les gisements d’uranium, confirmant ainsi que l’étude de ces environnements naturels est essentielle.
5. Formation des gisements d’uranium
17Afin d’illustrer le mode de formation des gisements d’uranium, nous allons présenter le cas de Rabejac, Lodève, France. Ce gisement est localisé dans le bassin permien du Lodève, au Sud du Massif Central ; il est délimité par les localités de Lodève, Saint-Privas, Clermont-l’Hérault, La Tour-sur-Orb et Lumas (Dal Bo, 2016). La présence d’uranium a été détectée dans la région en 1957, et la mine de Rabejac a fourni 40 tonnes d’uranium entre 1989 et 1992.
18L’origine précise de l’uranium dans la région est toujours en débat ; toutefois, il semblerait que les dépôts d’uranium soient corrélés à la migration de bitumes provenant de la maturation de la matière organique piégée dans les sédiments permiens (Mathis et al., 1990). Dans le gisement, l’uraninite primaire s’est altérée en minéraux secondaires, particulièrement diversifiés le long de zones faillées où les processus d’oxydo-réduction étaient les plus actifs (Lebrun et al., 2009).
19En premier lieu, en association étroite avec l’uraninite (Fig. 14a), on observe la schoepite, la vandendriesscheite, la fourmariérite, la masuyite, la becquerelite (Fig. 14b), et la bilietite. Ces oxydes et hydroxydes d’uranium, plus ou moins hydratés, sont des produits typiques de l’altération in situ de l’uraninite. La présence de minéraux contenant du plomb, comme par exemple la vandendriesscheite, la fourmariérite, ou la masuyite, indique que l’uraninite est relativement ancienne, car ce plomb radiogénique s’est formé par désintégration radioactive de l’uranium (Finch & Murakami, 1999, Dal Bo, 2016 ; Fig. 15).
20La seconde étape est l’apparition de silicates d’uranium, car l’activité en Si4+ augmente progressivement suite à l’altération des silicates provenant des roches encaissantes. A Rabejac, ces silicates sont essentiellement représentés par l’uranophane, qui est parfois associée à la rutherfordine (Fig. 14c) ou à la zeunérite (Fig. 15). La rutherfordine indique un enrichissement en H2CO3, qui se traduit également par la formation d’autres carbonates d’uranyle comme la fontanite (Fig. 14d) ou l’urancalcarite (Fig. 15).
21Une particularité du gisement de Rabejac est l’abondance d’arséniates d’uranyle, produits grâce à l’arsenic libéré au cours de l’altération des sulfures et arséniures présents dans les phyllades thuringiennes (Deliens et al., 1990). Des échantillons remarquables montrent ainsi l’association de plusieurs arséniates, comme par exemple la zeunérite (Fig. 14e), l’uranospinite, et la nováčekite.
22Signalons enfin la présence de vanadates et molybdates d’uranium, comme par exemple la calcurmolite et l’umohoite (Fig. 14f), qui sont des espèces minérales relativement rares.
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Figure 14 : Minéraux uranifères du gisement de Rabejac, Lodève, France. A : Uraninite + « gummite ». B : Becquerelite. C : Rutherfordine + uranophane. D : Fontanite. E : Zeunérite. F : Calcurmolite + umohoite.
Figure 15 : Séquence d’évolution des minéraux uranifères dans le gisement de Rabejac (Dal Bo, 2016).
6. Conclusion
23Les minéraux d’uranium sont fascinants : par la beauté de leurs formes et couleurs, par la complexité de leurs structures cristallines. Leur étude, quoique délicate, est indispensable pour mieux comprendre les gisements d’uranium, mais aussi afin d’optimiser les méthodes de stockage des déchets nucléaires.
Remerciements
24Merci à Roger Warin pour les photos des minéraux uranifères.
Références
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35Gorman-Lewis, D., Burns, P.C. & Fein, J.B., 2008. Review of uranyl mineral solubility measurements. J. Chem. Thermodynamics, 40, 335-352.
36Jerden, J.L., Sinha, A.K. & Zelazny, L., 2003. Natural immobilization of uranium by phosphate mineralization in an oxidizing saprolite–soil profile: chemical weathering of the Coles Hill uranium deposit, Virginia. Chem. Geol., 199, 129-157.
37Krivovichev, S.V. & Plášil, J., 2013. Mineralogy and crystallography of uranium. In Uranium – Cradle to Grave (P.C. Burns & G.E. Sigmon, eds.) Mineralogical Association of Canada Short Course, 43, 15-119.
38Lebrun, P., Cesbron, F., Le Cléach, J.-M., Lebocey, J., 2009. Minéraux uranifères. Uraninite et minéraux secondaires dérivés ou associés. Minéraux & Fossiles, 28, 176 p.
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42Wronkiewicz, D.J., Bates, J.K., Wolf, S.F. & Buck, E.C., 1996. Ten-year results from unsaturated drip tests with UO2 at 90°C: implications for the corrosion of spent nuclear fuel. J. Nucl. Mater., 238, 78-95.