Entomologie faunistique - Faunistic Entomology Entomologie faunistique - Faunistic Entomology -  volume 61 (2008) 

Biologie et écologie des culicoïdes (Diptera), vecteurs de la fièvre catarrhale ovine

Jean-Yves Zimmer

Unité d'Entomologie fonctionnelle et évolutive, Faculté Universitaire des Sciences Agronomiques de Gembloux, Passage des Déportés 2, B-5030 Gembloux, Belgique. E-mail : haubruge.e@fsagx.ac.be

Bertrand Losson

Laboratoire de Parasitologie et Maladies parasitaires, Département des Maladies infectieuses et parasitaires, Faculté de Médecine vétérinaire, Université de Liège, B-4000 Liège, Belgique.

Éric Haubruge

Unité d'Entomologie fonctionnelle et évolutive, Faculté Universitaire des Sciences Agronomiques de Gembloux, Passage des Déportés 2, B-5030 Gembloux, Belgique. E-mail : haubruge.e@fsagx.ac.be

Notes de la rédaction :

Reçu le 12 janvier 2008, accepté le 29 février 2008

Résumé

La fièvre catarrhale ovine (FCO) a engendré des pertes économiques considérables sur le cheptel ovin et bovin belge durant l’année 2007. Les vecteurs biologiques du virus de la FCO sont des diptères appartenant au genre Culicoides. Leur survie, leur activité et leur distribution dépendent de nombreuses variables encore relativement méconnues. La mise en place d’une méthode de lutte efficace contre ces moucherons nécessite une meilleure connaissance de leur biologie et de leur écologie, tant à l’état adulte qu’à l’état larvaire. Cette lutte axée contre les culicoïdes peut être combinée à certaines mesures d’assainissement au sein de l’exploitation agricole, de même qu’à la vaccination du bétail belge contre le sérotype 8 de la FCO.

Mots-clés : FCO, langue bleue, Culicoides, vecteur, biologie, écologie, lutte., bluetongue, Culicoides, vector, biology, ecology, control strategy.

Abstract

The ovine catarrhal fever (FCO) caused considerable economic losses on the Belgian sheep and cattle livestock during the year 2007. The biological vectors of the bluetongue virus (BTV) are diptera belonging to the genus Culicoides. Their survival, their activity and their distribution depend on many variables still relatively unknown. The setting up of an effective control strategy against these biting midges requires a better knowledge of their biology and their ecology, as well as adult status as larval one. This control strategy against Culicoides biting midges can be combined with some hygienic measures in farming, reinforcing the vaccination programme of Belgian cattle against FCO serotype 8.

1. LA MALADIE DE LA LANGUE BLEUE EN BELGIQUE

1La fièvre catarrhale ovine (FCO) – appelée également maladie de la langue bleue – a été décrite pour la première fois en Afrique du Sud (Anonyme, 1876). Ces dernières années, cette maladie non contagieuse qui affecte les ruminants domestiques (bovins, ovins et caprins) et sauvages a fortement progressé vers le Nord. Elle a tout d’abord touché le Sud de l’Europe (sérotypes 1, 2, 4, 9 et 16) pour atteindre la Belgique en août 2006 (sérotype 8), en prenant un caractère épizootique important et en provoquant des pertes économiques considérables sur son passage.

2Au cours de l’année 2006, 695 foyers de FCO ont été signalés (399 chez les ovins et 296 chez les bovins). Pour l’année 2007, et selon les données fournies par l’AFSCA (http://afsca.be), la Belgique compte 6870 exploitations touchées par cette maladie (4457 chez les bovins, 2400 chez les ovins et 13 chez les caprins). Les diptères incriminés dans la propagation de cette maladie virale sont des culicoïdes (Du Toit, 1944).

3Les culicoïdes, les vecteurs de la Maladie de la Langue bleue

4Les moucherons du genre Culicoides sont des petits diptères (de 1 à 4 mm de longueur) piqueurs appartenant à la famille des Ceratopogonidae (Figure 1). On les rencontre des tropiques à la toundra, du niveau de la mer jusqu’à près de 4000 m d’altitude. Leur rôle comme vecteurs de maladies parasitaires et virales est démontré depuis déjà fort longtemps en médecine et surtout médecine vétérinaire. D’autre part, l’abondance de ces petits diptères peut constituer une véritable nuisance, suite au désagrément causé par la piqûre des femelles. Leur présence peut donc gêner l’essor économique de certaines régions en entravant les activités agricoles et le développement du tourisme. De plus, ils sont responsables de la propagation de plusieurs maladies épizootiques d’origine virale, dont les deux principales touchant les animaux sont la peste équine africaine et la fièvre catarrhale ovine, appelée également maladie de la langue bleue (Du Toit, 1944).

5Pour la majorité des espèces de culicoïdes, les femelles adultes sont hématophages ; elles prennent de ce fait un repas sanguin tous les 3-4 jours environ (Birley & Boormann, 1982) et se rencontrent donc principalement au niveau du sol, à proximité des animaux (Rieb, 1982). Certaines espèces sont anthropophiles (Culicoides obsoletus (Meigen 1818) et Culicoides impunctatus Goetghebuer 1920 par exemple) tandis que d’autres préfèrent s’attaquer au bétail ou aux oiseaux (Tableau 1). La plupart des espèces sont actives – et piquent donc – au crépuscule et durant la nuit ; cependant certaines piquent plutôt en plein jour (Culicoides nubeculosus (Meigen 1830) par exemple).

6Les mâles quant à eux sont généralement floricoles (Goetghebuer, 1952) : ils se nourrissent donc de nectar, de sucre et de pollen ainsi que de liquides provenant de la décomposition de matières organiques (Chaker, 1981). De ce fait, les mâles fréquentent préférentiellement le sommet des arbres (Rieb, 1982). De leur côté, les larves se nourrissent de débris organiques divers ou sont prédatrices de nématodes, bactéries, protozoaires,… voire même de leurs propres congénères (Chaker, 1983).

7La plupart des espèces de culicoïdes nécessitent un milieu humide pour se reproduire et pondre leurs œufs. En effet, le développement larvaire est optimal dans les milieux semi-aquatiques, principalement représentés par les substrats humides, chauds et riches en matières organiques (résidus d’ensilage, excréments, prairies humides, chemins boueux, vase en bord des rivières,…) (Goetghebuer, 1952 ; Zimmer, 2007 ; Zimmer et al., 2008a). D’une manière générale, les larves fréquentent la couche superficielle du milieu dans lequel elles se développent : on les retrouve donc principalement dans les cinq à six premiers centimètres de substrat (Uslu & Dik, 2006). Les nymphes se retrouvent également à la surface du milieu (boue ou eau) dans lequel le développement larvaire s’est déroulé (Zimmer, 2007). Chaque habitat larvaire renferme généralement une association d’espèces (Zimmer, 2007).

8Les adultes se rencontrent principalement aux environs immédiats des exploitations de bétail, essentiellement à proximité de substrats humides ou d’eaux stagnantes. En effet, ils ne s’éloignent guère, de façon active, de l’endroit où ils sont nés (Mellor et al., 2000). Certains facteurs tels que la présence d’animaux, la proximité d’un cours d’eau,… influencent leur abondance. Zimmer et al. (2008b) suggèrent par exemple que les culicoïdes peuvent être beaucoup plus abondants à l’intérieur qu’à l’extérieur lorsque les animaux sont présents dans l’étable.

9La majorité des espèces de culicoïdes étant de nature crépusculaire ou nocturne, ils sont au repos durant la journée ; ils fréquentent alors la face inférieure des feuilles ou des herbes situées dans les zones ombragées (Zimmer, 2007). Signalons que le piégeage lumineux nocturne réalisé pour assurer un suivi des populations de culicoïdes adultes génère un très grand nombre de captures, dont le tri et l’identification nécessite un temps très important (Figure 2).

10La survie, l’activité et la dispersion des culicoïdes sont fortement influencées par les facteurs météorologiques telles que la température, l’humidité, l’agitation de l’air,… La température est sans doute l’élément jouant le rôle le plus important sur le comportement et la survie de ces moucherons. En effet, leur activité est significative entre 13°C et 35°C (Braverman & Chechik, 1996), même si ces limites varient en fonction des espèces. Pour C. obsoletus par exemple, Losson et al. (2007) constatent des vols à des températures minimales situées entre 6°C et 12°C dans des étables au cours de l’hiver 2006-2007. Une humidité élevée est également un critère important pour le développement et la survie des culicoïdes (Murray, 1991). En effet, les larves sont particulièrement sensibles à la dessiccation, qui les tue rapidement. La sécheresse est également défavorable aux adultes, qui se réfugient alors dans la végétation ; par temps lourd et orageux, ils reprennent leur activité. La pluie ne leur est pas plus favorable puisqu’elle empêche leur vol, et cela tant que la végétation est humide. Ces éléments justifient le fait que pour les régions tempérées, ces vecteurs deviennent surtout abondants vers la fin de l’été et le début de l’automne.

11De façon active, les culicoïdes adultes s’éloignent tout au plus de quelques centaines de mètres de l’endroit où les imagos ont vu le jour : leur dispersion active est donc très limitée (Mellor et al., 2000). Leur dispersion passive par les vents chauds et humides de basse altitude (< 2000 m), soufflant à vitesse moyenne (10 à 40 km/h), est cependant nettement plus importante puisqu’elle peut atteindre plusieurs centaines de kilomètres (Braverman & Chechik, 1996). Cette dispersion passive peut ainsi propager ces insectes vers de nouvelles régions et expliquer certaines épizooties constatées ces dernières années, telle que celle enregistrée en Espagne (Mellor et al., 1983).

12Signalons également que la densité des populations de culicoïdes adultes varie avec les saisons. En effet, certaines espèces ont une répartition plus large au cours de l’année tandis que d’autres ne se rencontrent que peu de temps. L’espèce C. impunctatus se rencontre par exemple de mai à septembre (Service, 1971), tandis que C. obsoletus et C. scoticus sont des espèces plus précoces ayant une longue période de vol ; elles apparaissent mi-avril pour disparaître début novembre (Rieb, 1982). De façon générale, on peut observer deux générations par an : une de printemps et une d’été, de moindre importance (Rieb, 1982).

2. PERSPECTIVES DE CONTROLE DES POPULATIONS DE VECTEURS DE LA MALADIE DE LA LANGUE BLEUE

13Les méthodes de lutte contre la maladie de la langue bleue sont pratiquement inexistantes à ce jour, en particulier celles axées contre les insectes vecteurs. La mise au point de telles méthodes (lutte chimique ou biologique, mesures d’assainissement) (Figure 3) nécessite une meilleure connaissance de ces moucherons, dont l’écologie larvaire renferme encore de nombreuses inconnues. D’autre part, l’identification des stades immatures est encore très peu avancée.

Bibliographie

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Pour citer cet article

Jean-Yves Zimmer, Bertrand Losson & Éric Haubruge, «Biologie et écologie des culicoïdes (Diptera), vecteurs de la fièvre catarrhale ovine», Entomologie faunistique - Faunistic Entomology [En ligne], volume 61 (2008), p. 53-57 URL : https://popups.uliege.be/2030-6318/index.php?id=154.