BASE BASE -  volume 16 (2012)  numéro 2 

Fonctions de pédotransfert pour les vertisols de la plaine de la Mitidja (Algérie) : recherche de paramètres les plus pertinents pour la rétention en eau

Bachir Dridi

École Nationale Supérieure Agronomique. Département de Science du Sol. El Harrach, Alger (Algérie). E-mail : b_dridi@yahoo.fr

Samia Zemmouri

Institut National des Sols, de l'Irrigation et du Drainage. El Harrach, Alger (Algérie).

Notes de la rédaction :

Reçu le 23 septembre 2010, accepté le 27 juin 2011

Résumé

Ce travail a pour objectif l'établissement de fonctions de pédotransfert à deux niveaux de potentiels de rétention d'eau des vertisols de la Mitidja. Les mesures et analyses ont été réalisées sur un ensemble de154 horizons provenant de 50 profils de la région étudiée. L'importance de la contribution des différentes variables du sol vis-à-vis de la rétention en eau est estimée par les valeurs des coefficients de détermination et de corrélation. Le niveau de fiabilité des fonctions de pédotransfert établies a été estimé au moyen de 20 échantillons tests issus des mêmes sols. Les principaux résultats obtenus révèlent que la teneur en argile, en matière organique et en limons fins (2 à 20 µm) sont les facteurs qui contribuent le plus à la rétention en eau des sols, y compris aux bas potentiels (-1 600 kPa). La capacité d'échange cationique apparait comme étant un estimateur médiocre des propriétés de rétention en eau lorsqu'elle se substitue à l'argile et à la matière organique. Par ailleurs, avant la stratification texturale des sols, la porosité totale exprimée par la densité apparente contribue à la rétention en eau au potentiel moyen (-100 kPa) et ce, malgré les faibles écarts de ses valeurs. La validation des fonctions de pédotransfert indique que les biais des prédictions sont faibles, traduisant alors une bonne qualité d'estimation des teneurs en eau.

Mots-clés : Algérie, potentiel hydrique du sol, vertisol, mouvement de l'eau dans le sol, teneur en eau du sol, capacité de rétention d'eau

Abstract

Soil pedotransfer function for the vertisols of the Mitidja plain (Algeria): search for most suitable parameters for water retention. This work aims at establishing pedotransfer functions at two water potential levels, to predict the water retention properties of vertisols in the Mitidja plain. The measurements and analyses were performed on a set of 154 horizons from 50 profiles of the study area. The importance of the contribution of different soil variables versus water retention is estimated by the values of the coefficients of determination and correlation. The level of reliability of pedotransfer functions was estimated by testing 20 samples from the same soil. The main results obtained show that the clay content, organic matter and fine silt (2 to 20 µm) are the factors that contribute most to the water retention of soils including at low potential (-1,600 kPa). The cationic exchange capacity appears to be a poor estimator of water retention properties when it is substituted for clay and organic matter. Moreover, before stratificating, porosity expressed by bulk density contributes to water retention at average potential (-100 kPa) despite the small differences in values. Validation of pedotransfer functions indicates that the bias predictions are low, thus reflecting then a good quality estimation of water contents.

Keywords : Algeria, soil water potential, vertisols, soil water movement, soil water content, water holding capacity

1. Introduction

1La Mitidja est une vaste plaine située au sud d'Alger, sa superficie est de 1 400 km2, de forme allongée, elle s'étend d'Est en Ouest sur environ 100 km. La carte pédologique réalisée par Ecrèment (1971) a permis d'y recenser 6 300 hectares de vertisols (CPCS, 1967). Malgré leurs contraintes physiques aussi bien durant la longue période estivale qu'en hiver, ces sols sont recherchés par les agriculteurs en raison de leur fertilité chimique. Cependant, les potentialités de ces sols ne peuvent s'exprimer pleinement qu'avec des réserves hydriques suffisantes pouvant subvenir aux besoins en eau des cultures durant la totalité de leur cycle végétatif.

2Par ailleurs, il est connu qu'au sud de la Méditerranée, les ressources en eau sont très limitées, leur utilisation en agriculture impose de ce fait une gestion parcimonieuse, d'autant plus que la priorité est naturellement accordée à l'alimentation humaine (Cheverry et al., 1998). En effet, l'augmentation et la régularité de la production agricole, dictées par la croissance démographique, sont liées à l'amélioration des conditions d'utilisation de l'eau par les cultures.

3Lors des travaux d'inventaire des sols, les caractéristiques morphologiques de ceux-ci sont en général bien décrites, alors que celles se rapportant à la rétention en eau le sont moins en raison de la lourdeur des manipulations nécessaires (Cornet, 1976). Aussi, au cours des dernières décennies, des recherches ont montré qu'il est possible de relier les capacités de rétention en eau à différents potentiels à la composition texturale et aux propriétés physiques d'un sol, notamment sa structure (Combeau, 1961 ; Jamagne et al., 1977).

4Du fait des contraintes techniques, des délais et des couts liés aux mesures des propriétés hydriques des sols, leur prédiction à partir des caractéristiques du sol a fait l'objet de nombreux travaux dans le monde (Bastet et al., 1998 ; Al Majou et al., 2007). Ainsi, des relations mathématiques sous forme d'équations ont été établies, elles visent à relier les paramètres du sol difficilement accessibles telles que les teneurs en eau à différents potentiels aux caractéristiques plus aisément accessibles, notamment les teneurs en argile, en carbone ou encore la densité apparente (Al Majou et al., 2005). Bouma et al. (1987) ont été les premiers à avoir introduit le terme de fonction de pédotransfert (FPT) dont l'utilisation se généralisera suite au colloque organisé en 1989 à Riverside (Bastet et al., 1998).

5L'estimation des propriétés hydriques des sols par le regroupement de ces derniers en classes de textures et de densités apparentes a permis de déterminer des classes de fonctions de pédotransfert (CPT) (Bruand et al., 2002).

6À partir d'une base de données composée de profils de sols situés dans la plaine de la Mitidja au niveau du site de Meftah, ce travail a pour objectif la prédiction de la rétention en eau des sols à deux niveaux de potentiels (-100 kPa et -1 600 kPa) au moyen de fonctions de pédotransfert.

2. Matériel et méthodes

2.1. Matériel

7Situation géographique de la région d'étude. La région de Meftah se situe au centre de la Mitidja, les vertisols y occupent de larges superficies occupées essentiellement par des cultures maraichères et fourragères. Malgré les différentes contraintes à leur exploitation et les faibles quantités d'eau disponibles, les rendements des cultures y sont relativement élevés (Figure 1).

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8Principales caractéristiques des sols étudiés. Les résultats de l'analyse granulométrique, réalisée selon la méthode internationale à la pipette Robinson, indiquent que les sols de la plaine de la Mitidja ont des teneurs élevées en argile (49,3 % de moyenne), alors que les limons fins sont présents avec des taux appréciables (29,4 % de moyenne). À l'inverse, les taux des limons grossiers et des sables sont bas (Tableau 1).

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9Ces sols sont peu calcaires, globalement neutres mais avec cependant quelques échantillons basiques (un maximum de 9,3), conséquence de la prédominance du cation Ca++ dans le complexe adsorbant (35,39 cmoles+·kg-1 de terre de moyenne). La mesure de la conductivité électrique (C.E.) indique l'absence de salinité, tandis que le dosage du carbone laisse apparaitre des taux de matière organique assez bas. La capacité d'échange cationique (CEC), globalement élevée (une moyenne de 41,22 cmoles+·kg-1 de terre), résulte des taux élevés d'argiles gonflantes, atteignant 64 % pour certains échantillons ; celles-ci impriment à ces sols leur caractère vertique. En effet, ces sols se caractérisent en été par la présence de larges fentes de retrait alors qu'en hiver, après des évènements pluvieux, ils sont saturés d'eau durant de longues périodes. Ces deux situations extrêmes rendent leur exploitation difficile à optimiser (Tableau 2).

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10Texture des sols étudiés pour l'établissement des fonctions de pédotransfert. Les mesures hydriques que nous avons effectuées ont porté sur 154 horizons de 50 profils issus de l'étude agro-pédologique de la Mitidja Est Arba-Meftah, réalisée par le Département de Pédologie de l'Agence nationale des Ressources hydrauliques (Ecrèment, 1971). Les sols sont de texture argileuse à argilo-limoneuse (USDA, 1960) et peuvent être considérés comme représentatifs des vertisols de la région (Figure 2).

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2.2. Méthodes

11Les échantillons ont été prélevés dans un état d'humidité proche de la capacité au champ, au moyen de cylindres métalliques biseautés d'un volume de 100 cm3 chacun. Après application successive des deux potentiels (-100 kPa et -1 600 kPa) au moyen de l'appareil de Richards, les mesures des teneurs en eau ont été réalisées par la méthode gravimétrique à 105 °C (24 h). Enfin, la CEC a été mesurée à pH 7 après saturation à l'acétate d'ammonium à la concentration 1N puis extraction et dosage de NH4+.

12Échantillons destinés au test de validation. Pour tester le niveau de fiabilité des fonctions de pédotransfert, les horizons de surface (environ 0-15 cm) et subsurface (15-40 cm) de cinq profils ont été échantillonnés à raison de deux prélèvements par horizon, soit un total de 20 échantillons issus des mêmes types de sol de la région.

13Ces échantillons ont été soumis à des mesures hydriques identiques à celles des sols étudiés.

14Justification du choix des variables et des FPT. Selon différents auteurs (Cornet, 1976 ; Jamagne et al., 1977 ; Bruand et al., 2002 ; Bruand et al., 2004 ; Al Majou, 2005), les prédictions sont plus précises lorsque la texture et la porosité qui en découlent (volume et distribution des vides) sont prises en considération dans les calculs, alors qu'aux bas potentiels (sol peu humide), l'eau est retenue dans les pores fins résultant de l'agencement textural. Lorsque le sol est moyennement humide, soit aux environs de la capacité au champ, la structure du sol intervient partiellement car l'eau y est retenue, en plus, dans les espaces inter-agrégats. Aux fortes humidités, proches de la saturation et si le sol est structuré, presque tous les vides (structuraux et texturaux) sont remplis d'eau. De ce fait, la texture ou la structure ou leurs effets conjugués s'expriment en fonction du potentiel de l'eau du sol.

15Ainsi, pour obtenir les teneurs en eau à deux potentiels (-100 kPa et -1 600 kPa) avant et après stratification, il a été procédé, à partir du diagramme textural (Figure 2) et des valeurs de la densité apparente, à la répartition des horizons dans différentes classes de pédotransfert (CPT) selon :

16– la texture (stratification texturale),

17– la « structure », exprimée par la densité apparente (stratification structurale),

18– la texture dans des sous-classes de densités apparentes différentes (stratification texturo-structurale).

19De nombreux modèles de fonctions de pédotransfert ont été établis ces dernières décennies et sont considérés comme autant de références ; celui retenu dans le cadre de ce travail est celui de Bastet et al. (1998). La comparaison de ce modèle par Bruand et al. (2002) à d'autres modèles tout aussi récents, sur plusieurs « unités cartographiques de sols », a montré que celui-ci se rapprochait le plus des résultats mesurés et était donc plus fiable. Par ailleurs, il présente l'avantage de la simplicité d'emploi et de la facilité d'accès aux données des sols.

20La formule générale de la fonction de pédotransfert retenue est la suivante :

21W = a1 C1 + a2 C2 + a3 C3 +…+ ai Ci + b

22dans laquelle W est la teneur en eau pondérale, Ci une caractéristique pédologique, ai le coefficient correspondant, b l'ordonnée à l'origine, i le nombre de paramètres descripteurs.

23L'évaluation des FPT se fait essentiellement par une comparaison des moyennes des valeurs prédites par les FPT à celles mesurées. Leur fiabilité est estimée par le calcul de l'erreur moyenne (EM) et de l'écart-type de prédiction qui lui est rattaché (ETP) (Van Alphen et al., 2001) :

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24avec n, le nombre d'échantillons, Өp, la teneur en eau volumique prédite par les FPT, Өm, la teneur en eau volumique mesurée. La prédiction est d'autant moins biaisée que EM est proche de zéro. Ainsi, lorsque la moyenne des EM est positive, les FPT surestiment Ө, alors que si elle est négative, celles-ci la sous-estiment. ETP est l'écart-type de prédiction, il permet d'estimer la précision de l'estimation (EM), cette dernière est d'autant plus précise que l'ETP est proche de zéro.

25EM et ETP peuvent être exprimés par Ө (teneur en eau volumique) ou par W (teneur en eau pondérale).

3. Résultats et discussion

3.1. Fonctions de pédotransfert avant stratification

26Le tableau 3 montre que toutes les équations sont significatives au seuil de 5 %. On y observe également qu'avec les variables argile et matière organique, le coefficient de corrélation est plus élevé au bas potentiel (0,52), la prise en compte de la matière organique (MO) a amélioré la rétention en eau à ce niveau d'énergie, alors que selon Emerson (1995) et Hudson (1994), la matière organique accroît la rétention de l'eau seulement aux hauts potentiels et n'y joue quasiment aucun rôle au point de flétrissement permanent. Ces résultats suggèrent que les effets de la texture et ceux de la matière organique varient d'un sol à l'autre, ils dépendent des niveaux des potentiels étudiés (Bigorre, 2000).

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27En plus de l'argile et de la matière organique et en raison de leurs teneurs relativement élevées, les limons fins ont été introduits comme variable explicative. Cette fraction est connue pour ses capacités à retenir l'eau aux hauts et moyens potentiels.

28Afin de montrer le rôle de la structure dans la rétention en eau des sols aux potentiels moyens (-100 kPa) et aux potentiels élevés, c'est-à-dire aux faibles succions, Bruand et al. (2002) ont proposé des classes de pédotransfert (CPT) par combinaison de la texture et de la structure. En introduisant la densité apparente, ce paramètre qui est censé traduire la porosité du sol (rapport entre les phases solide et vide, non pas la morphologie des assemblages), la relation s'améliore en effet à -100 kPa, c'est-à-dire aux potentiels moyens. À ce niveau, la structure du sol joue en effet un rôle dans la rétention en eau, même s'il reste cependant limité. Ce comportement est expliqué par l'importance relative de la densité apparente (R2 passe de 0,18 à 0,22) pour respectivement Y3 et Y5. On observe également que le coefficient de régression de Da est plus élevé à -100 kPa (1,66 et 2,13 pour respectivement Y5 et Y7), ce qui confirme le rôle positif de ce facteur sur les propriétés hydriques des sols aux potentiels moyens.

29La substitution de l'argile et de la matière organique, principales sources des charges superficielles, par la CEC7 (CEC mesurée à pH 7) (Y7 et Y8) a réduit les coefficients de corrélations pour les deux potentiels. De ce fait, l'emploi de la CECE (CEC effective, mesurée au pH du sol) aurait été encore moins approprié pour les vertisols étudiés. Notons, par ailleurs, la faible valeur du coefficient de régression de la CEC dans ces équations (0,02).

30Ce paramètre physico-chimique continue actuellement de faire l'objet de travaux de recherche afin d'étudier l'opportunité de l'utiliser comme facteur fiable d'estimation de la rétention en eau à différents potentiels (Tessier et al., 1999).

3.2. Régressions multiples après stratification texturale ou classes de pédotransfert (CPT)

31Échantillons de texture argileuse. Pour les sols argileux, le tableau 4 montre qu'à -100 kPa, 19 % de la rétention en eau est expliqué par les trois variables argile, matière organique et limons fins. Lorsque le potentiel baisse, cette relation se renforce et atteint 38 %.

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32Par ailleurs, l'ajout de la densité apparente des sols améliore très faiblement les relations entre les constituants du sol et son eau au potentiel moyen (-100 kPa), ce qui est compréhensible du fait que la structure des sols argileux varie très faiblement lorsque le sol est humide. En effet, l'augmentation du volume des vides subséquent au gonflement du sol est distribuée de manière relativement uniforme, c'est-à-dire qu'elle est constituée principalement de micropores. Aux bas potentiels (-1 600 kPa), la prise en compte de la densité apparente n'a aucun effet (Hillel, 1974), particulièrement dans ce type de sol peu structuré, d'autant plus qu'il s'agit d'argiles gonflantes, celles-ci constituent alors le facteur le plus important de la rétention de l'eau. Dans toutes les équations, les coefficients de régression de l'argile varient peu, ils indiquent ainsi le poids constant de cette fraction granulométrique dans le comportement hydrique de ces sols. À ce niveau d'énergie, l'introduction de Da réduit R2 de 0,38 à 0,27 (Y10 et Y12), de ce fait la prédiction de la FPT est moins fiable.

33L'emploi de la CEC7 (dont le coefficient de régression est très bas : 0,02) en remplacement de l'argile et de la matière organique a eu également un effet défavorable sur la qualité des régressions et ce, quel que soit le niveau du potentiel. R2 varie de 0,12 à 0,22 pour respectivement -100 kPa et -1 600 kPa. De ce fait, et selon ces résultats, la CEC7 ne peut pas être d'un emploi opportun dans les estimations de la réserve en eau des sols de la Mitidja, malgré la disponibilité de ce paramètre lors des travaux d'inventaires des sols. En France, Tessier et al. (1999) ont montré que la CEC7 peut être considérée comme étant un bon prédicteur de la rétention en eau aux bas potentiels (-1 600 kPa). D'après ces mêmes auteurs, la CEC7 est effectivement d'un poids relativement faible dans la rétention de l'eau à la capacité au champ ; ils estiment alors que c'est la densité apparente du sol qui parait être la plus indiquée à cette humidité.

34Des études sur les pH des sols d'Algérie, d'ailleurs souvent neutres à basiques, et leur impact sur la CEC, pourraient apporter des éléments de réponse à ces résultats, qui confirment d'autre part le caractère régional des FPT.  

35Échantillons de texture argilo-limoneuse. Avec les trois variables argile, matière organique et limons fins, la corrélation est plus forte à -1 600 kPa (Y16) ; dans ce cas, on peut également dire qu'en plus de l'argile, les constituants organiques ainsi que les limons fins sont les facteurs qui contribuent le mieux à la rétention de l'eau du sol au bas potentiel, c'est ce qui est exprimé par le coefficient de détermination le plus élevé (0,46) (Tableau 5).

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36Lorsqu'on introduit la densité apparente dans les calculs (Y15, Y17), on observe que l'influence de ce paramètre est positive uniquement au potentiel moyen (-100 kPa). Dans ce cas, il explique alors 10 % de la rétention en eau (R2 passe de 0,36 à 0,46).

37Globalement, les coefficients de régression des argiles varient peu, ceux de la matière organique et des limons fins ainsi que celui de Da sont toujours plus élevés aux bas potentiels. Par ailleurs, comme pour la texture argileuse, l'emploi de la CEC7 dans les sols de texture argilo-limoneuse n'améliore pas les performances des FPT, les équations Y19 et Y20 montrent un coefficient de corrélation plus bas (0,67 et 0,48) que celui des fonctions Y17 et Y18 (0,68 et 0,66), l'écart étant bien plus important à -1 600 kPa. Ce résultat est subséquent en partie au coefficient de régression très bas (0,007) de la CEC dans l'équation Y20. Les valeurs des coefficients de régressions sont plus élevées à -100 kPa, ils traduisent le rôle relativement important de la fraction organique à ce niveau de potentiel.

3.3. Régressions multiples après stratification structurale de l'ensemble des échantillons

38Le rôle de l'argile reste prépondérant dans la formation et la répartition des vides des vertisols, c'est ce qui explique la corrélation plus forte aux bas potentiels qu'aux potentiels moyens. Malgré le faible écart entre les deux densités apparentes, celle qui est plus élevée (1,5) renforce encore plus l'effet de la texture. Avec une densité apparente de 1,4, la rétention en eau expliquée par les trois variables du sol (argile, matière organique, limons fins), passe de 19 % à 24 % lorsque le potentiel baisse de -100 kPa à -1 600 kPa. Pour respectivement les mêmes potentiels mais avec une Da de 1,5, le pourcentage qui explique la fixation de l'eau augmente de 20 % à 49 % (Tableau 6). Les corrélations plus faibles au potentiel -100 kPa indiquent que la densité apparente a un poids plus faible que celui de la texture, ce qui confirme qu'à cet état hydrique, la variable Da traduit uniquement le volume total des vides, sa distribution ne s'exprime pas dans ce cas.

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3.4. Régressions multiples après stratification texturo-structurale

39Échantillons de texture argileuse. Avec les mêmes densités apparentes mais appliquées aux seuls échantillons argileux, les relations de la matrice solide avec la rétention en eau montrent une évolution différente, mais cependant limitée, notamment pour la Da de 1,4. Au potentiel moyen, la corrélation est légèrement plus élevée, indiquant alors que la structure a eu une faible influence sur le comportement hydrique du sol (Tableau 7). Pour des tensions hydriques identiques et à des densités un peu plus élevées, l'écart est plus important à 1 600 kPa. Il faut préciser par ailleurs que les sols argileux ont des densités apparentes généralement moyennes avec des différences limitées lorsque les textures sont proches, ce qui explique leurs valeurs pour les sols étudiés.

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40Échantillons de texture argilo-limoneuse. Ce type de sols, dont le nombre est plus restreint, présente une seule valeur de Da (1,4). Les résultats des mesures aux deux niveaux de potentiels montrent une très faible différence entre les relations avec l'eau retenue (Tableau 8). De -100 kPa à -1 600 kPa, « r » varie très faiblement (0,62 et 0,61).

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41Cependant, les coefficients de régression des différentes variables indiquent des contributions différentes selon le niveau des potentiels appliqués. Ainsi, à -100 kPa, l'argile est d'un poids plus important que les autres facteurs, alors que la matière organique et les limons fins présentent des coefficients de régression plus élevés à -1 600 kPa.

42La comparaison des deux sols semble inappropriée en raison de différences de nombre d'échantillons.

4. Validation des FPT

43En référence à des travaux similaires portant sur d'autres régions du monde (Van Alphen et al., 2001 ; Bruand et al., 2002), nous avons entrepris la validation des FPT au moyen d'échantillons tests afin de calculer l'erreur moyenne prédictive (EM %) pour l'ensemble des textures, puis après différentes stratifications. Le tableau 9 montre que l'erreur moyenne (EM %) est négative lorsque les mesures portent sur la totalité des échantillons de sols et sur ceux de texture argilo-limoneuse. Par contre, elle est positive pour les sols argileux, c'est-à-dire que leurs FPT surestiment légèrement les teneurs prédites. Par ailleurs, l'écart-type prédictif globalement assez bas traduit des EM (%) relativement fiables. Ces résultats montrent en effet que les différences de teneurs en eau entre les valeurs estimées par calcul et celles mesurées sur des échantillons de validation de mêmes constitutions sont faibles, et indiquent que les FPT établies dans ce cadre sont de bonne qualité, malgré le niveau un peu plus élevé de l'EM (%) des sols de texture argilo-limoneuse (-2,86).

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5. Conclusion

44Ce premier travail réalisé en Algérie montre que l'estimation de la rétention en eau à la capacité au champ et au point de flétrissement permanent des vertisols de la Mitidja peut être obtenue au moyen de FPT. En effet, les résultats obtenus montrent que toutes les équations de régression sont significatives au seuil de 5 %. Cependant, selon les stratifications appliquées, la force des relations statistiques entre les caractéristiques et les propriétés des sols et l'eau qui y est retenue, exprimée par les différentes corrélations, dépend des variables prises en compte dans les calculs. Ainsi, par rapport aux travaux réalisés en Europe ou aux États-Unis, cette étude montre les difficultés d'extrapolation des résultats obtenus dans ces continents, en raison notamment des spécificités locales des sols (très faibles teneurs en matière organique, taux de CaCO3 élevés, nature minéralogique des argiles, etc.). En effet, l'emploi de la CEC en remplacement de l'argile et de la matière organique n'améliore pas la relation avec les teneurs en eau du sol et ne peut, de ce fait, constituer un estimateur fiable des réserves hydriques des sols.

45Après stratification texturale, et malgré les faibles différences de valeur, la densité apparente améliore la qualité des prédictions des FPT, particulièrement au potentiel moyen. Les résultats obtenus après stratification texturo-structurale indiquent par ailleurs que les valeurs les plus élevées de ce paramètre (1,5) renforcent la rétention en eau aux bas potentiels, tandis que celles plus faibles (1,4) sont plutôt favorables au potentiel moyen.

46La validation des estimations par l'EM indique que le biais, globalement négatif, est assez bas, notamment lorsque les prédictions sont réalisées avant stratification. Enfin, s'agissant des sols de texture argilo-limoneuse, la stratification texturale a induit un biais négatif relativement élevé.

47Liste des abréviations

48A : argile (%)

49CEC : capacité d'échange cationique

50CPT : classe de pédotransfert

51Da : densité apparente

52ddl : degré de liberté

53Dr : densité réelle

54EM : écart moyen prédictif (%)

55ETP : écart-type prédictif (%)

56FPT : fonction de pédotransfert

57kPa : kilopascals

58LF : limons fins (%)

59MO : matière organique (%)

60r : coefficient de corrélation

61R2 : coefficient de détermination

62SF : sables fins (%)

63SG : sables grossiers (%)

64Sgn : niveau de signification statistique (* : significatif au seuil de 5 %)

65Y : variable dépendante (teneur en eau)

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Pour citer cet article

Bachir Dridi & Samia Zemmouri, «Fonctions de pédotransfert pour les vertisols de la plaine de la Mitidja (Algérie) : recherche de paramètres les plus pertinents pour la rétention en eau», BASE [En ligne], volume 16 (2012), numéro 2, 193-201 URL : https://popups.uliege.be/1780-4507/index.php?id=8650.