BASE

Biotechnologie, Agronomie, Société et Environnement/Biotechnology, Agronomy, Society and Environment

1370-6233 1780-4507

 

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Mohamed Nasser Baco, Gauthier Biaou, Florence Pinton & Jean-Paul Lescure

Les savoirs paysans traditionnels conservent-ils encore l’agrobiodiversité au Bénin ?

(Volume 11 (2007) — numéro 3)
Article
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Annexes

Notes de la rédaction

Reçu le 6 mars 2007, accepté le 3 juillet 2007.

Résumé

L’agrobiodiversité ou diversité des plantes cultivées, élément essentiel de la sécurité alimentaire, paraît aujourd’hui menacée par les mutations contemporaines mondiales, régionales et locales de l’agriculture. C’est pour comprendre l’impact de ces mutations sur l’agrobiodiversité des pays du Sud que nous avons entrepris ces travaux au Bénin, pays d’Afrique occidentale dont 60 % de la population vit de l’agriculture. L’étude s’est uniquement limitée aux mutations à l’échelle nationale et locale. Elle a permis de comprendre que quatre grandes menaces pèsent sur l’agriculture béninoise dont la plus importante est l’inexistence de schéma clair de diffusion semencière. à ce jour, seuls des savoirs paysans, tels que le marquage culturel de certaines variétés, et des pratiques fondées sur des déterminants anthropo-économiques ont permis de conserver cette diversité. Face à l’ampleur de plus en plus importante des défis liés à la modernité, ces patrimoines deviennent insuffisants et aléatoires pour conserver l’agrobiodiversité. La timide implication des encadreurs agricoles ne change pas significativement ce constat. L’étude montre la nécessité de politiques claires soutenant des actions concertées entre différents acteurs pour garantir une gestion dynamique de la diversité agricole, gage de sécurité alimentaire.

Mots-clés : pratique, Agrobiodiversité, savoirs paysans traditionnels

Abstract

Can local knowledge still maintain agrobiodiversity in Benin ? Agrobiodiversity, key component of food security is nowadays confronting many global, regional and local changes of agriculture. This study has been conducted to evaluate the impact of those changes on the agrobiodiversiy in developing countries. The study is undertaken especially in Benin (West Africa) where 60% of people rely upon agriculture for their daily life. Observations were based only on national and local changes. Four mains constraints have been highlighted in agricultural politic of Benin. The most important is the quiet lack of valid and reliable diffusion system of seed. Only few local knowledge as «cultural symbolism of varieties» based on anthropo-economics parameters allowed to maintain diversity. Due to the increasing challenges resulted from modernism, inherited local knowledge failed to efficiently play the same role. Even interventions of formals actors didn’t change the result. The study highlighted the need to implement new policy where actions of all target actors should be addressed in order to ensure dynamic management of agricultural diversity and food security.

Keywords : Bénin, conservation, Benin, conservation, local knowledge, Agrobiodiversity, practices

1. Introduction

1En Afrique sub-saharienne, on assiste à une croissance démographique galopante à laquelle s’ajoutent des problèmes climatiques. Pour répondre à la demande alimentaire de cette population, l’agriculture commerciale moderne, faisant intervenir des variétés performantes, tend à se développer. Ainsi, dans les zones comme le nord Bénin, où le climat est aride ou semi-aride, les écosystèmes comme les agrosystèmes se modifient continuellement, de même que les pratiques culturales notamment à travers la réduction des longues jachères et le développement des cultures de rentes (Zoundjihèkpon et al., 1999). Cette extension continue de l’agriculture, s’accompagne d’une érosion croissante de l’agrobiodiversité. Les mesures de production et de gestion des variétés appliquées à la faveur de l’exécution de certains projets de développement n’ont pas permis de répondre durablement au problème de conservation des semences au Bénin, qui relèvent en réalité plus de déterminants structurels que conjoncturels.

2Plusieurs causes expliquent les sérieuses menaces pesant sur la diversité des plantes cultivées ou l’agrobiodiversité. Déjà au début des années 1960, l’agriculture béninoise avait été marquée par la révolution verte, caractérisée par l’intensification et le développement de variétés adaptées à ce mode de production plus intensif. Parallèlement à son succès, cette révolution verte portait des dangers potentiels qui ont fini par éclore avec la conjonction des facteurs socio-économiques, technologiques et institutionnels caractérisant la gestion du secteur semencier.

3D’autres facteurs contribuent aussi à l’érosion de l’agrobiodiversité et des savoir-faire s’y rapportant comme par exemple les nouvelles habitudes alimentaires, les innovations agricoles. Par ailleurs, le contrôle du local par le global ainsi que le brevetage du vivant sont aujourd’hui les derniers avatars d’un système mondialisé de gestion du patrimoine génétique des pays du Sud avec des menaces évidentes sur le système semencier existant.

4Le Bénin n’échappe pas à cette réalité partagée par tous les pays de l’Afrique subsaharienne et, il devient impératif d’identifier les leviers à actionner pour une restauration rapide de l’agrobiodiversité au niveau national. Cela suppose une analyse diachronique et synchronique de l’évolution des savoirs en la matière, puis une proposition d’esquisse d’équilibrage structurel du système semencier au Bénin, s’il y en avait un.

5L’étude a porté sur des acteurs paysans dont la logique économique était plus proche d’une logique de subsistance que d’un mode productiviste. Ils sont aujourd’hui contraints d’opérer des choix dans leurs processus de développement. La première solution consiste à prendre en compte les savoir-faire dans les questions environnementales et de développement (Pinton, Emperaire, 2001). Les stratégies productivistes qui passent par une intensification de la production aboutissant généralement à une agriculture mono-variétale, constituent la deuxième solution. Quelle que soit la solution, les modèles de développement adoptés par les paysans portent en eux les germes d’influences à court, moyen ou long terme de la diversité cultivée.

6L’objectif de ce travail est donc de faire le diagnostic de l’érosion de la diversité variétale ainsi que des mutations socioculturelles qui lui sont associées, afin de tester l’aptitude des savoirs existants à faire face à ces mutations. Nous partirons de l’exemple béninois en nous appuyant sur des situations similaires dans d’autres endroits du monde. Nous présenterons dans une première partie les menaces actuelles qui pèsent sur l’agriculture béninoise, et nous exposerons ensuite les principaux déterminants socio-économiques et les pratiques qui contribuent au maintien de la diversité des ressources phytogénétiques.

7Nos analyses se focaliseront sur le coton (Gossypium sp.), l’igname (Dioscorea cayenensis-rotundata) et le maïs (Zea mays) qui constituent respectivement les principales cultures de rente, alimentaire à tubercule et alimentaire à céréale. Ils ont l’avantage d’offrir des modèles d’analyses différents et demeurent des cultures « leaders » autour desquels les autres cultures peuvent se raccrocher.

2. Le diagnostic des menaces pesant sur l’agriculture contemporaine béninoise

8Outre les facteurs démographiques et pédo-climatiques classiquement évoqués dans la littérature pour expliquer la baisse de la biodiversité agricole (Malthus, 1803 ; Boserup, 1990 ; Hinrichsen, 1998), d’autres facteurs plus spécifiques y concourent dans chaque région. Au Bénin, l’agrobiodiversité est confrontée à quatre facteurs contribuant à la perte de la diversité existante au sein des communautés rurales. Ces menaces sont à la fois d’ordre socio-culturelles, institutionnelles et économiques.

2.1. La diffusion incontrôlée de certaines technologies hypothèque la diversité

9Pour qu’elle se diffuse, une innovation doit s’insérer dans un système technique existant afin de le perfectionner, elle doit de plus rencontrer un besoin ressenti et non aller à l’encontre du système de valeur (Mendras, 1996). Pourtant dans les pays du Sud comme le Bénin, les communautés rurales censées recevoir les innovations, peuvent percevoir celles-ci comme des instruments de leur déstructuration ou de leur restructuration socio-culturelle (Floquet, Mongbo, 1998). C’est à ce niveau que se pose toute la problématique de ce sujet. Certes les technologies modernes sont porteuses de développement, mais elles n’offrent pas toujours des gages de durabilité pour les sociétés rurales. Ces innovations, généralement issues de la culture occidentale tendent à se substituer aux pratiques et savoirs locaux. Or, un développement agricole durable s’avère difficile à réaliser sur la base du mimétisme dans une société possédant sa spécificité culturelle et ses traditions. Van Den Akker et al. (1997) signalent que plusieurs technologies aussi bien techniques qu’institutionnelles ont été diffusées au Bénin ces vingt dernières années. L’introduction de variétés améliorées, la gestion de la fertilité des sols, l’octroi de crédits agricoles et le contact avec certains projets de développement agricole sont quelques-unes de ces technologies. L’introduction des variétés améliorées de maïs (QPM : Quality Protein Maize, TZSR : Tropical Zea Streak Resistant, etc.) a conduit par exemple à l’abandon des variétés locales (Ikpechi, Baya, Gbérénou souan, etc.) à Tchaourou et à N’dali. Dans le Nord-Ouest du pays, les paysans s’orientent davantage vers le coton qui bénéficie d’intrants agricoles au détriment des spéculations vivrières, rendant ainsi les agriculteurs vivriers plus fragiles. L’introduction du coton provoque des réorganisations techniques et de nouvelles logiques de production, qui remodèlent le système de culture paysan reposant sur des pratiques rudimentaires peu productives, et peu rentables. La « valeur ajoutée » induite par les technologies agricoles à travers les projets de développement se mesure seulement en termes de généralisation de normes productivistes, paramètres largement antinomiques à la logique ancestrale. Les conseillers agricoles préconisent par exemple l’utilisation de fumure minérale sur les plantes à racines et tubercules, technique contrastant avec l’ancienne perception qui considère que cette pratique déprécie les qualités culinaires de la plante.

10Les normes productivistes tendent en général vers une agriculture monospécifique, voire monovariétale orientée vers le marché. Les récoltes ne sont plus prioritairement destinées à la consommation des familles paysannes, entraînant des périodes de soudure longues et difficiles à gérer par celles-ci. De plus, les revenus des agriculteurs sont hypothéqués par la non-maîtrise des marchés et la fluctuation des prix.

11Le raccourcissement progressif de la jachère et des techniques culturales épuisant le sol à long terme ont causé une baisse considérable des rendements agricoles et l’abandon de certaines variétés (Neef, 1993). Les néo-pratiques paysannes (ajustements culturels, utilisation de variétés de maïs améliorés anciennement adoptés, etc.) qui apparaissent suite à la confrontation avec le nouvel environnement sont faussement perçues par les intervenants comme des pratiques ancestrales et ne rassurent pas sur leurs capacités réelles à conserver la diversité dans le nouvel environnement. Dans ces conditions, les savoirs séculaires paysans sont contraints de muer pour faire face aux défis actuels de sécurisation alimentaire.

2.2. L’absence d’un schéma clair pour les systèmes semenciers

12Les semences sont en amont de la production agricole, leur qualité est un des facteurs déterminants du rendement de toute culture et leur disponibilité est la condition préalable à un bon démarrage de la campagne agricole.

13Le coton. Le coton reste la seule culture bénéficiant au Bénin d’un système semencier formel. Ce système se trouve cependant confronté à d’énormes problèmes liés aux systèmes institutionnel et organisationnel de distribution. En effet, les semences de coton sont gratuitement livrées aux producteurs par les services publics d’encadrement. Cette livraison enlève à cette ressource toute valeur aussi bien sociale que monétaire et on assiste à son utilisation irrationnelle (pourritures, vente illicite, mauvais entretien, etc.).

14L’igname. Le système semencier en vigueur est auto-géré et auto-entretenu par les producteurs depuis des siècles (Baco et al., 2004). Les semences valorisées sont celles issues d’achat ou d’un réseau social d’échange auquel appartient le bénéficiaire. Dans le cas des semences achetées, les producteurs mesurent la valeur en quantité de sacs ou de bassines d’une culture donnée ou en nombre de tête de bétail vendues pour acquérir le montant correspondant à l’achat de la semence. Par contre dans le cas des semences non achetées, c’est le lien social, les circonstances du don, de l’échange, et de l’héritage qui valorisent la semence et qui amènent les producteurs à en prendre soin. Les dons sont des offres de variétés sans contre-partie exigible. Ils constituent une marque de solidarité et concernent les producteurs qui, pour diverses raisons (maladies, calamités, etc.), ont perdu leur matériel végétal. Ils sont aussi un signe de reconnaissance ou une marque d’alliance et concernent des variétés rares ou particulières.

15Les dons et les échanges simples concernent les membres d’un même réseau social et ne dépassant pas le cadre de leur communauté. Au Nord Cameroun, dans les monts Mandara, Seignobos (1992) fait remarquer que les dons de pieds d’igname sont inexistants. Les semences d’ignames sont échangées soit contre une chèvre, soit contre deux ou trois fers de houe, soit contre la promesse d’une alliance matrimoniale. L’approvisionnement de semences entre producteurs dans ce cas, sont régis par des relations quasi marchandes ce qui n’est pas le cas des producteurs d’igname béninois qui mettent l’accent sur l’immatérialité et les liens sociaux. Les dons ne sont que les véhicules d’une identité et sont nés de la volonté de maintenir les liens entre les membres séparés d’un groupe, cela évite la rupture des réseaux de parenté malgré les mouvements géographiques qui tendent à les disperser.

16Le maïs. Pour cultiver le maïs, les paysans utilisent les « semences locales » issues de la précédente récolte (circuit informel), ou achètent les semences améliorées proposées par les services publics d’encadrement (circuit formel).

17En se référant aux principales cultures du pays (coton, igname et maïs), il apparaît que l’agriculture béninoise est principalement soutenue par un système semencier informel dans lequel les producteurs sont les seuls acteurs. Faute d’une implication active du système formel, la permanente diffusion de diversité de « paysan à paysan » ne garantit pas une durabilité des cultivars et des pratiques. En effet les semences paysannes sont généralement considérées par les agronomes comme des ressources aux potentialités limitées, ayant une large part de responsabilité dans la faible productivité des systèmes agricoles traditionnels (Vernooy, 2003). L’apport de « sang neuf » au travers de réseaux formels d’introduction de nouvelles variétés semble plus que nécessaire. Il ressort que le système le plus efficient de diffusion des semences et de conservation de l’agrobiodiversité est celui qui maintiendrait la valeur (sociale ou monétaire) de la semence et qui combinerait à la fois le système formel et informel gage d’une gestion dynamique. Or l’agriculture béninoise ne répond à ce schéma pour aucune de ces cultures.

2.3. Le privilège accordé aux cultures industrielles et commerciales

18Le mandat de la recherche en amélioration des plantes s’est centré autour de l’augmentation des rendements d’un nombre réduit de plantes de grande culture (coton, anacardier ou Anacardium occidentale, palmier à huile ou Elais guineensis, etc.). Par ailleurs, les systèmes de transformation et de distribution alimentaires modernes n’arrivent pas à gérer une grande diversité d’espèces ; il est plus rentable du point de vue des industries agro-alimentaires de proposer une gamme limitée de denrées alimentaires uniformisées. Selon Brush et al. (1988), Pionetti (2004), ces deux phénomènes expliquent en grande partie que plus de la moitié des besoins alimentaires de la planète soient aujourd’hui satisfaits par quatre cultures principales dont le maïs. Ces options politiques dans l’organisation de la production agricole ont conduit à une érosion génétique massive. Au Bénin, un grand intérêt a été accordé à la culture cotonnière au détriment des autres cultures. Selon Zoundjihèkpon et al., (1998), le développement du café et du cacao en Côte d’Ivoire, du coton au Bénin et au Mali, conduit actuellement à des problèmes de conservation des ressources génétiques. Les communautés rurales concernées abandonnent leurs cultures alimentaires au profit de ces spéculations industrielles pour des raisons financières.

19Une autre source d’inquiétude faisant craindre la perte de diversité réside dans l’introduction de variétés très performantes comme par exemple dans le nord du Bénin, de la variété d’igname « Florido » (appartenant à l’espèce Dioscorea alata) issue de Porto Rico. Dumont et Marti (1997), Hamon et al. (1995), rapportent que l’introduction et la diffusion de cette variété dans l’agriculture ivoirienne, où elle occupe aujourd’hui 60 % des superficies plantées en igname, a fait perdre à ce pays sa diversité en igname africaine. Socialement et culinairement, les D. alata  sont très peu valorisées au Bénin ; malgré une introduction relativement ancienne (30 ans environs) les superficies qui leur sont allouées restent marginales et elles ne sont toujours pas culturellement assimilées à une igname. Cependant, les observations récentes sur le terrain montrent que l’intensité des actions des projets de développement tend à changer la perception paysanne sur cette variété. Actuellement chez les paysans qui l’ont adoptée depuis une décennie, la Florido est plus cultivée que les autres variétés d’alata. Ce changement s’explique par le fait que la Florido est bien vendue sur le marché (deux à trois fois le prix des autres alata) grâce à sa longue durée de conservation, à son aptitude à entrer dans la composition de plusieurs mets et à ses qualités organoleptiques.

20Les enquêtes sur le terrain ont aussi permis de comprendre que l’igname autrefois cultivée dans un but alimentaire est en passe de devenir une culture commerciale s’exportant au-delà des frontières. Cette forte empreinte du marché fait craindre pour la conservation de l’agrobiodiversité.

2.4. Un abandon et une disparition des pratiques et des savoirs

21Reconnu pour être le berceau du « vodoun » (religion animiste), le Bénin n’est pas épargné par le courant important d’évangélisation en cours dans l’Afrique de l’Ouest au 20e siècle (Tall, 1995). Le vodoun est tout ce qui est mystérieux à l’entendement humain (Maupoil, 1986). Il représente des objets-dieux, le lieu où s’opère symboliquement la fusion de l’identité humaine et de l’identité divine (Augé, 1986). Sur toute l’ancienne côte des esclaves, le culte des vodoun régissait l’ensemble des relations des hommes avec la nature. Mais devant l’émergence des religions et cultes nouveaux qui viennent le concurrencer, on peut se demander ce qu’ils apportent de semblable ou de distinct. Sur le plan agricole, Baco et al. (2004) constatent que le regain d’intérêt pour les religions monothéistes (chrétienne et musulmane) est devenu un frein pour la célébration des cérémonies animistes comme les fêtes de « sortie » de la nouvelle igname dans le nord Bénin. Pourtant les fêtes de « sortie » des nouvelles récoltes constituaient jadis des pratiques communautaires qui ont permis de conserver certaines variétés. On assiste à la perte des marqueurs identitaires et à l’adoption d’identités marquées par des emprunts culturels. La perception cognitive c’est-à-dire le corpus de connaissance et de représentations qui se rattachait à la diversité des plantes cultivées se modifie de génération en génération (Pinton, Emperaire, 2001).

22Avant les années 1970, la consommation du maïs était un acte déshonorant pour le paysan Bariba du nord Bénin qui assurait la totalité de ses besoins alimentaires à partir de l’igname et accessoirement du sorgho (Sorghum bicolor) (Dumont, 1997). Depuis une quarantaine d’années, le taux d’accroissement des superficies emblavées en sorgho a baissé, de même que sa consommation, alors que celle du maïs est devenue importante. Ce bouleversement des habitudes alimentaires est imputable aux brassages entre communautés venant d’horizon divers (nord et sud du pays). La « traduction variétale » de cette mutation alimentaire est lourde de conséquence pour la diversité des plantes cultivées. Elle se traduit par la perte de la diversité en sorgho et en mil (Pennisetum glaucum) et des savoirs qui leurs sont rattachés. Il s’ensuit une modification de agrosystèmes du nord du pays.

23Par ailleurs, on constate aussi dans l’agriculture béninoise l’abandon de certaines techniques culturales : offrandes magico-religieuses censées augmenter les rendements, les jachères longues, la culture itinérante sur brûlis, etc. et le développement des cultures de rente telles que le coton et l’anacardier. Les anciens savoirs ne jouent plus leurs fonctions dans le cadre des pratiques nouvelles. C’est le cas des pratiques de jachères améliorées avec des légumineuses (Mucuna pruriens, Aechinomanae utililis, etc.), l’utilisation d’engrais chimiques, les nouveaux assolements rotations qui intègrent les cultures de rentes, la traction animale, l’utilisation de variétés améliorées, etc.

3. Diagnostic des pratiques paysannes de gestion de la diversité encore présentes dans l’agriculture béninoise

3.1. Des pratiques de maintien de la diversité

24La culture polyvariétale. Elle consiste à cultiver à la fois plusieurs variétés présentant diverses caractéristiques agronomiques (précocité, rendement, résistance aux maladies, parasites et sécheresse, etc.) et culinaires dans un même champ ou dans des champs différents. Les variétés en combinaison sont fonction des préférences du paysan, du type de sol, du stade d’évolution de la jachère et du souci d’assurer une sécurité alimentaire à la famille. Cette pratique se retrouve dans toutes les zones de production au Bénin. Elle est plus active au nord et surtout dans l’aire culturelle Bariba où un paysan peut cumuler dans son champ plus de 12 variétés d’igname (Dansi et al., 1997). Mais on observe cette tendance chez tous les producteurs d’ignames sans distinction d’ethnie, de sexe ou de niveau social (Tostain et al., 2002).

25Plusieurs avantages sont à l’actif de cette pratique endogène. Elle permet aux paysans de cultiver les variétés s’adaptant le mieux aux conditions pédologiques de leurs champs et répondant à la fois à leurs divers besoins. Elle autorise la conservation d’une grande diversité variétale intra- et inter-spécifique. Dansi et al. (1997) ont montré que l’association de variétés à précocité différente permet aux paysans un échelonnement de la récolte dans le temps et donc de disposer d’un stock vivrier jusqu’à la nouvelle récolte. La pratique de la culture polyvariétale donne aux paysans la capacité de gérer les incertitudes et les risques en sélectionnant les variétés qui répondent mieux à leurs objectifs. En milieu Bariba, la détention de plusieurs variétés est à la fois un critère de prestige pour le paysan et une source d’enrichissement.

26Malgré ces multiples avantages, la culture polyvariétale est handicapée par le peu d’importance accordée à certaines variétés mineures d’igname telles que Touko-nou-Woura, Soassé, Boubiri-boubiri, Bomatangui, Moussougou souan, Akpinnou, Yô soussou qui ne présentent aucun avantage financier et finissent par disparaître.

27Marquage identitaire et culturel de certaines variétés. Les variétés utilisées au Bénin varient selon les aires culturelles. Dans des communautés traditionnelles paysannes, certains cultivars sont associés à des fonctions sociales et religieuses précises. C’est le cas, en milieu Bariba, de Kpanhoura utilisé pour les fêtes d’ignames et de Kinkérékou qui permet de tester les compétences culinaires des jeunes femmes nouvel-lement mariées.

28Les variétés de niébé (Vigna sp.) Nibodilè, Nansi, Daliwa, Gangbé et Kelena, sont utilisées par les Boo de la localité de Ségbana, au nord du pays en offrande aux mânes des ancêtres pour assurer une réussite à la chasse, « amener la pluie » et faire les sacrifices rituels à l’occasion de la naissance de jumeaux.

29Dans le sud du pays, ce sont les variétés rouges du niébé qui interviennent comme offrande dans les cérémonies des sociétés « secrètes » vodoun telles que Oro, Sakpata, Hêbiosso, Dan, Zangbéto, et dans certaines cérémonies funéraires. Cette nécessité d’avoir ces variétés rouges pour les cultes amène des paysans à consacrer de petites parcelles à leur culture. Les acteurs impliqués dans ces pratiques sont surtout les chefs coutumiers, les chefs de terres et les vieilles femmes, garants de la tradition.

30Ces pratiques ont l’avantage de permettre une conservation durable des variétés concernées même quand celles-ci cessent d’être compétitives. L’abandon ou l’indifférence actuelle des jeunes vis-à-vis des pratiques culturelles impliquant ces variétés pourrait compromettre à la longue leur maintien et favoriser leur disparition (Tostain et al., 2002).

3.2. Pratiques paysannes liées au renforcement de la diversité variétale des ignames

31Les échanges variétaux entre paysans. C’est une pratique qui permet à un producteur d’acquérir chez un autre paysan une variété dont il ne dispose pas. Les avantages liés à cette pratique sont de deux ordres. Le paysan qui offre renforce par ce geste sa position sociale. D’autre part, les échanges favorisent le brassage et la dissémination géographique des variétés. Plus la variété sera possédée par de nombreux paysans et à des endroits différents, moins rapide sera sa disparition. Ces échanges jouent ainsi un grand rôle dans la conservation à la ferme des cultivars.

32L’analyse de l’empreinte spatiale (réalisée à travers les échanges de variétés entre producteurs en considérant l’espace social et l’espace géographique) révèle que les échanges variétaux sont des pratiques de proximité, qui s’effectue surtout entre paysans d’un même village (70 % des cas), moyennement entre villages (25 %) et rarement entre villages transfrontaliers (3 %). Dans une étude similaire sur le Taro au Vanuatu, Caillon et al. (2005) montrent que les échanges de variétés de taro se font surtout entre paysans de la même famille dans le même village. En Amazonie brésilienne par contre, les variétés de manioc échangées, peuvent venir de plusieurs centaines de kilomètres (Brésil, Colombie, Venezuela) pour se greffer au stock initial (Pinton, Emperaire, 2001 ; Pinton, 2002). Les échanges montrent l’existence d’une forte perméabilité culturelle et matérielle entre les différents groupes familiaux, ethniques, et géographiques. Il en découle une cartographie spatiale des échanges variétaux permettant une approche multi-scalaire des politiques de conservation de la diversité des plantes cultivées.

33Introductions variétales. Les introductions variétales se font soit à partir d’autres régions éloignées du pays soit à partir des pays voisins à travers les voyages entrepris par certains paysans. Le mouvement interne d’introduction le plus observé est celui des paysans de l’Atacora et de la Donga qui descendent avec leurs variétés dans les départements du Borgou et des Collines en quête de bonnes terres arables. Les introductions à partir des pays voisins sont surtout intenses dans les villages frontaliers avec le Nigeria, ce pays étant le premier producteur mondial d’igname. Les introductions à partir du Togo sont faibles car les personnes émigrant vers ce pays n’y vont pas prioritairement pour des raisons agricoles, ce qui n’est pas le cas des immigrations en direction du Nigeria. Lorsque les personnes qui s’y rendent le font pour des raisons agricoles, elles travaillent dans les champs de cacao du sud centre Togo (Atapkamé, Kpalimé, etc.).

34Les acteurs impliqués dans cette pratique appartiennent à deux catégories : les paysans émigrants qui reviennent au pays avec les variétés d’ignames du pays hôte et les paysans immigrants des pays voisins ou d’autres zones de production du Bénin et qui amènent avec eux leurs variétés préférées dans les villages d’installation. Ces introductions constituent une véritable source de renforcement de la diversité variétale mais présentent plusieurs faiblesses. En effet le caractère individuel et isolé de ces introductions fait qu’elles échappent à tout contrôle sanitaire, et les structures officielles ne peuvent pas proposer de plan de quarantaine.

35Domestication des ignames sauvages. La domestication consiste à cultiver des ignames sauvages Dioscorea abyssinica collectées dans leur habitat naturel (forêt, savane, jachères) et à les soumettre à une série de contraintes dans le but d’obtenir des ignames cultivées. Elle n’est pratiquée aujourd’hui que par très peu de paysans soit 3,7 % au nord Bénin (Tostain et al., 2002). La domestication comporte plusieurs sous-pratiques : le choix des individus à domestiquer, le prélèvement partiel des pieds, l’utilisation d’obstacles à la croissance en profondeur du tubercule pendant la phase de culture, la pratique de la double récolte, la sélection des clones intéressants, le mélange variétal, la dénomination des nouveaux clones ainsi que leur multiplication et leur diffusion. La domestication des ignames sauvages est observée dans toutes les aires de production des ignames au Bénin (Dumont, Vernier, 2000). Dans le Département de l’Atlantique, qui n’est pas une grande zone de culture d’igname, une forme de domestication, appelée paraculture, est signalée. D’après Dounias (1996), Hladik et al. (1984), les ignames ainsi traitées font l’objet d’une véritable appropriation de la part des collecteurs. La paraculture n’a pas pour finalité de faire des ignames sauvages des plantes cultivées ; elle permet de les utiliser tout en les maintenant dans leur environnement naturel. Ce modèle d’exploitation s’apparente à l’extractivisme et l’objectif dans ce cas est de prélever dans un milieu des produits végétaux destinés à la vente et non à un usage domestique (Lescure, Castro 1992 ; Lescure, 1997). Par ailleurs, l’examen sous l’angle de la domestication des plantes, révèle que la majorité d’entre elles selon les lieux et les circonstances, se répartit tout au long d’un gradient allant du sauvage au cultivé en bénéficiant de pratiques diverses.

36Dans le cas de l’igname, les acteurs impliqués sont tous des hommes, mais les femmes participent à l’évaluation des produits finis de la domestication. La domestication n’est pas une pratique spécifique à une ethnie et ne dépend pas forcément de la religion ou de l’âge. Mais, la pratique de la domestication est surtout l’apanage de paysans ayant un niveau de vie modeste (Baco et al., 2004). Ils l’abandonnent au fur et à mesure que leur niveau de prospérité s’améliore. Une raison évoquée pour justifier ce constat est le statut déshonorant conféré par l’usage des ignames sauvages dans l’actuelle communauté du nord Bénin. La deuxième raison est liée au fait que les paysans « riches » (Nomma birou toura) ont des moyens ou appartiennent à des réseaux sociaux qui leur permettent d’avoir des variétés à planter. Ce qui n’est pas le cas des paysans pauvres (Boin boin) qui ont souvent recourt à la domestication pour créer de nouvelles variétés.

37Les motivations des paysans domesticateurs sont diverses. On peut citer entre autres la recherche de nouvelles variétés ayant de meilleures caractéristiques agronomiques, le souci de retrouver des variétés anciennes disparues ou non, la curiosité (la volonté de tester ou d’expérimenter ce savoir-faire), le souci de transmettre ce savoir à la jeune génération (cas des domesticateurs âgés), la recherche de matériels de plantation, la lutte contre la famine, etc.

4. Les « nouveaux habits » des savoirs paysans traditionnels

38Selon Chambers (1990), le savoir des populations rurales n’est pas toujours valable ou utile. Il faut éviter de prêter à toute pratique traditionnelle un rôle important dans le maintien de l’environnement et de la diversité génétique. Il existe des bonnes et des mauvaises pratiques, qu’elles soient traditionnelles ou modernes. C’est pour cela qu’« il faut se garder d’un fétichisme qui doterait les savoirs paysans de toutes les vertus qui leur étaient refusées autrefois : ils ne sont pas une panacée universelle propre à résoudre toutes les misères » (Dupré, 1991). L’argument le plus souvent avancé pour louer sans réserve les mérites des savoirs des sociétés paysannes est qu’ils résultent d’une longue expérience du milieu et qu’ils représentent une adaptation parfaite à leur environnement. Mais c’est oublier que les sociétés migrantes changent d’environnement de même que l’environnement d’une société se modifie sans cesse. Par exemple dans le nord du pays, les producteurs berba et lokpa, migrent de nos jours de l’est vers l’ouest à la recherche de terres fertiles. Ces nouveaux migrants ne maîtrisent par les milieux colonisés et il parait incohérent de compter sur eux pour conserver la diversité variétale. Ils adoptent de façon précaire et provisoire les variétés des communautés qui les accueillent. De même, les Peuls, anciennement éleveurs et convertis récemment à l’agriculture, ne disposent pas de pratiques avérées permettant de gérer durablement la diversité des ignames. Pourtant ces différents groupes revendiqueront un positionnement stratégique dans les plans de conservation.

39Dans ce nouveau contexte, il s’agira de prendre en compte les dynamiques de construction des savoirs qui reposent aussi bien sur des emprunts à la modernité que sur les recompositions voire les réinventions de traditions. Il s’agit d’analyser la manière dont les savoirs traditionnels populaires sont mobilisés dans les processus de reconstruction des identités et de redécouverte des traditions. Il faut étudier de nos jours pourquoi les savoirs sont aujourd’hui soumis à des processus de patrimonialisation (Cormier-Salem, Roussel, 2002).

40Le défi aujourd’hui se trouve aussi dans l’étude scientifique des savoirs et pratiques endogènes, la pertinence actuelle des pratiques, la pertinence des acteurs sensés détenir ces pratiques. Dans un travail sur la domestication des ignames sauvages (Baco et al., 2004), la première année d’investigation a difficilement révélé les rares personnes poursuivant cette pratique endogène de création variétale considérée comme déshonorante. à la suite de plusieurs missions faites sur le terrain en compagnie de chercheurs occidentaux, la situation s’est inversée. Désormais les villages comptent de nombreux « domesticateurs » et la pratique a été revalorisée par le contact avec le « blanc », symbole d’argent, de voyage, de matériels agricoles, de prestige. Cet exemple met en lumière les biais auxquels le scientifique s’expose lorsqu’il étudie les anciennes pratiques face aux réalités actuelles.

41Un autre piège qu’il faut éviter dans l’analyse de ces études des pratiques endogènes réside dans la distorsion causée par le discours international qui reconnaît l’existence de communautés indigènes. La Conférence de Rio a entériné la modification du discours sur la conservation. Désormais, on ne doit pas conserver des espaces et des espèces, aux dépens des « communautés locales » qui en vivent et y vivent (Wells, Brandon, 1992). Les pratiques paysannes qui étaient perçues comme catastrophiques et donc combattues sont acceptées et encouragées. Ce constat est confirmé par Michon et al. (2002) qui font remarquer que la montée du discours international sur les « communautés indigènes » a eu pour résultats d’inverser les perceptions et les discours des groupes ethniques sur leur identité, leurs pratiques et leurs savoirs. De nombreuses communautés se retrouvent une « néo-tradition » verte, juste pour contenter les bailleurs de fonds et les ONG. Pour bénéficier d’un meilleur partage des avantages environnementaux ou d’un projet de développement, il est nécessaire pour une communauté de paysans de revendiquer le statut de communauté « indigène ». Certains savoirs détenus par ce type de communauté indigène deviennent dans ce contexte des faux-semblants pour bénéficier de la surenchère du discours environnemental (Aubertin, Boisvert, 1998).

42Malgré ces réserves, il n’en demeure pas moins que de nombreux savoirs et pratiques issus des communautés paysannes jouent un rôle prépondérant dans le maintien de l’Agrobiodiversité. Le problème est de valoriser ce patrimoine pour servir aux objectifs du développement économique et social. Les agriculteurs connaissent des choses que les scientifiques ignorent, et vice versa. Il reste à chercher les moyens pour que ces connaissances soient partagées au profit des deux groupes. à la suite de Kilahama (1997), nous proposons dans cette étude une complémentarité entre savoirs locaux et les savoirs scientifiques en considérant que la prise en compte des stratégies et pratiques paysannes, des innovations dites endogènes (Floquet, Mongbo, 1998) permettra de mieux appréhender les dynamiques d’évolution des systèmes de production et de jeter les bases d’une science agronomique locale vigoureuse.

5. Un appui nécessaire : de nouveaux outils à la disposition de la conservation locale

43La radioscopie de la conservation révèle un déséquilibre entre les menaces contemporaines d’érosion et les pratiques ancestrales de conservation. Les structures d’encadrement percevant le danger proposent depuis une décennie un ensemble de technologies pour renforcer les savoirs paysans.

5.1. La sélection variétale participative

44En opposition à la diffusion incontrôlée des variétés améliorées qui conduit à la perte de la diversité existante, la sélection variétale participative implique les communautés de producteurs dans la sélection des variétés qui répondent à leurs conditions et à leurs objectifs de production. La généralisation de cette approche depuis les années 1990, période où le concept de la participation a reçu un écho favorable, contribue aujourd’hui à une adoption raisonnée des variétés améliorées.

5.2. Les banques communautaires de semences

45Les banques communautaires ont été installées dans certains villages par la GTZ (Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit ou Coopération Technique Allemande) pour permettre aux villages bénéficiaires de disposer d’année en année d’un pool variétal stable. Le succès obtenu par cette expérience demeure mitigé. En effet, les villages bénéficiaires ont été très peu associés au processus d’installation des banques ce qui a conduit à leur transformation en magasins villageois de stockage des moissons.

5.3. Les foires de diversité

46Les foires de diversité sont des pratiques communautaires qui permettent à des producteurs de différentes origines de se retrouver en un point pour montrer toute la diversité agricole exploitée dans leur zone de provenance. Elles permettent de connaître le matériel étranger et d’échanger les savoirs et les cultivars. Les foires de diversité ont permis de localiser les conservateurs locaux, d’identifier les différents cultivars, de comprendre les raisons qui motivent la production de ces cultivars au champ et de renforcer la conscience des communautés sur leurs ressources. Tous ces avantages demeurent faiblement atteints car les producteurs confondent ces foires spécifiques avec les foires classiques où l’accent est plutôt mis sur l’ampleur de la production.

5.4. L’installation des semenciers villageois

47Pour favoriser la production in situ des semences, les intervenants agricoles (recherche agricole, service publique de vulgarisation) choisissent des paysans qu’ils forment pour faire de la production de semences une activité génératrice de revenus. L’expérience est largement en cours sur le manioc et sera bientôt étendue à l’igname. Cependant l’analyse du processus révèle un manque d’efficacité. Le choix des semenciers locaux n’est pas rationnel. Il se fonde plus sur des affinités ou sur la fonction sociale de la personne choisie. Il existe pourtant des semenciers endogènes qui détiennent un riche savoir faire et dont l’expérience n’est ni exploitée ni valorisée suffisamment.

48Dans ces conditions, les nouveaux outils préconisés par les structures formelles ne garantissent pas une conservation durable de la diversité.

6. Conclusion

49L’agriculture béninoise est lourdement handicapée par des contraintes dont les plus importantes sont l’absence d’un schéma clair pour les systèmes semenciers, la « dictature » des cultures industrielles, l’abandon et la disparition des pratiques et savoirs locaux, les flux migratoires inter-régions et transfrontaliers, la forte empreinte du marché dans la définition des nouveaux objectifs de production des producteurs. Ces lourdes mutations ne sont pas sans conséquences sur le maintien de la diversité des plantes cultivées et par conséquent sur la sécurité alimentaire.

50L’étude a montré qu’il existe, malgré ces menaces, des pratiques paysannes qui ont subsisté avec le temps et qui sont les seules armes détenues réellement par les conservateurs locaux pour préserver l’agrobiodiversité. Ces pratiques concernent aussi bien des processus de maintien que des processus d’enrichissement de la diversité. Face à la sévérité des menaces d’érosion, d’autres outils et concepts (sélection variétale participative, foire de diversité, banque de semences, etc.) dont les paysans ne sont pas les initiateurs apparaissent et semblent offrir des gages d’une conservation plus efficace. En réponse à la question de départ, l’étude permet de déduire que les savoirs paysans à eux seuls, ne suffisent plus pour conserver la diversité agricole. Malgré l’assurance que semblent donner les pratiques locales, il paraît nécessaire de relativiser la « sagesse écologique » des communautés paysannes. L’étude montre la nécessité de mener et de renforcer les actions d’accompagnement et les mesures compensatoires pour freiner les impacts négatifs de certaines mutations. La définition d’une politique semencière fiable et la nécessité d’actions concertées entre les différents acteurs (recherche, ONG, projets de développement, paysans, institutions financières et décideurs) sont entre autres des actions recommandées pour rendre durable l’agriculture béninoise et assurer la sécurité alimentaire des ménages ruraux pauvres.

51Remerciement

52Nous tenons à remercier l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement) et l’INRAB (Institut National des Recherches Agricoles du Bénin) pour avoir soutenu matériellement et financièrement cette recherche.

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Pour citer cet article

Mohamed Nasser Baco, Gauthier Biaou, Florence Pinton & Jean-Paul Lescure, «Les savoirs paysans traditionnels conservent-ils encore l’agrobiodiversité au Bénin ?», BASE [En ligne], numéro 3, Volume 11 (2007), 201-210 URL : https://popups.uliege.be/1780-4507/index.php?id=851.

A propos de : Mohamed Nasser Baco

Institut National des Recherches agricoles du Bénin (INRAB). BP 27. Parakou (République du Bénin). E-mail : nasserbaco@yahoo.fr – nasser.baco@orleans.ird.fr

A propos de : Gauthier Biaou

Institut de Recherche pour le Développement (IRD). 5, rue du carbone. 45072 Orléans Cedex 2 (France).

A propos de : Florence Pinton

Faculté des Sciences agronomiques. Université d’Abomey Calavi. 01 BP 26 Cotonou (République du Bénin).

A propos de : Jean-Paul Lescure

Institut de Recherche pour le Développement (IRD). 5, rue du carbone. 45072 Orléans Cedex 2 (France).