BASE BASE -  Volume 15 (2011)  numéro 3 

Système lignager, moteur de l'expansion de la culture cotonnière ? Le cas des Bwa du Burkina Faso

Marie Phliponeau

Université Paris 8. UFR Territoires, Environnements, Sociétés (TES). Département Anthropologie. Rue de la Liberté, 2. F-93526 Saint-Denis cedex (France). E-mail : mariephlip@hotmail.com

Hervé Guibert

CIRAD-PERSYST. CRA-CF. 01 BP 715. Cotonou (Bénin) – URSCA. TA B-102/02. Avenue du Val de Montferrand. F-34398 Montpellier CEDEX 05 (France).

Notes de la rédaction :

Reçu le 27 avril 2010, accepté le 7 décembre 2010

Résumé

Au Burkina Faso, pays africain producteur de coton, les situations sociales des producteurs de coton sont diverses, tout comme les performances économiques de leurs exploitations. L'étude porte sur la région cotonnière bwaba de Houndé, l'une des plus productrices du pays, où le développement du coton a été une success story. Dans le village de Dossi, l'analyse porte sur les raisons de ce succès en étudiant les liens existant entre le développement de la culture cotonnière et l'organisation sociale, notamment l'organisation lignagère traditionnelle. La production cotonnière nationale est organisée autour des groupements de producteurs de coton (GPC). À Dossi, l'étude a montré que les liens de dépendance entre lignages fondateurs et lignages accueillis, entre ainés et membres dépendants du lignage, structurent les GPC. Le système lignager traditionnel, en s'adaptant et en rationalisant l'organisation de la production, est ainsi devenu une des clés du succès cotonnier de la région de Houndé. Cette activité économique cotonnière a pu se développer car elle n'entrait pas en conflit avec le système traditionnel. Toutefois, cela s'est accompagné d'un creusement des inégalités socio-économiques au sein des GPC. Aujourd'hui, le fait d'appartenir à un lignage fondateur se révèle être déterminant dans le contexte de la culture commerciale du coton. Cependant, des mutations sociales sont en cours au sein de ces lignages fondateurs puisqu'un certain nombre de cadets sont à la tête de vastes exploitations, chose impensable il y a une cinquantaine d'années. Adapter le conseil agricole en fonction de la situation lignagère de chaque producteur permettrait de garantir, grâce au coton, une amélioration des conditions de vie pour tous. Aujourd'hui, il est nécessaire de consolider les communautés rurales cotonnières qui se trouvent fragilisées par la privatisation partielle de la filière coton burkinabé.

Mots-clés : Coton, industrie cotonnière, structure sociale, coopérative de producteurs, agriculture collective

Abstract

Lineage organization, motor of the cotton farming growth? The Bwa of Burkina Faso. In Burkina Faso, country producing cotton, the social situations, the results and performances of the cotton farmers are various. The present research focus on the cotton area of Houndé in the Bwaba region. It is one of the most productive areas of the country where the growth of cotton has been a success story. The reasons for this success are analysed in the village called Dossi, focusing on the links between the cotton growth and the social organization, particularly the lineage one. The national cotton production is based on the Cotton Groups Farmers. Dossi's analysis shows that two kinds of relationships organize Cotton Groups Farmers: relationships between founding lineages and hosted families on one hand, relationships between elders and subjected members of the lineages on the other hand. The traditional lineage organization, adapting and rationalizing cotton production's management, became one of the key to cotton's success, in the area of Houndé. The cotton business could grow because it did not challenge the traditionnal organization. Nevertheless, economic and social inequalities increased with the development of cotton production in the villages. Today, belonging to a founding lineage is decisive in the cotton production context. However, social transformations are in progress inside founding lineages. Indeed some cadets manage big farms whereas it would have been impossible fifty years ago. Farm advice should be given according to the lineage position of each farmer. It would guarantee for all farmers the improvement of their social and economic condition. Today, it is necessary to strengthen rural cotton farming communities because they are weakened by the privatization of a part of cotton industry in Burkina Faso.

Keywords : Cotton, Burkina Faso, Burkina Faso, cotton industry, social structure, producer cooperatives, collective farming

1. Introduction

1Nombre de pays d'Afrique ont misé sur la culture commerciale du coton pour mettre en œuvre leur développement (Deguine et al., 1999). Or, les situations sociales des producteurs de coton sont très diverses, tout comme les performances économiques de leurs exploitations. Des études macro-économiques abordent les politiques nationales de libéralisation/privatisation (Tazi, 2006), l'évolution du cours du coton-graine et l'impact des subventions aux producteurs américains et européens (Hazard, 2005), l'impact des surfaces des exploitations (Djouara et al., 2006), les enjeux de la filière biologique (Haynes, 2006). Elles analysent les faiblesses, les échecs et les facteurs de réussite des filières cotonnières africaines d'un point de vue extérieur aux individus. Ces analyses sont nécessaires mais doivent être complétées par des études qui abordent la question de la « situation » (sociale, politique, économique) de chaque producteur de coton en Afrique. La question du rôle de l'organisation sociale des producteurs, notamment l'organisation lignagère, est essentielle pour comprendre les performances individuelles, le potentiel et les limites de chaque producteur de coton, mais également les performances globales d'une filière cotonnière dans un pays comme le Burkina Faso. L'étude porte sur la région cotonnière bwaba de Houndé, l'une des plus productrices du pays, où le développement du coton a été une « success story » (World Bank, 2004). L'objectif était de comprendre les raisons de ce succès en analysant les liens existant entre le développement de la culture cotonnière et l'organisation lignagère bwaba. Dans cet article, nous présentons les résultats du village de Dossi qui est, du fait de son histoire, de sa situation géographique et de sa composition lignagère, un archétype des villages cotonniers de la région étudiée (Figure 1). En effet, Dossi était situé sur le tracé des routes commerciales qui quadrillaient autrefois l'Afrique de l'Ouest et s'est trouvée ainsi placée au cœur d'une « civilisation du textile » (Lombard, 2004) où les bandes de coton servaient de monnaie d'échange. Ce village relève d'une seconde histoire, celle des migrations et des structurations en lignages des groupes sociaux caractéristiques de cette partie de l'Afrique. Or, culture textile et culture lignagère sont à l'origine du développement de l'agriculture moderne cotonnière.

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2. Contexte historique de la production cotonnière au Burkina Faso

2Au Burkina Faso, avant la colonisation française (1895) et la mise en valeur du territoire pour développer la culture commerciale cotonnière (1924), les communautés rurales bwa étaient organisées socialement et politiquement autour des productions vivrières (petit mil, sorgho blanc et rouge, maïs) (Capron, 1988). Cependant, elles maitrisaient aussi la culture et la transformation du coton qui avait une place essentielle dans la société bwaba, en lien avec l'expansion de la culture musulmane ibadite en Afrique de l'Ouest (à partir du 8e siècle). Au contact des commerçants et des érudits musulmans (Rey, 1998), les Bwa vont apprendre à cultiver, transformer et tisser cette fibre. Les bandes de tissus assemblées permettront aux Bwa de se couvrir l'ensemble du corps, en fabriquant des vêtements amples et adaptés à la chaleur. Les bandes serviront également de monnaie d'échange pour acquérir deux biens essentiels dans les circuits commerciaux transsahariens de la période précoloniale (8e-19e siècle) : les noix de cola et le sel. Ces bandes avaient également une fonction rituelle très importante : inhumation des morts, échanges diplomatiques, célébration d'évènements structurant la communauté, etc. Ce savoir-faire cotonnier, transmis aux populations bwa par l'intermédiaire des commerçants musulmans d'origine ibadite, a été mis à profit par les autorités coloniales françaises pour assurer l'approvisionnement de l'industrie textile en France. Le territoire de l'actuel Burkina Faso fut consacré prioritairement à la production commerciale du coton. Cette production était prise en charge et organisée par la CFDT (Compagnie Française pour le Développement des Fibres Textiles) dont la mission était la promotion du développement des fibres textiles dans les territoires africains colonisés (Schwartz, 1997 ; Fok, 1999). À l'indépendance en 1960, une société nationale cotonnière fut créée, gérée par la CFDT. En 1979, elle donna naissance à la Société Voltaïque de Fibres Textiles où l'État voltaïque participait au capital à hauteur de 55 % (la CFDT détenant 44 % des parts, le 1 % restant était détenu par des organismes privés voltaïques). En 1984, elle prit le nom de SOFITEX (Société Burkinabé des Fibres Textiles). De 1960 à aujourd'hui, la société nationale cotonnière voltaïque/burkinabé maintint l'objectif de culture massive du cotonnier en assurant un suivi technique rapproché des exploitations agricoles au sein de chaque village (SOFITEX, 2005). Pour cela, la SOFITEX créa dès 1974 des groupements villageois (GV) puis, à partir de 1993, des groupements de producteurs de coton (GPC). La structuration des villages cotonniers en GPC permit une rationnalisation de la production cotonnière et participa à son augmentation1. Celle-ci est ainsi passée de 116 000 à 718 000 t par an entre 1994 et 2006. La campagne 2005-2006 plaça le Burkina Faso au premier rang des pays producteurs de coton en Afrique2. Le rendement moyen national en coton-graine progressa de 767 kg.ha-1 (campagne1993-1994) à 1 061 kg.ha-1 (campagne 2000-2001) (OCDE, 2006). Les performances réalisées en l'espace d'une dizaine d'années sont remarquables pour le pays3.

3Pour expliquer ce succès, la SOFITEX certifie que les performances des producteurs étaient liées à leur esprit individuel d'entreprise, tout en constatant toutefois que les groupements de producteurs de coton (GPC) ont été constitués en fonction de l'appartenance au même quartier ou au même lignage. Face à ce constat, la SOFITEX n'a pas envisagé que le GPC, outil administratif et technique, puisse être en réalité un lieu d'expression des règles lignagères.

3. Méthodologie de l'enquête régionale

4L'étude s'est déroulée de 1998 à 2007 au cœur du pays bwaba, dans la province du Tuy située dans la région cotonnière de Houndé (16 % de la production nationale de coton en 2005), au sud-ouest de Ouagadougou (Figure 1).

5La population bwaba a pour noyau originel de peuplement la boucle intérieure du fleuve Mouhoun et les districts de Dédougou et de Houndé. Depuis ce noyau originel, à partir du 3e siècle avant J.-C., le territoire bwaba connut une phase d'expansion, atteignant sa taille maximale entre le 10e et le 17e siècle après J.-C. Il se maintint dans ces limites jusqu'au 17e siècle (Coulibaly, 1997). La culture bwaba s'est métissée pendant plusieurs siècles (8e-19e siècle) avec la culture islamique et a fait naitre des communautés bwa musulmanes spécifiques : les Dafin, les Marka, les Bobo-Dioula. Cependant, la population bwaba a maintenu son identité propre. Tout d'abord, une structure sociale lignagère où chaque lignage bwaba est dirigé par un Ainé4. Le lignage est une unité sociopolitique composée de membres masculins se réclamant d'un ancêtre commun réel ou mythique, de leurs épouses et de leurs filles non mariées. Traditionnellement, au lignage correspond un territoire, les terres du lignage, et une unité d'habitation, la « maison » (Capron, 1988). Le village est composé de plusieurs lignages et est donc constitué de plusieurs « maisons » lignagères. Ce regroupement des lignages sur un même territoire et au sein d'un même village donne lieu à des échanges d'épouses entre lignages et à une association de gouvernement, le conseil des Ainés. L'autre caractéristique fondamentale de la société bwaba est la religion et la coutume du Do. Le Do renvoie à un univers de croyances liées au monde physique, mais également social dans lequel vivent les Bwas. Ainsi le Do est à la fois le culte des Ancêtres, dont sont dépositaires les Ainés des lignages, et le culte de la Puissance Créatrice5.

6Neuf localités et villages ont été enquêtés : Dossi, Kari, Karba, Boni, Houndé, Dohoun, Kiéré, Safané, Béréba. Deux types d'enquêtes ont été menés en fonction de la situation de chaque lieu dans l'histoire de la production cotonnière. Safané occupe une place centrale dans l'histoire de la culture et de la transformation du coton en Afrique de l'Ouest. Les responsables politiques et religieux de cette cité appartenaient au clan des Sako, famille illustre d'ulémas et d'hommes politiques. Safané était au cœur du réseau de diffusion de la culture islamique en Afrique de l'Ouest et des savoir-faire liés au textile (tissage, broderie, etc.). Depuis cette ville irradièrent pendant près de six siècles (moitié du 13e-moitié du 19e siècle) des « routes de la conversion » qui aboutissaient et se rejoignaient dans les villes et villages de la sous-région, comme Karba et Béréba (Phliponeau, 2009a ; Phliponeau, 2009b). Certains des villages enquêtés, Dohoun et Kiéré, sont inscrits dans cette période historique de métissage entre populations musulmanes venues du pays Mandé (Mali actuel) et du peuple bwaba. Enfin, certains villages bwa sont l'archétype des villages cotonniers burkinabé de l'époque moderne, comme ceux de Dossi, Kari ou Boni. Ces villages convertis à la culture commerciale du coton sont structurés en lignages et ont une histoire cotonnière millénaire. La majorité des paysans y sont cotonculteurs et sont organisés en GPC.

7Au cours de nos enquêtes de terrain, nous avons utilisé les méthodes de recherche propres aux sciences humaines : observations, immersions prolongées, entretiens individuels avec des producteurs cotonniers, des agents de développement et cadres de la SOFITEX, des responsables coutumiers, des Ainés des lignages.

8L'administration de la SOFITEX et les secrétaires des GPC de Dossi et Kari ont fourni les documents recensant les surfaces cultivées en maïs et en coton, les productions réalisées, les besoins en intrants, le niveau d'équipement de chaque producteur6. Ces données ont permis de connaitre de façon précise la situation cotonnière de ces deux villages. Elles ont été comparées d'une année à l'autre et d'un village à l'autre dans le but d'identifier les producteurs et les lignages moteurs du développement cotonnier et de dégager les dynamiques socio-économiques.

9Les agents de développement coton de la SOFITEX chargés des villages voisins de Houndé ont fait l'objet d'entretiens semi-directifs. Ces entretiens ont permis de comprendre l'évolution de la production, les mécanismes de coopération entre les producteurs et la SOFITEX, et les relations inter-lignagères. Le travail de terrain des agents de développement coton a également fait l'objet d'un travail d'observation, notamment lors de visites dans les champs de coton des producteurs. Ce type d'observation a permis d'analyser des échanges directs entre producteurs et agents de la société cotonnière. Les réunions de GPC animées par les agents de développement coton ont également fait l'objet d'un travail d'observation. Ce type de séances a permis de saisir les problématiques et les enjeux sous-jacents à l'organisation de la production cotonnière selon le modèle SOFITEX. Les responsables coutumiers et les Ainés des lignages des villages enquêtés ont fait l'objet d'entretiens semi-directifs successifs, au cours d'un même terrain d'enquête. Les résultats ont été repris et ont fait l'objet de nouveaux entretiens lors des terrains des années suivantes. Nous avons ainsi pu recouper les données contradictoires concernant l'histoire des villages et le poids politique et social de certains lignages, identifier les familles et les individus qui n'ont pas d'existence politique au sein du village et ceux qui, au contraire, en sont les moteurs.

10Les producteurs cotonniers également interrogés ont été choisis par rapport aux données fournies par la SOFITEX. En premier lieu, des producteurs ayant une situation particulière au sein des groupements ont été interviewés : d'une part, ceux qui ensemençaient de grandes surfaces et qui produisaient des tonnages importants de coton, d'autre part ceux qui avaient peu de terre en culture et une production cotonnière faible. En second lieu, des producteurs issus de lignages fondateurs ainsi que des producteurs issus de familles étrangères ont fait l'objet d'entretiens. Ces entretiens ont apporté des informations sur les capacités de production, les techniques agricoles, les enjeux fonciers, toujours éclairés par la position du producteur au sein de son lignage (ou de sa famille) et la position de son lignage (ou de sa famille) au sein du village.

11À Dossi, certains agents de développement coton de la SOFITEX qui vivent dans le village et des producteurs cotonniers, membres de lignages fondateurs, ont été conjointement sollicités, dans le but de connaitre la position généalogique de chaque membre des neuf GPC. Les ainés biologiques des lignages7 ont été identifiés au sein des GPC afin de savoir si en culture cotonnière moderne, le fait d'être premier-né d'une fratrie était toujours, comme par le passé, un avantage social.

12Les travaux historiques traitant de l'organisation sociale de la population bwaba et de la culture cotonnière, d'une part, et les documents de l'administration burkinabé, d'autre part, ont été consultés (Ministère de l'Administration territoriale et de la Sécurité, Ministère des Infrastructures de l'Habitat et de l'Urbanisme, 1997 ; Ministère de l'Économie et des Finances, 1999). Ce croisement entre données anthropologiques et historiques et données de terrain a permis de mettre à jour les relations existant entre lignage et production cotonnière.

4. Résultats et discussion

4.1. Les principes du lignage : droit d'ainesse et dépendance des autres membres du lignage

13La société bwaba est une société lignagère. Le village bwaba est composé d'un ensemble de lignages cohabitant ensemble. L'institution lignagère repose traditionnellement sur deux principes : le monopole du pouvoir politique par les lignages fondateurs du village et le monopole du pouvoir social par les Ainés de chaque lignage. Le principe d'antériorité fonde la légitimité politique des lignages et des Ainés, et est un enjeu politique.

14Jusque dans les années 1960, c'est ce type d'organisation sociale qui organisait la vie des lignages au sein des villages. À l'intérieur du lignage, le pilier central était la figure de l'Ainé et il existait une hiérarchie sociale spécifique. L'Ainé organisait le travail agricole et assurait la survie de tous les membres. La « maison » était une unité de vie, de production et de consommation dirigée par l'Ainé. Chacun des membres était un cadet social vis-à-vis de l'Ainé de la « maison », c'est-à-dire que sa place et sa fonction étaient pré-définies et pré-existaient à sa naissance. La relation fondamentalement inégalitaire qui liait tous les hommes de la « maison » à un seul a toujours été à l'origine du départ de certaines cellules familiales de la « maison ». Avant la seconde moitié du 20e siècle, ce départ était un évènement social exceptionnel et contre nature.

15À partir des années 1960, l'organisation intégrée de la culture cotonnière commerciale (encadrement agricole, champs de démonstration, crédit agricole, fourniture d'engrais et d'intrants, etc.) a modifié en profondeur les principes qui sous-tendaient l'organisation lignagère traditionnelle. En effet, l'obéissance à l'Ainé du lignage était le résultat d'un compromis social : l'Ainé garantissait la survie des membres du groupe en organisant les travaux agricoles, en planifiant la consommation des greniers, en concluant des accords matrimoniaux avec les autres lignages. En échange de cette sécurité sociale, économique et politique, les membres acceptaient de travailler sans aucune rétribution directe et individuelle, toute leur vie, pour le lignage, en se soumettant aux décisions de l'Ainé. Cependant, à partir des années 1960, la plupart des Ainés des lignages ont décidé de « convertir » leur « maison » à la culture commerciale cotonnière. Il s'est agi d'un changement fondamental de l'économie des village bwa car les rapports de production qui fondaient les rapports sociaux à l'intérieur du lignage vont en être bouleversés. En effet, les villages vont passer de la culture de produits vivriers consommés à l'intérieur des lignages à la production d'un produit non consommé par le lignage et exporté à l'extérieur du village en échange d'un paiement en numéraire. Ainsi, auparavant les lignages cultivaient chacun pour leur propre compte et leurs propres greniers du sorgho, du mil et du maïs. Les stocks de céréales étaient le fruit du travail de chacun des membres du lignage et tous en bénéficiaient puisque tous les consommaient tout au long de l'année. À partir des années 1960, la culture commerciale du coton est réalisée par les membres du lignage mais cette fois-ci sans être consommée par eux. De plus, elle fait alors l'objet d'une transaction financière contrôlée par l'Ainé du lignage. Les moyens de subsistance, qui autrefois ne faisaient que circuler entre les mains des Ainés pour être redistribués aux membres du lignage, vont changer de nature et être en partie immobilisés et captés par ces mêmes Ainés. Une partie de l'argent du coton sera conservée par les Ainés pour acquérir des biens de prestige à titre personnel. Avec le coton des années 1960, les membres du lignage se trouvent ainsi à travailler « gratuitement » non plus pour eux-mêmes, mais pour le bien-être d'un seul. Une grande partie des cadets sociaux, la plupart du temps des hommes à la tête d'une cellule familiale, vont alors quitter physiquement les « maisons », défricher des champs du lignage pour cultiver individuellement des surfaces ensemencées en coton. Ils continuent alors à appartenir au lignage et, la plupart du temps, continuent à cultiver en commun avec les autres membres du lignage les champs communs de mil et de sorgho. Parmi ces hommes, autrefois tous cadets sociaux, on retrouve des ainés biologiques, mais également des cadets biologiques.

4.2. Bref aperçu de l'histoire du village de Dossi

16Dossi comprend aujourd'hui sept lignages bwa et des familles étrangères issues de deux populations non bwa, les Peul et les Mossi . Le premier individu installé à Dossi au début du 18e siècle était un parent de l'actuel lignage des Boketenou. Au fil des installations, la chefferie passa des Boketenou aux Kambi puis aux Lohoua. Ces transferts institutionnels étaient le résultat d'accords politiques8. Les Gnoumou, Mounkien et Vandonou n'arrivèrent qu'après les trois premiers lignages Boketenou, Kambi et Lohoua, et le groupe lignager des Mounkien fut dans un premier temps accueilli par le lignage Boketenou. Puis, passant de nouvelles alliances, il s'installa dans le quartier des Lohoua, comme les deux autres groupes lignagers, Gnoumou et Vandonou. Le lignage Kobié est le dernier lignage bwaba installé au village au 20e siècle. Expulsé par les Kambi, les Lohoua leur cédèrent des terres, leur donnant l'autorisation de créer leur propre quartier. Les Kobié vivent aujourd'hui à l'entrée du village, à côté du quartier Lohoua. Les dernières familles installées sont peul (1958) et mossi (années 1970) et ont été autorisées à s'installer, mais dans des campements à l'extérieur du village (Figure 2).

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4.3. Les lignages fondateurs ont importé le système d'obligations sociales au sein des groupements de producteurs de coton (GPC)

17Les villages sont dirigés par quelques lignages « fondateurs » qui ont accueilli au fil des années d'autres lignages ou familles à la recherche de terres. L'histoire du village de Dossi met à jour ces mécanismes de dépendance existant entre lignages et la tension permanente entre poids démographique et poids politique. Le lignage de la chefferie, les Lohoua, dont le nombre de membres est moins élevé que celui d'autres lignages, a développé son pouvoir en négociant des alliances matrimoniales avec les familles accueillies au fil des années (familles Gnoumou, Vandonou, Mounkien, Kobié). Celles-ci, obtenant des terres en échange, sont devenues dépendantes du lignage royal. Ce système d'obligations entre lignages a été mis à profit dans le cadre de la production cotonnière, puisqu'au sein des GPC et entre les GPC se sont développés des liens de production qui sont venus doubler les accords matrimoniaux et fonciers.

18Les Lohoua ont capté ces alliances au détriment des deux autres puissants lignages du village, les Kambi et les Boketenou. Ces derniers n'ont pas la place politique et coutumière qui leur permettrait de négocier des alliances au même titre que les Lohoua. Leur survie politique est donc liée à leur capacité à conserver leurs territoires ancestraux de culture. L'endogamie leur a ainsi permis de maintenir leur pouvoir foncier9 et leurs hommes s'associent au sein des mêmes GPC. Ainsi, les trois principaux lignages Lohoua, Boketenou, Kambi organisent et pilotent aujourd'hui la vie sociale et politique du village. Ils ont adapté et importé au sein des GPC les mécanismes ancestraux d'alliances matrimoniales.

4.4. Les groupements de producteurs de coton sont structurés par les règles lignagères

19Autrefois, l'accès à la terre était le discriminant socio-économique : seuls les Ainés des « maisons » y avaient accès10 . Aujourd'hui, les Ainés des « maisons » n'exercent plus le même pouvoir et c'est l'appartenance à un GPC qui opère comme un discriminant socio-économique entre les différents membres des lignages. À la suite de l'éclatement des « maisons » bwa à partir des années 1960, les producteurs des lignages fondateurs ont investi les groupements en mobilisant leurs nouvelles ressources sociales, politiques et productives.

20À Dossi, on compte 229 producteurs cotonniers et parmi eux, 112 ainés biologiques. La proportion d'ainés biologiques et de cadets biologiques est sensiblement la même au sein des GPC. Or, le taux de fécondité au Burkina Faso est de 5,9 enfants par femme en 2008, ce qui signifie que pour un ainé mis au monde, 5 cadets (filles et garçons confondus) naissent. On devrait donc, si la simple logique mathématique s'appliquait, retrouver davantage de cadets biologiques que d'ainés biologiques au sein des GPC. Malgré le fait que les Ainés des « maisons » aient perdu de leur influence, un principe social semble demeurer : les individus nés premiers de leur fratrie, les ainés biologiques, ont toujours une place politique et sociale préférentielle comparativement à leurs cadets biologiques. On peut donc supposer à première vue qu'à la figure de l'Ainé de la « maison » bwaba s'est substituée celle de l'aîné biologique. Or, la comparaison faite au tableau 1 des surfaces ensemencées, de la production de coton graine, du rendement en coton graine pour la campagne 2002-200311, fait apparaitre que les performances techniques et économiques des cadets biologiques sont proches de celles des ainés biologiques. Ce qui signifie qu'ils ont accès aux terres, moyens de production et main-d'œuvre.

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21Par ailleurs, à Dossi, qui compte neuf GPC, une organisation sélective des producteurs s'est progressivement mise en place où une nouvelle figure sociale et économique s'est affirmée : les cadets biologiques des anciennes « maisons ». Trois types de GPC ont émergé : les maisons-groupements, les groupements d'intérêt économique, les GPC « par défaut »12.

22Les GPC maisons-groupements. À Dossi, les trois principaux lignages (Lohoua, Boketenou, Kambi) se sont constitués en trois maisons-groupements où les règles de fonctionnement de la « maison » traditionnelle bwaba ont été répliquées (Figure 3). Les ainés biologiques y sont concentrés (48 % des  ainés de l'ensemble des GPC). Le fonctionnement de la « maison » traditionnelle perdure puisque les liens de dépendance existants entre les membres du lignage se maintiennent. Par ailleurs, les terres de chacun des groupements correspondent en fait aux terres traditionnelles du lignage13. Le GPC concentre et capitalise les moyens de production du lignage. Ce type de GPC réplique les règles de coopération et de solidarité agricole en vigueur traditionnellement au sein du lignage, ce qui le consolide. Dans ces GPC, les ainés biologiques ont reproduit les mécanismes lignagers et ont ainsi pu développer leur pouvoir social et économique.

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23Les GPC d'intérêt économique. Les trois groupements d'intérêt économique sont également dominés par les trois principaux lignages (Lohoua, Boketenou, Kambi) qui se sont parfois associés à des lignages dépendants (Gnoumou et Vandonou pour les Lohoua). Ils correspondent à une mutation du système lignager (Figure 4). Ces groupements sont le résultat d'une double autonomisation. Leurs membres, en majorité des cadets biologiques (58 %), ont dans un premier temps accédé à l'autonomie en intégrant un GPC du type « maison-groupement », puis ils s'en sont désolidarisés en créant des GPC pour lesquels l'accès est sélectif14. Ce processus a abouti à la concentration des cadets biologiques ayant les plus vastes surfaces et des résultats de production bien au-dessus de ce que les producteurs des autres types de GPC produisent15. L'extraction des « maisons-groupements » s'est faite en vertu de valeurs individualistes et non plus communautaires16. Toutefois, le substrat du modèle lignager traditionnel demeure : les petits producteurs des autres types de GPC viennent travailler dans les champs de ces producteurs prospères en échange des moyens de production indispensables qui leur font défaut (traction animale, charrue, pulvérisateur, terres, etc.). Ces petits producteurs se trouvent donc dépendants des premiers et mettent souvent en péril leur propre production pour pouvoir « rembourser » en journées de travail l'emprunt, par exemple, de matériel.

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24Autrefois, le cadet biologique n'aurait pas eu accès à la terre, n'aurait pas pu organiser le travail de membres du lignage et encore moins conclure des accords avec des membres d'autres lignages. Aujourd'hui, il est le moteur de la production cotonnière.

25Les GPC « par défaut ». Les trois GPC « par défaut » (Figure 5) sont le résultat d'exclusions ou de scissions lignagères : des cellules familiales ont été exclues ou ont quitté des lignages fondateurs (lignage Boketenou). Mais ils sont également le seul type de GPC où ont pu entrer les producteurs de lignages bwa exclus du village (Kobié) ou migrants (Mossi). Ces derniers sont mis à l'écart du système économique et politique villageois. Ce type de GPC ne concerne pas les lignages dominants, à l'exception des Boketenou. Ces groupements cumulent tous les handicaps en culture cotonnière. Les producteurs sont peu nombreux, cultivent de petites surfaces, n'ont pas de matériel agricole, ne peuvent pas mettre en œuvre les mécanismes de coopération en vigueur au sein des « maisons-groupements » ou des « groupements d'intérêt économique ». De ce fait, lorsque les cotonculteurs de ces groupements ont besoin d'un matériel indispensable pour la culture cotonnière (comme le tracteur ou la charrue), ils sont contraints de payer en jours de travail dans les champs de coton des producteurs17 mieux équipés. Parmi les cotonculteurs les mieux lotis, on retrouve d'abord ceux issus des GPC d' « intérêt économique ». Toutefois, les GPC « par défaut » reproduisent la logique lignagère. Le nombre d'ainés biologiques y est supérieur à celui des cadets biologiques. Ce type de GPC permet donc aux ainés les plus isolés au sein de leur lignage ou au sein du village de rétablir leur position socio-économique. Ils maintiennent des liens de dépendance vis-à-vis des membres de leur propre cellule familiale, ce qui n'aurait peut-être pas pu se produire sans l'opportunité offerte par les GPC. Le segment lignager, ou la famille, qui se constitue en GPC devient une forme dégradée du lignage.

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4.5. Les cadets biologiques des lignages fondateurs sont les opérateurs de l'expansion cotonnière

26L'un des moteurs de l'expansion cotonnière au Burkina Faso est la mise en place d'une culture individualisée de la production. L'enregistrement individuel des producteurs auprès de la SOFITEX est le cœur des modifications structurelles mises en place à partir de 1993. En effet, les GPC ont été créés afin d'individualiser la production qui jusqu'alors fonctionnait de façon communautaire. Ainsi, avant 1993, un seul groupement, le GV (Groupement Villageois) organisait la production à l'échelle de tout le village. Après 1993, le système SOFITEX va s'adresser aux individus et considérer le producteur comme un entrepreneur. L'accès aux crédits se fait donc à titre individuel, l'enregistrement des surfaces ensemencées en coton et maïs également, ainsi que le recensement individuel des besoins en intrants, l'appui technique, le recensement des tonnages réalisés. Cette mutation dans les rapports entre SOFITEX et producteurs a fait émerger une figure particulière : le cadet biologique, qui autrefois n'avait pas vocation à avoir une quelconque place politique ou économique au village. La mutation sociale a commencé à partir des années 1960, avec la structuration de la production cotonnière burkinabé, puis elle s'est poursuivie avec la création des GPC en 1993 où les cadets biologiques produiront pour eux-mêmes selon des stratégies agricoles qui leur sont propres. Le processus d'autonomisation des cadets biologiques est achevé lorsque quelques années plus tard, certains cadets quittent les premiers GPC (maisons-groupements) pour créer de nouveaux GPC (d'intérêt économique). Ce processus fut rapide puisque les neuf GPC de Dossi ont été enquêtés en 1998, soit 5 ans après la mise en place des premiers GPC dans le village18. Entre les années 1960 et 1990, le coton a été à l'origine de l'autonomisation des cadets biologiques les plus entreprenants et les mieux positionnés au sein des lignages fondateurs (accès aux terres de réserve du lignage et à la main-d'œuvre du lignage), participant à l'éclatement des « maisons » bwa (Figure 6) et à la multiplication des scissions lignagères (Tersiguel, 1995).

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27Toutefois, ce qui semblait être une modernisation sociale est en fait une révolution conservatrice, comme cela a été observé dans le cadre des cultures du café et du cacao en Côte d'Ivoire (Meillassoux, 1964). Il s'agit finalement de la reproduction du système lignager : en pays bwaba, il y a eu reconstitution de « maisons-filles » où les anciens cadets biologiques sont devenus de nouveaux Ainés, organisant le travail de membres du lignage partis avec eux et devenus leurs dépendants.

5. Conclusion

28L'étude des groupements cotonniers du village de Dossi dans la région cotonnière de Houndé au Burkina Faso montre que le système lignager est la cheville ouvrière de l'organisation cotonnière villageoise. La multiplication de la production cotonnière burkinabé par 6 entre 1994 et 2006 s'est faite à partir de la mise en place des GPC, qui sont un double du lignage. Les liens de dépendance entre lignages fondateurs et accueillis structurent les GPC. Aujourd'hui, le fait d'appartenir à un lignage fondateur se révèle être déterminant dans le contexte de la culture commerciale du coton. Le système lignager traditionnel, en s'adaptant et en rationalisant l'organisation de la production, est ainsi devenu une des clés du succès cotonnier de la région de Houndé.

29Les performances de la production burkinabé dans cette région sont également dues à une nouvelle figure sociale : le cadet biologique issu des GPC d' « intérêt économique ». Il a en effet su utiliser le système de groupements cotonniers pour gagner son autonomie et réaliser des surfaces et des tonnages de production au-dessus de la moyenne des autres producteurs. Ces résultats posent la question des méthodes de l'encadrement rural. Les conseils, diffusés de façon massive et uniforme, ne prennent pas en compte le positionnement lignager particulier et les relations spécifiques de dépendance dans lesquelles se situe chaque producteur. Or, ce statut social détermine les stratégies développées par chacun d'entre eux. La situation lignagère du producteur devrait donc être intégrée au corpus des méthodes d'accompagnement et de conseil.

30Remerciements

31Nous remercions Cécile Fovet-Rabot, CIRAD, Département PERSYST (Performances des Systèmes de production et de transformation tropicaux).

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Notes

1 « La relance de la filière en 1996 a permis de mieux structurer la filière par une réorganisation des producteurs dans des Unions de Groupements et dans les GPC, avec des mécanismes de contrôle plus rigoureux dans leur gestion. L'UNPC-B a vu le jour grâce à cette nouvelle restructuration et permet aux producteurs de participer à la prise de décisions dans les différentes instances liées à la filière. » (FAO, 2007)
2 Position maintenue jusqu'à la campagne 2007-2008.
3 Il est important de noter toutefois que le Burkina Faso est alors en dessous du rendement moyen en coton-graine des pays producteurs d'Afrique de la zone franc qui était en 2005 de 1 200 kg.ha-1 de coton-graine.
4 L'Ainé du lignage est choisi parmi les hommes de la génération supérieure du lignage, il est le descendant et le représentant d'un ancêtre commun aux membres du lignage. Cet ancêtre peut être réel ou mythique. Au sein de sa fratrie, l'Ainé est la plupart du temps le premier-né de son père. La notion d'ainesse institutionnelle ne recouvre pas exactement celle d'ainesse biologique (voir note 7).
5 « Le culte patriarcal est souvent le même que celui du quartier. On y vénère : (…) Do. (…) Do est une puissance protectrice mystérieuse, dominant les classes d'âge, les masques, et réputée donnant la vie aux initiés (…) le terme Do s'applique non seulement aux masques mais encore : à la divinité, au puits primitif et sacré du village ou du quartier ; à l'arbre sacré s'élevant à proximité de ce puits ; au bois sacré où se réunissent les masques ; à l'autel formé de pierres ou de cônes d'argile » (Cremer, 1927).
6 Ces documents sont des fiches remplies par les secrétaires des GPC en début de campagne puis transmis à la SOFITEX. Ils sont détruits en fin de campagne et ne font l’objet d’aucun archivage.
7 L'ainé biologique est le premier-né d’une fratrie, premier fils de son père. Il a des droits et des obligations sociales spécifiques, du fait de son rang de naissance, au sein de la cellule familiale à laquelle il appartient, mais également au sein de son lignage. Il peut ou non occuper la fonction d'Ainé de son lignage.
8 L'acte de naissance d'un village était l’installation d'un groupe lignager sur un terroir propice à la culture et non occupé par une population. Cette occupation était soumise à l'approbation des ancêtres et des fétiches par le biais de rituels divinatoires. Ces rituels donnaient naissance à la chefferie « de la terre » du village. Or, la survie du groupe lignager restait menacée (les travaux des champs nécessitaient, à certaines périodes des cycles de culture, l'aide de travailleurs supplémentaires, la reproduction du groupe nécessitait l’apport de femmes allochtones). De ce fait, l'enjeu était pour ces groupes lignagers isolés de convaincre d'autres groupes lignagers à la recherche de terres de s'installer sur leur terroir. Cette installation donnait lieu à des tractations politiques du type chefferie et terres contre échange de femmes et de travailleurs agricoles. Ces accords passés pouvaient aboutir à la création d'une unique famille.
9 Les Boketenou marient 39 % de leurs hommes avec des femmes Boketenou et les Kambi marient 44 % de leurs hommes avec des femmes Kambi, d'après le recensement de 1998 archivé à la préfecture de Boni.
10 Les membres masculins pouvaient accéder à des petites parcelles individuelles mais où il leur était interdit de cultiver des cultures « stratégiques » (celles qui remplissaient les greniers que contrôlaient les Ainés).
11 Cette campagne est intéressante puisqu'elle se situe dix ans après la mise en place des GPC et sera suivie quelques années plus tard d'une campagne record (2005-2006).
12 Ces trois dénominations ont été choisies par les auteurs : elles ne correpondent en aucun cas à des appelations officielles. En effet, la SOFITEX ne différencie pas les GPC entre eux.
13 Les terres attribuées au lignage au moment de son installation au village.
14Capacité à mettre en culture des surfaces cotonnières d'environ 10 ha contre 5,5 ha pour les GPC type « maison-groupement » et 2,5 ha pour les GPC type « par défaut ».
15 Neuf tonnes en moyenne pour les producteurs des GPC d'intérêt économique contre 5 tonnes en moyenne pour les producteurs des GPC « maison-groupement » et 3 tonnes pour ceux des GPC « par défaut ».
16 Surfaces cultivées bien au-delà des besoins personnels et des capacités de travail de la cellule familiale, dépassement du modèle de coopération agricole entre lignages fondateurs en embauchant des journaliers.
17 Ce type de cotonculteurs a déjà des difficultés à appliquer toutes les recommandations culturales de la SOFITEX par manque de bras et de matériel. Il se retrouve donc à devoir diminuer le temps de travail, déjà insuffisant, sur ses propres champs (Tersiguel, 1995).
18 La SOFITEX à Houndé n'archive pas les noms et compositions des GPC au fil des années. Il n'est donc pas possible d'obtenir les noms et compositions des premiers GPC de Dossi en 1993. En revanche, les producteurs et agents de développement coton du village s'accordent sur le fait que les GPC type « intérêt économique » se sont créés dans un deuxième temps, après ceux du type « maison-groupement ».

Pour citer cet article

Marie Phliponeau & Hervé Guibert, «Système lignager, moteur de l'expansion de la culture cotonnière ? Le cas des Bwa du Burkina Faso», BASE [En ligne], numéro 3, Volume 15 (2011), 367-378 URL : https://popups.uliege.be/1780-4507/index.php?id=7640.