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Biotechnologie, Agronomie, Société et Environnement/Biotechnology, Agronomy, Society and Environment

1370-6233 1780-4507

 

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Patrick Jagoret, Hervé Todem Ngogue, Emmanuel Bouambi, Jean-Luc Battini & Salomon Nyassé

Diversification des exploitations agricoles à base de cacaoyer au Centre Cameroun : mythe ou réalité ?

(volume 13 (2009) — numéro 2)
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Reçu le 14 avril 2008, accepté le 1 octobre 2008

Résumé

Afin d'évaluer le degré de diversification des exploitations agricoles à base de cacaoyer dans la Province du Centre Cameroun, principal bassin de production de cacao du pays, une enquête a été conduite auprès de 1 171 exploitants. Quinze ans après le début du processus de libéralisation de la filière cacao, les résultats montrent qu'à l'échelle du système de production, l'emprise de la sole cacaoyère dans l'assolement des exploitations demeure prédominante. Il en est de même pour la contribution du revenu cacaoyer dans le fonctionnement global de ces dernières. Une étude complémentaire réalisée dans 74 vergers de cacaoyers de cette région montre toutefois que le phénomène de diversification est plus perceptible à l'échelle du système de cacaoculture. En effet, les espèces fruitières, très présentes dans les cacaoyères, expliquent en partie l'importante agro-biodiversité qui y est observée. Un gradient nord – sud est observé, la diversification du système de cacaoculture étant significativement plus forte en zone de transition forêt – savane qu'en zone forestière. Il s'avère cependant que ce processus de diversification par introduction d'espèces fruitières dans les cacaoyères n'est pas un phénomène récent car il concerne tous les vergers, quel que soit leur âge. Ces travaux de recherche relativisent donc l'ampleur de la stratégie de diversification adoptée par les producteurs de cacao du Centre Cameroun comme réponse à l'évolution de leur environnement socio-économique et à l'instabilité des marchés internationaux.

Mots-clés : Cameroun, système de culture, cacaoyer, exploitation agricole, système de production

Abstract

Diversification of cocoa farms in the Central Cameroon: myth or reality? A survey was conducted among 1,171 farmers to assess the degree of diversification on cocoa-based farms in the Centre Province of Cameroon, which is the main cocoa producing zone in the country. Fifteen years after the onset of liberalization of the cocoa supply chain, the results showed that area under cocoa predominates in the cropping plan on a farming system scale. The same applied for the contribution made by cocoa income to overall farm functioning. However, a further study carried out on 74 cocoa plantations in that region showed that diversification was more perceptible on the cocoa based production systems. In fact, fruit tree species, which are very often found in cocoa plantations, partly explained the occurrence of substantial agrobiodiversity. A north – south gradient was found in which diversification of the cocoa growing system was significantly greater in the forest – savannah transition zone than in the forest zone. However, it turned out that the process of diversification by planting fruit tree species in cocoa plantations was not a new phenomenon, since it involved all cocoa plantings whatever their age. This research thus relativizes the extent of the diversification strategy adopted by cocoa producers in the Centre Province of Cameroon in response to changes in their socioeconomic environment and the instability of international markets.

Keywords : Cameroon, cropping system, diversification, farm, farming system, diversification, cocoa

1. Introduction

1La notion de diversification est communément considérée comme le fait, pour une entreprise, de varier la gamme de ses produits ou de ses clients pour se développer ou pour protéger son activité principale (Yung, 1992). Appliquée à l'agriculture, elle peut être définie comme l'introduction ou le développement, dans une exploitation agricole, de spéculations additionnelles aux spéculations existantes (Moustier, 1997). En substituant par une autre une source de revenu en déclin, la diversification agricole apparait ainsi comme la réponse des exploitants face à l'instabilité des marchés internationaux (Malézieux et al., 2005).

2Pour de nombreux ménages ruraux, la diversification des sources de revenu apparait par ailleurs comme une stratégie de survie. Plusieurs études, portant sur les objectifs et les stratégies des exploitants agricoles, montrent en effet que ces derniers adoptent la diversification des sources de revenu comme une stratégie de minimisation des risques ou d'adaptation dans leur environnement (Barett et al., 2001 ; Caviglia-Harris et al., 2005 ; Mertz et al., 2005 ; Dufumier, 2006).

3Au Cameroun, 60 à 70 % des exportations de cacao proviennent de la Province du Centre. Elle constitue, depuis les années 1960, le principal bassin de production du pays (Champaud, 1966 ; Assoumou, 1977). A la fin des années 1980, à l'instar d'autres plantes pérennes tropicales comme le caféier Robusta (Jagoret et al., 2002), le processus de libéralisation de la filière cacao, concomitant aux effets de la crise des cours internationaux et à la dévaluation du franc CFA, a montré les limites du modèle de développement de la cacaoculture qui prévalait jusqu'à présent. D'une part, les risques auxquels sont confrontés les producteurs de cacao ont été accentués sans qu'ils aient les moyens de les gérer en raison de la disparition des structures de financement et d'encadrement technique. D'autre part, la complexité et l'évolution de l'environnement socio-économique des exploitations agricoles, dont les facteurs sont en général exogènes au milieu rural, ont entrainé une recomposition du système agraire (Losch et al., 1991).

4Les producteurs de cacao camerounais ont ainsi, semble-t-il, adopté de nouvelles stratégies qui privilégient, dans un souci de diversification ou de reconversion, d'autres cultures. Celles-ci peuvent être des cultures vivrières pour les besoins alimentaires de la famille et la satisfaction de la demande urbaine, ou des cultures de rente plus rémunératrices, comme les cultures fruitières ou celle du palmier à huile, dont les contraintes correspondent mieux aux possibilités techniques et financières des exploitants (Alary, 1996 ; Varlet, 2000).

5Quinze ans après la libéralisation de la filière cacao au Cameroun, plusieurs travaux de recherche ont été conduits par l'Institut de Recherche Agricole pour le Développement (IRAD) et le Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD) afin d'évaluer le degré de diversification actuel des exploitations agricoles à base de cacaoyer dans la région centrale de ce pays.

6L'objet de cet article est de présenter les résultats de ces investigations conduites à l'échelle du système de production et à celle du système de cacaoculture.

2. Matériel et méthodes

7A l'échelle de l'exploitation, le degré de diversification du système de production a été appréhendé à travers l'importance de la sole cacaoyère dans l'assolement et la part du revenu issu de la vente de cacao marchand dans le revenu global des exploitants.

8Une enquête a été conduite en 2003 dans la province du Centre où trois zones de production de cacao, différenciables par leurs caractéristiques pédo-climatiques et humaines (Santoir et al., 1995), ont été identifiées (Tableau 1).

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9Du Nord au Sud, il s'agit des zones suivantes (Figure 1) :

10– Bokito (département du Mbam et Inoubou) : zone péri-forestière, caractérisée par des conditions pédo-climatiques limitantes pour le cacaoyer, le Mbam et Inoubou présente une dynamique de développement de la cacaoculture en savane,

11– Zima (département de la Lékié) : il s'agit d'une zone de cacaoculture post-pionnière où les exploitants sont confrontés à la baisse de fertilité des sols et à la disparition des ressources forestières, en raison notamment d'une forte pression foncière,

12– Ngomedzap (département du Nyong et So'o) : situé en zone forestière, le Nyong et So'o est caractérisé par des vergers de cacaoyers sénescents dont les rendements en cacao marchand sont parmi les plus bas de la province du Centre.

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13En l'absence de recensement agricole récent, susceptible de fournir des fichiers d'exploitants actualisés par village, l'échantillonnage des exploitations qui ont été enquêtées a été réalisé de manière aléatoire à partir des listes d'exploitants disponibles auprès des organisations de producteurs de cacao partenaires du projet de recherche. Ces listes d'exploitants ont constitué la base de sondage (Ardilly, 1994 ; Grais, 2000).

14Au total, 1 171 exploitations produisant du cacao ont été enquêtées (Tableau 2).

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15Les enquêtes ont permis de collecter des données d'une part, sur la constitution de l'assolement des exploitations et d'autre part, sur l'origine des revenus des exploitants. Les superficies occupées par les différentes cultures du système de production ont été estimées à dire d'acteur afin d'évaluer la part respective de ces dernières dans l'assolement des exploitations enquêtées. La finalité des différentes espèces cultivées (autoconsommation ou vente) a été renseignée. L'origine et le montant des différents revenus des exploitants ont été estimés à dire d'acteur afin d'évaluer la part de la cacaoculture par rapport à leur revenu global.

16A l'échelle du système de cacaoculture, le degré de diversification a été appréhendé par une étude conduite en 2005 dans 74 cacaoyères d'âge différent appartenant à 29 exploitations enquêtées en 2003. Ces exploitations constituent le réseau de suivi sur lequel l'IRAD et le CIRAD s'appuient pour conduire différentes actions de recherche (Tableau 2). Elles ont été préalablement identifiées comme étant représentatives des différents groupes d'exploitants mis en évidence par la construction de typologies fonctionnelles basées sur les pratiques culturales des exploitants (Jagoret et al., 2008).

17Les cacaoyères étudiées, différant par leur ancienneté, ont été classées en trois classes : les cacaoyères jeunes (moins de 10 ans), les cacaoyères adultes (entre 11 et 40 ans) et les cacaoyères sénescentes (plus de 40 ans).

18Une grille d'observation a permis d'inventorier les espèces ligneuses, fruitières et forestières, présentes dans les cacaoyères étudiées. L'identification des espèces a été basée sur les noms vernaculaires exprimés en Yambassa (Bokito), en Eton (Zima) et en Ewondo (Ngomedzap). Les correspondances entre noms communs et noms scientifiques ont été établies à l'aide de lexiques de botanique (Vivien et al., 1985 ; Eyog Matig et al., 2006). Le contour des cacaoyères a été estimé par des mesures réalisées à l'aide d'un mètre ruban et d'une boussole qui ont permis respectivement d'obtenir la longueur des côtés des parcelles, l'angle lu en degré (visée nord) et de calculer la superficie des cacaoyères. La densité de plantation des espèces a été estimée par le nombre d'individus par espèce présents sur l'ensemble de la parcelle rapporté à la surface de celle-ci.

19L'agro-biodiversité des cacaoyères du Centre Cameroun a été mesurée à partir du nombre d'espèces ligneuses inventoriées et du nombre d'individus par espèce. L'indice de Shannon-Weaver (H') a été calculé (Frontier et al., 1998). Cet indice, indépendant d'une hypothèse de distribution, permet d'évaluer le niveau de diversité compte tenu des proportions de chacune des espèces sur la parcelle. Il est calculé selon la relation suivante :

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20où Ni est le nombre d'individus de l'espèce i et N le nombre total d'individus (toutes espèces confondues).

21L'indice de Shannon-Weaver a été calculé d'une part, pour l'ensemble des espèces présentes dans les cacaoyères et d'autre part, spécifiquement pour les espèces fruitières afin d'évaluer l'importance de ces dernières par rapport à l'agro-biodiversité totale.

22L'origine de la présence des espèces dans les cacaoyères a été renseignée afin de préciser s'il s'agit d'espèces introduites par l'exploitant dans le système de cacaoculture ou d'espèces conservées lors de la création de la cacaoyère ou après qu'elles s'y soient développées spontanément.

23Au plan statistique, les données obtenues ont été comparées entre elles en utilisant les tests de Fischer avec comparaison des moyennes (test Newman-Keuls au seuil de 5 %).

3. Résultats

3.1. Diversification du système de production cacaoyer

24Le tableau 3 montre l'importance des cultures présentes dans les 1 171 exploitations cacaoyères du Centre Cameroun. Outre la cacaoculture, l'assolement des exploitations cacaoyères est largement dominé par les cultures vivrières, annuelles ou pluriannuelles, traditionnellement cultivées en association. Il s'agit de l'arachide (Arachis hypogaea L.), du maïs (Zea mays L.), du macabo (Xanthosoma sagittifolium (L.) Schott), de l'egusi (Cucumeropsis mannii L.), du taro (Colocasia esculenta (L.) Schott), de l'igname (Dioscorea sp. L.) et du manioc (Manihot esculenta Crantz). La production de ces cultures est essentiellement destinée à l'autoconsommation des ménages et, accessoirement, à la vente en cas de surplus.

25Les autres espèces présentes dans l'assolement des exploitations cacaoyères du Centre Cameroun sont le plus souvent cultivées en culture pure et leur production est principalement destinée à la vente. Il s'agit du palmier à huile (Elaeis guineensis Jacq.) et de certaines cultures maraichères comme la tomate (Lycopersicon esculentum Mill.) et le piment (Capsicum frutescens L.) (Tableau 3). En fonction de sa finalité, le bananier plantain (Musa spp.) présente la particularité d'être présent dans les assolements des exploitations à la fois en tant qu'espèce cultivée en association avec les autres cultures vivrières et comme culture pure.

26La présence des cultures à but commercial dans l'assolement des exploitations s'avère cependant moins fréquente que celle des cultures vivrières. Elle varie aussi fortement selon les zones. La culture pure du palmier à huile apparait ainsi absente de la zone de Ngomedzap. La culture pure du bananier plantain ou les cultures maraichères sont rares dans la zone de Bokito.

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27Par ailleurs, dans toutes les zones d'étude, la superficie occupée par la cacaoculture dans l'assolement des exploitations est prédominante par rapport à celle des autres cultures (Tableau 4). La cacaoculture représente entre 57 % (Bokito) et 62 % (Ngomedzap) de la superficie exploitée des exploitations alors que, dans le même temps, les cultures vivrières occupent entre 28 % (Zima) et 46 % (Bokito) des assolements. Il en est de même pour le revenu cacaoyer : la vente du cacao marchand représente entre 73 % (Bokito) et 77 % (Ngomedzap) du revenu total des exploitants.

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28Des différences significatives sont mises en évidence entre les zones d'étude, notamment en ce qui concerne les superficies exploitées et les superficies cacaoyères. Ces deux variables sont significativement plus élevées en zone forestière (Ngomedzap et Zima) qu'en zone péri-forestière (Bokito). Des différences significatives sont également mises en évidence pour le revenu global des exploitants et le revenu cacaoyer. Ces derniers sont significativement plus importants à Zima qu'ailleurs.

29La répartition des exploitations cacaoyères en fonction de l'importance de la cacaoculture dans leur assolement confirme que celle-ci est la principale spéculation des exploitations de Zima et de Ngomedzap (Figure 2). Dans ces deux zones, la culture du cacaoyer représente plus de 50 % de l'assolement des exploitations dans respectivement 73 % et 66 % des cas, contre 53 % à Bokito. L'importance de la cacaoculture dans le revenu des exploitations cacaoyères y est encore plus grande (Figure 3). Dans les deux zones considérées, la vente de cacao marchand représente plus de 75 % du revenu global des exploitants dans plus de 70 % des cas, alors qu'à Bokito, cette situation concerne moins de 45 % des exploitants.

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3.2. Diversification du système de cacaoculture

30Les inventaires réalisés dans les cacaoyères du Centre Cameroun confirment que de nombreux arbres fruitiers y sont présents. Ces derniers représentent 81 % des arbres recensés à Bokito, 71 % à Zima et 31 % à Ngomedzap (Tableau 5). En termes d'espèces, les arbres fruitiers complantés avec les cacaoyers représentent 49 % des espèces recensées à Bokito, 38 % à Zima et 18 % à Ngomedzap.

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31Si le nombre total d'arbres inventoriés par parcelle varie peu d'une zone d'étude à l'autre, le nombre d'espèces augmente cependant significativement lorsque l'on passe de la zone péri-forestière (Bokito) à la zone forestière (Ngomedzap) (Tableau 6). La tendance est inverse en ce qui concerne les arbres fruitiers et les espèces fruitières associés aux cacaoyers. Leur nombre décroît significativement entre Bokito et Ngomedzap. Dans le même temps, des différences significatives sont mises en évidence entre les densités des arbres présents dans le système de cacaoculture du Centre Cameroun. La densité des arbres associés aux cacaoyers en zone péri-forestière est significativement plus élevée que dans les autres zones d'étude, notamment en ce qui concerne la densité des arbres fruitiers. Il en est de même pour les espèces fruitières : leur densité décroît fortement de la zone péri-forestière (Bokito) à la zone forestière (Ngomedzap).

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32Les principales espèces inventoriées dans le système de cacaoculture du Centre Cameroun sont l'oranger (Citrus sinensis (L.) Osbeck), le manguier (Mangifera indica L.), le safoutier (Dacryodes edulis (G.Don) H.J.Lam.), le palmier à huile (Elaeis guineensis Jacq.), l'avocatier (Persea americana Mill.) et le colatier (Cola nitida (Vent.) Schott et Endl.).

33D'autres espèces moins fréquemment rencontrées sont également présentes, à savoir :

34– agrumes : citronnier (Citrus limon (L.) Burm.f.), mandarinier (Citrus reticulata Blanco), pamplemoussier (Citrus grandis (L.). Osbeck),

35– fruitiers locaux : aiele (Canarium occidentale A.Chev.), andok (Irvingia gabonensis (Aubry Lecomte ex O'Rourke) Baill.), njangsang (Ricinodendron heudelotii (Baill.) Pierre ex Pax), obatoan (Voacanga africana Stapf),

36– autres fruitiers : goyavier (Psidium guajava L.), cassamangue (Spondias cytherea Sonn.), corossolier (Annona muricata L.), papayer (Carica papaya L.).

37La répartition de ces espèces (manguier, safoutier, palmier, avocatier, colatier) et de ces groupes d'espèces (agrumes, fruitiers locaux, autres fruitiers), en fonction de leur représentativité dans les cacaoyères, confirme l'existence d'un gradient décroissant nord – sud (Figure 4). La présence des espèces fruitières dans les vergers de cacaoyers de Bokito et, dans une moindre mesure, dans ceux de Zima, s'avère plus importante qu'à Ngomedzap et ce, quelle que soit l'espèce ou le groupe d'espèces considéré, à l'instar des agrumes qui représentent environ 13 % des espèces inventoriées à Bokito, 8 % à Zima et 1 % à Ngomedzap.

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38Ce constat est confirmé par les différences significatives observées entre les trois zones d'étude pour l'indice de Shannon-Weaver calculé pour les espèces fruitières (Tableau 7). Celui-ci décroît du Nord au Sud, alors qu'au contraire l'agro-biodiversité totale des cacaoyères augmente du sud au nord. Les espèces fruitières représentent ainsi 80 % de l'agro-biodiversité totale des cacaoyères de Bokito pour 62 % à Zima et 45 % à Ngomedzap. Le taux d'espèces introduites dans le système de cacaoculture diminue également du nord au sud du Centre Cameroun. Il est significativement plus élevé à Bokito qu'à Zima et Ngomedzap.

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39Des différences significatives sont également mises en évidence pour la densité des arbres associés aux cacaoyers, en particulier celle des arbres fruitiers, entre les trois classes d'âge des cacaoyères étudiées (Tableau 8). La densité des arbres fruitiers passe en effet de 322 arbres par hectare dans les jeunes cacaoyères de moins de 10 ans, en phase de création, à 137 arbres dans les cacaoyères adultes (entre 10 et 40 ans) et à 86 arbres dans les cacaoyères âgées de plus de 40 ans.

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40Par contre, l'importance des espèces fruitières dans l'agro-biodiversité globale du système de cacaoculture du Centre Cameroun varie peu en fonction de l'âge des vergers de cacaoyers. Si les espèces fruitières représentent 77 % de l'agro-biodiversité globale des jeunes cacaoyères, contre 68 % dans les parcelles adultes et 59 % dans les vieilles parcelles, aucune différence significative n'est mise en évidence entre ces trois classes d'âge pour l'indice de Shannon-Weaver calculé pour les espèces fruitières.

41Le taux d'espèces introduites dans le système de cacaoculture varie quant à lui fortement entre les classes d'âge considérées : il est significativement plus important dans les vergers de cacaoyers jeunes que dans les vergers de cacaoyers adultes ou âgés.

4. Discussion

42Quinze ans après le début du processus de libéralisation de la filière cacao au Cameroun, la cacaoculture reste la principale culture commerciale des exploitations agricoles de la zone centrale de ce pays. Le rôle du cacaoyer en tant que principale source monétaire des exploitants est confirmé. Les revenus issus de la vente de cacao marchand leur permet en effet de réaliser la plupart de leurs investissements (logement, foncier, moyen de locomotion, équipement agricole, etc.), de faire face au cours de l'année aux différentes dépenses du ménage (scolarité des enfants, frais de santé, etc.) et de supporter des dépenses sociales diverses (paiement de la dot, deuil, etc.). Dans le même temps, les productions des cultures vivrières demeurent essentiellement destinées à l'autoconsommation et accessoirement à la vente en cas de surplus.

43Si le niveau de diversification des exploitations agricoles peut être influencé par différents déterminants tels que les conditions pédo-climatiques, la situation du parcellaire (dispersion, éloignement), les objectifs de l'exploitant (Jouve, 2006), d'autres déterminants sont aussi susceptibles de favoriser la diversification des sources de revenu en milieu rural : la disponibilité des crédits, la formation des acteurs, l'état des infrastructures socio-économiques et la politique rurale d'un gouvernement (Woldenhanna et al., 2001). Cette dernière peut inciter la promotion de la diversification des ressources dans les ménages ruraux par le biais de la diffusion d'informations, l'aménagement des infrastructures et des services (Abdulai et al., 2001), ou le financement du développement de certaines cultures (Smithers et al., 2001).

44A l'instar de ce qui est observé dans d'autres pays, au Centre Cameroun, plusieurs facteurs peuvent être ainsi identifiés comme des freins à la diversification des exploitations cacaoyères. L'absence de culture pure de palmiers à huile dans le Nyong et So'o s'explique en grande partie par l'enclavement de cette zone et son éloignement des centres de production de matériel végétal qui limitent le développement de cette spéculation. Dans le Mbam et Inoubou, les conditions climatiques, caractérisées en particulier par une pluviométrie insuffisante et mal répartie, constituent un obstacle à la mise en place de parcelles commerciales de bananier plantain et justifient la quasi-absence de cette culture dans l'assolement des exploitations. L'absence de débouchés et de circuits commerciaux sont également deux contraintes qui entravent considérablement le développement du bananier plantain dans cette zone. Pour les cultures maraichères, le manque d'appui technique, aggravé par le faible soutien des pouvoirs publics aux exploitants susceptibles de se tourner vers ces cultures pour diversifier leurs sources de revenus (achat de matériel d'irrigation, accès aux intrants agricoles) réduit considérablement l'installation de parcelles commerciales de ce type dans l'ensemble du Centre Cameroun et ce, malgré l'existence du marché urbain de Yaoundé et la possibilité d'exporter ces denrées vers les autres pays de la sous-région (Gabon, Guinée équatoriale notamment).

45Le degré de diversification des exploitations cacaoyères du Centre Cameroun apparait cependant important à l'échelle du système de cacaoculture. Mais il s'avère que ce processus concerne surtout la zone péri-forestière (Bokito) et la zone forestière fortement anthropisée (Zima). Il s'agit également d'un processus ancien qui ne résulte pas spécifiquement du processus de libéralisation mis en œuvre à la fin des années 1990. Les modalités de gestion de conduite des cacaoyères par les exploitants du Centre Cameroun expliquent en grande partie ces deux constats.

46En zone forestière, l'évolution du système de cacaoculture peut être en effet schématisée de la façon suivante : lors du défrichement, quelques arbres forestiers sont conservés (fruitiers indigènes, espèces médicinales, espèces ligneuses) pour assurer un ombrage léger aux jeunes cacaoyers et pour leur valeur économique. L'association de cultures annuelles (maïs, arachide, macabo, etc.) et de cultures pluriannuelles (manioc, bananier plantain) est également pratiquée sur quelques cycles. Dans le même temps, les exploitants introduisent dans le système de culture plusieurs espèces fruitières (palmier, oranger, safoutier, colatier, etc.) qui se développent en association avec les cacaoyers et les espèces forestières conservées à l'origine. L'ensemble constitue, après quelques années, un système de cacaoculture agro-forestier qui caractérise 96,4 % des peuplements de cacaoyers du bassin de production du Centre Cameroun (Jagoret et al., 2006). En zone péri-forestière, l'évolution du système de cacaoculture est différente. Le remplacement progressif des espèces à ombrage dense et des cultures annuelles et pluriannuelles, installées initialement pour éliminer et contrôler Imperata cylindrica (L.) Raeusch., sont progressivement remplacées par des espèces forestières ou des espèces fruitières à ombrage léger (Jagoret et al., 2007). Ces dernières sont introduites dans le système de cacaoculture ou conservées si elles s'y développent spontanément. Elles permettent ainsi aux exploitants de diversifier le système tout en protégeant les jeunes cacaoyers par la constitution d'un ombrage adapté.

47L'introduction d'espèces fruitières dans le système de cacaoculture vise donc un double objectif : la production en vue de l'autoconsommation, voire la vente en cas de surplus ou d'opportunité de commercialiser ces derniers, mais également l'établissement d'un ombrage propice au bon développement végétatif des cacaoyers. Dans 24,7 % des cas, les exploitants reconnaissent d'ailleurs que l'établissement d'un ombrage est le premier objectif assigné aux espèces inventoriées dans leurs cacaoyères, alors que l'objectif de production ne représente que 16,2 % des cas. Dans 21 % des cas, ces espèces jouent pour les exploitants les deux rôles : ombrage et production (Todem Ngnogue, 2005).

48En zone péri-forestière, et dans une moindre mesure en zone forestière fortement anthropisée, les modalités de gestion des cacaoyères adoptées par les exploitants leur permettent de compenser le port peu étalé des arbres fruitiers, handicap certain pour constituer rapidement un ombrage, en augmentant leur nombre au sein des vergers de cacaoyers. Au cours du temps, lorsque ces derniers bénéficient d'un ombrage homogène et suffisant, complété par celui des quelques arbres forestiers conservés, la densité de plantation des arbres fruitiers est alors réduite par élimination des individus en surnombre. La diminution au cours du temps de la densité de plantation des espèces associées aux cacaoyers confirme ainsi que la diversification des systèmes de cacaoculture du Centre Cameroun est un processus ancien, voire très ancien. La complantation de nombreuses espèces forestières et fruitières avec les cacaoyers apparait d'ailleurs comme une pratique mise en œuvre par les exploitants du Centre Cameroun dès l'introduction du cacaoyer dans cette région (Santoir, 1992 ; Dounias et al., 1996).

49A l'échelle du système de cacaoculture, l'objectif de la diversification varie également selon les espèces concernées. Si l'introduction d'agrumes vise d'abord l'obtention de productions de fruits susceptibles d'être autoconsommées ou vendues, l'introduction de manguiers, safoutiers, avocatiers et colatiers vise au contraire en premier lieu la mise en place d'un ombrage adéquat pour les cacaoyers. Il en est de même pour les fruitiers locaux (aiele, andok, njangsang, obatoan). Par contre, la complantation de palmiers et de fruitiers secondaires (goyavier, cassamangue, corossolier, papayer) avec les cacaoyers répond indistinctement à ces deux objectifs.

5. Conclusion

50Les résultats des travaux conduits par l'IRAD et le CIRAD au Centre Cameroun relativisent l'ampleur du processus de diversification en cours dans ce bassin de production de cacao depuis les années 1990.

51L'emprise importante de la sole cacaoyère dans l'assolement des exploitations et la forte contribution du revenu cacaoyer dans le fonctionnement global de ces dernières confirment que la cacaoculture demeure encore aujourd'hui la culture de base des exploitations agricoles de cette région et ce, principalement en raison du faible degré de diversification du système de production cacaoyer. Par contre, la diversification des exploitations cacaoyères est davantage visible à l'échelle du système de cacaoculture, notamment en zone de transition forêt-savane (Bokito) et, dans une moindre mesure, en zone forestière fortement anthropisée (Zima). Dans ces deux zones, la présence de nombreuses espèces fruitières dans les cacaoyères explique en grande partie l'agro-biodiversité qui caractérise ces dernières.

52La diversification des systèmes de cacaoculture apparait également comme un processus ancien résultant davantage des pratiques agro-forestières des exploitants du Centre Cameroun que du processus de libéralisation de la filière cacao survenu dans les années 1990. La présence de nombreuses espèces fruitières dans les cacaoyères et ce, quel que soit l'âge de ces dernières, suggère en effet que l'existence de vergers de cacaoyers présentant une agro-biodiversité importante est davantage liée aux pratiques culturales des exploitants qu'à une réelle stratégie de leur part de diversifier leurs sources de revenus.

53La diversification des exploitations cacaoyères du Centre Cameroun apparait par conséquent à la fois comme un mythe à l'échelle du système de production, et comme une réalité à l'échelle du système de cacaoculture. Cette situation montre que des efforts importants restent à faire pour permettre aux exploitants de réduire les risques qu'ils encourent face à une trop forte dépendance vis-à-vis de la cacaoculture (diffusion de matériel végétal d'autres espèces commerciales, désenclavement des zones de production, appui technique, etc.).

54Remerciements

55Les travaux conduits par l'Institut de Recherche Agricole pour le Dévelopement (IRAD) et le Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD) au Centre Cameroun ont été réalisés dans le cadre du projet « Mise au point de systèmes de cacaoculture compétitifs et durables en Afrique » financé par le Ministère des Affaires étrangères français.

Bibliographie

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Om dit artikel te citeren:

Patrick Jagoret, Hervé Todem Ngogue, Emmanuel Bouambi, Jean-Luc Battini & Salomon Nyassé, «Diversification des exploitations agricoles à base de cacaoyer au Centre Cameroun : mythe ou réalité ?», BASE [En ligne], volume 13 (2009), numéro 2, 271-280 URL : https://popups.uliege.be/1780-4507/index.php?id=4109.

Over : Patrick Jagoret

Centre de Coopération Internationale de Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD). Unité Propre de Recherche (UPR) Performances des systèmes de culture des plantes pérennes. F-34000 Montpellier (France). E-mail : patrick.jagoret@cirad.fr – (2) Institut de Recherche Agricole pour le Développement (IRAD). Programme plantes stimulantes. BP 2067. Station de Nkolbisson. CAM-Yaoundé (Cameroun).

Over : Hervé Todem Ngogue

Université de Dschang. Faculté d'Agronomie et des Sciences Agricoles (FASA). Département d'Economie rurale. BP 222. CAM-Dschang (Cameroun).

Over : Emmanuel Bouambi

Institut de Recherche Agricole pour le Développement (IRAD). Programme plantes stimulantes. BP 2067. Station de Nkolbisson. CAM-Yaoundé (Cameroun).

Over : Jean-Luc Battini

Centre de Coopération Internationale de Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD). Unité Propre de Recherche (UPR) Performances des systèmes de culture des plantes pérennes. F-34000 Montpellier (France).

Over : Salomon Nyassé

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