BASE

Biotechnologie, Agronomie, Société et Environnement/Biotechnology, Agronomy, Society and Environment

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Florence Van Stappen, Alice Delcour, Stéphanie Gheysens, Virginie Decruyenaere, Didier Stilmant, Philippe Burny, Fabienne Rabier, Hélène Louppe & Jean-Pierre Goffart

Établissement de scénarios alternatifs de valorisations alimentaires et non alimentaires des ressources céréalières wallonnes à l’horizon 2030

(Volume 18 (2014) — numéro 2)
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Annexes

Notes de la rédaction

Reçu le 18 avril 2013, accepté le 9 avril 2014

Résumé

Description du sujet. Sur base du portrait des utilisations actuelles des céréales wallonnes, le présent article décrit l’établissement de scénarios définissant des futurs possibles de la filière céréalière wallonne.

Objectifs. Cet exercice s’inscrit dans une recherche visant à évaluer le caractère durable et la pertinence de scénarios alternatifs de valorisations alimentaires et non alimentaires des ressources céréalières wallonnes.

Méthode. Àl’horizon 2030, quatre scénarios, sous-tendus par des hypothèses contrastées, ont été construits de concert avec les acteurs et parties prenantes impliqués dans les différents maillons de cette filière.

Résultats. Le premier scénario, dit « tendanciel », prolonge les tendances observées ces 15 dernières années. Le deuxième scénario, dit « stratégique », tend vers une optimisation environnementale, sociale et économique du système actuel. Les deux derniers scénarios se placent en rupture avec les tendances actuelles. L’un est appelé « localisation » et considère une autonomie plus poussée de la Wallonie et le développement de nouveaux débouchés. L’autre, dit « globalisation », se focalise sur une exportation massive des céréales wallonnes face aux pressions du marché mondial et sur des productions à haute valeur ajoutée sur le territoire wallon.

Conclusions. Les questions de la compétition entre utilisations alimentaires (directes ou indirectes) et non alimentaires et de la dépendance de la Wallonie vis-à-vis des importations de céréales sont posées au travers de ces scénarios qui illustrent des futurs contrastés allant de l’autonomie alimentaire jusqu’à la mondialisation radicale des productions, en passant par le développement de nouveaux débouchés alliant évolutions des pratiques culturales, modifications des habitudes de consommation et nouvelles technologies.

Mots-clés : analyse du cycle de vie, Belgique, céréale, développement régional, gestion des ressources, produit céréalier, prospection

Abstract

Alternative scenarios for food and non-food uses of Walloon cereals by 2030

Topic. Based on the current uses of cereals grown in Wallonia (Belgium), various scenarios defining possible futures for the Walloon cereal sector have been created.

Purpose. These scenarios lay the basis for research aiming at assessing the sustainability of food and non-food uses of cereals.

Method. Based on contrasted hypotheses, four scenarios for the uses of Walloon cereals by 2030 have been defined with the support of stakeholders involved in all the steps of the chain.

Results. The first scenario, called “Business-as-Usual”, extrapolates trends from 15 years before 2010 and up to 2030. In the second scenario, called “Strategic”, the current system is optimized from the environmental, economic and social point of view. The third and fourth scenarios break with current trends. The third scenario, called “Localization”, considers an increased autonomy and the development of new cereal processing units in Wallonia. The fourth scenario, called “Globalization”, focuses on a massive level of cereal export in response to an increasing demand from the global market and deals with high added-value products within Wallonia.

Conclusions. Issues such as competition between food uses and non-food uses of cereals and of Walloon dependency on imports are addressed in these scenarios illustrating possible future situations, from food self-sufficiency to dramatic globalization, through the development of new outlets combining the adaptation of cropping practices, consumption, the evolution of habits and the use of new technologies.

Keywords : Belgium, cereal products, cereals, life cycle analysis, prospecting, regional development, resource management

1. Introduction

1Au cœur du débat sur le développement durable, l'agriculture engendre d’importantes interrogations au sujet de la diversification des productions agricoles et des sources de revenus pour les agriculteurs, de l’affectation des terres arables entre les cultures alimentaires et non alimentaires et de la modification ou de l'adaptation des pratiques agricoles pour réduire significativement les effets de l'agriculture contribuant aux changements climatiques. Dans ce contexte, la recherche dans laquelle s’inscrit le présent article vise à évaluer le caractère durable et la pertinence de filières de valorisations alternatives des ressources céréalières wallonnes balancées entre les utilisations alimentaires (humaines et animales) et non alimentaires (biocarburants et matériaux bio-basés).

2À cette fin, différents scénarios, définissant de possibles évolutions futures de la filière céréalière wallonne, ont été construits sur base du portrait des utilisations actuelles des céréales produites dans cette région (Delcour et al., 2014), avec l’appui d’un comité d’experts constitué des acteurs et parties prenantes impliqués dans les différents maillons de la filière. L’objectif de cet exercice était d’établir des scénarios suffisamment contrastés afin d’évaluer les conséquences des évolutions possibles des voies de valorisation des céréales wallonnes et d’ainsi pouvoir éclairer les choix de la filière céréalière et des pouvoirs publics dans le soutien à des filières spécifiques de valorisation. Dans une phase en aval du travail de scénarisation, et non présentée dans cet article, il sera procédé à une analyse des impacts socio-économiques et environnementaux des scénarios construits, en recourant aux méthodes d’analyses du cycle de vie (ACV) conséquentielles (Earles et al., 2011) et combinant des ACV environnementales (ISO, 2006a ; ISO, 2006b) et socio-économiques (Benoît et al., 2009). Ces deux approches seront intégrées dans une phase ultime au moyen d’analyses multi-critères (Lipušček et al., 2010 ; Zamagni, 2012). À chaque étape de ce travail de recherche global, que ce soit pour la collecte d’informations, la confirmation des hypothèses ou la validation des choix méthodologiques, les acteurs du secteur sont directement impliqués.

2. Matériel et méthodes

2.1. Construction des scénarios

3La méthodologie de construction des scénarios a mobilisé des méthodes projectives et participatives via la constitution de groupes restreints de personnes ressources mettant en commun leur expertise (Meyer, 2008). Elle s’inspire de travaux similaires visant à définir des scénarios contrastés (Business-as-Usual, stratégique, en rupture) (Beaudoin et al., 2011), en mobilisant des variables-clés sélectionnées pour leur pertinence et leur influence sur la filière étudiée. Ces variables sont à faire varier selon le degré de rupture souhaité (CGAAER, 2010) et ce, au travers d’une co-construction en concertation avec les experts (Chaumet et al., 2009). La principale originalité des résultats présentés réside dans l’approche ciblée à l’échelle d’une région (la Wallonie) prenant en compte ses particularités agronomiques, économiques et industrielles, et en se limitant à une filière végétale très majoritaire sur son territoire. L’approche de scénarisation est de ce fait réalisée à un niveau technique et local plus poussé, plus précis et non macro-économique, comme c’est le cas dans des études portant sur des territoires beaucoup plus étendus et pluriels (Chaumet et al., 2009 ; CGAAER, 2010). En aval de cette scénarisation et sur base de l’évaluation des impacts environnementaux et socio-économiques des scénarios définis, un objectif corollaire du travail de recherche sera d’adapter à l’échelle régionale considérée les référentiels d’évaluations environnementales et socio-économiques généralement appliqués à des échelles macro-économiques. Il est à noter que la construction des scénarios n’a pas développé ou utilisé de modèle économique, mais s’est basée sur un bilan matière équilibré entre les productions des différentes filières au sein de chaque scénario.

4La construction des scénarios a suivi plusieurs étapes portant sur le choix :

5– du champ temporel d’application,

6– des variables clefs et de sous-variables associées influençant le système dans lequel le secteur céréalier wallon évolue et sur lesquelles des hypothèses d’évolution peuvent être construites,

7– des hypothèses simplificatrices d’évolution contrastées des variables clefs et des sous-variables associées.

8Champ temporel. Il a été décidé d’envisager des scénarios à l’échéance 2030. Ce choix s’explique par le compromis entre la volonté de s’affranchir des effets de la conjoncture et la nécessité de permettre aux acteurs de se détacher de leur quotidien tout en travaillant à une échelle de temps suffisamment proche que pour être maitrisable en termes de projection des tendances observées dans le futur environnement technique et politique. À titre de comparaison, des travaux de scénarisation réalisés récemment dans le domaine de l’agriculture et de l’environnement ont choisi 2020 comme échéance (CGAAER, 2010) ou encore 2050 (Chaumet et al., 2009 ; Beaudoin et al., 2011). Ceci place notre choix dans un champ temporel réaliste et partagé entre d’autres travaux scientifiques.

9Dimensions clefs et variables d’évolution. Divers travaux de scénarisation dans les domaines agricole et environnemental ont été consultés et croisés afin d’identifier les dimensions clefs exerçant une influence sur le système et les variables d’évolution concernant le secteur céréalier wallon (Chaumet et al., 2009 ; Bossier et al., 2010 ; CGAAER, 2010 ; Beaudoin et al., 2011 ; OCA, 2011a ; OCA, 2011b ; OCA, 2011c). Les dimensions clefs et les variables associées retenues pour construire les scénarios sont reprises dans le tableau 1.

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10Pour chaque dimension et chaque variable, différentes hypothèses d’évolution ont été définies. Pour chaque variable, le pourcentage de changement attendu a été précisé lorsque cela était possible (Tableau 1). Les scénarios ont été construits ensuite comme des combinaisons d’hypothèses d’évolution contrastées des variables choisies (CGAAER, 2010).

11Des hypothèses d’évolution, entre 2010 et 2030, communes aux différents scénarios ont également été adoptées pour différentes dimensions :

12– un réchauffement climatique caractérisé par des températures plus élevées et des phénomènes climatiques extrêmes plus fréquents (Chaumet et al., 2099),

13– une population wallonne croissante qui s’élèvera à 3 750 000 habitants en 2030 (Giannakouris, 2010), soit une augmentation de 7 % par rapport à 2009,

14– une diminution des ressources fossiles et une augmentation du cout de l’énergie,

15– une demande croissante en biomasse en tant que ressource renouvelable,

16– une pression sociétale plus importante quant à la qualité (en ce y compris environnementale) et à la sécurité d’approvisionnement alimentaire (Chaumet et al., 2009).

17Par ailleurs, la surface totale occupée par les céréales wallonnes a été considérée comme constante ou en très légère augmentation (+ 4 %) d’ici 2030. Il est en effet réaliste de considérer que les changements d’occupation des terres agricoles wallonnes ne concerneront pas les spéculations majeures telles que les céréales, comme le montre la stabilité des surfaces dans le temps (DGSIE, 2010). Ce sont, par contre, des substitutions entre les différentes céréales dont il a été tenu compte.

18Établissement et validation des scénarios. Les scénarios élaborés ont été établis et validés par un groupe d’experts réunissant à la fois des chercheurs, des parties prenantes (décideurs politiques, administrations, fédérations, associations de promotion) et des acteurs de la filière céréalière (producteurs, transformateurs, négociants). Le secteur belge et wallon de la transformation était représenté par la meunerie, la malterie, l’industrie des biocarburants et l’industrie des aliments composés pour animaux.

2.2. Évaluation des besoins annuels moyens en céréales pour l’alimentation humaine et animale

19Afin d’illustrer le degré d’autosuffisance de la Wallonie vis-à-vis des filières céréalières destinées à l’alimentation, les besoins en céréales ont été calculés, au départ de la situation actuelle et pour chaque scénario, d’une part, pour l’alimentation animale et la production de viande, de produits laitiers et d’œufs (besoins indirects) et, d’autre part, pour l’alimentation humaine (besoins directs). La méthode de calcul pour les besoins en céréales destinées à la production de viande, de lait et d’œufs prend en compte les animaux engraissés et les animaux reproducteurs. Elle se base sur les consommations apparentes de viandes bovine, porcine et de volaille, de produits laitiers et d’œufs par an et par habitant, issues des bilans d’approvisionnement (DGSIE, 2010) et variant selon les scénarios (selon les tendances dans le scénario tendanciel, diminuant de 20 % dans le scénario stratégique et de 40 % dans les scénarios en rupture). Les paramètres zootechniques utilisés dans les calculs pour la production de viande sont le rendement carcasse, le poids vif abattu, l’indice de consommation, le gain quotidien moyen et la durée moyenne d’engraissement. Les paramètres zootechniques utilisés dans les calculs pour la production de lait et d’œufs sont l’indice de consommation et la durée moyenne de production (lactation, ponte). Ces paramètres zootechniques ont été obtenus, pour les bovins viandeux, du Herd Book Blanc Bleu Belge (HBBBB, 2011) ; pour les bovins laitiers, de Debrabander et al. (2007) ; pour les volailles de chair, de Sauveur (1997), Piron et al. (2006) et Bouvarel (2009) ; pour la production d’œufs, de Jacquet (2010) ; pour les porcins, de Aubry et al. (2000), Mignon-Grasteau et al. (2010), Mahu (2011), Paboeuf (2011), Servais et al. (2011). En posant que la part des céréales dans l’alimentation des bovins (à l’engraissement et laitiers), porcins et volailles (à l’engraissement et pondeuses) est respectivement de 20, 60 et 60 % (BEMEFA/APFACA, 2011, communication personnelle), que les vaches allaitantes ne reçoivent pas de grains et que les génisses de remplacement reçoivent, selon leur âge, entre 7,5 et 10 % de céréales dans leur ration, on obtient la quantité de céréales nécessaires annuellement pour répondre aux besoins de la population wallonne en produits carnés et laitiers et en œufs (section 3.5.).

3. Résultats et discussion

3.1. Description des scénarios élaborés

20Au cours de l’exercice de prospective, trois types de scénarios contrastés ont été définis :

21– un scénario « tendanciel »,

22– un scénario « stratégique »,

23– deux scénarios « en rupture ».

24Le scénario « tendanciel » s’appuie sur le prolongement du modèle actuel et extrapole les tendances observées (Delcour et al., 2014) de 1996 à 2010 en insistant sur les tendances émergentes. Dans le cas du scénario « stratégique », différents choix majeurs ont été posés, en concertation avec des phytotechniciens, afin de tendre vers une optimisation du système de production aux niveaux environnemental, économique et sociétal. Enfin, les scénarios « en rupture » s’écartent radicalement des autres scénarios. Dans ces derniers, les hypothèses d’évolution proposées se veulent avant tout innovantes et contrastées sur base de tendances émergentes au sein de la société. De plus, lors de la validation des scénarios avec les acteurs et parties prenantes (voir section 2.1.3.), les discussions ont conduit à proposer deux scénarios en rupture opposés : un scénario « localisation » et un scénario « globalisation ». Le scénario « localisation » est basé vers une autonomie poussée de la Wallonie dans le secteur céréalier et les utilisations possibles des céréales qui y sont produites. À l’inverse, le scénario « globalisation » inscrit la Wallonie dans un marché céréalier mondial libéralisé et fortement soumis aux flux internationaux et mondiaux des céréales pour la définition des valorisations potentielles des céréales sur son territoire. Les quatre scénarios issus de cet exercice de prospective sont décrits ci-après (Tableaux 2, 3, 4, 5).

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3.2. Scénario tendanciel

25Pour ce scénario, il est établi que, suite à la réorganisation de la Politique Agricole Commune (PAC) (la réflexion étant basée ici sur la tendance 2007-2013) et à l’ouverture des marchés, le prix des céréales, régi par la loi de l’offre et de la demande, subit de fortes périodes de volatilité (CGAAER, 2010). Les outils d’intervention sur les marchés ne sont maintenus que pour faire face aux situations de crise. Les aides du premier pilier de la PAC sont réduites et induisent une baisse sévère du revenu. Pour maintenir ce revenu, la tendance à l’agrandissement des exploitations agricoles se poursuit. Le verdissement de la PAC induit qu’une partie des paiements directs est subordonnée à une série de pratiques respectueuses de l’environnement.

26En matière de besoins alimentaires, selon les projections à l’horizon 2030, le Wallon consomme en moyenne 335 kg de céréales par an (Tableau 6) ; 115 kg directement via l’alimentation (pains, pâtisserie, etc.) et 220 kg indirectement sous forme de produits carnés, œufs et produits laitiers. Pour subvenir aux besoins alimentaires en céréales de la population wallonne à l’horizon 2030, 1 255 568 t de céréales sont nécessaires annuellement (Tableau 7). La consommation de viande d’animaux nourris en partie avec des céréales (viande bovine, viande porcine et viande de volaille) diminue de 10 % par rapport à 2009. En 2030, elle atteint 72 kg par habitant (contre 79 kg en 2009). Les viandes bovine et porcine voient leur consommation évoluer à la baisse (de respectivement 23 % et 13 % par rapport à 2009), tandis que la consommation de viande de volaille connait une augmentation de 15 % (OCA, 2011c).

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27Si le consommateur mange moins de viande, il consomme en revanche davantage de produits laitiers et de produits à base de farine (pain, biscuits, pâtisserie, etc.). Au sein des produits laitiers, la consommation de produits transformés comme le fromage, le yaourt et la crème augmente au détriment du lait de consommation (OCA, 2011a).

28La superficie wallonne consacrée aux céréales à grains s’élève à 186 000 ha (Tableau 2). Elle augmente de 2 % en 20 ans, soit un peu moins de 4 000 ha supplémentaires, ce qui est très faible. Par contre, l’assolement s’est considérablement modifié. On note une augmentation des surfaces dédiées au froment et au maïs grain au détriment de l’orge et de l’épeautre. Sur base de l’évolution tendancielle des rendements de 1995 à 2010 (DGSIE, 2010), les projections à 2030 montrent que la hausse du rendement s’est poursuivie pour toutes les céréales, grâce notamment à la sélection variétale (Tableau 2). La production des céréales à grains en Wallonie s’élève à 2,2·106 t de matière fraiche (MF), soit 1,8·106 t de matière sèche (MS) sur base d’un taux de MS de 85 % pour les grains hors maïs grain et 60 % pour le maïs grain. Le maïs fourrager occupe davantage de place dans le paysage cultural wallon. Il remplace 11 000 ha provenant de terres autrefois consacrées à la betterave et aux prairies temporaires, suite à la diminution tendancielle de ces deux cultures (Delcour et al., 2014). Le maïs fourrager atteint par conséquent une production de 3,8·106 t de MF, soit 1,3·106 t de MS avec un taux de MS de 33 % (Tableau 2).

29Au niveau des actifs agricoles, le nombre d’exploitations diminue (- 83 % par rapport à 2010) et leur taille continue à augmenter (+ 60 % de surface agricole utile par exploitation). L’agriculture familiale évolue vers des formes sociétaires où la part du salariat dans l’emploi agricole augmente. Une conséquence directe de cet agrandissement est une diminution du temps de travail potentiellement consacré à chaque unité de surface, entrainant des simplifications des pratiques agricoles (assolement, travail du sol, etc.) et une tendance à l’érosion de la diversité génétique des espèces cultivées.

30Avec une production de 1,8·106 t MS de céréales à grains pour une demande alimentaire de 1,3·106 t MS à l’échelle de la Wallonie, l’offre couvre la demande. Cependant, si la Wallonie dispose de la ressource céréalière pour nourrir ses habitants, elle ne bénéficie pas de la qualité requise pour l’alimentation humaine. En l’absence de plus-value pour un blé de qualité supérieure, vu la difficulté des négociants à constituer des volumes homogènes de blé panifiable de taille suffisante et suite à la libéralisation du marché, les agriculteurs wallons ont cessé de cultiver du blé panifiable. Le blé cultivé en Wallonie est uniquement de qualité fourragère. Dès lors, les 431 291 t de blé panifiable nécessaires pour couvrir les besoins alimentaires de la population wallonne (Tableau 7) sont totalement importées. De même, l’orge brassicole est massivement importée de l’étranger. Il est à noter qu’il s’agit ici d’une tendance lourde en Wallonie depuis plus de 25 ans.

31Les céréales wallonnes restent orientées vers des marchés de masse à faible valeur ajoutée. Elles sont prioritairement utilisées pour couvrir les besoins alimentaires indirects des Wallons (viande et produits dérivés d’animaux). Ceux-ci s’élèvent à un peu plus de 800 000 t de céréales pour nourrir les animaux destinés à la consommation wallonne (643 271 t pour les produits viandeux et 181 006 t pour le lait et les œufs). Avec une intraconsommation, c’est-à-dire la consommation directe de la production céréalière par les animaux de la ferme, estimée à 5 % des céréales produites, 92 000 t MS de céréales sont distribuées sous forme brute à la ferme. Le reste est transformé par l’industrie animale pour fabriquer des aliments composés. Au total, sur les 1,8·106 t MS de céréales grains produites en Wallonie, 1,2·106 t sont destinées à l’alimentation animale, soit 63 % de la production. En se basant sur le fait que l’industrie des aliments composés pour animaux ne développera pas de nouvelle unité de production en Wallonie, la production wallonne se maintient d’ici 2030 à 450 000 t d’aliments, composés pour 40 % de céréales. Environ 14 % des céréales destinées au « feed » sont donc transformées sur le territoire wallon.

32La demande en biocarburant est soutenue par une volonté politique forte. Ainsi, les biocarburants de première génération connaissent un développement massif. Suite à l’introduction de la composante écologique des paiements directs dans la nouvelle PAC, une politique de production agricole plus respectueuse de l’environnement est mise en place. Cette dernière permet aux producteurs de biocarburants d’utiliser davantage les matières premières wallonnes. L’industrie wallonne des biocarburants se fournit à 75 % avec du blé wallon, suite à une progression continue depuis 2010. Les besoins annuels sont de 525 000 t MF, ce qui correspond à 43 750 ha de froment consacrés à une utilisation énergétique, soit 29 % des terres emblavées en froment. Par ailleurs, la recherche a misé sur la création de variétés aptes au processus de séparation de l’amidon et du gluten, ce qui permet l’obtention d’un gluten de qualité. Grâce à cette sélection, le gluten, coproduit de l’éthanol de blé, est valorisé dans l’industrie agro-alimentaire.

33Tout comme actuellement (Delcour et al., 2014), la quasi-totalité de la production de maïs fourrager (95 %) entre en alimentation animale. Le solde (5 %) de la production de maïs plante entière est utilisé, selon la tendance actuelle, pour la production de biogaz qui est valorisé sur place en cogénération (production conjointe d’électricité et de chaleur).

34La paille produite au départ des céréales wallonnes continue à être utilisée comme litière et fourrage pour les animaux (Tableau 8).

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3.3. Scénario stratégique

35Dans ce scénario, il est considéré que la PAC n’est plus une priorité pour l’Europe. La Commission européenne assure un niveau minimum de soutiens, complétés librement au niveau national et/ou régional. La PAC est donc largement régionalisée. Dans un contexte où la gouvernance locale est privilégiée, la politique wallonne vise à promouvoir l’autonomie alimentaire de la Wallonie, source de sécurité, de traçabilité et garantie de meilleures pratiques environnementales, via notamment la réduction du transport routier au profit des transports ferroviaire et fluvial. Les démarches de circuits courts et de valorisation des produits locaux se renforcent. Le soutien à une agriculture plus respectueuse de l’environnement et de la santé, traduit par le verdissement des aides, est également balisé. Dans ce cadre, la nouvelle PAC encourage, entre autres, les systèmes de production intégrant des légumineuses afin de réduire la dépendance vis-à-vis des intrants azotés.

36Au niveau des besoins alimentaires, le Wallon réduit de 20 % sa consommation de viande (viande bovine, porcine et de volaille) par rapport à la situation actuelle. Il consomme en moyenne 63 kg de viande par année. Ses besoins en produits laitiers et en céréales ont suivi la tendance générale et sont similaires au scénario tendanciel. Le Wallon consomme en moyenne 276 kg de céréales par an (Tableau 6) ; 115 kg directement et 161 kg indirectement sous forme de produits carnés et produits laitiers. Pour assurer les besoins alimentaires de la population wallonne, 1 035 259 t de céréales sont donc requises (Tableau 7).

37La superficie wallonne consacrée aux céréales n’a pas connu de modification depuis 2010. Elle s’est maintenue à 182 000 ha. Suite à la diminution des ressources pétrolières, les couts des engrais et de l’énergie ont explosé, ce qui a conduit à de profondes modifications des modes de production avec des itinéraires phytotechniques limitant le recours aux intrants et tout particulièrement à l’azote. Pour pallier cette contrainte, les agriculteurs ont recherché des itinéraires culturaux améliorant la disponibilité en azote. L’occupation du sol a été modifiée en intégrant, dans la rotation, des légumineuses (pois, féverole, lupin) qui fixent de façon symbiotique l’azote de l’air. Ces cultures, revalorisées par la nouvelle PAC, ont pris progressivement la place de la betterave et des cultures sous contrat dans la rotation. De plus, suite aux changements climatiques, les agriculteurs ont adopté des variétés plus adaptées aux nouvelles conditions culturales. Ces nouvelles stratégies de production ont permis de maintenir les rendements des céréales stables par rapport à 2010 (Tableau 3).

38Les céréales se sont progressivement orientées vers une production à plus haute valeur ajoutée ouverte aux marchés destinés à l’alimentation humaine. L’industrie de première transformation passe désormais des contrats avec les producteurs, leur garantissant une rémunération adéquate. Le froment de qualité panifiable représente 35 % de la production en blé. Avec 366 860 t de froment panifiable (Tableau 3), la Wallonie assure son autosuffisance puisque les besoins pour l’alimentation humaine directe sont estimés à 431 291 t (Tableau 7). De la même manière, l’orge brassicole connait un regain d’intérêt et représente 15 % de la production totale en orge.

39En matière de production animale, l’élevage est relocalisé au sein du territoire. Les monogastriques et les bovins à l’engraissement sont associés aux zones céréalières, les autres ruminants (troupeaux allaitants et laitiers) aux zones herbagères. Cette relocalisation permet de maximiser la valorisation des coproduits des céréales (paille, refus de triage, etc.) tout en assurant la fertilité des sols à l’utilisation accrue des engrais de ferme comme base de la fertilisation. La paille disponible va permettre aux éleveurs de privilégier l’élevage des monogastriques sur litière paillée. Ce mode d’élevage présente différents avantages : amélioration du bien-être animal, réduction des odeurs, etc. et, dès lors, une meilleure acceptation par le voisinage.

40Les troupeaux laitiers et allaitants étant exclusivement nourris à l’herbe et aux coproduits – ce qui en fait la légitimité et en augmente également fortement l’acceptabilité sociétale – les besoins en céréales pour le Feed s’amenuisent fortement. L’intraconsommation des céréales est devenue négligeable. Par ailleurs, au vu de la diminution de la consommation de viande, le cheptel viandeux est réduit de 15 %. In fine, les besoins en céréales pour l’alimentation animale sont de 603 968 t (Tableau 7). Ce volume n’est pas entièrement couvert par les utilisations en alimentation animale de la production wallonne de céréales à grains (Tableau 8). Les quantités manquantes sont importées (de Flandre ou de l’étranger).

41La préoccupation énergétique reste importante. Il est supposé que la politique de soutien aux énergies renouvelables vise un objectif de 25 % d’énergie renouvelable dans la consommation totale d’énergie en Belgique en 2030. Les biocarburants de première génération connaissent un développement massif. Grâce à la politique de production agricole plus respectueuse de l’environnement mise en place, les producteurs de biocarburants utilisent plus de matières premières wallonnes. Ainsi, l’industrie wallonne des biocarburants s’approvisionne en totalité avec du blé wallon, soit 700 000 t. Cette industrie peut être qualifiée de bioraffinerie dont le produit principal n’est plus le bioéthanol qui devient un coproduit parmi d’autres coproduits à forte valeur ajoutée (gluten, protéines, etc.).

42La filière énergétique met également l’accent sur d’autres sources renouvelables, comme le maïs fourrager pour la production de biogaz dans des unités agricoles décentralisées qui valorisent 20 % de cette culture. Grâce à l’adaptation de la législation, le biogaz n’est plus valorisé sur place dans des centrales de cogénération, il est injecté sur le réseau de gaz naturel et permet de chauffer l’équivalent de 42 800 ménages wallons.

43Enfin, suite à la diminution des besoins en paille pour la litière et l’alimentation animale due à la réduction du cheptel viandeux, 8 % de la paille valorisable, soit 41 000 t MS, sont utilisées pour la production de panneaux de construction.

3.4. Scénarios en rupture – « localisation » et « globalisation »

44Dans les scénarios en rupture, la PAC a connu une modification de son architecture. Le calcul des paiements directs a été remis en cause dans la nouvelle réforme. Les aides du premier pilier ne sont désormais plus calculées sur base de facteurs de production, mais bien adaptées à l’actif agricole (CGAAER, 2010). Cette mesure permet de limiter l’érosion du nombre d’exploitations et de maintenir le tissu agricole en activité. D’autre part, sous la pression de la société, la prise en compte de l’environnement devient de plus en plus importante. Les aides du deuxième pilier de la PAC sont sensiblement renforcées. Le redéploiement à l’intérieur du deuxième pilier permet de dégager des ressources supplémentaires pour financer des mesures agro-environnementales et les services écosystémiques rendus par l’agriculture. Enfin, afin de rendre les mesures plus visibles et légitimes pour le contribuable, la nouvelle politique privilégie les mesures locales, avec notamment un effet sur l’emploi via le soutien au développement d’entreprises wallonnes de transformation des céréales.

45Au niveau des besoins alimentaires pour ce scénario en rupture, le Wallon, pour des raisons d’évolution des habitudes alimentaires, d’équité, de santé et environnementales, réduit de 40 % sa consommation de viande (viande bovine, porcine et de volaille) par rapport à la situation actuelle. Il en consomme en moyenne 47 kg par année. Ses besoins en produits laitiers et en céréales ont suivi la tendance générale et sont similaires au scénario tendanciel. Le Wallon consomme en moyenne 269 kg de céréales par an (Tableau 6) ; 115 kg directement et 154 kg indirectement sous forme de produits carnés et de produits laitiers. Pour assurer les besoins alimentaires de la population wallonne, 1 007 589 t de céréales sont requises (Tableau 7).

46La diminution de la consommation de viande dans le régime alimentaire des Wallons a réduit de 36 % le cheptel bovin viandeux élevé en Wallonie. Les avancées en termes de sexage des semences des taureaux permettent de réduire le troupeau allaitant, la production de viande étant en partie assurée par le troupeau laitier. En effet, via l’insémination artificielle, les veaux femelles des vaches laitières sont produits en race pure, tandis que les veaux mâles sont du type croisé (taureaux viandeux avec vache laitière). Tout comme dans le scénario précédent, seuls les monogastriques et les bovins à l’engraissement sont encore nourris aux céréales. Le cheptel laitier est nourri exclusivement à l’herbe et aux coproduits.

47L’engraissement de volaille a évolué vers un élevage extensif qui allonge la durée d’engraissement des poulets à 70 jours, contre 40 en 2010 et dans les scénarios tendanciel et stratégique. Ceci entraine une augmentation de la quantité de céréales nécessaires pour cette production dans les scénarios en rupture (Tableau 7).

48Les besoins estimés en céréales pour l’alimentation animale sont de 576 297 t (Tableau 7). Ce volume est couvert par la production céréalière wallonne (Tableaux 4, 5, 8).

49Scénario « localisation ». Dédié à une utilisation plus locale des productions, ce scénario intègre la présence accrue du maïs grain dans le paysage wallon et est résolument marqué par le développement de nouvelles filières en Wallonie : une maïserie et une bioraffinerie.

50La maïserie a été implantée dans la région où la production de maïs grain est la plus abondante : dans le Hainaut. Ce secteur contractualise avec des agriculteurs pour se procurer des variétés de maïs corné ou maïs corné-denté ayant subi un séchage aussi doux que possible pour obtenir de bons rendements en semoule. Avec ce nouveau marché, la ressource agricole est valorisée vers des produits de plus forte valeur ajoutée destinés à l’alimentation humaine, tels que la farine première, la semoule ou les germes permettant l’obtention d’huile de maïs. Le volume traité annuellement s’élève à 150 000 t de grains (quantité rendue disponible par l’augmentation des surfaces en maïs grain et après déduction des besoins pour l’alimentation animale). Le maïs grain utilisé provient exclusivement de Wallonie.

51Cette innovation sur le territoire a entrainé une nouvelle organisation de l’assolement des céréales. Si la superficie agricole consacrée aux céréales grain s’est maintenue à 186 000 ha, la surface emblavée en maïs grain est de 15 000 ha, ce qui représente une augmentation de près de 10 000 ha en vingt ans. Par ailleurs, la raréfaction des intrants et les couts de production importants engendrés par cette raréfaction ont induit une baisse globale de rendement de 10 % des cultures céréalières (Tableau 4).

52Pour faire face aux phénomènes météorologiques extrêmes (sècheresses, inondations, variations de température, etc.), la recherche a misé sur des variétés au génotype tolérant, c’est-à-dire plus efficientes pour l’utilisation de l’eau et de l’azote (gestion de la surface foliaire, fermeture stomatique, capacités d’absorption et d’assimilation de l’azote plus efficiente).

53Grâce à une approche qualitative renforcée et à un effort de rémunération de la part du secteur de la transformation, la culture de céréales est réorientée vers l’alimentation humaine. Le froment panifiable et l’orge brassicole sont revalorisés. Le blé panifiable représente 50 % de la production wallonne en blé. Avec une offre de 560 250 t de blé de qualité et une demande estimée à 431 250 t pour nourrir la population wallonne, la région est largement autosuffisante. Le solde est mis sur le marché international. L’orge brassicole, quant à elle, représente 44 % de la production d’orge en Wallonie.

54Suite aux efforts en recherche et développement, le bioraffinage au départ de biomasse ligno-cellulosique, produisant entre autres de l’éthanol dit de seconde génération, a démontré sa faisabilité à l’échelle industrielle. Au niveau des céréales, ce sont les sous-produits tels les pailles et le maïs plante entière qui sont valorisés : 16 % des pailles issues du blé, de l’orge et de l’épeautre (soit 73 000 t MS) et 25 % du maïs plante entière (208 000 t MS) sont utilisées par cette nouvelle filière.

55Scénario « globalisation ». Par opposition au scénario « localisation », ce scénario, également en rupture, suit pleinement la tendance à la mondialisation des productions agricoles. C’est un scénario dans lequel deux-tiers des céréales wallonnes sont exportées non transformées vers l’étranger ; la valeur ajoutée due à la transformation des céréales n’est donc plus réalisée en Wallonie.

56Le tiers restant est par contre valorisé dans une bioraffinerie de pointe valorisant à la fois des grains, des pailles et du maïs plante entière pour produire une diversité de coproduits à forte valeur ajoutée destinés à l’alimentation humaine (par exemple, du gluten), à la chimie verte (par exemple, des phénols) et aux biocarburants de seconde génération. Des coproduits valorisés en alimentation animale y sont également générés.

57Les besoins en céréales pour la Wallonie sont identiques à ceux du scénario « localisation » (Tableau 7). La demande mondiale pour les productions agricoles contrebalance l’augmentation du cout des intrants. Les terres céréalières wallonnes continuent donc à être sollicitées selon la tendance actuelle et les rendements s’accroissent de la même manière que dans le scénario tendanciel (Tableau 5).

3.5. Évaluation des besoins en céréales pour l’alimentation humaine et animale

58Selon la méthodologie décrite dans la section 2.2, le tableau 7 présente l’estimation des besoins annuels moyens en céréales (en MS) pour la Wallonie en 2030 pour chaque scénario, au départ de la situation de 2010. Le tableau 6 exprime ces mêmes besoins en kg de céréales (MS) par habitant. Concernant la production de viande, ces besoins représentent la quantité de céréales qui serait nécessaire pour nourrir le cheptel requis afin de couvrir les besoins de la population wallonne. Or, dans la réalité, on constate, en comparant nos estimations avec les recensements (DGSIE, 2010), que le nombre d’animaux réellement présents en Wallonie ne suffit pas à couvrir ces besoins carnés. Nous avons alors comparé le nombre d’animaux nécessaires pour satisfaire la consommation en viande des Wallons à l’heure actuelle avec les animaux recensés (tableau 9) et la quantité de céréales nécessaires dans ces deux cas de figure. De l’analyse du tableau 9, il ressort que, et ce principalement pour la production d’animaux monogastriques, l’engraissement des animaux valorisés est délocalisé, majoritairement en Flandre. On peut donc parler d’une externalisation de notre empreinte écologique en ce qui concerne la production de viande. Un raisonnement similaire au niveau de la production laitière donne un nombre d’animaux recensés qui correspond aux besoins ; nous n’observons donc pas de délocalisation de cette production. Par contre, dans le cas de la production d’œufs, le tableau 9 montre également une délocalisation de la production, puisqu’environ la moitié des œufs nécessaires pour couvrir nos besoins sont produits en dehors de notre territoire.

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3.6. Récapitulatif des scénarios

59Afin de résumer les utilisations des ressources céréalières wallonnes étudiées au sein des quatre scénarios élaborés, le tableau 8 et la figure 1 présentent les productions et destinations des céréales grains, du maïs fourrager et des pailles de céréales, exprimées en tonnes de matière sèche sur base d’un taux d’humidité de 15 % pour les grains (hors maïs grain), 67 % pour le maïs fourrager, 40 % pour le maïs grain et 15 % pour la paille.

60Ces illustrations mettent en évidence les hausses de rendement considérées par les scénarios tendanciel et « globalisation », liées à la tendance actuelle vers l’intensification et la mondialisation des productions agricoles. À l’inverse, les scénarios stratégique et « localisation » montrent une diminution des rendements et des volumes produits due à la raréfaction des intrants, à l’augmentation de leur cout et à la recherche d’une autonomie accrue de la Wallonie basée sur une amélioration de l’efficience avec laquelle les intrants sont valorisés et non sur une maximisation de la production. De même, les utilisations pour l’alimentation humaine directe (Food), marginales en 2010 (Delcour et al., 2014), disparaissent dans les scénarios tendanciel et « globalisation », alors qu’elles se renforcent dans les scénarios stratégique et « localisation » qui visent une meilleure sécurité alimentaire de la Wallonie. Le scénario « localisation » va au-delà du scénario stratégique grâce au développement de nouveaux débouchés porteurs de valeur ajoutée pour la Wallonie (maïserie et bioraffinerie). À l’inverse, suite à l’export massif des céréales dans le scénario « globalisation », la Wallonie est réduite à un bassin de production céréalier ; la transformation et la valorisation des grains étant en grande partie réalisées en dehors de la région.

61Enfin, le tableau 10 tente d’estimer la dépendance de chaque scénario aux importations de grains en comparant besoins, productions et exportations envisagées par chaque scénario. La situation actuelle (2010) montre que la production de céréales grains wallonne n’est pas suffisante pour couvrir les besoins directs et indirects de la Wallonie ; nous sommes donc globalement dépendants des importations de céréales grains. Par contre, comme le montre le tableau 9, il y a assez de céréales pour nourrir les animaux recensés en Wallonie ; nous sommes donc autonomes en ce qui concerne l’alimentation du cheptel wallon (voir section 3.5.). À l’instar de la situation actuelle, on observe que le scénario « globalisation »  est dépendant des importations de grains par opposition aux scénarios tendanciel, stratégique et « localisation » qui sont eux plus ou moins autonomes. Le scénario tendanciel montre en effet une légère diminution des besoins d’ici 2030 accompagnée d’une hausse d’environ 40 % de la production de grains. Malgré une diminution des rendements, les scénarios stratégique et « localisation »  optimisent l’utilisation des ressources céréalières, ce qui conduit à une indépendance moins marquée mais mieux répartie entre les utilisations (Figure 1). Enfin, le scénario « localisation » est à l’équilibre, ce qui peut le rendre moins résilient lors d’années marquées par des phénomènes climatiques atypiques.

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4. Conclusions

62L’exercice mené dans le cadre de cette étude a abouti à l’établissement de quatre scénarios d’utilisations des céréales wallonnes à l’horizon 2030. Ces scénarios, sous-tendus par des hypothèses contrastées, brossent une gamme de futurs possibles pour la filière céréalière wallonne. La question de la compétition entre utilisations alimentaires (directes ou indirectes) et non alimentaires est clairement sous-entendue au travers de ces scénarios qui illustrent des futurs contrastés allant de l’autonomie alimentaire de la Wallonie jusqu’à la mondialisation radicale des productions, en passant par le développement stratégique de nouveaux débouchés alliant évolutions des pratiques culturales, modifications des habitudes de consommation et nouvelles technologies.

63L’objectif de ce travail étant d’établir des scénarios contrastés d’évolution des valorisations des céréales, le panel d’expert a fait varier les variables-clefs selon des degrés de rupture permettant de marquer de façon significative les différences entre scénarios. Cet exercice atteint par conséquent certains extrêmes, comme par exemple une diminution de 40 % de la consommation de viande, rendus nécessaires par la volonté de pouvoir souligner, dans la phase suivante de la recherche, les conséquences de choix politiques ou d’évolutions ultérieures potentielles sur la durabilité de l’ensemble d’un secteur. Ce travail s’inscrit bien dans l’exploration d’avenirs possibles et non dans un essai de prédiction de l’avenir.

64Soulignons néanmoins que, à l’échelle de la Wallonie, ces scénarios sont en accord avec ceux d’autres prospectives en termes d’évolution d’habitudes de consommation (Vieux et al., 2012), d’allocation des surfaces, de rendements, de pratiques culturales, de changements climatiques (Chaumet et al., 2009 ; Beaudoin et al., 2011) ou de renouvellement des orientations politiques (Börjeson et al., 2006 ; CGAAER, 2010).

65Dans un but d’améliorer les scénarios, il serait possible de moduler plus finement les niveaux des pourcentages de changement escomptés pour chaque variable des dimensions clés considérées. Pour ce faire, il pourrait être tenu compte de l’établissement pour certaines variables considérées de tendances basées sur des modèles économiques établis par les observatoires de la consommation par exemple ou dans le cadre d’analyses de prospective économique ou de business plans de sociétés privées. Le problème repose alors sur l’accès à ces données qui ont un caractère confidentiel étant donné leur portée essentielle sur la rentabilité d’une entreprise.

66Le nombre de scénarios que l’on aurait pu considérer dans ce type de travail est très élevé car se projeter sur les utilisations potentielles futures des céréales produites à l’échelle de la Wallonie représente un travail d’analyse de fond considérable. Ce travail devrait être théoriquement basé sur des analyses techniques et macro-économiques des évolutions contemporaines des ressources agricoles céréalières dans d’autres pays industrialisés, combinées à une approche de probabilité d’occurrence de chaque situation potentielle selon différents contextes économiques rencontrés. Nous avons opté directement pour une approche plus pragmatique, basée sur des groupes de travail composés d’acteurs et de parties prenantes du secteur céréalier wallon, experts chacun dans leur domaine d’action, et se basant sur leur vision à long terme de l’importance et des utilisations probables des céréales wallonnes, tant à l’échelle régionale, que fédérale, internationale et mondiale. L’approche la plus complète aurait été de combiner l’analyse économique et probabiliste dont les résultats auraient été soumis à l’analyse d’experts du secteur céréalier. Cette approche n’était pas concevable dans le cadre de ce travail de recherche dans la durée de temps impartie.

67Remerciements

68Nous tenons à adresser nos plus vifs remerciements aux nombreuses personnes ressources de la filière céréalière wallonne sollicitées dans le cadre de nos recherches et qui nous ont aimablement communiqué des données et prodigué des conseils. Le projet ALT-4-CER, au sein duquel est menée cette recherche, est financé par le Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W) dans le cadre de la loi de défiscalisation des institutions de recherches (dite Loi Moerman).

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Pour citer cet article

Florence Van Stappen, Alice Delcour, Stéphanie Gheysens, Virginie Decruyenaere, Didier Stilmant, Philippe Burny, Fabienne Rabier, Hélène Louppe & Jean-Pierre Goffart, «Établissement de scénarios alternatifs de valorisations alimentaires et non alimentaires des ressources céréalières wallonnes à l’horizon 2030», BASE [En ligne], Volume 18 (2014), numéro 2, 193-208 URL : https://popups.uliege.be/1780-4507/index.php?id=11054.

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