BASE

Biotechnologie, Agronomie, Société et Environnement/Biotechnology, Agronomy, Society and Environment

1370-6233 1780-4507

 

Facteur d'impact : 1,087 (2020)

depuis le 05 février 2011 :
Visualisation(s): 5825 (32 ULiège)
Téléchargement(s): 4 (0 ULiège)
print        
Patrick Jagoret, Emmanuel Bouambi, Dieudonné Abolo & Didier Snoeck

Amélioration du système traditionnel de caféiculture au Cameroun par l’introduction de trois innovations techniques

(volume 10 (2006) — numéro 3)
Article
Open Access

Notes de la rédaction

Reçu le 18 novembre 2004, accepté le 11 juin 2006

Résumé

Afin de contribuer à l’amélioration du système de culture traditionnel du caféier (Coffea canephora Pierre, var. Robusta) dans le Centre-Est du Cameroun, des expérimentations ont été menées en partenariat avec plusieurs planteurs. Elles ont permis de préciser les performances agronomiques et économiques de trois innovations : l’utilisation de caféiers Robusta sélectionnés, leur culture selon un dispositif de plantation en double haie, et l’association de caféiers avec du vivrier dans les interlignes. Trois ans après plantation, la supériorité agronomique des caféiers sélectionnés est confirmée. Leur productivité cumulée est 2,4 fois supérieure à celle d’une caféière traditionnelle constituée de semenceaux prélevés dans d’anciens vergers. Il en est de même pour la culture de caféiers en haies et son association pérenne avec du vivrier. Cette pratique culturale permet de multiplier par 2,8 l’apport calorique de la caféière et par 5,2 son rendement en protéine par rapport à l’introduction de vivriers dans une caféière traditionnelle au jeune âge. Sur le plan économique, si la crise à laquelle sont confrontés actuellement les producteurs de café réduit l’intérêt pour eux d’investir dans du matériel végétal clonal caféier, elle renforce au contraire l’intérêt d’adopter un système de plantation de caféiers en haies. La marge après remboursement des intrants d’une parcelle de caféiers en haies avec culture de vivriers dans les interlignes est estimée à 275600 FCFA au lieu de 100150 FCFA dans le cas d’une caféière traditionnelle avec du vivrier en intercalaire. Toutes cultures confondues, le système amélioré permet une valorisation de la journée de travail familial de 300 FCFA par rapport au système de culture traditionnel.

Mots-clés : rentabilité, Cameroun, associations culturales

Abstract

Improvement of traditional coffee farming system in Cameroon by introducing three technical innovations. With the aim to improve the traditional coffee (Coffea canephora Pierre, var. Robusta) growing practices in the Center of Cameroon, trials were conducted with coffee farmers. Three innovations were tested: use of selected coffee materials, double-line hedge planting, and their association with food-crops in the space between coffee lines. Three years after planting, the superiority of the newly tested system is obvious. The selected coffee clones were 2.4 more productive than ordinary seedlings taken in old plantations. Similarly, with the double-line hedge system with food-crops in the space between coffee lines, the production of calories was increased by 2.8 and the production of proteins by 5.2 compared with the traditional system. From an economic point of view, the current crisis in the coffee production has reduced the interest of farmers for highly selected coffee material. However, it has strengthened their interest for the newly tested planting system with a wider space for food-crops. The profit margin of the improved system is estimated to be 257,600 CFA instead of 100,150 CFA for the traditional system using food-crop in between coffee trees. All crops taken together, the improved system gives a rise of 300 CFA per work day, compared to the traditional coffee farming system.

Keywords : profitability, Coffea canephora, fertilisation, Coffea canephora, Cameroon, crop combination, fertilization

1. Introduction

1Depuis le début des années 1990, à l’instar des autres pays producteurs africains, le Cameroun a vu sa production de café Robusta (Coffea canephora Pierre) décliner en raison du processus de libéralisation de la filière, concomitant à la chute des cours mondiaux (Jagoret, Descroix, 2002).

2Alors qu’elles étaient de l’ordre de 95000 t par an dans les années 1980 (Ministère de l’Agriculture, 2001), les exportations de café Robusta du Cameroun ont atteint 79450 t pour la campagne 1999-2000 et 40012 t en 2002-2003 (CICC, 2004).

3Les provinces du Centre et de l’Est constituent le second bassin de production de café Robusta du pays. En 1984, elles représentaient respectivement 8 % et 18 % du verger national estimé à 150000 hectares (CIRAD, 1992). Après la conversion des petites exploitations familiales à la culture du caféier, l’intensification est restée faible. Les capacités de production ont principalement évolué selon un processus de reproduction simple et les itinéraires techniques paysans sont demeurés globalement extensifs. Malgré la crise du secteur caféier, les producteurs continuent cependant de privilégier la monoculture du caféier en adoptant une position d’expectative par l’exploitation à moindre frais de leur verger, voire leur abandon, d’autant qu’aucune alternative technique acceptable ne leur est proposée par la recherche agronomique (Varlet, Berry, 1997).

4Face à cette situation, l’Institut de Recherche agricole pour le développement (IRAD) et le Centre de Coopération international en Recherche agronomique pour le développement (CIRAD) mènent, depuis 2000, une action de recherche dont l’objectif est de contribuer à l’amélioration du système traditionnel de caféiculture dans le Centre-Est camerounais.

5Trois innovations techniques sont testées en milieu réel :

6– l’utilisation de caféiers Robusta sélectionnés produits par bouturage (clones) ;

7– leur culture selon un dispositif de plantation en haies ;

8– l’association de caféiers avec des cultures vivrières dans les interlignes.

9Les performances agronomiques et économiques de ces innovations ont été évaluées pendant les quatre années correspondant d’une part, à la phase d’installation des caféiers (années 0, 1 et 2) et d’autre part, à la première année de production de ces derniers (année 3).

2. Matériels et méthodes

10Les travaux de recherche sont conduits en partenariat avec des planteurs du village de Ngat, situé dans la partie orientale de la province du Centre (département de la Méfou et Afamba).

2.1. Caractéristiques pédo-climatiques du Centre-Est camerounais

11Le bassin de production de café Robusta du Centre-Est correspond au plateau sud-camerounais dont l’altitude oscille entre 650 et 900 m. Les régions de culture de C. canephora sont situées en zone forestière, soumise à un régime pluviométrique bimodal. La hauteur annuelle des pluies varie entre 1500 et 1800 mm. Les températures sont atténuées par l’altitude et la température moyenne annuelle est de l’ordre de 24 °C (Santoir, Bopda, 1995).

12La pédologie est dominée par des sols ferrallitiques tropicaux, jaunes à l’ouest et rouges à l’est, qui se dégradent rapidement en l’absence de couvert forestier. Il s’agit en général de sols profonds et bien drainés, argileux, très poreux et très pauvres en humus et en éléments nutritifs.

13Des échantillons composites de trente prélèvements ont été prélevés au hasard dans les parcelles d’expérimentation, à une profondeur de 0-20 cm, c’est-à-dire la zone prospectée par les racines nutritives des caféiers, au début de l’action de recherche. Leurs analyses montrent un taux de saturation variant de 20 à 23,5 % pour toutes les parcelles et de faibles quantités des trois bases échangeables, K, Ca et Mg (Tableau 1).

Image1

2.2. Caractéristiques du système traditionnel de caféiculture

14Une enquête réalisée avant le lancement de l’action de recherche, auprès de 50 producteurs de café Robusta du village de Ngat, a permis de caractériser le système traditionnel de caféiculture du Centre-Est camerounais.

15La surface moyenne des plantations de caféiers y est de l’ordre d’un hectare et l’essentiel du verger de caféiers est constitué de semenceaux provenant des plantations les plus âgées, mises en place lors de la période coloniale. Rares sont les planteurs qui établissent une pépinière. La quasi-majorité d’entre eux repiquent en effet directement en terre, à racines nues et sans trouaison préalable, les jeunes plants prélevés dans les caféières existantes. La densité de plantation moyenne oscille entre 1550 et 1650 caféiers à l’hectare.

16La majorité du verger de caféiers concerné par l’enquête (92 %) bénéficie d’un ombrage constitué principalement d’un mélange d’arbres forestiers et d’arbres fruitiers (safoutiers, agrumes, colatiers, avocatiers).

17L’entretien des plantations de caféiers se réduit à quelques désherbages manuels par an et les planteurs se répartissent en trois groupes distincts : ceux qui désherbent leur verger une fois par an (6 %), ceux qui le font deux fois par an (66 %), et le groupe des producteurs qui désherbent leur verger trois fois par an (28 %).

18Aucun producteur ne fertilise ses caféiers.

19Les caféiers sont conduits selon le système de taille en tige unique écimée. L’égourmandage, qui consiste à éliminer les rejets sur les tiges des caféiers, est réalisé généralement en même temps que le désherbage de la plantation. Cette opération culturale ne fait donc pas l’objet d’une intervention spécifique.

20Enfin, seuls 30 % des caféiculteurs déclarent réaliser un traitement anti-scolyte mais, pour la moitié d’entre eux, cette protection phytosanitaire se réduit à un traitement insecticide par an.

21La principale conséquence de ce système de culture de C. canephora, globalement extensif, est l’obtention d’un rendement peu élevé. Calculé pour les trois campagnes précédant l’enquête, il atteint en moyenne 114,3 kg de café marchand par hectare.

2.3. Dispositif expérimental

22L’action de recherche a été conduite chez 6 planteurs : 3 planteurs ont accepté de conduire l’essai comportant les 3 innovations proposées :

23– l’utilisation de caféiers Robusta sélectionnés ;

24– leur culture selon un dispositif de plantation en haies ;

25– l’association de C. canephora avec des cultures vivrières dans les interlignes.

26Ces 3 planteurs sont représentatifs des 3 niveaux d’entretien constatés lors de l’enquête : intensif : 3 désherbages manuels par an planteur P1) ; semi-intensif : 2 désherbages manuels par an (planteur P2) ; extensif : un désherbage manuel par an (planteur P3).

27Trois planteurs (témoins) ont accepté une seule innovation : l’association de cultures vivrières dans des plantations de caféiers traditionnelles mises en place avec du matériel végétal tout-venant en même temps que l’essai installé chez les planteurs précédents.

28Les caféiers Robusta utilisés pour l’essai sont des sélections clonales reproduites par bouturage et mises en place au champ après une année d’élevage en pépinière. Elles sont plantées selon un dispositif en haies constitué de doubles lignes de caféiers séparées par un interligne de 4,5 m.

29La densité de plantation des caféiers est de 1960 pieds par hectare : (1,5 m + 4,5 m) × 1,7 m. La parcelle élémentaire est constituée de 2 rangées de 10 caféiers.

30Par rapport au système traditionnel de caféiculture, l’intérêt de ce dispositif, où les caféiers sont par ailleurs conduits sans ombrage, est de permettre aux planteurs de cultiver des cultures vivrières en intercalaire des caféiers tout en disposant d’une densité de plantation de caféiers équivalente.

31Pour les caféiers, le dispositif statistique est celui d’un essai factoriel à deux facteurs :

32– matériel végétal : les clones testés (B5, M5, B11, J32, J21) correspondent aux 5 sélections clonales les mieux adaptées aux conditions pédoclimatiques du Centre-Est camerounais (Bouharmont, Awemo, 1980). Outre son homogénéité, le matériel végétal proposé aux planteurs est caractérisé par sa forte productivité et par son entrée en production précoce : 2-3 ans après plantation contre 5-6 ans pour le matériel végétal tout-venant utilisé traditionnellement (Bouharmont, Awemo, 1979) ;

33– fertilisation : 2 niveaux de fertilisation sont étudiés : aucune fertilisation (SE), ou dose de 400 kg d’engrais N-P-K par hectare et par an (E) à raison de 2 passages par an, en avril et en octobre, au moment des saisons pluvieuses. Ce traitement a été appliqué à partir d’octobre 2002. Le premier niveau (SE) correspond à la situation mise en évidence par l’enquête conduite au début de l’action de recherche (témoin). Le second niveau (E) est la dose d’engrais recommandée par les services de vulgarisation suite aux résultats des expérimentations conduites dans ce domaine (Snoeck, Jadin, 1990).

34Comme dans les plantations traditionnelles, les caféiers sont conduits selon le système de taille en tige unique écimée. Leur entretien est réalisé par les producteurs, conformément à leurs habitudes.

35Quel que soit le système de caféiculture testé, les cultures vivrières pratiquées dans les interlignes des caféiers sont conduites selon le système de culture traditionnel :

36– année 0 : maïs (Zea mays L., variété hybride CMS 8704) en premier cycle, puis macabo (Xanthosoma sagittifolium (L.) Schott) en second cycle ;

37– année 1 : arachide (Arachis hypogaea L.) en premier cycle, puis mise en place de bananiers plantain (Musa spp.) associé à du maïs (variété hybride CMS 8704) ;

38– année 2 : bananier plantain ;

39– année 3 : arachide en second cycle après la récolte du bananier plantain.

40La culture du manioc a été proscrite en raison de la forte concurrence qu’elle exerce au détriment du caféier (Ngoran, Snoeck, 1987).

41Les densités de plantation des cultures vivrières annuelles (maïs, arachide, macabo) ou pluriannuelles (bananier plantain) varient selon les cultures et selon le type de dispositif de plantation (Tableau 2).

42Comme pour les caféiers, l’entretien des cultures vivrières est réalisé par les producteurs, selon leurs habitudes et leurs contraintes.

Image2

2.4. Observations agronomiques

43Pour les sélections clonales de C. canephora, les observations agronomiques ont été réalisées sur les 20 caféiers de chaque parcelle élémentaire. Le matériel végétal clonal étant suffisamment homogène, 20 caféiers suffisent pour réaliser des estimations fiables.

44La vigueur des caféiers sélectionnés a été estimée à partir des mesures du diamètre au collet à 10 cm du sol réalisées 2 ans et 3 ans après plantation. Elles ont permis d’évaluer l’accroissement du diamètre au collet entre les deux passages.

45La hauteur des caféiers sélectionnés a été mesurée, du sol au bourgeon terminal de la tige, 2 ans après plantation.

46L’état végétatif des caféiers sélectionnés a été évalué par une échelle de notation de la coloration du feuillage, de 1 à 3, réalisée 3 ans après plantation. La note 1 correspond à un feuillage globalement jaune alors que la note 3 est attribuée à un feuillage globalement vert.

47La productivité des caféiers sélectionnés, 3 ans après plantation, a fait l’objet d’une estimation visuelle selon une échelle de notation du niveau de la charge en fruits, de 0 à 4 (Cilas, Descroix, 2004). La note 0 est attribuée à un caféier improductif alors que la note 4 correspond à un caféier fortement chargé en fruits. L’évolution de la production des caféiers dans le temps suit une courbe polynomiale qui a la même forme pour tous les caféiers et dont les coefficients de régression sont liés à la variété et aux conditions de culture (environnement, engrais, etc.). Par conséquent, la comparaison des courbes à un même âge, permet une bonne estimation de leurs rendements futurs (De Reffye, 1983). En d’autres termes, un caféier qui a une production supérieure aux autres à un âge donné, 3 ans après plantation par exemple, aura aussi une production globale supérieure dans sa phase de croissance active, qui est la plus importante.

48Les observations agronomiques des sélections clonales de C. canephora ont été comparées entre elles en utilisant les tests de Fischer avec comparaison des moyennes (Newman-Keuls) et les analyses de corrélations simples et multiples. Lorsque les corrélations entre les traitements sont significatives au seuil de 5 %, l’analyse des régressions simples et multiples a été réalisée pour les coefficients de corrélations entre les différents paramètres.

49Les semenceaux plantés dans les parcelles traditionnelles, prélevés dans les anciens vergers, n’ont fait l’objet d’aucune observation agronomique car il s’agit de plants tout venants dont les performances sont très hétérogènes et ne permettent pas d’obtenir des résultats statistiquement analysables.

50Les productions des cultures vivrières installées dans les interlignes des caféiers par les 6 exploitants ont été pesées au fur et à mesure des récoltes afin d’évaluer précisément les rendements par culture et par système de caféiculture (dispositif en haies ou dispositif traditionnel).

51La production de maïs a été pesée après séchage et égrenage des épis (maïs grain sec). Celle d’arachide a été pesée après séchage des gousses (arachide coque). La production du macabo a été pesée sous forme de tubercules frais. Celle du bananier plantain a été pesée à partir du nombre de régimes, à raison d’un poids moyen de 25 kg par régime.

2.5. Observations économiques

52De 2000 à 2003, c’est-à-dire de l’année de plantation (année 0) à la première année de production des sélections clonales de C. canephora (année 3), les données collectées ont porté, pour chacune des 6 caféières, d’une part, sur les temps de travaux et d’autre part, sur les flux monétaires liés aux innovations techniques et aux pratiques des planteurs.

53Les temps de travaux sont exprimés en journées de travail par activité et par culture. Les flux monétaires ont consisté à relever les produits (recettes) et les charges (dépenses) par culture.

54Les résultats économiques ont été estimés à partir des comptes d’exploitation et à travers deux indicateurs : la marge après remboursement des intrants et la valorisation nette du travail.

55La marge après remboursement des intrants est comparable à la marge brute d’une culture. Elle permet de mesurer ce qui reste au producteur après déduction de sa recette du coût des intrants utilisés au cours de l’année de plantation (année 0) et des trois années d’exploitation (années 1, 2 et 3). Dans le cas présent, le coût des intrants correspond principalement :

56– à l’achat du matériel végétal (plants sélectionnés de C. canephora et semences améliorées de maïs) : coût d’un plant de caféier sélectionné issu de bouture 45 FCFA ; coût d’un kilogramme de semences de maïs, variété hybride : 600 FCFA et,

57– à l’achat du produit de lutte contre le charançon du bananier plantain : coût d’un kilogramme de produits insecticide anti-charançons : 2600 FCFA.

58Le coût des engrais utilisés pour l’essai, distribués gratuitement aux producteurs P1, P2 et P3, n’est pas pris en compte. Il en est de même pour le matériel végétal fourni par les exploitants : semenceaux de caféier tout-venant, semences d’arachide et de macabo, rejets de bananier plantain.

59Les productions des différentes cultures sont exprimées en kg pour le maïs grain, l’arachide coque et le macabo. La production du bananier plantain est exprimée en régimes.

60La production des caféiers est exprimée en kg de café marchand.

61La valorisation nette du travail est assimilable à la productivité nette du travail. Il s’agit du rapport de la marge après remboursement des intrants par le nombre total de journées de travail pour une culture, de l’année 0 à l’année 3.

62Pour estimer la compétitivité de la culture de C. canephora, la valorisation de la journée de travail en caféiculture est comparée au salaire minimum garanti journalier camerounais (Smig) qui est de 1000 FCFA, correspondant à un salaire de 25000 FCFA par mois.

63Les résultats économiques et les temps de travaux du système de culture des caféiers en haies avec culture de vivriers en intercalaire (moyenne des 3 parcelles où est testé ce dispositif) sont comparés à ceux du système traditionnel de caféiculture où des cultures vivrières sont associées aux caféiers (moyenne des 3 parcelles témoins où seule cette innovation a été introduite).

3. Résultats et discussion

3.1. Résultats agronomiques

64Cultures vivrières intercalaires. Le tableau 3 présente les quantités moyennes de produits vivriers récoltées par cycle et par système de culture de caféiers.

65Pour les deux systèmes de caféiculture, le développement végétatif du bananier plantain en année 2 n’a pas permis d’y associer une autre culture vivrière. Dans le système traditionnel de caféiculture, l’absence de larges interlignes entre les caféiers et la présence d’arbres d’ombrage ne permettent pas d’y cultiver de l’arachide.

Image3

66A partir de tables de composition des aliments (Dupriez, de Leener, 1993), le rendement alimentaire moyen de l’association de caféiers avec des cultures vivrières intercalaires a été estimé pour les 2 systèmes de caféiculture, sur une durée de 4 ans (Tableau 4).

67Par rapport à l’introduction de cultures vivrières dans le système traditionnel de caféiculture du Centre-Est camerounais, le système de culture de caféiers en haies avec production de vivriers dans les interlignes permet de multiplier par 2,8 l’apport calorique de la caféière et par 5,2 son rendement en protéines.

Image4

68En raison de la plus grande largeur des interlignes des caféiers et de leur ensoleillement, cette innovation offre aux producteurs la possibilité d’une part, de consacrer une plus grande surface de la caféière aux cultures intercalaires, 35 % au lieu de 20 % dans le système traditionnel de caféiculture, y compris lorsque l’encombrement des caféiers s’accroît avec le temps, et d’autre part, de cultiver l’arachide, culture peu exigeante mais calorique et riche en protéines.

69Caféiers Robusta. Le tableau 5 montre l’influence du niveau d’entretien des plantations de caféiers sur les paramètres de croissance et sur la productivité des caféiers 3 ans après plantation.

Image5

70Le coefficient de variation de l’essai, qui varie de 15 % à 20 % en ce qui concerne la vigueur des plants (hauteur à 2 ans, diamètre au collet à 3 ans, notation de la couleur du feuillage) et est égal à 39 % pour la notation de production à 3 ans, confirme que l’essai est homogène et qu’il en est de même pour le matériel végétal et la variabilité intraparcellaire.

71Une différence significative est mise en évidence entre l’entretien extensif (P3) et les entretiens semi-intensif et intensif (P2 et P1). Ces derniers ont une influence favorable sur la vigueur des caféiers (couleur du feuillage et diamètre au collet).

72La notation de la production 3 ans après plantation montre également des différences significatives entre les niveaux d’entretien.

73En ce qui concerne le matériel végétal, des différences significatives sont mises en évidence au niveau de la vigueur et de la productivité des sélections clonales de caféiers. Les clones J21 et M5 ne s’accommodent pas d’un entretien médiocre. Le comportement des autres clones est moins marqué par les différents niveaux d’entretien.

74Par contre, la hauteur des caféiers sélectionnés ne varie pas selon le niveau d’entretien. Ce critère dépend en effet de la vitesse de croissance, c’est-à-dire du nombre de nœuds plagiotropes développés sur la tige au cours du temps (De Reffye, 1981). Ce paramètre est davantage lié à la fertilité du sol qu’au niveau d’entretien (Snoeck, 1991).

75Le tableau 6 présente les résultats de l’analyse statistique des principaux paramètres de croissance et des estimations de production 3 ans après plantation pour les 2 niveaux de fertilisation.

Image6

76L’analyse de l’interaction entre l’effet de l’application d’engrais et le matériel végétal a été réalisée. Les résultats montrent que le clone J32 répond peu à l’apport d’engrais quand l’entretien de la plantation est intensif car sa productivité y est déjà élevée sans engrais (P1). Par contre, l’apport d’engrais est efficace pour 3 clones sur 5 lorsque l’entretien est semi-intensif (P2). Il est inutile pour tous les clones lorsque le planteur adopte des pratiques culturales extensives (P3).

77L’influence de l’engrais est visible dès la première année d’application : l’effet de l’application d’engrais devient significatif 3 ans après plantation, soit après seulement 2 applications. L’analyse statistique des coefficients de corrélation montre des corrélations positives et significatives entre l’application d’engrais et les paramètres de croissance (diamètre au collet à 3 ans et accroissement du diamètre au collet entre 2 et 3 ans) et la productivité des caféiers (notation de la production à 3 ans), ce qui confirme la fiabilité des observations effectuées.

78Une courbe de prédiction de récolte a été établie en comparant les résultats des estimations visuelles de récolte réalisées sur les caféiers avant récolte aux quantités globales de café marchand commercialisées par les producteurs (Tableau 7) (Figure 1).

Image7

Image8

79La forme de la courbe suggère que l’observateur a surestimé les charges en fruits pour les caféiers peu productifs notés 1 ou 2. Par contre, il les a sous-estimées pour les caféiers productifs notés 3 ou 4. Les coefficients de régression des droites de régression linéaire et cubique sont propres à l’observateur, à l’instar de ce qui a été mis en évidence au Burundi sur C. arabica (Snoeck, 1995).

3.2. Résultats économiques

80Marge après remboursement des intrants. De l’année de plantation des caféiers (année 0) à la première année de production de ces derniers (année 3), la marge totale après remboursement des intrants d’une parcelle de C. canephora clonale plantée en haies avec installation de cultures vivrières dans les interlignes de caféiers est estimée à 275600 FCFA (Tableau 7).

81Elle est 63 % moins élevée pour une caféière traditionnelle où l’absence d’interlignes suffisamment larges et la présence d’arbres d’ombrage limitent, dans l’espace et dans le temps, l’association de cultures vivrières intercalaires. L’introduction de cultures vivrières dans le système traditionnel de caféiculture du Centre-Est camerounais permet toutefois aux producteurs d’améliorer significativement la marge totale après remboursement des intrants de leur plantation de caféiers au cours de sa phase d’installation. Trois ans après plantation, elle atteint en effet 100150 FCFA  au lieu des 19200 FCFA générés par la seule vente du café marchand.

82Pour la seule production de café marchand, la productivité des sélections clonales de C. canephora est 2,4 fois supérieure à celle des semenceaux utilisés dans les caféières traditionnelles. Ceci explique la marge plus élevée du système de caféiculture en haies. Cette dernière est toutefois fortement réduite par le coût d’achat des plants de caféiers sélectionnés.

83Dans le système de culture des caféiers en haies, les cultures vivrières intercalaires les plus lucratives sont le bananier plantain et l’arachide qui représentent respectivement 36,3 % et 29,9 % de la marge totale après remboursement des intrants. Par contre, le bananier plantain représente 56,1 % de la marge totale du planteur dans le système de production traditionnel où l’arachide n’est pas associée au caféier Robusta en raison de l’ensoleillement insuffisant du sol.

84Valorisation nette du travail. Pour une superficie de 2000 m2, la création et l’entretien d’une plantation de caféiers en haies, avec mise en culture des interlignes au cours des 4 premières années, nécessite en moyenne 170 journées de travail. Une caféière traditionnelle conduite en association avec des cultures vivrières intercalaires en requiert 83, soit pratiquement la moitié (Tableau 8).

Image9

85Pour les caféiers, l’écart des temps de travaux entre les deux systèmes de culture s’explique en premier lieu par la technique de plantation différente des caféiers et, en particulier, par l’absence de trouaison avant le repiquage des semenceaux dans le système traditionnel de caféiculture.

86En second lieu, les besoins en main-d’œuvre augmentent avec l’entrée en production des caféiers. Moins précoce que les sélections clonales, le matériel végétal tout-venant entre en production plus tardivement et à âge égal, les journées de travail consacrées à la récolte du café sont donc moins nombreuses dans une caféière traditionnelle.

87Pour les cultures vivrières, l’absence d’arachide dans les associations culturales avec C. canephora dans le système traditionnel de caféiculture explique en grande partie l’écart des temps de travaux entre les deux systèmes de caféiculture. La culture de l’arachide nécessite en effet beaucoup de main-d’œuvre et elle représente 53 % des temps de travaux consacrés au vivrier dans le système de culture de caféiers en haies. Au contraire, les cultures de macabo et de bananier plantain exigent peu de travail.

88La figure 2 illustre la valorisation du travail par culture et par système de caféiculture comparée au salaire minimum garanti journalier camerounais (Smig).

Image10

89Trois ans après plantation des caféiers, quel que soit le système de culture de caféiers, la rémunération de la journée de travail familiale en caféiculture est significativement inférieure à celle du salaire minimum garanti journalier. Par contre, toutes cultures confondues, la valorisation du travail de l’exploitant est supérieure au salaire minimum garanti journalier.

90Dans le système de culture de caféiers en haies, les cultures vivrières qui offrent aux producteurs la meilleure valorisation de leur travail sont, par ordre décroissant, le bananier plantain, le maïs, le macabo et l’arachide. Dans le système traditionnel de caféiculture, il s’agit du bananier plantain, du macabo et du maïs.

91Toutes cultures confondues, le système de caféiculture en haies avec culture vivrières dans les interlignes permet une valorisation du travail supérieure à celle de l’introduction de cultures vivrières dans le système traditionnel de culture des caféiers : 1621 FCFA par journée de travail contre 1206 FCFA, soit un gain de 34,4 %.

4. Conclusion

92Dans le bassin du Centre-Est du Cameroun, le caféier Robusta est traditionnellement cultivé en culture pure à partir de matériel végétal tout-venant prélevé dans les anciennes caféières. Le verger est en général conduit sous ombrage, sans cultures vivrières intercalaires.

93Sur le plan agronomique, les expérimentations en milieu réel conduites depuis 2000 par l’IRAD et le CIRAD confirment l’intérêt du matériel végétal caféier sélectionné, plus précoce et plus productif que le matériel végétal tout-venant même si les planteurs n’assurent pas un suivi correct de leur plantation. Elles confirment aussi qu’un bon entretien des caféiers améliore les rendements et rentabilise l’apport d’engrais. Les résultats montrent aussi que l’engrais est sans effet dans des plantations mal ou peu entretenues.

94Ces travaux de recherche montrent également l’intérêt du système de culture de C. canephora en haies. Ce dispositif offre aux producteurs la possibilité de cultiver pendant plusieurs années des cultures vivrières dans les interlignes des caféiers tout en conservant une densité de plantation de caféiers égale à celle habituellement adoptée dans la zone.

95Cette innovation permet aux planteurs de diversifier de façon durable leurs productions et de réduire les risques liés à la monoculture du caféiers en période de baisse ou de volatilité des cours mondiaux. En outre, elle entraîne une augmentation significative du rendement alimentaire (apport calorique et protéinique) du système de caféiculture par rapport à l’introduction de cultures vivrières dans le système traditionnel de caféiculture lors de la phase d’installation des caféiers.

96Sur le plan économique, l’achat des plants de caféiers sélectionnés, même subventionné, et la création d’une pépinière, constituent des freins majeurs à la diffusion du matériel végétal clonal en raison des moyens financiers et humains limités des exploitants. La crise que traversent actuellement les exploitations agricoles à base de caféiers remet donc fortement en cause l’intérêt d’un tel investissement.

97Par contre, l’intérêt économique du système de culture de C. canephora en haies est évident.

98Par rapport à l’introduction de cultures vivrières dans le système traditionnel de caféiculture, la culture de vivriers dans des interlignes larges permet aux producteurs d’augmenter significativement leur marge et la rémunération de leur travail. En période de déprime des cours mondiaux du café, l’entretien du verger de caféiers est ainsi davantage rentabilisé.

99Si la culture de C. canephora en haies avec des cultures vivrières intercalaires peut être adaptée en remplaçant les caféiers sélectionnés par du matériel végétal tout venant, le recours à du matériel végétal sélectionné doit être cependant privilégié sur le long terme. Malgré les contraintes que représentent ce choix, la mise en place d’une caféière sélectionnée offre en effet aux producteurs, outre les avantages déjà cités, une plus grande réactivité des caféiers en cas de reprise des cours mondiaux du café.

100Par conséquent, compte tenu de son intérêt agronomique, alimentaire et économique, le système de culture de C. canephora en haies avec des cultures vivrières intercalaires peut être recommandé aux producteurs de café du Centre-Est camerounais.

101Cette innovation présente également un intérêt pour les caféiculteurs du Moungo, premier bassin de production de C. canephora du pays, caractérisé par une densité démographique élevée et une forte pression foncière. Elle pourrait être aussi validée dans l’Ouest et le Nord-Ouest du Cameroun où C. arabica est fortement concurrencé par les cultures maraîchères lorsqu’il est cultivé sans ombrage.

Bibliographie

Bouharmont P., Awemo J. (1979). La sélection végétative du caféier Robusta au Cameroun. Café, Cacao, Thé XXIII (4), p. 227–254.

Bouharmont P., Awemo J. (1980). La sélection végétative du caféier Robusta au Cameroun. Deuxième partie : diffusion du matériel végétal. Café, Cacao, Thé XXIV (1), p. 3–18.

CICC (2004). 12è assemblée générale ordinaire. Document de travail. Douala, Cameroun : Conseil Interprofession-nel du Cacao et du Café, 93 p.

Cilas C., Descroix F. (2004). Yield Estimation and Harvest Period. In Wintgens JN. (ed.) Coffee. Weinheim, Germany:Wiley-VCH., p. 595–600.

CIRAD (1992). Relance régionalisée de la production paysanne de café et de cacao au Cameroun. étude de faisabilité. Phase 1 : cadrage général de la relance.  Yaoundé, Cameroun : Ministère de l’Agriculture, 119 p.

De Reffye P. (1981). Modèle mathématique aléatoire et simulation de la croissance et de l’architecture du caféier Robusta. IV. Programmation sur micro-ordinateur du tracé en trois dimensions de l’architecture d’un arbre. Application au caféier. Café, Cacao, Thé XXVII (1), p. 3–20.

De Reffye P. (1983). Modèle mathématique aléatoire et simulation de la croissance et de l’architecture du caféier Robusta. I. Etude du fonctionnement des méristèmes et de la croissance des axes végétatifs. Café, Cacao, Thé XXV (2), p. 83–104.

Dupriez H, de Leener P. (1993). Arbres et cultures multi- étagées d’Afrique. Annexe 2 : table de composition des aliments. Nivelles, Belgique : CTA/Terres et Vie, 280 p.

Jagoret P., Descroix F. (2002). évolution de la culture de Coffea canephora en Afrique et problématique de développement. In Berry D. Recherche et caféiculture. Montpellier, France : Cirad, p. 44-53.

Ministère de l’Agriculture (2001). Atelier de concertation avec les opérateurs économiques sur les politiques agricoles. Programme cacao et café Robusta. Yaoundé, Cameroun : Ministère de l’Agriculture, 23 p.

Ngoran J., Snoeck J. (1987). Cultures vivrières associées au caféier en Côte d’Ivoire. Café, Cacao, Thé XXXI (2), p. 121–134.

Santoir C., Bopda A. (1995). Atlas régional Sud-Cameroun. Paris : éditions de l’Orstom, 53 p.

Snoeck D., (1991). Simulation de la croissance de cinq cultivars Coffea arabica L. par l’analyse des cimes. Café, Cacao, Thé XXXV (3), p. 177–190.

Snoeck D. (1995). Projet de recherche Café Burundi. Rapport d’activité juin 1994-juin 1995. Paris : Cirad-Cp, 80 p.

Snoeck J., Jadin P. (1990). Mode de calcul pour l’étude de la fertilisation minérale des caféiers basée sur l’analyse du sol. Café, Cacao, Thé XXXIV (1), p. 3–21.

Varlet F., Berry D. (1997) Réhabilitation de la protection phytosanitaire des cacaoyers et caféiers du Cameroun. Tome I : rapport principal. Douala, Cameroun : Conseil interprofessionnel du cacao et du café, 204 p.

Pour citer cet article

Patrick Jagoret, Emmanuel Bouambi, Dieudonné Abolo & Didier Snoeck, «Amélioration du système traditionnel de caféiculture au Cameroun par l’introduction de trois innovations techniques», BASE [En ligne], volume 10 (2006), numéro 3, 197-207 URL : https://popups.uliege.be/1780-4507/index.php?id=1022.

A propos de : Patrick Jagoret

CIRAD. UPR Systèmes de pérennes. Montpellier, F-34000 (France). IRAD, Yaoundé (Cameroun). E-mail : patrick.jagoret@cirad.fr

A propos de : Emmanuel Bouambi

IRAD. Programme plantes stimulantes. BP 2067, Yaoundé (Cameroun).

A propos de : Dieudonné Abolo

IRAD. Programme plantes stimulantes. BP 2067, Yaoundé (Cameroun).

A propos de : Didier Snoeck

CIRAD. UPR Systèmes de pérennes. Montpellier, F-34000 (France). IRAD, Yaoundé (Cameroun).