Lejeunia, Revue de Botanique Lejeunia, Revue de Botanique -  N° 191 (avril 2014) 

LA LUNE ET SES RELATIONS AVEC LES PREMIERS BOTANISTES

Tony GOUPIL 1

1Les traités botaniques anciens mentionnent souvent les relations entre les plantes et le soleil, notamment l'amitié entre cet astre et le tournesol. Mais l'on connaît parfois moins la sympathie entre certaines plantes et la lune. Beaucoup de légendes « végétales », de mythes « botaniques » relatent par exemple l'attraction de l'astre du soir sur les cultures et diverses plantes. C'est de cet aspect que nous traiterons dans le présent article.

2Les plantes en « amitié » avec la lune

3Depuis l’Antiquité, de nombreux auteurs ont fait mention de diverses plantes et herbes qui sont en lien direct avec la lune, qui suivent ses mouvements, sa luminosité. Alors que certaines herbes tirent leurs vertus de cet astre, d’autres en prennent juste le nom. PLUTARQUE, par exemple, dans son traité des fleuves mentionne une herbe qui a pris le nom d’une montagne dédiée à la lune :

4« Le mont Apésante portait anciennement le nom de Sélénée, parce que Junon, qui voulait se venger d’Hercule, invoqua le secours de la lune, qui, par ses enchantements magiques, remplit un coffre d’écume de laquelle naquit un lion énorme qu’Iris attacha avec sa ceinture et conduisit sur le mont Opheltus, où il mit en pièces un berger nommé Apésante, dont les dieux voulurent que la montagne prît le nom, suivant le récit de Démodocus, dans le premier livre de son Héraclide. Il croît sur cette montagne une plante nommée selène : elle rend une écume que les bergers ramassent avec soin au commencement du printemps. Ils s’en frottent les pieds, et elle les préserve de la morsure des serpents ».

5Une autre citation de PLUTARQUE  nous est parvenue à travers AULU-GELLE (Livre XX) : « L’oignon reverdit et germe quand la lune décline, au contraire il sèche quand elle augmente. Les prêtres égyptiens disent que la cause pour laquelle les gens de Péluse ne mangent pas d’oignon, c’est que seul de tous les légumes il a des alternances de diminution et d’augmentation contraires aux augmentations et aux pertes de la lune » (traduction de la collection des Belles Lettres).

6À la Renaissance, c’est Henri Corneille AGRIPPA qui mentionne plusieurs plantes dédiées à cet astre dans sa Philosophie occulte (De occulta philosophia, 1550, livre III, pp. 55 et 56) :

7« Inter plantas et arbores lunares sunt selenotropion, quae vertitur ad lunam quemadmodum heliotropion ad solem; et palma arbor, ad singulum lunae ortum singulum ramum emittens; hyssopus etiam, species rorismarini, minima arbor et maior plantarum, de utrisque participans: est etiam lunaris hagnus castus, sive  casta arbor, et oliva. Similiter et herba chinostares, quae crescit et decrescit cum luna — scilicet in substantia et numero foliorum, non solum in humore et virtute ».2

8Parmi d'autres plantes, on peut notamment citer l'armoise qui porte comme nom populaire « Sourcil de lune ». On la disait tirer ses vertus de la lune. L'armoise tient son nom latin artemisia, de la déesse du panthéon gréco-romain Artémis, qui était assimilée à la lune. On prescrivait beaucoup l'armoise pour les maladies des femmes, dont les menstrues passaient pour être dans la dépendance des phases de la lune. L'un des autres noms de l'armoise, « hoemantropon » (sang humain) marque son rapport avec ce fluide. L'armoise possède d'ailleurs souvent des fleurs rougeâtres qui peuvent expliquer cette dénomination, mais c'est surtout son action sur les règles, les « fleurs » des femmes, qui en est la cause.

9On peut encore citer la pivoine considérée comme plante de la lune, dite lounaria, que l'on devait cueillir selon certaines croyances pendant la pleine lune, en suivant un rituel bien précis.

10Plantes et astrobotanique

11Dans l'histoire de la botanique, se trouvent des plantes qui étaient dites dépendre des planètes et des différents astres. La crithme par exemple était une plante de Mercure. De la même façon, pléthore d'herbes, arbres et arbustes, étaient influencés par la course lunaire :

12« On croyait par exemple que la lune ascendante exerçait une influence bénéfique sur la croissance des végétaux et que la force des propriétés des plantes étaient plus grandes au cours de cette phase. Une attention toute particulière était portée à la détermination du moment le plus favorable à la coupe des arbres en fonction des phases de la lune. On croyait aussi que la pleine lune pouvait avoir une influence sur le développement de certaines maladies des végétaux comme la rouille (erusibê)». 3

13Au Moyen Âge, le savant ALBERT LE GRAND parle d'une certaine herbe lunaire (difficilement identifiable) qui grandit en fonction des mouvements de la lune. Il s'agit de l'herbe « Chynostates » dont il développe les multiples vertus médicinales à travers un long paragraphe (que je restitue dans son latin d'origine) dans son ouvrage concernant les vertus des plantes, pierres  précieuses et animaux. Cette herbe est réputée efficace contre les affections des yeux (là où la lune a son siège, en particulier sur l’œil gauche 4 ou bien contre les scrofules :

14« Herba tertia Lunae Chynostates dicitur. Succus eius purgat exacerbationes stomachi, thoracis, & castoreum, qui ostendit se esse herbam Lunae. Flos autem huius herbae purgat splenes magnas, & curat ipsos quia istas crescit, & decrescit sicut luna. Valet ad obtalmiam, & facit acutum visum, & valet contra sanguinem oculorum. Si radicem eius tritam ponis super oculum, mirabiliter visum clarificat,  qui  lumen  oculorum  propinquantum  mysticum  substantiae  lunae  est.  Confert  etiam malum stomachum habentibus, qui non possunt cibum digere, bibendo succum eius, amplius valet habentibus scrophulas ». 5

15D'ailleurs dans la version allemande du traité, il est possible de voir une  représentation de la « Chynostates » intitulée en allemand « Hundßtreublin ». Sur cette représentation, la plante ressemble à une sorte d'arbuste, de rosier sauvage (rhodon) qui d'ailleurs pourrait être assimilé au cynorhodon. On reconnaît de plus dans le mot « Chynostates » la racine kuno qui veut dire chien en grec, et dans le mot allemand «  Hundßtreublin » la racine Hund voulant dire chien également. Or cynorhodon est également nommée « rosier des chiens » dans la dénomination populaire. L’inflorescence de la plante représentée ne rappelle toutefois en rien celle d’un églantier.

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16FIG. 1 – Albert le Grand. Représentation de la plante « Chynostates ». Source : digitale.bibliothek.uni-hal

17Un certain nombre de textes astrologiques attribuent à la lune une plante appelée tantôt kunobatê, tantôt kunosbatos.  Ce mot qui signifie  « ronce  de chien  » et se référerait aussi selon Guy DUCOURTHIAL à la rosa canina :

18« Cette plante guérit les douleurs aiguës qui surviennent sur le buste, l'estomac et les flancs, car la Lune est désignée pour être dans le cancer, qui domine le buste et les flancs. […] Elle passe pour agir sur la rate car la Lune occupe la place de la rate […] La racine de la plante portée en amulette est propre à procurer une vue perçante. Elle secourt avec succès ceux dont la vue est affaiblie, puisque la Lune, après le Soleil, s'est vu attribué la lumière des yeux. Elle rétablit ceux dont l'estomac est ulcéré ».6

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19FIG. 2 - La lune a son domicile dans le Cancer. C'est pourquoi les plantes liées à cet astre guérissent les douleurs du ventre. Source : sylvie-tribut-astrologue.com

20Il est fort probable que le « kunosbatos » mentionné dans les traités astrologiques et la « chynostates » relatée par ALBERT LE GRAND soient en fait la même plante, celle-ci ayant une relation privilégiée avec la lune dont les vertus varient également selon que la lune avance vers la plénitude ou s'en éloigne.

21Un texte alchimique arabe du Xe siècle mentionne encore une plante lunaire, grandissant et dépérissant en fonction des phases de la lune. Cette plante qui permettrait notamment de changer les métaux non nobles en or et argent serait possiblement la rue :

22« Elle a été appelée 'lunaire' simplement parce que le premier jour du hilal 7elle fait pousser une seule feuille et le deuxième jour une feuille, et ainsi de suite jusqu'au quatorzième jour, jour où se complètent en elle les quatorze feuilles. Puis lorsque c'est le quinzième jour, elle fait tomber une feuille et le seizième jour elle fait tomber une feuille jusqu'au vingt-huitième jour, où elle reste dépouillée. Ensuite lorsque le croissant de lune apparaît, elle recommence à accomplir la même séquence comme la première fois » 8

23En effet il s'agirait de la rue, car cette plante se dit en araméen « borissa », « borteza » ou encore « boriza »; or le jésuite allemand Athanase KIRCHER (1601-1680), rapportant les propos d'un certain Rabbi SOLA, mentionne en son latin, une herbe Boriza qui a exactement les mêmes propriétés que la lunaire arabe mentionnée ci-dessus :

24« Lunaria, vel Boriza planta foliis assimilatur majoranae, nisi quod coeruleo, seu coelesti quodam colore imbuta sit; dicitur Lunaria sive Herba Lunae, eo quod crescat & decrescat ad Lunae vicissitudines ». 9

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25FIG. 3 – Frontispice de l’ouvrage d’Athanase KIRCHER intitulé Magneticum naturae regnus sive disceptatio physiologica (publié à Amsterdam en 1667) montrant sur la gauche une plante "solaire" (un tournesol) et sur la droite une plante  "lunaire" (peut-être la Boriza ?).

26Cette description de l'herbe Boriza est d'ailleurs reprise mot pour mot par Louis DE MAILLY dans son ouvrage sur les merveilles de la nature et que je restitue donc in extenso en guise de traduction des propos de KIRCHER :

27« L’herbe Boriza, ou plante lunatique, est presque semblable à la marjolaine, excepté ses feuilles, qui sont d’un bleu céleste ; elles ont une odeur de musc. Elles s’accordent avec la lune, dans le croissant et dans le déclin ; elles poussent chaque jour une feuille jusqu’à la pleine lune ; et au déclin de la lune, elles perdent chaque jour une feuille jusqu’à la fin. À la nouvelle lune cette plante recommence comme auparavant ». 10

28Plantes lunaires et théorie des signatures

29La "médecine des signatures" ou médecine par analogie prétend établir des concordances entre certains organes du corps ou certaines maladies, et les formes, les couleurs ou les goûts de certaines plantes. Selon Robert TURNER, un botaniste anglais du XVIIe siècle, "Dieu a imprimé sur les plantes, herbes et fleurs, des hiérogyphes, en quelque sorte la signature même de leurs vertus". En 1624, Oswald CROLLIUS explique, dans La Royale Chimie : "Les herbes parlent au curieux médecin par leur signature, luy descouvrant par quelque ressemblance leurs vertus intérieures, cachées sousle voile du silence de la Nature." La pharmacopée traditionnelle recommande par exemple l’anémone hépatique (Hepatica triloba), dont les feuilles rappellent la forme du foie, pour soigner les maladies du foie; la chélidoine (Chelidonium majus), dont le suc jaune rappelle la bile, pour soigner les affections de la vésicule biliaire; la ficaire (Ficaria ranunculoides), dont les tubercules valident l'appellation d'Herbe aux hémorroïdes, comme médicament anti-hémorroïdaire, etc. Plusieurs de ces médicaments ont été validés par la pharmacopée moderne.

30L'un des auteurs de la Renaissance, le plus familier avec cette théorie est sans aucun doute Giambattista DELLA PORTA (1535-1615). Comme le mentionne Claude DURET dans son Histoire admirable des plantes, DELLA PORTA parle de plusieurs plantes lunaires dans sa Phytognomonie, en quelque sorte une « Physiognomonie » des plantes :

31« Jean Baptiste Porte liv. 8. ch. 10 de ses livres intitulés Phytognomonica, décrit plusieurs plantes, lesquelles ont une très grande sympathie, ou secrète amitié avec la Lune & ses rayons ». 11

32Parmi ces plantes ayant une « secrète amitié » avec la lune, il y a l'hippocrépide (Hippocrepis comosa), aussi appelée « Fer à cheval » (Ferrum equinum) car ses gousses échancrées ressemblent aux fers des chevaux. C'est une plante lunaire par excellence puisque cette légumineuse présente des articles semi-lunaires.

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33FIG. 4 - L'hippocrépide selon DELLA PORTA, dans Phytognomonica, Chapitre X.

34Aux côtés de l'hippocrépide, le séné est une autre plante qui figure dans le traité de DELLA PORTA comme plante lunaire. Il mentionne le séné dans le chapitre traitant des plantes, qui par leurs feuilles, leurs siliques ou autres parties, présentent l'image de la lune et de ce fait participent des influences de cet astre et peuvent être utiles dans les maladies du cerveau, des nerfs et de la vue. Concernant le séné, voici ce qu'il en dit :

35« Sena lunatis siliquis est, vel folliculis : mundat cerebrum & omnes corporis sensus, confertque omnibus corum incommodis, animi hilaritatem affert, roborat cerebrum, nervos & oculorum aciem, ex Mesue ».

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36FIG. 5 - Planche gravée de la Phytognomonie de DELLA PORTA représentant de gauche à droite le séné, l'hippocrépide fer à cheval et la botryche lunaire.

37Comme le souligne DELLA PORTA, le séné dont les siliques ont la forme de croissants de lunes (Fig. 5), excite les sens, ôte les incommodités du corps, renforce le cerveau, apporte la gaîté à l’esprit et donne de la vigueur à la vue. En effet la lune gouverne l’humidité, or comme le cerveau, siège des facultés de l’âme, est un organe froid et humide selon la théorie des quatre tempéraments, il dépend directement de cet astre pour son bon fonctionnement.

38On range encore parmi les plantes lunaires celles qui ont les feuilles tachetées et dont les taches ressemblent à celles de la lune. Pour DELLA PORTA, les taches de la pleine lune se retrouvent sur les feuilles du cyclamen (Fig. 6) ; c’est pourquoi son suc introduit dans le nez, purge la tête :

39« Cyclamino folia insut varia nam supra infraque albicant maculae : succus eius ad purgandum caput infunditur naribus ».

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40FIG. 6 – Planche représentant de gauche à droite le cyclamen, la persicaire et le pied de veau. Source : Phytognomonica de DELLA PORTA.

41Enfin, pour clore cette partie, il me faut mentionner la Lunaria annua. Par analogie, cette plante est appelée lunaire car la forme ronde de ses silicules (siliqua rotunda) rappelle l’astre des nuits. Cette plante crucifère est également appelée « monnaie du pape », « herbe aux écus » ou encore « silver dollar », « money plant » en langue anglaise, en raison de la ressemblance entre les fruits secs déhiscents et des pièces de monnaie. Mise dans la maison, on pensait qu’elle apportait fortune et richesse.

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42FIG. 7 – Représentation de la Lunaria major. Manuscrit italien du XVe siècle. Ici les siliques de la plante ont l’aspect de petites lunes.

43Une plante de la lune particulière : la petite lunaire

44Deux plantes « lunaires » ont été surnommées « fer à cheval » (Fig. 5) selon les régions et pays. L’hippocrépide, nous l’avons vu avec l’exemple de Giambattista DELLA PORTA, mais aussi la botryche lunaire. Cette partie visera à présenter quelques données sur Botrychium et sur le folklore végétal prêtant à cette plante une intimité avec le métal. La botryche lunaire (Botrychium lunaria) ou petite lunaire, est aussi appelée en italien Sferra cavallo (déchausse-cheval) dans la dénomination populaire, car une superstition faisait croire aux montagnards que si le fer d’un cheval la touche, il tombe et se brise à l’instant. D’ailleurs en patois vaudois, la plante a pour nom « Déferra-tzao » (déferre-cheval). Cette croyance botanique est plutôt ancienne puisqu’elle est attestée déjà à la Renaissance. En effet Claude DURET, auteur d’une Histoire admirable des plantes esmerveillables en 1605, dit d’ailleurs dans son proême la chose suivante sur la « Lunaire » :

45« D'abondant on sçait assez la vertu, force & efficace de l'herbe qui croist à présent és montagnes nommée Lunaire, laquelle aussi tost qu'elle est pressée & foulée au pied d'un cheval, les déferre du tout ». 12

46Cela est repris en littérature et notamment en poésie. Guillaume DU BARTAS nous a laissé ces très beaux vers sur la lunaire dans sa Sepmaine, rappelant sa propriété insolite qui l'émerveille tant :

47M’arresteray-je icy ? Les Cavalots qui paissent

48Dessus quelque vert tertre, où les Lunaires croissent,

49S’en revont chaque soir & sans fer & sans cloux,

50Chez leur maistre estonné. Lunaire où cachez vous

51Cest aimant, qui le fer si puissamment attire ?

52Lunaire où cachez vous la tenaille qui tire

53Les fers si dextrement ? Lunaire, où cachez vous

54La marechale main, qui arrache les cloux

55Si doucement des pieds ? Quelle forte ferrure

56Domptera vos efforts, si la ferme chaussure

57D’un cheval qui ne fait que peu d’arrest sur vous,

58De vos subtiles dents ne garantit ses cloux ?

59Cette propriété que l'on peut qualifier d'occulte du point de vue de la philosophie naturelle n'a pas échappé quelques siècles plus tard à Victor HUGO dans L'homme qui rit :

60« -Vous avez nié qu’une herbe comme la securiduca, pût faire tomber les fers des chevaux.

61-Pardon, répondit Ursus. J’ai dit que cela n’était possible qu’à l’herbe sferra-cavallo. Je ne nie la vertu d’aucune herbe. »

62Appelée aussi Osmonde lunaire (Osmunda lunaria) par la présence d’un croissant de lune sur ses feuilles, elle était réputée vivre en osmose avec l’astre des nuits. En effet le nombre de ses folioles augmente ou diminue en fonction que la lune elle-même croît ou décroît. Cette plante était donc en sympathie avec les rayons lunaires. Cela fut repris même jusque dans la littérature médicinale :

63« Que cela ne vous surprenne pas, vos chevaux ont marché sur une herbe que nous appelons Sferra cavallo, qui éclaire la nuit comme une chandelle ; tous ceux que nous nourrissons pendant l'été dans cette montagne,  nous avons  soin  de les  faire déferrer  auparavant que de les  mettre en pâturage, sans cela nous perdrions tous les fers, quand même nous les ferions ferrer tous les jours ». 13

64Cette luminescence de la lunaire a été mentionnée plusieurs fois à la Renaissance, notamment par Jean WIER (1515-1588), célèbre pour avoir lutté contre la chasse aux sorcières, dans son ouvrage Histoire des diables : « L’herbe communément nommée Lunaire, que aucuns appellent l’estoile de terre, qui porte sa semence en une petite graine ronde, s’ouvre de nuict & reçoit tellement les rayons de la lune qu’il semble que ce soit une étoile luisante. Les habitants des lieux ou telle herbe se trouve, voyans cette clarté la fuyent, estimans que ce soit un fantome dangereux ».14

65Les arbres et la lune

66Les arbres lunaires et solaires sont intimement liés à la légende d’ALEXANDRE LE GRAND (Fig. 8 et 9) qui parla avec des arbres sacrés de la lune et du soleil en Inde. Le célèbre guerrier aurait appris l’existence de ces deux arbres merveilleux sur la haute montagne Damastice. Deux sages de ces lieux lui en révélèrent le secret en ces mots :

67« Tu verras, roi, qui que tu sois, les deux arbres du soleil et de la lune, qui parlent en indien et en grec ; celui du soleil est mâle, l’autre, celui de la lune, femelle, et tu pourras apprendre d’eux ce qui va t’arriver en fait de bonheurs ou de malheurs ».

68Au coucher du soleil, l’arbre de celui-ci déclara à ALEXANDRE « Alexandre invaincu dans les guerres, ainsi que tu l’as demandé, tu seras seul maître de l’univers, mais jamais plus de ton vivant, tu ne reviendras dans ta patrie, car les destins ont ainsi décidé de la vie ».

69Au milieu de la nuit, l’arbre de la lune déclara :

70« Alexandre, tu as déjà rempli le terme de ta vie. Mais ce n’est que l’an prochain, au neuvième mois que tu mourras à Babylone ; et c’est de qui tu l’attends le moins que tu seras trahi ».15C'est donc dans ce jardin merveilleux, auprès de ses arbres des astres, que le célèbre guerrier apprend qu'il mourra aussitôt après avoir conquis le monde, et que sa mort sera provoquée par l'un de ses proches.

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71FIG. 8 - Les arbres du Soleil et de la Lune. Chroniques d'Alexandre. Bruges, 1448-1449. Jean Wauquelin. Paris, BNF, Manuscrits, français 9342, f. 164.  45 x 33 cm. Source : expositions.bnf.fr

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72FIG. 9 - Alexandre écoutant l'oracle des arbres du soleil et de la lune. Dijon. BM. ms. 0562 vers 1260-1270.

73La symbolique de l'arbre lunaire ou solaire est aussi beaucoup reprise en alchimie dans les représentations iconographiques. Michael MAIER, célèbre alchimiste allemand est l'auteur d'un emblème alchimique intitulé « Saturnus humectat terram portatem solis flores et lunae » (Saturne arrose la terre portant les fleurs du soleil et de la lune) où le dieu Saturne (représentant le plomb) irrigue les végétaux lunaires (souffre blanc) et solaires (souffre rouge). Cette gravure représente la première étape de la transmutation des métaux.

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74FIG. 10 - Michael MAIER. Saturne jardinier. Extrait de Symbola aurea mensae, Francfort, Typis Antonis, 1617, livre XII, p. 555.

75Concernant les arbres, il existe de nombreuses légendes et croyances botaniques selon les pays et les régions. On disait de l'épicéa qu'il développait davantage les cercles concentriques de son tronc sous la lumière de la lune ou bien que le sapin a besoin du clair de lune pour développer ses cônes et mûrir des graines. Il existe également plusieurs histoires sur le cèdre, considéré comme « le lit de la lune sur terre », d'où ses branches en forme de berceaux. Il est dit que les cèdres ne se portent jamais ombre l'un à l'autre pour ne pas se voler ou s'accaparer la lune. Une légende bédouine nous dit que les lauriers et tamaris, amis de la lune, font barrage au soleil lorsque la lune vient se reposer dans un oasis. Enfin le gui est pensé vivre surtout au clair de lune pour « sucer » la sève de son hôte. Et que « le sucre d'érable est pleurs de lune », car la sève de ce dernier est plus douce et sucrée lorsqu'elle est récoltée vers la pleine lune. 16

76Conclusion

77Téluse (parlant des pensées d’une femme vierge) : « ses pensées  sont comme les feuilles de la lunaire qui, plus elles poussent loin du soleil, plus ses rayons les brûlent » 17

78Il est intéressant de constater que depuis des siècles beaucoup de légendes signalent qu’il est préférable de semer pendant la lune montante. Preuve que la lune est supposée avoir une influence d’importance sur l’agriculture, les cultures et les végétaux. Il ne faut pas oublier que certains magiciens s’imaginaient que la lune déversait sur les plantes magiques une sorte de « virus » qui les rendaient plus propres à accomplir leurs dessins.18 D’ailleurs il était recommandé de cueillir toutes les plantes pendant la croissance de la lune, car elles conservaient ainsi toutes leurs vertus, leurs forces s’amenuisant pendant le déclin de l’astre. C’est pourquoi l’herboriste favorise le clair de lune pour faire sa cueillette. Déjà d’après OVIDE, la magicienne Médée attendait la pleine lune pour récolter ses herbes. D’ailleurs la lune et le soleil étaient parfois considérés comme des astres vivants, c’est pourquoi  PLINE recommande d’arracher la verveine par une nuit sans lune, car ni le soleil ni la lune ne doivent être témoins de cet enlèvement qui constitue un péché.

79Il ne faut pas oublier qu’au cours de l’histoire, plusieurs plantes (parfois très différentes) ont reçu les qualificatifs de selênia, lounaria (ou lunaria) 19 ou φεγκαριότισσα(fengari, signifiant lune en grec moderne) pour les textes grecs d’époque tardive. Loin d’avoir une signification botanique, ce genre de noms permettait de façon tautologique de désigner les plantes consacrées à cet astre et qui entretenaient des relations privilégiées avec lui. Sont ainsi qualifiées de « lunaires » à la fois des plantes qui sont en sympathie avec la lune, celles dont la physionomie font penser à cet astre ou encore dont la clarté étonne. C’est le cas de la plante nommée nyctegreton mentionnée par Pline au livre XXI de son Histoire naturelle. Cette herbe brille la nuit si on la fait sécher pendant trente jours au clair de lune. Ou encore de la phosphorescente aglaophôtis citée par ELIEN20 qui doit être cueillie car la lumière du soleil a un effet funeste sur la racine. L’herbe glukusidê (peut-être la pivoine), mentionnée dans les textes antiques, doit aussi être arrachée pendant la nuit noire comme l’aglaophôtis.

80Aujourd'hui encore, plusieurs plantes doivent leur nom du fait qu'elles font penser à la lune. Les « crachats de lune », ces algues terrestres d'un bleu noirâtre, du genre Nostoc, en sont un bon exemple. Ou encore le Spathiphyllum que l’on surnomme « Fleur de lune » du fait de ses spathes concaves (Fig. 11). Cela est donc la preuve de la survivance des plantes « lunaires » en botanique.

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81FIG. 11- Spathiphyllum fleur de lune, plante d’intérieur dépolluante. Source : realcorp.lu

Notes

1  Étudiant de master, Université de Tours. Rue du Fief de la Pénissière, 24. F-85120 la Châtaigneraie (Vendée), France. E-mail : goupito@gmail.com

2  Traduction : « Entre les plantes, celles qui sont lunaires sont le seleno-tropion, qui se tourne vers la lune, comme le tournesol vers le soleil ; et le palmier qui pousse un rameau à chaque lever de lune ; l’hysope qui est une espèce de romarin, un très petit arbre et la plus grande de toutes les plantes, participant de l’un et de l’autre. L’olivier qui est l’agneau sans tache, ou l’arbre chaste et pur, l’herbe chinostates qui croît et décroît comme la Lune, savoir, en substance et en nombre de feuilles, et non pas seulement en humeur et vertu ou force ». Dans henri Corneille AGRIPPA. De la philosophie occulte. Chapitre XXIV, « Des choses qui dépendent de la Lune », traduction de la collection « Les classiques de l’occultisme », Editions traditionnelles, Paris, 1989,pp. 68-69.

3  Guy DUCOURTHIAL. Flore magique et astrologique de l’antiquité. Belin, 2003, p. 292.

4  En vertu d’une symbolique lunaire, la lune commande la partie gauche du corps. Cela découle de l’antique sexualisation des deux côtés du corps humain. La lune, féminine, va avec la force de la main gauche. En plus de cela, la lune commande à certains organes du corps humain, selon la théorie de la « mélothésie ».

5  Traduction : « Son suc purge les irritations de l’estomac, de la poitrine et des « eastoreum », ce qui montre que c’est une herbe de la lune. Elle est efficace contre le mal des yeux et rend la vue perçante et elle est efficace contre le saignement des yeux. Si on met de la racine pilée sur l’œil, elle est merveilleuse pour éclaircir la vue, car la lumière des yeux est mystiquement proche de l’essence de la lune. Elle sert beaucoup à ceux qui ont un mal d’estomac, qui ne peuvent digérer la nourriture, il leur faut boire son suc, elle est encore plus efficace pour ceux qui ont des écrouelles ». Dans ALBERTLEGRAND. Liber secretorum Alberti magni de virtutibus herbarum, lapidum & animalium quorundam.

6  Guy DUCOURTHIAL, op. cit.

7  Terme arabe désignant le croissant de lune, premier jour du mois lunaire.

8  Paola CARUSI « Fleurs minérales, minéraux florissants » dans Le monde végétal : médecine, botanique, symbolique.  Éditions Sismel, 2009, p. 43

9  Athanase KIRCHER. Athanasii Kircheri Magneticum naturae regnum, 1667, p. 110.

10  Louis DEMAILLY. Principales merveilles de la nature, 1745, p. 309.

11 Claude DURET. Histoire admirable des plantes esmerveillables, 1605, Chap. XIX, p. 155.

12  Claude DURET. Histoire admirable des plantes esmerveillables et miraculeuses en nature, 1605, Paris. Chez Nicolas Buon. Introduction.

13  Benoit VOYSIN. Le médecin familier et sincère. Turin, 1747.

14  Jean WIER. Histoires, disputes et discours des illusions et impostures des diables, des magiciens infâmes, sorcières et empoisonneurs. Chapitre XVIII, 1579.

15  Pseudo-Callisthène, Le Roman d’Alexandre, II, 138-143, Les Belles Lettres, 1992.

16  Robert FRÉDERICK. L’influence de la lune sur les cultures. Paris, la Maison rustique, 1978.

17  (Monologue de la nymphe Téluse, Acte III scène 1, traduction française tirée de Galatée de John Lyly. Traduction de Francis Guinle. Dans Théâtre élisabéthain. Tome 1. Nrf Gallimard. 2009).

18  Armand DELATTE. Herbarius, 1938, p. 27.

19  Notamment à des genres de luzerne ou de thlaspi.

20  Aussi appelée « aglaophotos » ou « cynospastus ».

Pour citer cet article

Tony GOUPIL 1, «LA LUNE ET SES RELATIONS AVEC LES PREMIERS BOTANISTES», Lejeunia, Revue de Botanique [En ligne], N° 191 (avril 2014), URL : https://popups.uliege.be/0457-4184/index.php?id=1090.